28 octobre 2012

De l'écriture


"L'écriture est la peinture de la voix."
Voltaire.

“Il y a quelques mois, j’ai réalisé que je n’avais aucune idée de ce à quoi ressemblait l’écriture manuscrite d’un de mes meilleurs amis. Je le connais depuis 10 ans, mais nous n’avons jamais utilisé l’écriture manuscrite pour communiquer, ni une lettre, ni une carte postale, ni un petit mot. Je ne sais pas si son écriture est droite ou inclinée, italique ou arrondie, élégante ou bâclée. M’a frappé l’évidence que nous étions à un moment de l’Histoire où l’écriture manuscrite semble sur le point de disparaître de nos vies. Nous l'avons abandonnée pour quelque chose de plus mécanique, moins distinctement humain, quelque chose qui dit moins sur nous. (..) Dans le passé, l’écriture manuscrite était considérée comme le signe le plus fort de l’individualité. De la même manière que les rituels et autres petites conséquences liés à l’écriture avec un stylo. Ainsi la petite bosse calleuse sur le côté de l’index. Ou le mâchonnage du stylo (et même tout ce qu’on pouvait faire avec le morceau de plastique au bout d’un bic). Nos rituels et l’engagement sensoriel avec le stylo nous relient à lui. Ce qui n’est pas le cas avec les manières d’écrire d’aujourd’hui. Comme tout le monde, depuis une vingtaine d’années, j’écris beaucoup sur ordinateur. Et je peux identifier très précisément quand je suis passé du stylo au clavier. C’était en 1987, pour écrire mon PhD à Cambridge. Mais depuis tout ce temps, je n’ai pas identifié de vraies sensations pour cet objet, ne pouvant pas le sucer ou le regarder comme une extension directe de mon être, comme je le fais avec un stylo. Le stylo est avec nous depuis si longtemps qu’il semble presque en vie, comme un doigt supplémentaire. Les autres outils contemporains d’écritures, comme les téléphones, occupent un espace psychologique qui est plus proche du stylo. Il y a dix ans, les gens gardaient leurs téléphones dans leur poche. Aujourd’hui, ils l’ont continuellement à la main, comme un petit animal colérique, qui nous scrute d’un air maussade, et exprime le besoin d’être constamment apaisé. Très clairement, les gens regardent leurs téléphones comme, jusqu’à un certain point, une extension d’eux-mêmes. Et pourtant, nous n’avons pas développé avec eux tous ces petits et plaisants gestes qui sont l’ordinaire de notre rapport au stylo. Si vous aperceviez quelqu’un en train de sucer son téléphone pendant qu’il réfléchit à la prochaine phrase de son texto, vous penseriez qu’il est complètement fou. (..)
De la même manière qu’on ne glisse pas toujours des plats préparés dans notre four à micro-ondes, et qu’il nous arrive, par amour pour ceux que l’on nourrit, de prendre le temps d’éplucher des légumes, de suivre une recette pas à pas,  l’écriture manuscrite est bonne pour nous. C’est par cette voie que l’écriture manuscrite reviendra dans nos vies, comme un plaisir, comme quelque chose qui nous fait du bien, qui est plus humain que d’autres moyens de communication."



Lu dans :
Xavier de la Porte. L’encre perdue. Blog InternetActu.net. 15/10/12
Philip Hensher. The Missing Ink : The Lost Art of Handwriting, and Why it Still Matters (L’encre perdue : l’art oublié de l’écriture manuscrite, et pourquoi elle importe encore). Macmillan. 2012. 300 pages

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