25 décembre 2022

Joyeux Noël

 "Dire que l'on aime la pluie c'est affirmer une différence."
                    Martin Page




Il pleut. A en croire les experts, le Noël blanc n'a pas d'avenir, on se souhaitera donc un "Noël pluvieux, Noël heureux." Après les craintes suscitées cet été par la sécheresse et ses conséquences, se réjouir de la pluie qui nous est donnée n'a plus rien de sot.




Lu dans:
Martin Page. De la pluie. Ramsay, 2007,  cité par :
Denis Grozdanovitch. Petit éloge du temps comme il va. Gallimard 2014. Folio 5820. 132 pages. Extraits pp 24-25, 44-45.

23 décembre 2022

Je n'enfume pas , je parfume

 

"WO Larsen célèbre l'année 2022
avec son nouveau tabac à pipe de la plus haute qualité
    composition extraordinaire composée
        de tabac de Virginie séché au feu
        de Burley séché à l'air
        et de Black Cavendish qui donne au mélange sa couleur sombre.
Raffiné
avec un léger arôme de vanille
ainsi que de prune et de mirabelle."
                           présentation du WO Larsen 2022 édition limitée



Bien sûr fumer tue, comme le rappelle le bandeau ornant la boite écrin du subtil mélange aromatique. A elle seule, cette boite est déjà une merveille. Acquise chez Davidoff au Vieux Sablon, la veille du confinement. Elle est maintenant à moitié vide, pas tout-à-fait, on ne peut dire qu'elle m'ait ruiné.  Comme suggérait un vieux prof de pharmacologie, "poison, tout est poison, rien n'est poison, tout est dans la dose". Bien sûr un médecin ne peut se permettre d'évoquer le plaisir coupable qu'il y a à bourrer sa pipe de bruyère le soir de Noël, ou le premier matin des vacances face à la mer, quand la fatigue peu à peu s'estompe, et la souffrance d'autrui s'éloigne. Bien sûr, bien sûr, il est tant de choses qu'on ne partage qu'à voix basse, entre brigands montrés du doigt, liqueurs, tabacs, cafés rares pétris de savoir-faire, de patience et  de sagesse ancienne. Petites pauses de bonheur intime, parfois devenues clandestines, pour lesquelles s'il fallait choisir on préférerait l'enfer au paradis.


 

22 décembre 2022

Noël d'enfance


"Si un jour je croisais au hasard d'un visage
le chanteur que j'étais dans les bals de village
on se regarderait comme deux inconnus
il me dirait sûrement t'as dû en voir du monde
il se pourrait pourtant qu'à la fin je réponde
c'est celui que j'étais qui me manque le plus." 
                    Francis Cabrel
 
 


C'est beau, Cabrel. Un patient tout vieux raconte qu'il a rêvé cette nuit qu'il était gosse, admiratif devant le sapin de son enfance, un camion rouge dans les bras, et qu'il se voyait chauffeur routier. Que du bonheur, l'espace d'un rêve, mais c'est beau tout de même.


 

Lu dans:
Francis Cabrel. Les bougies fondues. A l'aube revenant. 2020

20 décembre 2022

Comment va votre père ?

 Philippe de Gaulle est la copie conforme de son père. Il a tout. La voix, l’allure, la culture, l’humour, la mémoire d’éléphant. Fils d’un grand mythe de l’Histoire, ç’aura été une sorte de supplice. "De son vivant, personne ne m’a jamais demandé comment ça allait. Au contraire, on m’abordait toujours en me disant  : “Comment va le Général  ?” J’avais le sentiment étrange de ne pas exister pour les autres.  »

                    Franz-Olivier Giesbert

 




Lu dans: 
Franz-Olivier Giesbert. Histoire intime de la Ve République. Le sursaut. Gallimard Blanche. 2021. 384 pages  Editions Kindle Extrait p.343

19 décembre 2022

Modestie posthume

 "De Gaulle avait indiqué à ses proches qu’il ne souhaitait pas que soit érigé de monument à Colombey-les-Deux-Églises. Une croix de Lorraine s'y dresse aujourd’hui, d’une hauteur de 44,5 mètres et d’un poids de 950 tonnes, inaugurée en 1972. Des dizaines des dizaines de milliers de personnes visitent le site chaque année. Si l’on veut que ses dernières volontés soient respectées, mieux vaut ne pas mourir."

                Franz-Olivier Giesbert
 


Lu dans: 
Franz-Olivier Giesbert. Histoire intime de la Ve République. Le sursaut. Gallimard Blanche. 2021. 384 pages

17 décembre 2022

Livres humains

 "Il savait écouter. Et il savait lire. Pas les livres, ça tout le monde peut, lui, ce qu'il savait lire, c'était les gens. Les signes que les gens emportent avec eux : les endroits, les bruits, les odeurs, leur terre, leur histoire...écrite sur eux du début à la fin. Et lui, il la lisait avec un soin infini. il cataloguait, il répertoriait, il classait...Chaque jour, il ajoutait un petit quelque chose à cette carte immense qui se dessinait peu à peu dans sa tête, une immense carte, la carte du monde, du monde tout entier, d'un bout à l'autre, des villes gigantesques et des comptoirs de bar, des longs fleuves et de petites flaques, et des avions, et des lions, une carte gigantesque. Et ensuite il voyageait dessus, comme un dieu, pendant que ses doigts se promenaient sur les touches en caressant les courbes d'un ragtime." 

                    Alessandro Baricco
 

 



Lu dans:
Alessandro Baricco. Novocento: Pianiste. Folio. 2002. 87 pages   

16 décembre 2022

Les limites d'un poème


"Le soleil est merveilleux
la pluie rafraîchissante
le vent fortifiant
la neige vivifiante 
il n'existe pas de mauvais temps
juste différentes sortes de beau temps."
     John Ruskin
 



Tout est vrai, et son contraire, mais on mesure ce matin que la beauté d'un petit texte ne réchauffe pas les habitations, et pire encore ceux qui n'en ont pas. Pour eux essentiellement, on espère que revienne vite le vrai beau temps...



15 décembre 2022

Homo sportivus

"Pour les supporters, le football est plus qu’un sport, c’est le meilleur révélateur des vertus de la nation. Et chaque affrontement, vécu de manière paroxystique, une authentique guerre ritualisée."
                            Ignacio Ramonet
 
 


Cela touche à sa fin, dimanche nous connaîtrons le lauréat de la Coupe du monde 2022 au Quatar. Jusqu'au bout, certains auront caressé le rêve de voir David l'emporter sur Goliath, mais ce sera pour une prochaine fois: cette année encore ce sera Goliath contre Goliath. Les petits peuvent ranger leurs drapeaux.
La fête a déserté nos rues, le Maroc a perdu, seules au loin quelques pétarades rappellent que les pétards et fumigènes sont les feux d'artifice de la défaite. La cavalcade des voitures dans nos rues il y a quelques jours n'avait rien à envier à celles de Casablanca ou Tanger, offrant un bel instantané de la sociologie de nos quartiers, à laquelle nous étions indirectement associés: leur victoire devenait un peu la nôtre, faute de champions nationaux rapidement éliminés. 
Demeure cet étonnement: rien de tel qu'une Coupe du monde pour rappeler les vieux antagonismes, les fièvres nationales, le culte exacerbé de la victoire et de la défaite, les vertus d'une nation. L'Argentine battra-t-elle la France? Où se nichent donc dans nos têtes, et selon quels critères, nos préférences privilégiant la victoire de l'une ou de l'autre? L'homo sportivus est un être étrange.

 


Lu dans:
Ignacio Ramonet. Le football, c’est la guerre. Le Monde diplomatique. Juillet 1990. p.7

13 décembre 2022

Sagesse d'Alexandre Jollien

 "Certains textes bouddhiques comparent le mental à un petit singe : l'animal fou, de branche en branche, saute, voltige. Avec une infinie bonté, s'approcher de lui et tout doucement lui souffler : "Gentil singe, calme toi ! ".

                                Alexandre Jollien

 


On l'imagine hyperkinétique, virevoltant, surdoué. On se trompe parfois: Alexandre Jollien, handicapé de naissance suite à une circulaire autour du cou, a passé plus de dix-sept ans dans une institution spécialisée pour personnes handicapées moteur cérébral. Il en a gardé une difficulté à s'exprimer et à se mouvoir. Après avoir étudié dans une école de commerce, il se tourne vers la philosophie, qu'il étudiera à l'université de Fribourg avant de construire une œuvre originale centrée sur la fragilité et la construction personnelle. J'apprécie cette sagesse aux mots simples. Son "gentil singe, calme toi" mérite de trouver place dans pas mal de nos lieux de vie.



Lu dans:
Alexandre Jollien. Vivre sans pourquoi. Itinéraire spirituel d'un philosophe en Corée. Seuil. 2015. 336 pages.

