31 mars 2022

Ce qu'un rideau peut dire


"Le rideau
Ne sait pas
Combien l’œil a besoin de lui
Pour se protéger
De la rue.

Le rideau
Ne sait pas
Combien la rue a besoin de lui
Pour rêver."
                Hala Mohammad




Lu dans:
Hala Mohammad. Ce peu de vie. Recueil bilingue (arabe-français).  Ed. Al Manar. 2016. 64 pages.

27 mars 2022

Pollen sans frontière


« Pollen, tout est pollen, aux jours d’avril en Israël.
Pollen, tout est pollen, les mêmes jours en Palestine. […]
Le mur, les barbelés, le dôme d’acier ne peuvent y faire :
ici et là, les oliviers sont fécondés. »
                        Jean-Pierre Sonnet




En deux semaines, le paysage se métamorphose, et on mesure notre impuissance à maîtriser le cours des saisons. Cela rassure. Imaginer l'étendue des paysages métamorphosés au même moment incite à la rêverie, et  à relativiser les malheurs de l'aventure humaine: cette explosion de pollens colorés se moque bien du Covid, et de nos guerres, et nous survivra à coup sûr. Plus prosaïque, cette nuit l'investissement d'une heure nous donne droit à prolonger les soirées en terrasse durant six mois, j'adore.


Lu dans:
Jean-Pierre Sonnet. La ville où tout homme est né. Taillis Pré. 2021. 56 pages

24 mars 2022

Sagesse d'Ahmadou Kourouma

 "Quand la force occupe le chemin, le faible entre dans la brousse avec son bon droit.“

                    Ahmadou Kourouma



Lu dans :
Ahmadou Kourouma. En attendant le vote des bêtes sauvages. Seuil. 1998. 368 pages.

On aperçoit la mer


 "Je suis au bord de la mer
Il est 8h du soir et je me perds au bord de l'eau
Je foule le sable de mes pieds nus
Il est doux et chaud
La mer est partie
Laissant derrière des bancs de coquillages
Je ne peux résister
C'est chaque fois pareil
Je dois en ramasser
Le soleil rougeoie juste au bout de la mer qui s'embrase
Là où on croit qu'il va tomber
La mer murmure des vagues
Je suis seule sur la plage avec mon chien
Il court derrière les oiseaux
Et moi je ramasse des coquillages."
                        Marianne Ledent

 


Il y a comme un goût de sel sur les lèvres, enfants et parents confondus, quand se profile l'exode pascal vers la mer du Nord. Il n'y a pas d'âge pour ramasser les coquillages.


23 mars 2022

Il suffit d'une étincelle



"Mais les rêves    
tous ces rêves que l'on croyait perdus
il suffit d'une étincelle pour que tout à coup
ils reviennent de plus belle     au plus profond de nous
tous ces rêves nous élèvent     et nous font aimer la vie." 
                        Pierre Rapsat. 2001

 



Eh oui, nous gardons tous une vieille Simca rouillée dans nos têtes à souvenirs. L'évocation de ma première Deuche a réveillé la ruche, alignant en un long poème le meilleur de nos vingt ans. Allez, on compile avec allégresse.

