29 avril 2024

Parole d'enfant ?

 "La femme est l'avenir de l'homme."

                    Jean Ferrat


Pas gagné. Hier dans la cohue d'un accident bénin, une jeune fille - 10,11 ans à peine - hurle par la fenêtre arrière à la conductrice qui involontairement les bloque "femme au volant, mort au tournant." Parole du père, ou d'un oncle? Pauvre mère. Il reste de la place pour l'éducation. 

 

27 avril 2024

Pensées ombiliquées

 "On a du mal à vivre sans nombril. Ce sont les chirurgiens qui le disent, et ceux qui n'ont pas pu le contourner en ouvrant la paroi abdominale, ou qui n'ont pas pu éviter de le supprimer après plusieurs opérations, le reconstituent désormais, après avoir constaté que les patients supportent très mal sa disparition. Est-ce parce que le ventre est devenu un sac, la cicatrice faisant même office de couture? Est-ce que la naissance doit laisser une marque, une inscription à défaut de souvenir? Ou est-ce l'imaginaire du cordon qui nous manque, ce cordon qui nous servit de fil d'Ariane dans la nuit prénatale ?"

                                        Gérard Macé


Le nombril rassure: nous existions donc bien avant de naître, nous n'étions pas ce rien qui terrorise. Et nous laisse une illusion infime que nous ne serons pas que ce rien après la mort. Problème: il nous manque un nombril de sortie.


Lu dans: 
Gérard Macé. Pensées simples. NRF Gallimard. 2011. 240 pages. Extrait p.75

26 avril 2024

Crédule, moi?

 "On raconte bien à Rome une histoire de jumeaux qui tétaient une louve, mais personne n'imagine qu'en Italie on puisse y croire au premier degré.

La crédulité, c'est le nom qu'on donne aux croyances des autres, surtout s'ils sont éloignés de nous, dans l'espace ou dans le temps."
                                    Gérard Macé


Qui ne se défend d'être crédule? On a admiré la Louve à Rome sans y croire, et le même jour jeté trois piécettes dans la fontaine de Trévi pour préserver l'avenir car "si cela ne fait pas de bien, cela ne fait pas de tort non plus".  Et rentré à Bruxelles, une caresse furtive à l'avant-bras de bronze de la statue de t'Serclaes près de la Grand-Place a ponctué notre promenade. On a tous des crédulités accessoires.

Lu dans: 

Gérard Macé. Pensées simples. NRF Gallimard. 2011. 240 pages. Extrait p.52

25 avril 2024

Par-delà la boisson, un savoir-faire

 "Ces vins qui se souviennent du vent d'hiver, des pluies d'orage, des brouillards et des gelées printanières, et qui déposent avec délicatesse au fond de nos verres, mais transmués en arômes, le terroir et les saisons."

                                                Gérard Macé


Le vin possède sa fragilité aussi, comme en témoigne l'anxiété de ces viticulteurs, les yeux rivés sur la météo à l'annonce d'un passage de gel nocturne en début de semaine, allumant braséros, bougies, feux de ballots humides pour conjurer le sort qui mettrait en péril leur récolte. Et lorsque les conditions de bonne conservation ne sont pas respectées, la désillusion de ne retrouver qu'un cru bouchonné, vinaigré, ayant perdu tous ses arômes. La vulnérabilité d'un vin en fait le prix.


Lu dans: 
Gérard Macé. Pensées simples. NRF Gallimard. 2011. 240 pages. Extrait p.40

24 avril 2024

Azerty

 "L’ordre des lettres sur nos claviers d’ordinateur descend des machines à écrire du XIXe siècle, quand il fallait résoudre un problème technique : les barres qui supportaient les lettres avaient tendance à s’emmêler si on tapait trop vite. Il a fallu répartir les lettres en faisant en sorte que des touches proches sur le clavier portent des lettres qui ne soient pas proches dans les mots. C’est ainsi que les claviers sont devenus qwerty ou azerty. Au cours de l’histoire, alors même que le problème technologique avait totalement disparu, beaucoup de claviers plus performants ont été imaginés, mais ils n’ont pas réussi à supplanter les qwerty . Aujourd’hui, nos ordinateurs ont des claviers conçus en dépit du bon sens, mais personne ne s’aviserait de proposer une modification, car nous ne souhaitons pas changer nos habitudes." 

                            Étienne Ghys



Notre quotidien est pétri de routines dont nous avons totalement perdu la signification, et dont nous sommes les automates.


Lu dans:
Étienne Ghys. Les imperfections de l’évolution. Carte blanche. Sciences et médecine. Le Monde du 22 avril 2024. Extrait p.7


22 avril 2024

 "L’approche de la mort terrifie, mais si le nouveau-né avait conscience de l’approche de la vie, il serait tout aussi terrifié."