11 décembre 2022

Le train fou


"Qui est en charge du train qui fonce  ?
Les couplages s’étirent, les essieux grincent.
L’allure est folle et tout proche l’aiguillage.
Et le conducteur dort du sommeil du sage.
Les signaux clignotent dans la nuit en vain…
Mais qui est en charge de ce pauvre train  ?." 
                        Edwin James Milliken



Le texte est beau, écrit au départ d'un incident assez banal. Le 12 juillet 1890, une motrice légère, sans wagons,  entre en collision avec l'arrière d'un train de marchandises. Le seul décès est dû à une longueur de bois qui a pénétré dans le train passant sur une autre voie. Le conducteur avait raté les signaux d'arrêt par fatigue. L'histoire veut que Winston Churchill en fit une lecture éloquente au Parlement pour mettre en garde ses compatriotes contre la menace allemande, ajoutant de l'effet dans sa description du convoi qui fonce dans la nuit, la plupart des voyageurs somnolant, inconscients du danger. L'historien Elie Barnavi la reprend à son compte, contemplant le spectacle d’un monde anomique et déboussolé, dépourvu de leadership et dont l'avenir est indéchiffrable. Entre fatalisme - il n’y a rien à faire, on verra bien - et tentatives aussi vaines que désespérées d'arrêter cette course folle, s'accrochant à la sonnette d’alarme, appelant au secours sur son téléphone portable, chacun choisit selon son tempérament ou son expérience. On a évoqué joliment le choix du colibri "c'est minime sans doute, mais je au moins je participe." A défaut d'être utile, ce n'est pas déraisonnable.



Lu dans:
Winston Churchill. The Gathering Storm.  réf. à un article de Edwin James Milliken dans Punch (1890)  à la suite d'un accident de train imputé à un matelot endormi
Elie Barnavi. Confessions d'un bon à rien: Mémoires. Grasset. 2022. 512 pages

09 décembre 2022

Mort d'une guide

 "L’Histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré. Ses propriétés sont bien connues. Elle fait rêver, enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à celui de la persécution et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines." 

                                Paul Valéry

 
 

Un courriel nous apprend le décès de Maria, qui fut notre guide polonaise au lendemain de la chute du Mur de Berlin lors d'une improbable expédition avec nos enfants en Allemagne - depuis peu réunifiée - et en Pologne. Que de souvenirs et d'images, à la jonction du monde d'hier et de celui qui s'annonçait comme une sorte de paradis retrouvé. Elle nous avait dissuadé de visiter Auschwitz,  recommandation aussitôt esquivée sans le lui l'avouer car la découverte de ce lieu de mémoire nous apparaissait essentielle, et de nous consacrer plutôt aux églises de Cracovie, la terre d'un Wojtyla adulé, aux randonnées autour de Rabka ou aux monts enneigés de Zakopane. On la revit de nombreuses fois en Belgique, qu'elle adorait, ses petits cafés de la Galerie de la Reine, ses Neuhaus, ses Wittamer, acquis avec gourmandise en échange de quelques rames de tabac polonais ou d'alcool de cerise dont elle chargeait ses énormes valises. Ce ne fut pas toujours simple, et on évitait soigneusement les sujets qui fâchent, l'euthanasie des vieux chiens, les discussions éthiques à connotation religieuse, la justification de la peine de mort. La côtoyer nous faisait découvrir néanmoins la complexité de cette communauté européenne tissée de tant de récits nationaux qu'on tente d'amalgamer en un ensemble homogène. Et nous apprenait à repenser la relativité de ces notions historiques présentées comme objectives, reçues dès la prime enfance et qui nous ont formés, constructions bien utiles aux groupes humains pour se créer une identité.




Lu dans: 
Paul Valéry. Regards sur le monde actuel et autres essais. Gallimard. 1945. 305 pages

08 décembre 2022

 "Avant d’être grand, il faut d’abord savoir être petit."

                Charles Juliet
 



Lu dans:
Charles Juliet. Au pays du long nuage blanc : Journal, Wellington août 2003-janvier 2004. Folio 2008. ‎ 192 pages

06 décembre 2022

Bilan d'un ambassadeur

  "Mais quoi, je n’étais pas malheureux d’en finir. Sur quel bilan allais-je quitter mon poste ? En fait, il n’y avait pas de bilan. Dans mon métier d’universitaire, un livre qu’on écrit, un cours que l’on donne, ont un début et une fin. Au bout d’une année, ou d’une carrière, on peut juger de ce qu’on a fait, de ce qu’on aurait pu faire mieux, éventuellement de ce qui reste à accomplir. Une vie d’ambassadeur est un recommencement sans fin. On est en droit de considérer ce Sisyphe-là heureux, comme le suggérait Camus. Je ne pense pas que cela fût mon cas. N’exagérons pas cependant. Ce que l’on laisse derrière soi comme ce qu’on emporte avec soi, ce sont des souvenirs. Ce n’est pas rien. On emporte aussi une somme d’expériences. Et un carnet d’adresses." 

                                Elie Barnavi

 


Imaginerait-on qu'un ambassadeur d'Israël à Paris, poste parmi les plus prestigieux, jette un regard aussi distancié sur une fonction qu'on imagine palpitante et décisionnelle? Ce recul aide à relativiser les questionnements de beaucoup sur la signification de leur activité professionnelle, surtout vers la fin.


 

Lu dans :
Elie Barnavi. Confessions d'un bon à rien: Mémoires. Grasset. 2022. 512 pages

05 décembre 2022

La pluie, un soir de Saint Nicolas


"Il pleut des larmes de pluie, il pleut.
Et j'entends le clapotis
Du passé qui se remplit.
Oh mon Dieu, que c'est joli, la pluie!

Quand Pierre rentrera,
Tiens, il faut que je lui dise
Que le toit de la remise fuit.
Il faut qu'il rentre du bois,
Car il commence à faire froid ici."
                Barbara.




La pluie dans laquelle se reflètent les réverbères donne à la rue les apparences d'une toile de Delvaux. Et ramène du fond de ma mémoire la mélodie de la chanson Pierre de Barbara, vraie chanson d’amour qui pas une seule fois ne prononce le verbe aimer, mais où chaque phrase, banale en soi,  évoque à travers des faits du quotidien, une passion vivante qui se traduit avec une tendresse et  une délicatesse extrême. Le texte, l’interprétation, la voix, ses nuances, la respiration entre les mots , quelle intensité et quelle émotion...


 

Je vous souhaite une bonne Saint Nicolas, si si, je l'ai aperçu sur les toits, il est en route
CV.



Lu dans:
Barbara. Pierre. Philips. 1964

02 décembre 2022

Les petits moineaux

 "Mon petit papa, quand on recouvrira ma tombe, émiette un croûton de pain pour que viennent les petits moineaux. Je les entendrai voleter et ça me fera une joie de ne pas être seul en dessous. " 

                        Fiodor Dostoïevski.



Lu dans:
Fiodor Dostoïevski. Les Frères Karamazov. Le Livre de Poche. 1994. 915 pages.

Bruxelles

 "Nous retrouvions Bruxelles avec plaisir. Kirsten et moi nous étions attachés à cette ville maltraitée dont on devinait qu’elle avait été belle autrefois, anarchique et amicale, une ville à taille humaine qui ne se prend pas pour le nombril du monde, dont le symbole n’est pas quelque pièce d’architecture grandiose mais un petit bonhomme qui fait pipi. Paris est intimidant, Bruxelles est aimable. Je ne connais pas un expatrié qui n’apprécie pas la gentillesse, l’hospitalité et le sens de l’humour des Bruxellois. Je sais, ce sont des clichés, mais les clichés contiennent un noyau de vérité, sinon ils ne seraient pas des clichés mais des bobards."

                                            Elie Barnavi




Né en Roumanie d'un père issu d'une lignée de rabbins russes et d'une mère moldave,  Elie Barnavi émigre avec ses parents en Israël en 1961. Historien, essayiste, chroniqueur, ambassadeur d'Israël à Paris , professeur d’histoire de l’Occident moderne, Elie Barnavi est décrit comme le plus israélien des Européens et le plus européens des Israéliens. Sans doute faut-il être façonné par tant d'identités diverses pour apprécier notre ville, dont il parvient à cerner la complexité.




Lu dans :
Elie Barnavi. Confessions d'un bon à rien: Mémoires. Grasset. 2022. 512 pages

30 novembre 2022

Sagesse de Karen Blixen

 "Lorsque mon coeur évoque l'Afrique je revois les girafes au clair de lune, les champs labourés, les faces luisantes de sueur pendant la cueillette du café. L'Afrique se souvient-elle encore de moi? Est-ce que l'air vibre sur la plaine en reflétant une couleur que je portais? Mon nom intervient-ils encore dans les jeux des enfants? La pleine lune jette-t-elle sur le gravier de l'allée une ombre qui ressemble à la mienne?"