"Moi c’était une coccinelle. / Moi, c'était une Simca 1100. / Moi aussi ! Ma première voiture était une Simca 1100 un peu rouillée, mais je l’adorais. / Hommage aussi à la Simca 1100 de Marc, la R4 de Michel qui nous a conduits à cinq avec nos bagages, d'une traite jusqu'à Taizé, comment avons-nous fait? / Moi ce fut une DKW junior 3 temps 3 cylindres, sur laquelle j'ai passé plus de temps que sur ma femme, une originale qui fut quand même l'ancêtre des Audis (la DKW, pas ma femme). / Que de beaux souvenirs partagés! On était une bande, Anton, Ivan, Boris et moi, on croyait que c'était pour la vie, qu'êtes-vous devenus? Et cette légèreté, cette insouciance, qui leur a mis des cales aux pieds? / Nous avons connu les mêmes bonheurs avec une Deuche  jaune canari durant nos premières années de rencontre, rachetée aux parents la veille de notre mariage pour partir en voyage de noces. J’en garde une vraie nostalgie positive. C’est aussi, et de loin, la voiture que j’ai préférée. / Mais non, moi ce fut aussi une vieille 2cv, mais qui tombait toujours en panne lors de notre voyage de noces en Espagne. / Très beau et très juste, merci pour ce coin de paradis dans ce monde difficile, on ne regrette pas d'avoir vécu quand on repense à tout cela . / Nous , ce fut une vieille Dyane qui nous a emmenés sur les chemins de l’évasion vers ce camp louveteaux où nous étions intendants, nos premières vacances à deux. La montée après Namur, en deuxième vitesse, était insurmontable tant nous étions chargés, c’était comme si on escaladait l’Everest. /  Celle dont je parle était jaune aussi , achetée à 30.000 kilomètres au compteur, revendue cinq ans plus tard à 130.000 pour la même somme. En ces temps-là, acheter une deux poils était un investissement, pas une dépense. / Oui, oui, bien sûr si je m'en souviens mais d'un jaune moins trash, un jaune usé mais elle était tout aussi sympa. / Ah le bruit reconnaissable entre tous de son moteur, son changement de vitesse en forme de H au volant, ses plaisanteries quand on sortait la manivelle, sa version cabriolet et les trajets jusqu'à Louvain qui n'était pas encore Leuven, par la route buissonnière qui passait par Tervueren pour me conduire dans un nouvel univers. / C'était au temps de ces petites bulles de folie improvisées, juste pour le plaisir d'être là, ensemble. Mais c'est quand-même bien d'avoir vécu ça, les rêves sont en nous, il suffit d'une étincelle pour que tout à coup ils reviennent de plus belle, merci Pierre [Rapsat]. / Comment rêvent ceux qui ont 20 ans aujourd'hui? /

Que cela fait du bien à lire ...


22 mars 2022

Sagesse d'Alain Souchon


 "On voulait voguer en mer d'Iroise
les ancres mouiller.
les baleines     la belle turquoise,
les coffres oubliés
les sirènes     les belles sournoises
les grands voiliers.

Mais la vie nous promène en Seine et Oise
Dans sa Simca rouillée."
                Alain Souchon

 
C'était une Deuche d'occasion, et jamais plus je n'ai adoré une voiture à ce point. Elle transportait nos vingt ans, toutes les possibilités d'une vie se déroulaient devant ses phares bigleux, et son inconfort modulable s'adaptait à toutes nos fantaisies. Des sièges transformés en salon de jardin lorsque la forêt était hospitalière, en confessionnal pour la confidence, en cockpit de Formule 1 quand la route sinuait, en chambre à coucher clandestine quand l'hôtel nous fermait ses portes. On peut voguer en mer d'Iroise tout en se promenant en Seine et Oise quand on a vingt ans. Et nous gardons tous une Simca rouillée dans nos têtes à souvenirs.


Lu dans:
Alain Souchon. Le Marin. 2005.

20 mars 2022

Quelques notes avant l'exil

 

"Je ne sais pas pourquoi
cette mélodie me fait penser à Chopin
je l'aime bien, Chopin
je jouais bien Chopin
chez moi à Varsovie

Varsovie     une place peuplée de pigeons
une vieille demeure avec pignon
un escalier en colimaçon
et tout en haut mon professeur (..)

Des pas qui claquent
des murs qui craquent
des pas qui foulent
des murs qui croulent
pourquoi?

Des yeux qui pleurent
des mains qui meurent
des pas qui chassent
des pas qui glacent
pourquoi
        le ciel est-il si loin de nous?

    Le Pianiste de Varsovie. Pierre Delanoë, Gilbert Bécaud. 1956




Une maison dévastée dans un quartier détruit, le 5 mars à Bila Tserkva, près de Kiev. Seul le piano blanc d'Irina Maniukina au cœur du salon, a survécu aux bombardements. En guise d'adieu avant l'exil, la pianiste égrène quelques notes. D'instinct elle a choisi une composition de Chopin, La Harpe éolienne (Études op. 25, n°1 en la bémol majeur).  Ce choix ne doit rien au hasard, lié à l'exil de Chopin quittant sa Pologne natale après l'écrasement de l'insurrection de Varsovie en 1830, réprimée  par l'armée russe. Désaccordé, le piano réécrit une mélodie d'une intensité désarticulée à l'image du drame qui se vit, et que la pianiste poursuit comme pour signifier ce qu'un conflit destructeur peut faire d'une œuvre, et de la vie.