                            Charlie Chaplin



20 avril 2024

Une petite motte de beurre

 "Regardant le soleil se lever, trônant devant sa table de fer laqué où fumait une cafetière, ouvrant le premier petit pain sorti de chez le boulanger espagnol voisin, enfonçant son couteau à bout rond dans une petite motte de beurre perlée d'eau, et contemplant du haut de notre colline la ville d'Alger que le soleil dans une heure écrasera, mon grand-père, dans cette merveilleuse solitude qu'assure le dernier moment de fraîcheur dispensé par la nuit, me disait lorsqu'il m'arrivait, à moitié endormi, de le rejoindre: - C'est ainsi que la vie toujours devrait être. Il ne faut pas lui demander plus." 

                                    P. Hebey.


La page Livres du Soir ce samedi propose une lecture d'Emmanuel Kant, et de sa philosophie commandée par quatre grandes interrogations : Que puis-je savoir ?, Que dois-je faire ?, Que m’est-il permis d’espérer ? et Qu’est-ce que l’homme ?.  Toutes questions qui m'auraient passionné jadis, auxquelles je préfère aujourd'hui la sagesse de ce grand-père au petit-déjeuner.


Lu dans:
Pierre Hebey. Le goût de l'inactuel. Gallimard. Collection NRF. 1998. 222 p. extrait p.44

19 avril 2024

Douce parole

 "Ne parlez pas à moins de pouvoir améliorer le silence."

                    Jorge Luis Borges



Ses résultats sont arrivés ce matin. Elle attend, dans un silence qui se prolonge. Et soudain, comme une explosion de feu d'artifice, trois mots suffisent: "Vous êtes guérie." 

17 avril 2024

Les bruits du monde

 

"Tu vas chaque jour à la boîte aux lettres
sous le cerisier, même quand il pleut,
et tu en reviens avec les bruits du monde. "  
                        Jean Pierre Lemaire


Lu dans: 
Jean Pierre Lemaire. Graduel. NRF Gallimard 2021 133 pages. Extrait p.39

16 avril 2024

Les mots qui volent


"On a tous un jour perdu des mots
Qu'on a laissé s'en aller
Sans même y penser
Un peu comme une poignée de confettis,
Les mots s'enfuient
Sans qu'on sache où
ils se poseront. "
            Les mots perdus Michel Fugain


Une mélodie a capella, inattendue entre nouvelles et bulletins météo. Elle m'émeut alors que je n'en connais ni l'auteure, ni les paroles, ni l'époque, et ne les connaîtrai jamais. Où vont les lignes que l'on compose, les mots bien- ou malveillants qu'on prononce? Pareils au vent sans maître, sans lieu ni temps, ils iront adoucir ou blesser là où ils se posent, sans qu'on n'en ait conscience. Cela incite à la prudence les soirs d'ivresse et de perte de contrôle, quand le fiel coule à flot.


Lu dans:
Les mots perdus Michel Fugain. Paroles: C. Coudray, 1981

14 avril 2024

Le Colysée et YouTube, meilleurs amis

 

"Vous, mes yeux bienheureux,
Ce que vous avez vu,
- Advienne que pourra -,
Cela était si beau."
                Saint John Perse . Second Faust (acte V)


Il n'y a pas d'âge pour se passer de beauté. Et l'époque actuelle y aide, paradoxalement. Dans le vaste espace de vie de la maison de repos Astrid, un piano joue, merveilleusement. La qualité de l'enregistrement est telle que je l'imagine un moment avec son pianiste au centre de la salle. La musique exalte la beauté d'un superbe reportage sur le Colysée filmé sous toutes ses coutures, dans toutes les lumière imaginables du matin blême au soir couchant, filant ensuite sur le mont Palatin, le Panthéon et les ruines du Forum romain. Je les découvre avec étonnement, en grand écran sur un mur dégagé, agrémentant la matinée d'une dizaine de pensionnaires âgés, attentifs, dont l'état ne permettrait guère d'en faire le voyage lointain. Interrogeant l'accueillante sur la source de ce superbe film, elle révèle que YouTube est branché chaque matin à la même heure, laissant s'envoler vers des mondes lointains les privilégiés qui le souhaitent. Ne médisons pas trop vite des moyens de communication actuels .