                            Karen Blixen





Que d'images captées rangées dans nos têtes. Heureusement que la mémoire trie. Simultanément, dans combien de maisons, d'yeux, de souvenirs avons-nous laissé une empreinte, imprimée parfois pour de longues années. Combien de rêves peuplons-nous, et combien de projets nous impliquant furent-ils élaborés à notre insu. Mieux vaut peut-être ne pas le savoir.




Lu dans:
La Ferme africaine. Karen Blixen. Gallimard NRF. 2005. 420 pages

28 novembre 2022

Sagesse de lapin

 

"Dans la forêt de l'automne (..)
au bois de Morte Fontaine
où vont à morte saison
tous les chasseurs de la plaine
c'est une révolution         car
ce matin un lapin
a tué un chasseur.
C'était un lapin qui ,
c'était un lapin qui ,
c'était un lapin qui ...
avait un fusil."  
                    Chantal Goya

 
 

Entendue ce vendredi soir lors de l'émission "ces chansons de votre enfance" , "Un lapin" de Chantal Goya m'a fait sourire. L'histoire de la chanson serait basée sur un fait réel. Chantal Goya, Jean-Jacques Debout et leurs enfants vivaient à la campagne, dans la forêt de Houdan. Un dimanche de septembre 1977, ils virent arriver un groupe de chasseurs démontés car, venant de Paris pour chasser, ils avaient surpris des enfants en train de crever leurs pneus de voitures. Pas de chance, les enfants du couple faisaient partie de ce groupe et se seraient défendus comme de beaux diables: « On en a marre de vous voir tuer les lapins. D'ailleurs ma mère va faire une chanson pour que vous cessiez." En une nuit, Jean-Jacques Debout au piano et Roger Dumas à la plume auraient créé la chanson, et les enfants la gestuelle, reprise par Chantal Goya à la télévision. En quelques jours, il s'en écoulera plus de 400 000 exemplaires.



Lu dans:
Un lapin. Paroliers et musique Jean-jacques Debout, Roger Dumas. RCA. 1977

Le dard de l'abeille

   "Le jour de l'enterrement de sa mère, C. a été piquée par une abeille. Il y avait beaucoup de monde dans la cour de la maison familiale. J'ai vu C. dans l'infini de ses quatre ans, être d'abord surprise par la douleur de la piqûre puis, juste avant de pleurer, chercher avidement des yeux, parmi tous ceux qui étaient là, celle qui la consolait depuis toujours, et arrêter brutalement cette recherche, ayant soudain tout compris de l'absence et de la mort. Cette scène, qui n'a duré que quelques secondes, est la plus poignante que j'aie jamais vue. Il y a une heure où, pour chacun de nous, la connaissance inconsolable entre dans notre âme et la déchire. C'est dans la lumière de cette heure-là, qu'elle soit déjà venue ou non, que nous devrions tous nous parler, nous aimer et même le plus possible rire ensemble."

         Christian Bobin. Ressusciter



Apprécié de tous, un collègue de longue date est célébré ce samedi matin au cours d'une belle cérémonie de funérailles. Son départ et le vide qu'il laisse me remettent en mémoire le beau texte de Christian Bobin, décédé cette semaine comme il a vécu, en s'excusant presque. Restent ses parole de consolation, et les centaines de bébés - dont les nôtres - que notre collègue a mis au monde. Leur passage sur terre nous a améliorés.


Lu dans :
Christian Bobin. Ressusciter. Gallimard. NRF. 2001.

26 novembre 2022

Quand la médecine est incertaine

 "Le problème avec les experts, c'est qu'ils n'ont aucune idée de ce qu'ils ignorent."                                                                 Nassim Nicholas Taleb

                         

 
 


Une patiente, jeune encore, présente une douleur inhabituelle de la région du cou et de l'oreille. L'absence d'autres symptômes rend tout diagnostic hasardeux. On traquera dans les jours qui viennent une éruption de zona, un écoulement d'otite, la douleur persistante d'une névrite du nerf occipital d'Arnold. Le lendemain, elle a de la fièvre, mal à la tête et à la gorge, tousse, se sent nauséeuse. On évoque un début de grippe, diagnostic d'exclusion dans toute situation clinique incertaine. Le surlendemain, trois de ses collègues enseignantes lui apprennent qu'elles font le Covid. Elle refait un autotest, qui cette fois est positif.  Ce voyage dans l'incertitude est une école de modestie pour le médecin, contraint de se mouvoir à longueur de journée dans l'absence d'un diagnostic précis face au patient inquiet qui l’interroge. Pourquoi ce Covid chez une patiente qui a reçu ses quatre doses de vaccin, et qui de surcroît avait déjà contracté le coronarovirus l'an passé? Quel est le lien entre sa douleur d'oreille - toujours présente - et sa virose? Incertitude, incertitudes: la médecine connaît-elle tout? le médecin connaît-il tout de la médecine? la photographie du moment présent sans connaître l'évolution dans les jours à venir est pareille à ce que voit un aveugle dans le brouillard. Reste à trouver les mots pour l'expliquer en toute modestie à la patiente, sans potentialiser son anxiété. Rude métier que le doute.






Lu dans:
Nassim Nicholas Taleb. Le Cygne noir. La puissance de l'imprévisible. Traduit par : Christine Rimoldy. Les Belles Lettres. 2012. 608 pages.

24 novembre 2022

Jours de novembre

 "C'est le mois de novembre, l'homme entend tomber le rideau métallique de l'hiver. Dans les nuits où le vent arrache les arbres les plus exposés à leurs racines, la pierre et le bois de la cabane se frottent entre eux et lancent une plainte. Le feu fait craquer des baisers de réconfort. L'âpreté extérieur donne des coups d'épaule, mais la flamme allumée garde unis le bois et la pierre. Tant qu'elle brille dans le noir, la pièce est une forteresse. Et l'harmonica est là aussi pour dominer le bruit de la tempête. "

                                                            Erri de Luca




Le froid et la décoloration progressive du paysage possèdent une sombre beauté que les rayons frisants du soleil exaltent. Les jours se font courts, quand donc s'arrêtera cette chute? Période où on apprécie l'abri qu'offre un modeste chalet, son volume réduit et le feu de bois  qu'une seule bûche réchauffe. Ah si la vie pouvait être si simple.




Lu dans:
Erri De Luca  (Auteur), Danièle Valin  (Traduction). Le poids du papillon. Folio . 2012. 96 pages.

20 novembre 2022

 "Vivre, c'est faire de son rêve un souvenir."

                    Sylvain Tesson

 


Lu dans:
Sylvain Tesson. Petit traité sur l'immensité du monde. Pocket. 2008. 192 pages 


19 novembre 2022

La vieille grincheuse

 "Une vieille femme grincheuse, un peu folle

Le regard perdu, qui n'y est plus tout à fait,
Qui bave quand elle mange et ne répond jamais, (..)
Je suis vieille maintenant, et la nature est cruelle,
qui s'amuse a faire passer la vieillesse pour folle.

Mon corps s'en va, la grâce et la force m'abandonnent.
Et il y a maintenant une pierre la ou jadis j'eus un cœur.
Mais dans cette vieille carcasse, la jeune fille demeure
Dont le vieux cœur se gonfle sans relâche.
Je me souviens des joies, je me souviens des peines,
Et à nouveau je sens ma vie et j'aime.

Je repense aux années trop courtes et trop vite passées,
Et accepte cette réalité implacable que rien ne peut durer
Alors ouvre les yeux, toi qui me soignes et regarde.
Que vois-tu, que vois-tu
Quand tu me regardes, que penses-tu?
Non la vieille femme grincheuse... regarde mieux, tu me verras !"

            Ce poème a été retrouvé dans les affaires d'une vieille dame Irlandaise après sa mort.
 


18 novembre 2022

Que nous disent les Gingko de la rue


"La nature qui se fane, l'automne qui vient.
Reste tranquille, feuille, garde ton sang-froid
lorsque le vent veut t'enlever au loin.
Poursuis tes jeux et ne te défends pas,
laisse les choses advenir sans heurts,
laisse enfin le vent qui te détacha
te conduire jusqu'à ta demeure."
                        Hermann Hesse. Feuille morte

 



Ce matin une lumière rasante fait flamboyer les Gingko biloba de la rue. On ne peut qu'être émerveillé par tant de beauté. De nombreuses feuilles dorées, si particulières dans leur forme, jonchent le sol et ont revêtu l'auto d'un surplis de fête. La robustesse du Gingko, la plus ancienne espèce d'arbres de la terre, apparus il y a plus de 270 millions d'années et dont certains spécimens auraient une durée de vie excédant les 3 000 ans, fait rêver. Leur fragilité n'est donc qu'apparence. Que les mêmes feuilles aient jonché le sol de la planète bien avant l'apparition de l'homme relativise l'importance de notre espèce dans l'histoire de la Terre. Ces arbres nous survivront sans aucun doute, ainsi que l'émotion que leur beauté suscite.  


