"L'écriture est la peinture de la voix."
Voltaire.
“Il y a quelques mois, j’ai réalisé que je n’avais aucune idée
de ce à quoi ressemblait l’écriture manuscrite d’un de mes meilleurs
amis. Je le connais depuis 10 ans, mais nous n’avons jamais utilisé
l’écriture manuscrite pour communiquer, ni une lettre, ni une carte
postale, ni un petit mot. Je ne sais pas si son écriture est droite ou
inclinée, italique ou arrondie, élégante ou bâclée. M’a frappé
l’évidence que nous étions à un moment de l’Histoire où l’écriture
manuscrite semble sur le point de disparaître de nos vies. Nous l'avons
abandonnée pour quelque chose de
plus mécanique, moins distinctement humain, quelque chose qui dit
moins sur nous. (..) Dans le passé, l’écriture manuscrite était
considérée comme le signe le plus fort de l’individualité. De la
même manière que les rituels et autres petites conséquences liés à
l’écriture avec un stylo. Ainsi la petite bosse calleuse sur le
côté de l’index. Ou le mâchonnage du stylo (et même tout ce qu’on
pouvait faire avec le morceau de plastique au bout d’un bic). Nos
rituels et l’engagement sensoriel avec le stylo nous relient à
lui. Ce qui n’est pas le cas avec les manières d’écrire
d’aujourd’hui. Comme tout le monde, depuis une vingtaine d’années,
j’écris beaucoup sur ordinateur. Et je peux identifier très
précisément quand je suis passé du stylo au clavier. C’était en
1987, pour écrire mon PhD à Cambridge. Mais depuis tout ce temps,
je n’ai pas identifié de vraies sensations pour cet objet, ne
pouvant pas le sucer ou le regarder comme une extension directe de
mon être, comme je le fais avec un stylo. Le stylo est avec nous
depuis si longtemps qu’il semble presque en vie, comme un doigt
supplémentaire. Les autres outils contemporains d’écritures, comme
les téléphones, occupent un espace psychologique qui est plus
proche du stylo. Il y a dix ans, les gens gardaient leurs
téléphones dans leur poche. Aujourd’hui, ils l’ont continuellement
à la main, comme un petit animal colérique, qui nous scrute d’un
air maussade, et exprime le besoin d’être constamment apaisé. Très
clairement, les gens regardent leurs téléphones comme, jusqu’à un
certain point, une extension d’eux-mêmes. Et pourtant, nous
n’avons pas développé avec eux tous ces petits et plaisants gestes
qui sont l’ordinaire de notre rapport au stylo. Si vous aperceviez
quelqu’un en train de sucer son téléphone pendant qu’il réfléchit
à la prochaine phrase de son texto, vous penseriez qu’il est
complètement fou. (..)
De la même manière qu’on ne glisse pas toujours des plats préparés dans
notre four à micro-ondes, et qu’il nous arrive, par amour pour ceux que
l’on nourrit, de prendre le temps d’éplucher des légumes, de suivre une
recette pas à pas, l’écriture manuscrite est bonne pour nous. C’est par
cette voie que l’écriture manuscrite reviendra dans nos vies, comme un
plaisir, comme quelque chose qui nous fait du bien, qui est plus humain
que d’autres moyens de communication."
Lu dans :
Xavier de la Porte. L’encre perdue. Blog InternetActu.net.
15/10/12
Philip Hensher. The Missing Ink : The Lost Art of Handwriting, and Why
it Still Matters (L’encre perdue : l’art oublié de l’écriture
manuscrite, et pourquoi elle importe encore). Macmillan. 2012. 300 pages