Voir la vidéo: https://youtu.be/DDUdK5SYa7w
 

19 mars 2022

Le surgissement de l'inattendu

 "Il s'agit surtout de passionner le temps."

        Vladimir Jankélévitch, formule reprise de H. Bergson



Tout philosophe est le fruit de son époque. Jankélévitch énoncerait-il la même phrase aujourd'hui, peut-être mais?  Ce matin, dans l'espace d'accueil de sa maison de repos, une pensionnaire tricote paisiblement en fredonnant a capella Le temps des cerises. Me surprennent  sa sérénité, le caractère intemporel de son activité et de son chant, ainsi que la distance qui la sépare de ses voisines dont l'inoccupation se fait volontiers malveillante. Dans l'auto, Klara Continuo égrène un Mozart cristallin, tandis qu'explosent à mes yeux une longue traînée de jonquilles en fleurs, de forsythias et de magnolias annonçant un printemps imminent. Brève méditation sur le surgissement de l’inattendu dans nos vies, sur ce bonheur qui soudain prend toute la place, nous plongeant dans un monde de légèreté, d'optimisme et de lendemains meilleurs. L'autoradio interrompt Mozart pour un bulletin d'infos rapportant la destruction d'un théâtre et d'une école à Marioupol. Brutal retour au quotidien, et à une question existentielle: a-t-on le droit d'être heureux face à l'inhumanité, de nous soustraire à un désastre dont nous ne sommes pas directement responsables? Ou au contraire, faut-il plus que jamais cultiver des bulles de paix intérieure pour contrebalancer la violence et le chaos? Question demeurée sans réponse.



Lu dans:
Vladimir Jankélévitch , Frédéric Worms, et al. L'aventure, l'ennui, le sérieux. Flammarion. 304 pages. 2017. Extrait p. 234

17 mars 2022

Poésie des gares entre deux trains

 

"J’aime les heures à attendre entre deux trains
dans des villes connues ou inconnues
peu importe, elles sont toutes les mêmes alors
c’est la pensée qui respire entre deux vies
entre deux destinations . " 
                Laurence Vielle





Lu dans:
Laurence VIELLE. Zébuth ou l’histoire ceinte suivi de L’Imparfait. Postface d’Alice Richir. Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord ». 2022. 240 p.

16 mars 2022

Petit repaire

 "Alice est intriguée par un lapin blanc qu’elle suit au fond de son terrier. Elle tombe dans une salle où il n’y a personne, elle trouve une clé pour une petite porte par laquelle elle ne peut pas passer, elle trouve un flacon indiqué « Buvez-moi », ce qu’elle fait. La boisson la fait rapetisser. Alice rapetisse si rapidement qu’elle n’a pas le temps de récupérer la clé sur la table.."   

            Lewis Carroll. Alice aux pays des merveilles



Les contes ont la peau dure. Hier, Alice a adopté la pièce la plus modeste de la maison, 4 mètres carré, la plus cachée aussi, méconnue de tous. Elle en repeint les murs, y a placé un tapis, ce sera désormais sa cabane dans les arbres à elle. Elle y reçoit deux amies, toujours les mêmes, et le monde est beau. Que d'êtres sur la Terre rêveraient de pareil bonheur à l'heure actuelle.