 
Lu dans:
Hermann Hesse. Éloge de la vieillesse. Le Livre de Poche. 2003. 158 pages

16 novembre 2022

Plus haut plus loin

 "Pourquoi l’homme avait-il attendu si longtemps pour grimper les montagnes ? Techniquement un Grec antique aurait pu escalader le mont Blanc. Quand on élève le Parthénon, n’est-on pas capable de fabriquer une paire de crampons ? Pourquoi avait-il fallu attendre la Renaissance et les Lumières ? L’empêchement avait été moral plus que technique. Le difficile n’avait point consisté à atteindre le sommet mais à s’octroyer le droit de le faire. Quand les montagnes symbolisaient les temples, on n’allait pas y voir."

                            Sylvain Tesson

 

 Assistant au lancement réussi d'Artémis vers la Lune, reviennent les éternelles questions de sa raison d'être en temps de restrictions. En attendant Mars, et puis encore, et encore. "Ailleurs" est un mot plus beau que "demain", et comme les plus grands sommets ont été vaincus, tout se passe comme si l'homme s'octroyait le droit de reprendre la course vers l’inatteignable.


Lu dans:
Sylvain Tesson. Blanc. Gallimard. 2022. 240 pages

Les rubaiyat de Sylvain Tesson


"Un premier verre : pas besoin de berceuse !
Un second : pas besoin de couvertures !
Un troisième : pas besoin de lit !"
                Sylvain Tesson

 


Dix siècles les séparent, le vin les rapproche, on retrouve chez Sylvain Tesson la verve des perles mystiques des rubaiyat (quatrains) d'Omar Khayyam. Les deux se lisent avec un plaisir identique.

 
Lu dans:
Sylvain Tesson. Blanc. Gallimard. 2022. 240 pages.

15 novembre 2022

De l'art de perdre au poker

 "Nissim m’avait appris le poker, mais je n’étais pas bon; les cartes m’ennuyaient. Je lui ai raconté un jour l’histoire du petit chien qui perdait régulièrement parce que, chaque fois qu’il avait un bon jeu, il ne pouvait s’empêcher de remuer la queue. Cela l’a fait beaucoup rire et ma carrière de joueur de cartes s’est arrêtée là."

                        Elie Barnavi
 
 


C'est tout le bonheur de vivre que résume en quelques mots ce portrait d'un chiot qui remue la queue quand il sort un bon jeu au poker. Ils me rappellent un délicieux souvenir d'enfance où, muni d'un mot de maladie le jour de la kermesse d'Anderlecht, j'étais devenu tellement rouge quand l'instituteur m'avait demandé ce dont je souffrais, qu'il s'était pris d'un fou-rire que la classe avait suivi comme un seul homme. "Il est des silences plus sincères que les plus beaux discours" avait conclu notre maître, "que ceci vous serve de leçon." On apprend plus parfois en deux minutes qu'en une année.


 
Lu dans:
Elie Barnavi. Confessions d'un bon à rien. Grasset. 2022. 512 pages.

14 novembre 2022

Sagesse chinoise


 "Il est difficile d'attraper un chat noir dans une pièce sombre
surtout lorsqu'il n'y est pas."
                        Proverbe chinois


Il redoutait l'Alzheimer, on lui diagnostiqua une coeliaquie de l'adulte. Il y gagna au change, pas en inquiétude: craignant la peste, on héritera du choléra. Par soir incertain, évitons l'insomnie que procure le danger d'autant plus hypothétique qu'il est fantasmé.


12 novembre 2022

Petit-déjeuner littéraire 27/11 Bibliothèque Anderlecht

 


   
L'équipe qui organise la rencontre du 27 novembre se désole de ne plus pouvoir ajouter des inscriptions, faute de place, et me demande de vous en prévenir.
Amicalement.
CV

Armistice

 "Depuis la mort de Nourry il était arrivé deux lettres à son nom. On aurait pu les retourner avec le brutal avis de décès, dans le coin : "Le soldat destinataire n'a pu être atteint." Demachy avait cru mieux faire de les prendre. Il les sortit de sa cartouchière, les déchira sans les ouvrir, et sur cette tombe réglementaire de soldat, carrée comme un lit de caserne, il effeuilla les pétales de lettres, pour qu'il pût au moins dormir sous des mots de chez lui."

                                Roland Dorgelès. Les Croix de Bois
 

Que ces pétales de lettre aient pu se transformer plus tard en pétales de coquelicot, symbole de la campagne de 14, n'étonnera guère.  L'histoire pourtant se répète, narguant l'écritoire Ne tenez jamais la Paix pour acquise , surmontant  le récent Jardin de la Paix commémorant la bataille de Flesquières (Cambrai) à l'automne 1914. Menée par une compagnie de chasseurs dans des conditions atroces, elle laissa sur le sol cinq cents tués ou blessés pour gagner une ligne de 150 mètres sur un front d’un demi-kilomètre. Dans la poche d'un soldat on retrouve une lettre, saisie par la censure et renvoyée au colonel, dans laquelle il raconte ses conversations avec les Allemands, comment ensemble ils avaient maudit la guerre.  Il décrit les officiers d’active, montrant les qualités de certains et l’insuffisance de beaucoup. Il évoque leur ignorance des réalités politiques et diplomatiques de la guerre, qui favorisait « une paresse d’esprit à laquelle la vie de caserne ne les avait que trop inclinés, et entretenait leur goût marqué pour les occupations futiles, cartes, apéritifs, femmes et bavardages stériles." La proximité de contenu des récits de conscrits russes ces derniers jours et de ces lettres datant d'un siècle interpelle et donne à cette Armistice 2022 une densité particulière.



Lu dans:
Roland Dorgelès. Les Croix de bois. Prix Fémina 1919. Albin Michel. 1919. 104 pagex.
Roger Cadot. Les Souvenirs d’un combattant de 14-18. Publibook. 2010. 671 pages. Extraits p. 333

10 novembre 2022

 

"Quand je me contemple je me désole
quand je me compare je me console."
            attribué à Talleyrand
 


Ce désopilant aphorisme m'a fait sourire, j'espère qu'il en sera de même pour vous.


09 novembre 2022

Une invitation de la Bibliothèque de l'Espace Carême

 

Amusant retour sur un passé dans des locaux où j'ai lu et emprunté d'innombrables ouvrages durant tant d'années, ce dimanche 27 novembre 2022 à 10 heures la bibliothèque d'Anderlecht m'invite à une rencontre avec ses lecteurs, animée par Véronique Thyberghien. Les extérieurs qui le souhaiteraient sont les bienvenus moyennant inscription préalable au 02.526.83.30.


Lieu éminemment symbolique en ce qui me concerne, à 200 mètres de notre maison et de mon lieu de pratique depuis tant d'années, de la collégiale Saint Guidon qui nous a mariés et a accompagné nos défunts, de la Maison d'Erasme et de son jardin des Philosophes, du petit Béguinage ancestral remis à neuf depuis peu, de la romantique rue Porselein qui orne la couverture des Carnets Buissonniers, débouchant sur l'unique et mignonne librairie d'Anderlecht - la bien nommée Herbes Folles - et de cet espace de rencontre convivial si ancré dans le paysage qu'est La Fourmilière. Le tout dans un rayon de moins de 500 mètres, et on dira encore que la grande ville est inhumaine...


Petit partage d'émotion bien davantage qu'une invitation dans la mesure où la grande majorité d'entre vous habite bien loin de chez nous, mais nos vies sont faites d'émotions.

Bien amicalement.  CV



Le long passé

 "J'ai rêvé de mon père.

Il était jeune et sage à la fois, la nuit permet de pareils raccourcis.
Il m'attendait à la sortie de l'école, m'a emmené chez mes grands-parents.
Je me suis réveillé habité par tout le bonheur du monde.".  
                            CV
 
 



 
Lu dans:
Carl Vanwelde. Le Carnet Moleskine. Eranthis. 2011. 86 pages. Extrait p. 45

07 novembre 2022

Quelle trace?

 "Les escargots dans le jardin, quand ils se mettent en route, laissent derrière eux un petit ruban luisant, leur sillage. Que laisse à déchiffrer la piste d'un humain ?"

            Claude Roy.

 

 

Jours de silence. Pour certains, le temps du recueillement sur les tombes d'être chers. Ce jour, quelques visites à des patients qui évoquent leur départ. La semaine passée, funérailles d'un patient cher décédé durant ses vacances en mer, les images heureuses défilent à l'écran du crématorium, and so what? Pour tous, l'infini silence sans réponse.


Lu dans:
Claude Roy; L'ami qui venait de l'An Mil. Gallimard. Coll. L'Un et l'Autre. 1994. 176 pages.