Lu dans;

  •  Le Colisée, Chef-d'oeuvre De L'Empire Romain - Documentaire Archéologie, 44'36 - France 5 (2013). YouTube https://www.youtube.com/watch?v=3UxAMZtbFec
  • Monuments éternels - Les secrets du Colisée - Arte 1h.25.28  YouTube https://www.youtube.com/watch?v=xR-BT0OL9n8

11 avril 2024

Un jour dans l'irréel

A l'ombre des fleurs de cerisiers
il n'est plus
d'étrangers. " 
                    Haïku


Il règne un parfum de Japon dans ma rue ce matin, que le soleil exalte. Moment de plénitude, précédant de quelques heures la chute des fleurs de cerisiers qui tapisseront le sol, moment si bref qu'on en oublie la beauté du monde et le mal qui le ronge. Un poivrot sympa tente l'approche d'une accorte voisine, un chiot en laisse ébauche un pas de danse avec sa queue, nos voisins musulmans se sont parés de leurs plus belles djellabas, abayas et jabador pour la fête de l'Aïd, et moi-même m'imprègne de la première chaleur de l'année. Cela ne durera guère, il suffira de quelques heures pour le charme redevienne le fil des jours. Mais l'extrême brièveté de ce moment constitue sa saveur, et nous permet de saisir pourquoi la vis, si courte, est précisément si belle. La coïncidence de tant de beauté estompe les différences.



Je vous souhaite tout cela ce jour des cerisiers, de la fête de l'AÏd, et de la beauté pour les autres. 

CV




10 avril 2024

Ralentis

"Où vas-tu si vite, où t'as vu que tu étais à la traîne?
tu lèves le pied s'il te plaît, je veux pas te voir à plus de trente."
                           Sébastien Ortiz



On ne badine pas avec les consignes du régulateur de la RATP (métro parisien). La voix est nette, la parole d'autorité. Ce rappel à l'ordre a le mérite de la simplicité, aisément compréhensible par le conducteur qui s'est laissé entraîner, et qui réduit la vitesse d'un cran. La rame ralentit aussitôt. On se prend à regretter qu'il n'y ait pas de régulateur ailleurs que dans le métro.


Lu dans:
Sébastien Ortiz. Châtelet-Lilas. NRF Gallimard. 2021. Extrait p.92

07 avril 2024

Porte des Lilas

"1978. Tu prenais le métro tous les jours vers 8 heures Porte des Lilas (troisième voiture, première porte). J'étais là venant de Mairie des Lilas. Nous avons voyagé côte à côte pendant plusieurs mois. Tu descendais à République. Seuls nos yeux se parlaient. Je n'ai rien oublié." 
        Petite annonce en forme de haïku à la rubrique 4 Transports amoureux de Libé



Combien sont assis l'un en face de l'autre sans oser se parler ? Combien se jaugent du coin de l’œil et se plaisent peut-être sans oser se le dire, rencontres manquées. Faute d'une vie de rêve, on se crée une existence rêvée.


Sébastien Ortiz. Châtelet-Lilas. NRF Gallimard. 2021. Extrait p.107

06 avril 2024

Matin clair


"La terre tourne
les enfants parcourent le monde
l’eau des rivières coule vers la mer
le vent traverse les forêts     et les plaines
les enfants rêvent         le jour se lève
et la terre tourne encore. » 
                    Anne Brouillard


Samedi, soleil. On entrouvre les rideaux sans trop y croire, et pourtant. Les enfants jouent déjà au voyage, l'eau coule vers la mer, on imagine un vent doux qui décoiffe les récoltes sans les coucher. Et la terre qui tourne, inlassablement. Rien que pour un jour, oublions ce qui fâche.


Lu dans: 
Anne Brouillard, Bertille De Swarte. Ronde autour de la terre. Esperluète, coll. Albums. 2024

04 avril 2024

Une vie sans récit

 "Depuis le parking du supermarché,
tu vois les balcons de l'immeuble en face
où sèche la lessive de plusieurs familles.
Une femme arrive et dépend du linge (..)
quelque chose a lieu, un retournement
qui expose au grand air l'intérieur des vies,
les draps sortis des chambres, les habits qu'on change,
le travail invisible des mères  déployé dans l'espace
où les couleurs parlent au gré de la brise,
tels les mots alignés sur les fils du poème."
                        Jean Pierre Lemaire



Ces lucarnes par lesquelles on pénètre dans l'intérieur des vies, pareilles à ces ruelles de Venise où sèche le linge des familles, vie privée et vue publique mêlées. Face à moi dans le métro de Paris, une femme au visage raviné, maigre, dégage une nostalgie infinie. Que fut sa vie, où vit-elle, aucun indice qui permette un début de récit. Elle descend à Pantin, et son image me reste.


Lu dans:
Jean Pierre Lemaire. Graduel. NRF Gallimard 2021 133 pages  Extrait p. 108