 

15 mars 2022

Porter l'exil en soi


"Voulez-vous, je vous prie, me dire quel chemin je dois prendre pour m'en aller d'ici? Cela dépend en grande partie du lieu où vous voulez vous rendre", déclara le chat.
                    Lewis Carroll.  Alice au Pays des merveilles. 1865


C'est quand qu'on va où, papa? Il y avait un jardin d'enfants, il reste un cratère. On était instit, épicier, policier, docteur, en quelques minutes et deux missiles on devient réfugié dans son propre village. Vers où se diriger quand disparaissent les plus infimes repères indiquant où on est, et surtout qui on est. Quand s'écroulent dans le fracas tout ce à quoi on croyait, une histoire, un paysage, une culture, la croyance en un avenir meilleur, la bienveillance pour les pays voisins, la solution non-violente aux conflits, le respect des différences. Quand des mômes interrogent leurs parents: on a fait quelque chose de mal, maman? Quand naissent les conflits jusqu'au sein des familles, comme ce mari qui enjoint à son épouse de fuir avec les gosses, abandonnant sa vieille maman alitée. Elle ne s'y résoudra pas, prenant la route de l'exil dans sa propre rue: il y a des limites à ce qu'on s'autorise à abandonner. Les images se bousculent dans les lucarnes de nos TV et de nos yeux, imprégnant nos nuits. Qui a écrit un jour "j'ai vu le monde entier, et le contraire du monde"? Jamais phrase ne me parut plus vraie.


13 mars 2022

L'homme qui ne savait pas nager

 


Comment oublier le regard de l'homme qui se noie? La mémoire de ce court récit, que je pensais avoir oublié, m'est revenue en découvrant les images de Marioupol dévastée. L'homme se noie et, sur les rives glacées, un autre homme impuissant le regarde, il ne sait pas nager, il a le cœur fragile, il est seul et cherche du regard une perche, une corde, une idée géniale. Il lui parle, évoque les secours qui ne sauraient tarder, mais arriveront trop tard. Une souffrance se termine, une autre commence car rien n'enlèvera jamais la honte d'un regard implorant qu'on n'a pu aider. Comment ne pas se projeter dans le récit de cet innocent coupable, nauséeux à la vision des images d'Ukraine tout en taillant le saucisson du repas du soir, toutes nos certitudes antérieures battues en brèche par l'incompréhension et une anxiété de ne pas cerner la fin de l'histoire. J'appréciais le journal  télévisé, pause paisible à la fin de journées professionnellement chargées, et soudain je ne m'y retrouve guère. Quelques jours de vacances, la vacuité des heures laissant tout l'espace disponible pour que s'y déploient sans aucune limite les images de l'horreur, le contraste entre la beauté des paysages et la laideur des faits de guerre, entre des soucis de vacancier et l'incertitude de réfugiés, m'ont fait découvrir qu'aucune angoisse existentielle ne résiste à l'occupation de l'esprit par la résolution des problèmes réels et quotidiens de nos semblables proches, parents, patients, voisins. Les mains dans le cambouis de la petite misère comme antidote à une anxiété incontrôlée en écoutant le bruit du monde?

Une journée se termine emplie de questions sans réponse. Demain on reprend les appels téléphoniques, on répond aux mails, on traquera à nouveau un virus insaisissable, les aiguilles de la montre tourneront à nouveau deux fois plus vite, une façon comme une autre de tenter d'oublier l'Ukraine qui se noie? 


05 mars 2022

La petite fille aux ciseaux

   « La barricade n'est faite ni de pavés, ni de poutres, ni de ferrailles ; elle est faite de deux monceaux, un monceau d'idées et un monceau de douleurs. »

                    Victor Hugo. Les Misérables




C'est l'image d'une petite fille qui s’affaire à découper des bouts de tissus, que sa maman plonge dans une bouteille remplie d’un mélange d’hydrocarbures pour en faire un cocktail Molotov. Rideaux, vêtements, torchons, tout est recyclé en mèches de fortune. L'endroit est défendu par une improbable barricade de bric et de broc, sur laquelle on peut imaginer Gavroche, le gamin de Paris immortalisé par Victor Hugo. Armes dérisoires portées par une forte conviction face aux tanks immobilisés dont les équipages seraient gagnés par la faim, le doute et l’incompréhension. Combat dont l'issue, malgré le déséquilibre des forces, demeure incertaine car, comme le prédisait Hugo, «la barricade Baudin reparut immédiatement, non plus en France, mais hors de France, bâtie, non plus avec des pavés, mais avec des principes ; de matérielle qu'elle était, elle devint idéale, c'est-à-dire terrible » .