30 octobre 2022

Jours de novembre

 

"Moment de l'année     où quand l'âge est venu
on vieillit plus vite     où jeune on se sent moins neuf
et avec l'heure d'hiver     les jours sont moins jours
Et puis l'été a eu une arrière-pensée
L'envie de s'attarder de dire au soleil « reste encore »
L'été change d'idée il revient sur ses pas
fait reluire dans le ciel un tout jeune soleil
et la vive clarté d'un matin transparent
On peut attendre un peu     pour croire à l'hiver    
à la fin des beaux jours     à la fin de la fin."
                        Claude Roy


 

Bien sûr, c'est le weekend où on peut dormir une heure en plus, où on gagne une heure de clarté le matin, où on connaîtra le lauréat du Goncourt, le Beaujolais nouveau, la carte du Tour de France, de merveilleuses journées d'été indien, mais tout de même... S'enfiler en si peu de temps Halloween, la Toussaint, le jour des Morts, l’Armistice, la fête du Roi et l'heure d'hiver vous remémore, si vous en doutiez, que l'été est bien fini.



Lu dans: 
Claude Roy. L'étonnement du voyageur. 1987-1989. NRF Gallimard. 1990. 9. 378 pages. p.117

28 octobre 2022

Picasso et l'art abstrait

 « La peinture non figurative (..), cette espèce de sac dans lequel le spectateur peut jeter tout ce dont il veut se débarrasser. »

                    Picasso.



Les rapports entre la peinture de Picasso et l’art abstrait sont restés tendus durant toute son existence. Ne s’étant jamais considéré comme un peintre abstrait, il condamne cette pratique qui supprime le sujet de la peinture et ne serait qu’une mode sans aucune invention essentielle, "ce n'est pas de la peinture, mais de la décoration".  Confrontées à la vision de certaines œuvres de l'artiste, proposées au public par l'exposition temporaire Picasso & Abstraction aux Musées royaux des Beaux-Arts, ces affirmations virulentes me laissent songeur. Où passe la frontière entre l'abstraction et la figuration? Prolongeant ma réflexion, une question me taraude, à la sortie de l'exposition après avoir admiré ce "Nu debout de face" et sa compagne "Female Nude": l'artiste fit-il appel à des modèles dans son atelier pour réaliser ces œuvres?


Female Nude    Female Nude Standing (Femme Nue Debout) - Pablo Picasso -
          Cubist Art Painting by Pablo Picasso | Buy Posters, Frames,
          Canvas & Digital Art Prints | Small, Compact, Medium and
          Large Variants


Lu dans:
Picasso & Abstraction. Exposition (14.10.2022 > 12.02.2023) Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, rue de la Régence, 3, 1000 Bruxelles

26 octobre 2022

Sagesse de Julien Green

"Paris. 4 avril 1952. Il est hors de doute que j'achète trop de livres. J'en achète presque tous les jours, neufs et d'occasion, français et anglais. Dommage qu'on ne puisse acheter du même coup le temps qu'il faut pour les lire."

                        Julien Green


Passerions-nous nos journées à nous rassurer, à acheter mille et une choses garantes du temps accordé pour leur utilisation? Des livres à lire, des vins précieux à boire, des guides Michelin de pays à visiter, des invitations de conférences à donner? J'ai même assisté à l'achat d'une Jaguar rutilante par un patient le lendemain de sa sortie d'hôpital, qu'une semaine sous respirateur avait arraché à une mort certaine. Il n'avait comme seul projet immédiat que l'acquisition d'une Jaguar pour conjurer la mort, l'argent vaincrait la médecine. Aucun livre n'a jamais ajouté une seule coudée à notre existence, aucun vin n'a prolongé l'ivresse de l'homme en fin de vie, aucune conférence n'a jamais su porter son conférencier au-delà du terme qui lui était assigné. 

La Jaguar de rêve de mon patient ne fit qu'un tour du bloc et s'arrêta doucement en contrebas, un mort au volant. Un autre patient impotent des deux membres inférieurs s'était mis en tête d'acquérir dès son retour à domicile une mini-moto à essence pour laquelle il ne devrait rencontrer aucune difficulté à la surmonter, et ensuite vive la mythique route 66 entre Chicago dans l'Illinois et Santa Monica en Californie, bref la vraie vie qui renaît sous les cendres. Je sus rester discret, assistant à l’arrivée  du petit monstre court sur roue, chevauché par son petit maître dans le garage et qui ne fit ensuite plus le moindre kilomètre. 

Le rêve était sauf, mais je m'interroge encore. Vivre l'utopie à ce point déraisonnable a-t-elle un sens s'il ne se trouve personne pour vous dessiller les yeux, réapprendre et apprécier le rétrécissement des limites, découvrir la lenteur et la prudence, le plaisir d'observer le bétail, les ovins, les chevaux vivant paisiblement leur existence d'animaux domestiques, le vol des oiseaux dont nous tentons de saisir la portée, le plaisir que prend le chien à soudain courir derrière sa queue. 

Il se raconte que le Président Salazar au Portugal, fortement handicapé mentalement par une attaque cérébrale, bénéficia durant quelques semaines  d'un simulacre de conseil des ministres totalement virtuel, afin de lui épargner la désillusion de la perte de son autorité. Est-ce compatible avec la dignité humaine que d'entretenir pareille fiction face au courage simple d'affronter nos derniers mètres vers la sortie?


Lu dans:

Julien Green. Journal 1950-1954 : Le miroir intérieur.  ‎ Le Livre de Poche (1976). 286 pages.


24 octobre 2022

Envol


 "Laissez les enfants rêver
Ne les cassez pas d’avance
Donnez-leur au moins la chance
D’apprendre un jour à voler
Laissez les enfants choisir
Des chemins qui vous dépassent
N’effacez jamais leurs traces
Vous les verrez revenir."
                    Anne Sylvestre
 
 

Repeindre le ciel en bleu

  "Demain, on a une grosse journée. On repeint le ciel en bleu."

                        Robert Charlebois.    
 

 

Une bien grosse bouchée comme disent les Québecqois, tant le ciel est gris et humide, tant on manque d'échelles pour atteindre le plafond, dans lequel se croisent en outre de bien étranges oiseaux. J'ai lu que des experts militaires d'Outre-Qquiévrain se félicitent de tester leur derniers missiles en création dans des conditions de confrontation véritable dans un conflit de haute intensité, et plus seulement sur des plate-formes de simulation. La guerre fait progresser la science, mais ceci la justifie-t-elle pour autant? Il reste des rêveurs s'imaginant préparer les pinceaux pour s'attaquer à la remise à neuf des cumulonimbus. Mais les rêves de 20 ans résistent mal à l'usure du ciel et aux changements de paysage. La restauration risque des retards.





Lu dans :
 Robert Charlebois. On dirait ma femme... en mieux. Gallimard 1999. 202 pages.

22 octobre 2022

Horizon

 "L'horizon n'est pas la limite de la mer, mais celle de nos yeux." 

                            Alric et Jennifer Twice.   





Lu dans :
Alric et Jennifer Twice. La passeuse de mots. Hachette. 2021. 736 pages

21 octobre 2022

Une joie raisonnée

 "Voilà que tout arrive. Le dernier enfant, l'enfant adorée, s'est envolé de la maison. Tout parle de son absence. Les murs se resserrent et ne renvoient plus l'écho de sa voix adorable, ni des cordes de son violoncelle. Dans les pièces vides ne règne aucun désordre, aucun tumulte. L'odeur même de la maison a changé. (..) On reste interloquée, emplie de ces sentiments contradictoires qu'on a connus tout au long de sa vie avec les enfants: l'exaspération, parfois, de trop se voir, de trop dépendre les uns des autres, en même temps que la crainte d'être trop longtemps séparés. Aujourd'hui, reste la joie raisonnée de savoir que leur vie est là-bas." 

                              Françoise Lefèvre



Emouvante description de l'"empty nest syndrome" (le nid vide). Ceux qui s'en vont mesurent-ils le vide qu'ils laissent, l'ombre sur les murs, l'empreinte sur la chaise à table, la chaleur éteinte dans le lit, les voix familières qui s'éteignent? Un patient de la première heure s'étonnait hier "que la maison soit devenue aussi silencieuse, et où sont les vélos?".  Le bruit, la vie qui résonne, les rires qui pouffent se sont simplement déplacés. 


 

Lu dans: Françoise Lefèvre. Souliers d'automne. Editions du Rocher. 2000. 176 pages. Extrait p.170

20 octobre 2022

Un pull géant

 "Ta petite soeur et toi, vous utilisiez un langage codé pour ne pas que votre frère vous comprenne. Le sexe de l'homme, c'est un pull. Le sexe de la femme, une garde-robe. Tu demandes à ta petite sœur comment on sait qu'un pull n'est pas trop grand pour entrer dans une garde-robe et si un pull trop grand peut casser la porte d'une garde-robe. Votre frère rit et dit: C'est un pull géant, ton pull ? " 
                Lisette Lombé



Ou comment dire les choses sans les nommer.  Je véhiculai un jour une sizaine de gosses qui pouffaient en permanence en évoquant "cent patates". Je ne compris rien à leur récit, si ce n'est que ce devait être fort drôle, et totalement codé. Cela leur appartenait, et j'en étais exclu, ce qui ajoutait sans doute à leur plaisir. Remplacer un mot par un autre, et en modifier complètement la signification, permet de créer un univers dans lequel ne pénètrent que les initiés. 



Lu dans:
Lisette Lombé. Venus poetica. L'Arbre à paroles - Maison de la poésie d'Amay. 2020). 70 pages

19 octobre 2022

La phrase cachée

 "Une seule phrase compte dans un livre. Il n'est pas donné à celui qui écrit de savoir laquelle."

                            Françoise Lefèvre.

 



Incertitude de la transmission. On écrit, on parle, on donne à voir comme l'agriculteur sème, au vent, à l'aveugle, confiant dans sa terre. Il a sélectionné les meilleures graines, choisi le meilleur jour, le meilleur vent. Le reste ne lui appartient plus, mais il dort en paix car il a fait sa part au mieux. Transmettre c'est lâcher prise.




Lu dans:
Françoise Lefèvre. L'or des chambres. Éditions du Rocher. 256 pages. Extrait p.131

18 octobre 2022

Images de Piéta


"Je voudrais que ma fille me revienne
même radicalisée jusqu'à la moelle
même fichée, même déchue de tous ses droits
Qu'elle me revienne
même abîmée, même suante
Qu'elle me revienne
même nue, même rampante
La serrer tout contre moi
même dans un sac, même dans une boîte
Qu'elle sache qu'elle avait raison
pour l'inépuisable beauté du monde
pour l'humanité qui ne renonce en personne
pour l'amour, pour la révolte
pour la magie et pour l'exil.

La serrer tout contre moi
même dans un sac, même dans une boîte.
Et lui demander, lui murmurer, lui chuchoter :
Pardon. " 
                    Lisette Lomblé

 



Une image me revient à la lecture de ce texte de souffrance. Elle est ancienne, emblématique, lumineuse: la Piéta de Michel Ange, une mère en détresse qui étreint le corps de son fils, mort, et se demande par quel chemin d'obscurité elle a pu en arriver là. 



 

Lu dans: 
Lisette Lombé. Brûler brûler brûler. Éditions Iconoclaste. 2020. 80 pages

17 octobre 2022

Par les flammes

 

"Si le feu brûlait ma maison, qu'emporterais-je?
J'aimerais emporter le feu"
                Jean Cocteau


 


C'est un Cocteau désabusé par son époque qui parle, phrase incompréhensible si ce n'est pour celui qui a tout perdu. Nous fûmes un jour réveillés la nuit par l'incendie d'une maison quasi mitoyenne, saoulés par le bruit, la chaleur, la lumière du brasier et par l'étendue de l'essentiel calciné en quelques instants. On soupçonna une allumette jalouse enflammant l'édredon, le mari enfui, l'épouse habillée d'une fine chemise de nuit tenant par la main une petite fille et son ours. Que tant de trésors, accumulés avec patience puissent se désintégrer dans l'instant est une leçon qui trace. Que cette violence puisse déboucher sur une nouvelle existence - deux ans plus tard on revit la sinistrée à la caisse d'une grande surface, avec un nouvel ami - témoigne que le feu est bien ce qu'on emporte. 


.



Lu dans:
Jean Cocteau. Clair Obscur. Poésie.1954. Editions du Rocher. 208 pages

15 octobre 2022

Un enfant à sa fenêtre


"En ce moment même
dans les rues, les open spaces, le métro, les amphis
des millions de romans s'écrivent dans les têtes
chapitre par chapitre
effacés, repris et qui meurent tous
d'être réalisés ou de ne pas l'être."
                        Annie Ernaux

 


Je fus un enfant fasciné par la contemplation du firmament: tous ces mondes côte à côte dans la nuit, que s'y passait-il, et s'y trouvait-il  un enfant comme moi qui regardait ma planète?  Cette semaine dans ma ville, je contemplais les passants, imaginant les romans véhiculés dans leurs têtes. Toutes ces vies qui s'entrecroisent sur le piétonnier encombré, qui rêvent à leur passé, se créent un avenir, pleurent un amour, craignent pour leurs enfants, pensent aux rivages ensoleillées de leur pays d'origine ou plus prosaïquement au repas qu'ils prépareront ce soir. Mon firmament se serait-il à ce point rétréci avec les années? Ou comme les fractales, se serait-il infiniment morcelé, donnant à voir à l'échelle de mon expérience actuelle l'entièreté de l'univers dans ces humains qui partagent mes rues et ma ville?


Lu dans :
Annie Ernaux. Mémoire de fille. NRF. Gallimard. 2016. 160 pages.

12 octobre 2022

Le vieux scarabée

 "Sortant d'Auchan, un très vieil homme plié en deux, flottant dans un imperméable, avance tout doucement avec une canne en traînant des chaussures avachies. Sa tête tombe sur la poitrine, je ne vois que son cou. De la main libre, il tient un cabas hors d'âge. Il m'émeut comme un scarabée admirable venu braver les dangers d'un territoire étranger pour rapporter sa nourriture."

                                Annie Ernaux



Lu dans:
Annie Ernaux. Regarde les lumières, mon amour. Éditions Raconter la vie. 2014. 84 pages.

Lapins de chasse

 "La guerre, c'est comme la chasse, sauf qu'à la guerre, les lapins tirent."
                                    Charles de Gaulle

              
 



On sourit: les bons mots égayent la vie, surtout quand ils suggèrent Walt Disney et ses lapins coquins. Drôle de chasse quand même, quand les fusils des lapins s'appellent Iskander, Totchka-U, Kh-101, Kh-555, Kalibr Grad, Smerch, missiles tout neufs et vieilles roquettes dont il est tombé une centaine d'exemplaires en une seule journée sur 23 villes en Ukraine. Qu'en pensent les chiens, les garde-chasse, les chevaux, les  piqueux, pris entre ces tirs croisés? Que ni la chasse ni la guerre ne font le bonheur des lapins.


11 octobre 2022

Un temps où on chantait

 "Comment sommes nous présents dans l'histoire des autres, leur mémoire, leurs façons d'être, leurs actes mêmes ?"

                            Annie Ernaux

 


D'où nous reviennent les images sépia qui volètent dans nos têtes? C'était il y a soixante ans, avec nos grands parents nous attendions papa à la sortie des bureaux, serrés dans la Ford familiale. La veille, ils avaient été écouter "leur" môme, Edith Piaf, aux Palais des Beaux-Arts, de retour sur scène à l'issue d'une longue hospitalisation, ravagée par les excès.  Petit moineau malingre dans sa robe noire, elle occupait la grande salle et le cœur de son public comme personne auparavant ne l'avait fait. Ma grand-mère nous chantait de mémoire dans la voiture "Non je ne regrette rien" et "Milord", puis nous en racontait la trame, émue comme si c'était sa propre existence. Silencieux, nous tendions l'oreille comme si Piaf elle-même était avec nous, sans mesurer à quel point le souvenir de ces moments simples s'incrusterait. Et je m'interroge: quelle image, quelle saveur, quelle phrase issues de notre quotidien banal seront-elles évoquées peut-être dans soixante ans par un enfant d'aujourd'hui qui en aura fait son miel?


Lu dans:
Annie Ernaux. Mémoire de fille. Gallimard. NRF. 2016. 160 pages.

09 octobre 2022

Sagesse de la bulle de savon


"La bulle de savon
tout le possible atteint
tout le parfait vécu
dès le souffle qui veut

Rien de plus rond, plus lisse
mieux clos
mieux irisé, plus céleste
mieux réel

Rien de mieux
pour dire
soudain
sans bruit
que tout
n'est plus rien.
                Robert Mallet






Est-il possible d'avoir peur d'être heureux ? Cela porte même un nom, la chérophobie, décrite comme la peur de ressentir du bonheur puis de tout perdre. Antichambre du malheur, la réussite est ainsi ressentie comme ayant forcément un prix à payer. C'est grave, docteur? Pas nécessairement mais cela gâche la vie. Cela se soigne? Par la prévention, éviter le bonheur, mais c'est dommage. Ou alors s'exercer à faire des bulles de savon, nombreuses, tout le temps, et observer à quel point leur destruction même est belle, et laisse la place à tant d'autres encore et encore.