Lu dans: 
Victor Hugo. Les Misérables. Rosa A. et G. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1985, 1270 pages. Extrait pp 941,942
Victor Hugo V, Actes et paroles, 11

04 mars 2022

Sagesse de Sun Tzu

 "Traitez bien les prisonniers, nourrissez-les comme vos propres soldats. Faites en sorte, s'il se peut, qu'ils se trouvent mieux chez vous qu'ils ne le seraient dans leur propre camp, ou au sein même de leur patrie. Ne les laissez jamais oisifs, tirez parti de leurs services avec les défiances convenables, et, pour le dire en deux mots, conduisez-vous à leur égard comme s'ils étaient des troupes qui se fussent enrôlées librement sous vos étendards. Voilà comment on gagne une bataille." 

                            Sun Tzu. L'Art de la guerre


Ouvrage emblématique, encore enseigné de nos jours dans les académies militaires, L'Art de la guerre du stratège Sun Tzu est un ouvrage de sagesse. En appliquer les principes enseigne la victoire sans effusion de sang inutile, le but ultime d'une guerre étant moins d’anéantir l’adversaire que de lui faire perdre l’envie de se battre, privilégiant l'économie de l'engagement, la ruse qui déstabilise un ennemi désemparé, la connaissance fine de son adversaire en utilisant son intelligence et l’espionnage qui ouvre au chef de guerre une vue d’ensemble de la situation qu'il affronte. Les images récentes de la guerre en Ukraine actualisent ces théories millénaires, diffusant sur les réseaux sociaux ces vidéos de soldats russes désemparés, isolés dans leur tank embourbé dans les champs, faits prisonniers par des Ukrainiens qui leur offrent le thé et la nourriture. Dans une séquence virale de moins d'une minute centrée sur le visage d'un jeune engagé russe, une femme civile lui tend un téléphone montrant sa mère en vidéo, l'engageant à la rassurer. Mesurant l'impact que pareille séquence peut avoir sur la population russe, momentanément écartée des médias, le ministère de la défense ukrainien a invité les mères des soldats russes capturés à venir les chercher dans le pays envahi sous les bombes. Ont-ils lu Sun Tzu? Pas sûr, même si tous les ingrédients du traité millénaire de la stratégie pour remporter un conflit improbable s'y retrouvent. 


Lu dans
Sun Tzu. L'Art de la guerre. Les Treize Articles. Article III. Des propositions de la victoire et de la défaite. Book sur http://www.ebooksgratuits.com/

03 mars 2022

Confrontation au sommet

 "L'invraisemblable s'était produit. Un champion du monde, le vainqueur d'innombrables tournois, venait de baisser pavillon devant un inconnu, devant un homme qui n'avait pas touché à un échiquier depuis vingt ou vingt-cinq ans." 

                Stefan Zweig

 
 

Le jeune président ukrainien Zelensky est-il en train de gagner la bataille d'image face à Poutine? Le contraste entre l'acteur-humoriste considéré comme une invention des médias et le vieux président russe est cruel. Réfugié au Kremlin, obnubilé par sa phobie des maladies contagieuses exacerbée par le Covid, qui le fait rencontrer les dirigeants, généraux et ministres autour d’une table de six mètres de long, répétant de longs discours décousus et affligés, le président Poutine n'a plus été vu depuis le début de la crise ukrainienne que dans ses quartiers royaux. La confrontation quotidienne avec son adversaire Zelensky, traqué par les forces spéciales russes et refusant une exfiltration, devenu ainsi un opposant héroïque, est cruel. Cela ne sauvera peut-être pas Kiev, mais le sang-froid et le courage du président ukrainien dans des circonstances désespérées aura certainement aidé l’Ukraine à se bâtir une identité.




Lu dans : 
Stefan Zweig. Le Joueur d'échecs. Flammarion. GF 1510 - Littérature et civilisation. 2013. 144 pages

02 mars 2022

Merveilleux déchets

 "Même avec une chose que tout le monde croit perdue, on peut faire quelque chose de merveilleux."