Lu dans:
robert Mallet. L'ombre chaude. Poèmes. NRF Gallimard. 1984. 110 pages. Extrait p.26

08 octobre 2022

Un autre mot pour la résilience

 "Kintsugi. Art japonais qui permet de recoller les morceaux d'un vase brisé." 

                Au-delà des mots



Il est des mots qui chantent. Kintsugi, par exemple, ou "jointure en or" en japonais. C'est une méthode ancestrale de réparation des porcelaines ou céramiques brisées, utilisant de la laque dorée qui sublime les fêlures de l'objet et le rend plus beau que lorsqu'il était  intact. Après la brisure, les morceaux sont patiemment réassemblés pour lui redonner une seconde vie, comme une renaissance sublimant ce qui a été cassé. Au lieu de chercher à cacher les fêlures, elle les met en valeur. Elle nous enseigne qu'un accident de la vie n’est pas forcément synonyme d’échec, mais peut être l’occasion d’une véritable renaissance.


Kintsugi: Gold-dusted lacquer restoration | Japan House London

 
 

07 octobre 2022

La reconnaissance d'un Nobel

 "Le temps de l'attente à la caisse, celui où nous sommes le plus proche les uns des autres. Observés et observant, écoutés, écoutant. (...) Exposant comme nulle part autant, notre façon de vivre et notre compte en banque. Nos habitudes alimentaires, nos intérêts les plus intimes. Même notre structure familiale. Les marchandises qu'on pose sur le tapis disent si l'on vit seul, en couple, avec bébé, jeunes enfants, animaux... "

Annie Ernaux






Qu'on soit issue d'une région pauvre de France, de parents modestes, que rien ne vous prédestine à écrire, ni à être reconnue, et recevoir le Prix Nobel de Littérature constitue une sacrée surprise. Méritée quoiqu'en pense la lauréate, qui lors d'une interview en août 2022
espérait bien "que ce malheur ne lui arrive jamais."



Lu dans:
Annie Ernaux; Regarde les lumières, mon amourFolio 2016. 112 pages. Extrait page 47. Prix Nobel de littérature 2022. 

05 octobre 2022

Poésie des berges


"L'eau prend la forme
de ce qui la contient."
                Robert Mallet



Soudain me revient l'image du Saint Laurent dont les berges s'estompent dans la brume au moment précis où il redevient océan. Comme nos vies, qui rejoignent l'infini quand à la fin du parcours le jour se confond à la nuit. 



Lu dans:
Robert Mallet. Presqu'îles Presqu'amours. Poèmes. NRF. Gallimard. 1986. 126 pages. Extrait p.78

04 octobre 2022

Combien d'échecs pour un miracle?

 "Ce qu'i y a de plus incroyable avec les miracles, c'est qu'ils arrivent."       
                             Chesterton

                  
 


Mais peut-être pas à tout le monde. Le miracle - toute notion de transcendance écartée - ne tombe pas du ciel mais récompense celui qui y croit tant que - d'échec en échec - il se rapproche de l'inévitable réussite. Avec un peu de chance tout de même, qui est la cerise sur le gâteau.


Lu dans:
Raphaëlle Rérolle . L’homme aux 40 000 livres . Le Monde 29 septembre 2022

02 octobre 2022

Une extrême amitié

"La définition du paradis, c’est d’être un lieu que vous perdez.»   
Alberto Manguel

          



"Je vis un rêve éveillé". Veuve, elle retrouve un cousin qui la séduit en 24 heures. Journaliste sportif de renom, il s'est établi dans le sud de la France pour sa retraite. Il conduit son cabriolet comme un dieu, il lui raconte les mille et une péripéties du Tour de France qu'il a suivi pendant trente ans, l'invite dans les plus beaux restaurants de la région, la fait rêver dans sa propriété du Lot-et-Garonne: le gris d'une vie antérieure et besogneuse se déchire par une éclaircie inattendue. Elle le rejoint définitivement, n'emportant qu'un minimum dans ses bagages: quelques livres que je lui prête-donne, dont Le Petit Prince et Une extrême amitié d'Henri Troyat, vivante description de ce qu'elle a vécu, ses albums-photos, quelques habits adaptés au climat local et du rêve plein les yeux. Les mois passent trop vite, elle m'annonce que son compagnon est atteint d'une maladie d'Alzheimer, qui l'emporte rapidement. Un an plus tard, une secrétaire municipale attentionnée me téléphone pour m'annoncer son décès, et qu'elle m'envoie un petit colis de livres et d'albums photos, exécutant ainsi ses dernières volontés. Je retrouve l'exemplaire du Petit Prince et le Troyat, annotés "Je ne regrette rien, c'était si beau, merci pour tout."  Il n'est de bonheur éternel, mais cela n'en diminue en rien l'intensité. 



Lu dans:
Raphaëlle Rérolle . Alberto Manguel. L’homme aux 40 000 livres . Le Monde 29 septembre 2022

30 septembre 2022

Peinture monochrome

  "Sous les nuages blancs, la neige tombe. On ne voit ni les nuages blancs, ni la neige. Ni la froideur et l'éclat blanc du sol. Un homme seul, à skis, glisse. La neige tombe. Tombe jusqu'à ce que l'homme disparaisse et retrouve son opacité. Mon ami Serge, qui est un ami depuis longtemps, a acheté un tableau. C'est une toile d'environ un mètre soixante sur un mètre vingt. Elle représente un homme qui traverse un espace et qui disparaît."

                        Yasmina Reza. Art




C'est l'histoire d'un tableau, une toile d'environ un mètre soixante sur un mètre vingt, peinte uniquement en blanc. Le fond est blanc et si on cligne des yeux, on peut apercevoir de fins liserés blancs transversaux. Trois amis de longue date se retrouvent devant "l’œuvre", maniant une ironie douce amère - "J'ai pensé à toi aujourd'hui, au magasin on a reproduit cinq cents affiches d'un type qui peint des fleurs blanches, complètement blanches, sur un fond blanc" - qui met leur amitié en péril. Sous l'humour grinçant affleure une réflexion sur le cours d'une vie ("qui sommes-nous si ce n'est cet homme qui traverse un espace et qui disparaît"), mais aussi sur l'amitié que les années peuvent éroder ("on ne devrait jamais laisser ses amis sans surveillance. Il faut toujours les surveiller. Sinon, ils vous échappent"). 38 ans après sa création à Paris, le théâtre Le Public reprend "Art" qui a fait connaître Yasmina Reza sur les scènes du monde entier. La pièce n'a pas pris une ride, sauf sur les visages de ses acteurs qui la réinterprètent avec le bonheur que donnent les années qui passent.



Vu au Public:
Yasmina Reza. Art. Mise en scène Alain Leempoel. Avec Bernard Cogniaux, Pierre Dherte, Alain Leempoel.

26 septembre 2022

La pluie bonheur


"Il pleut
Et j'entends le clapotis
Du bassin qui se remplit
Oh mon Dieu, que c'est joli
La pluie. "
                    Barbara. Pierre.

 


Ce soir, je me suis tapé la pluie, à vélo. Ce ne m'était plus arrivé depuis de longues années, en Bretagne, revenant de l'île de Bréhat. Je m'en souviens, la pluie était chaude, la route montait sec, nous on était mouillés. On avait vingt ans de moins, il est curieux comme la pluie à vélo, croisée un soir par hasard, vous rajeunit.


Bonne nuit


"Il a étouffé sa pipe, plié ses habits, rangé ses lunettes, couvert la lampe.
Avec lenteur il s'est couché, a rabattu sur lui le drap et s'est éteint.
On croit qu'il repose, mais il gambade à-travers champs et blés dans un azur sans limite.
On aimerait partir ainsi."



C'est un souvenirs émouvant. J'ai écrit ces quelques mots vers minuit, il y a une dizaine d'années. Le lendemain, à l'aube, un ami cher, décédé lui-même depuis, m'annonce la mort de son papa dans les mêmes circonstances, paisibles. Je ne crois guère à la télépathie ni aux pouvoirs paranormaux, mais pense que l'amitié possède des canaux privilégiés.

 

24 septembre 2022

Pessimiste gai

 "Un optimiste est un pessimiste qui n'a pas toutes les informations."  

                                    Cioran

                    

 


Après avoir parcouru Le Monde (l'Ukraine, Poutine, les élections en Italie, l'inflation-récession, l'énergie,..) je découvre l'aphorisme de Cioran. Comment cet inénarrable parvient-il à nous amuser en décrivant inlassablement sa vision de la réalité, lui qui refusait qu'on le taxe de dépression, estimant qu'il se contentait d'observer. Optimiste amer, pessimiste gai, la frontière est poreuse.
 