                                    Axl Cendres




Confrontant fragilité et puissance, l'interpellant retable Majesté de Notre-Dame des Neiges de Serena Fineschni en impose par sa taille et sa couleur dorée. L’œuvre est inspirée des techniques de collage à la feuille d’or du Moyen-Âge, mais ici les feuilles d’or sont des papiers d’emballage de Ferrero Rocher encollés sur une plaque de contreplaqué . L’effet visuel est trompeur, prenant la forme d'un monochrome éblouissant par lequel l’artiste évoque une critique de la société de consommation en revalorisant les déchets du quotidien. Afin de renforcer cette réflexion, sur le sol sont parsemés des dizaines de fragments de chewing-gum multicolores usagés dont la trame évoque une mosaïque, ou un tapis. L'art se moque du matériau utilisé pour émouvoir l’œil et l'esprit. Rien - ni personne - n'est assez petit ou modeste qui ne puisse se transformer en moment - ou personnage - d'exception.








Lu dans: ‎
Axl Cendres. Dysfonctionnelle. J'ai lu. 2021. 352 pages
La Vie matérielle, à  la Centrale for Contempory Art, place Sainte-Catherine 44, 1000 Bruxelles, jusqu'au 13 mars 2022. Dialogue entre 12 artistes, italiennes et belges, autour du lien entre l’art et la vie

01 mars 2022

La plus précieuse des marchandises

 "Vous vouliez savoir si c'est une histoire vraie ? Bien sûr que non, pas du tout. Il n'y eut pas de trains de marchandises traversant les continents en guerre afin de livrer d'urgence leurs marchandises, ô combien périssables. Ni de camp de regroupement, d'internement, de concentration, ou même d’extermination. Ni de familles dispersées en fumée au terme de leur dernier voyage. Ni de cheveux tondus récupérés, emballés puis expédiés. Ni le feu, ni la cendre, ni les larmes. Rien, rien de tout cela n'est arrivé, rien de tout cela n'est vrai. Pas plus que ne le sont la pauvre bûcheronne et son pauvre bûcheron, pas plus que les sans-cœur et les chasseurs de sans-cœur. Rien, rien de tout cela n'est vrai. Ni la libération des villes et des champs, des bois et des camps, qui n'existaient pas. Ni les années qui suivirent cette libération. Ni la douleur des pères et mères cherchant leurs enfants disparus. Rien, rien de tout cela n'est vrai. (..)

La seule chose vraie, vraiment vraie, c'est qu'une petite fille fut jetée de la lucarne d'un train de marchandises, par amour et par désespoir, dans !a neige aux pieds d'une pauvre bûcheronne sans enfant à chérir, et que cette pauvre bûcheronne l'a ramassée, nourrie, chérie, et aimée plus que tout. Plus que sa vie même. Voilà la seule chose qui mérite d'exister dans les histoires comme dans la vie vraie. L’amour, l'amour offert aux enfants, aux siens comme à ceux des autres, l’amour qui fait que, malgré tout ce qui existe, et tout ce qui n'existe pas, l’amour qui fait que la vie continue."
                        Jean-Claude Grumberg


 
La résurgence de la folie des hommes et la rapide dégradation de la situation militaire en Ukraine participent sans aucun doute à l'émotion ressentie ce samedi au Public lors de la pièce "La plus précieuse des marchandises", sobrement interprétée par Jeanne Kacenelenbogen sur un beau texte de Jean Claude Grumberg. L'évocation d'un quotidien à la fois tendre et misérable, bercé par une guerre qui y fait irruption était saisissante. Un conte, un décor, une masure, une forêt, de la neige, un bûcheron et sa femme. Elle n’a pas d’enfant. Autour de ce grand bois touffu, une guerre mondiale. Et puis un train de marchandises à travers la forêt, dont un jour va tomber une "petite marchandise" que la pauvre bûcheronne va ramasser. Une bien poétique façon de raconter l’Histoire, dans une période où nous en avons tant besoin, qui laisse une trace durable dans nos mémoires.



Lu dans:
Jean-Claude Grumberg. La plus précieuse des marchandises. Points. 2020. 128 pages. Extrait p. 120-121
Vu au théâtre Le Public. Avec Jeanne Kacenelenbogen, seule en scène. 18.1.22 - 27.2.22.