Cioran, cité dans:
Hubert Nyssen. Ce que me disent les choses. 2009. Actes Sud. 209 pages. Extrait p.201

23 septembre 2022

Y croire ou pas

 "Quand vient la tempête

gardez la tête haute
sans peur de l'obscurité
car au bout
il y a un ciel doré

Marchez dans le vent
marchez sous la pluie
continuez     continuez     continuez
l'espoir au cœur
vous ne marcherez jamais seuls."
                    Hymne des supporters de Liverpool avant le match



C'était il y a deux ou trois ans, trop fatigué pour faire autre chose, à moitié endormi devant la TV,  je me laisse envahir par « You’ll Never Walk Alone », entonné d'une seule voix avec un enthousiasme impressionnant par les supporters de Liverpool avant le match de leur équipe contre le FC Barcelone en demi-finale retour de la Ligue des champions. Frissons garantis, car leur équipe part avec un handicap de 3 buts encaissés au Barca au match aller, une cause qui paraît entendue et perdue. Galvanisé par son public, Liverpool réussit une fantastique remontée en battant le FC Barcelone (4-0), se qualifiant pour la finale de la Ligue des champions au terme d'un match palpitant.
Je m'interroge encore: y aurait-il eu victoire sans l'appui de ce chœur de milliers de voix unis ? 
Un leçon aussi pour divers projets de notre société , que l'on croit perdus d'avance, sauf que ... Qui ne se souvient du célèbre "pourquoi ne prirent-ils pas la ville? Ils n'y croyaient pas!" de Xénophon (L' Anabase). Quand la sagesse des anciens nourrit notre réflexion propre.





Lu dans:
Oscar Hammerstein, Richard Rodgers. You'll Never Walk Alone. Concord Music Publishing LLC.

21 septembre 2022

Tonalités

 "Capodastre.

Le capodastre est un petit appareil que les guitaristes placent sur le manche de leur instrument et qui, en appuyant sur les cordes, en modifie la tonalité.
On devrait bien inventer un dispositif qui, appliqué sur nos vies, permettrait en appuyant au bon endroit de les faire résonner plus agréablement." 
                            Anne Sylvestre

 
 

On l'aurait presque oublié: aujourd'hui c'est l'automne. Hier encore on débattait doctement d'air conditionné et de climatisation, ce matin on cherche fébrilement à rallumer le thermostat dont on a égaré le mode d'emploi , et on frissonne. Il suffit de peu pour modifier la tonalité d'une saison.



 

Lu dans:
Anne Sylvestre. Coquelicot et autres mots que j'aime. Points. Poche. 2014. 208 pages

20 septembre 2022

Leçon de sagesse à Kyoto

 "Kyôto est en soi une leçon de sagesse. Si les grands cimetières et le passage marqué des saisons nous rappellent sans cesse à notre finitude et à l'impermanence des choses, la nature majestueuse et sauvage toute proche nous répète que nous sommes également inscrits dans un cycle pérenne. L'éternité ici n'est pas une ligne tracée vers l'infini, mais un cercle, auquel est soumis tout ce qui vit : naissance, épanouissement, dégénérescence et mort, puis nouvelles naissances. Printemps, été, automne, hiver, puis de nouveau le printemps. La vie s'écoule, se transforme, et recommence, mouvement continu dont l'issue n'est pas la mort, mais une transmission sans fin, au-delà de notre propre disparition. La mort individuelle, dont nous faisons si grand cas, est un incident mineur inscrit dans le grand mouvement cyclique."

                    Corinne Atlan







Lu dans:
Corinne Atlan. Un automne à Kyôto. Albin Michel. 2018. 298 pages. Extrait p.39

18 septembre 2022

Sagesse d'Alexis Zorba

"Peut-être aussi que je reviendrai avec toi. Je suis libre! Zorba secoua la tête:
- Non, tu n'es pas libre, dit-il. La corde avec laquelle tu es attaché, est un peu plus longue que celle des autres. C'est tout. Toi, patron, tu as une longue ficelle, tu vas, tu viens, tu crois que tu es libre, mais la ficelle tu ne la coupes pas. Et quand on ne coupe pas la ficelle...
- Je la couperai un jour! dis-je avec défi, car les paroles de Zorba avaient touché en moi une plaie ouverte et j'avais eu mal.
- C'est difficile patron, très difficile. Pour ça, il faut un brin de folie; de folie, tu entends? Risquer tout! Mais toi, tu as un cerveau solide et il viendra à bout de toi. Le cerveau est un épicier, il tient des registres, j'ai payé tant, j'ai encaissé tant, voilà mes bénéfices, voilà mes pertes! C'est un prudent petit boutiquier; il ne met pas tout en jeu, il garde toujours des réserves. Il ne casse pas la ficelle, non! il la tient solidement dans sa main, la fripouille. Si elle lui échappe, il est foutu, foutu le pauvre! Mais si tu ne casses pas la ficelle, dis-moi, quelle saveur peut avoir la vie? Un goût de camomille, de fade camomille! "
                        Níkos Kazantzákis




Bigre, ce ne sont pas lignes à lancer aux gens un lundi matin, alors que les nouvelles bruissent d'une "grande démission" qui saisit les Etats-Unis, et plus récemment la France, ces employés qui se filment sur les réseaux sociaux remettant leur démission avec allégresse à leur employeur. Serait-ce un effet secondaire du Covid long, non-décrit dans les études? Imprégné par la notion de valeur du travail, transmise au sein maternel, j'ai du mal avec ces nouvelles réalités, mais elles font partie de notre monde actuellement. Longue ficelle, petite ficelle? L'image est belle, mais échappe-t-on jamais à la contrainte d'être humain, pétri de limitations?




Lu dans:
Níkos Kazantzákis,. Alexis Zorba. Première édition française. Traduction Yvonne Gauthier. Éditions du Chêne. Domaines étrangers. 1947 

17 septembre 2022

Le temps des bourrasques

 "Il y a une mélancolie particulière qui accompagne le départ des oiseaux migrateurs. L'envers exact de la joie qu'on éprouve à leur retour au printemps. L'automne refermait son livre, l'hiver approchait de jour en jour." 

                        Henning Mankell

                       
 

Souvenirs de vacances heureuses en Bretagne. Deux semaines fabuleuses, c'était l'époque insouciante du plein soleil sans la canicule ni la sécheresse. Vers le 15 août survenait souvent un violent orage. Les oiseaux migrateurs nous quittaient, par vagues successives, et le ciel changeait de saison. Nos vies nous apprendraient par la suite qu'elles peuvent basculer aussi rapidement que le ciel breton après l'orage. N'avions-nous pas remarqué l'envol des canards sauvages? Il restait bien évidemment la promesse de belles journées, mais il fallait se préparer à affronter la bourrasque. Ce sont ces soirs-là, contemplant sur la plage les cumulonimbus en forme d'enclumes à éclairs, qu'on espérait nos proches à l'abri des tempêtes et qu'on mesurait à quel point ils nous étaient chers. Les orages bretons de vacances en famille sont bien éloignés maintenant, mais l'inquiétude pour nos amis et nos familiers est plus présente que jamais. L'automne se fait plus long, l'hiver plus dur, et l'affection éprouvée plus profonde. On se serre les uns contre les autres pour ne pas nous perdre, ensemble on se sent plus forts et la chaleur partagée est déjà un remède. Les hôpitaux ont remplacé les plages de vacances , mais ce sont bien les mêmes bourrasques, et les mêmes rêves d'éclaircies, l'esprit de vacances en moins. Et par soirs clairs, on fixe un foulard lumineux suffisamment haut aux fenêtres pour qu'il reflète "on est là".  





Lu dans :
Henning Mankell. Les chaussures italiennes. Seuil. Cadre vert. 2009. 352 pages


16 septembre 2022

Ivresse du progrès

 "L’humanité gémit, à demi écrasée sous le poids des progrès qu’elle a faits."

                       Henri Bergson





Réflexion douce-amère émise par le célèbre philosophe français en 1932. Tout progrès traîne son ombre. 

 

Lu dans:
Henri Bergson. Les Deux Sources de la morale et de la religion. 1932. PUF (2013)

15 septembre 2022

Sagesse de Guy Cadiou


 "Odeur des pluies de mon enfance
derniers soleils de la saison
à sept ans comme il faisait bon
après d'ennuyeuses vacances,
à se retrouver dans sa maison.

La vieille classe de mon père
pleine de guêpes écrasées
sentait l'encre, le bois, la craie
et ces merveilleuses poussières
amassées par tout un été.

Temps charmant des brumes douces
des gibiers, des longs vols d'oiseaux,
du vent qui souffle sous le préau
Moi je tiens entre paume et pouce
une rouge pomme à couteau."
                René Guy Cadou. Automne




Sinistres nouvelles, un soir de plus. Une guerre de tranchées sans vainqueur ni vaincu, le dérèglement climatique, l'énergie, l'index, la grande démission de ces millions de personnes qui quittent volontairement leur job, un Covid endémique: on pressent sourdement qu'il existe un lien entre tout cela, qui préoccupe nos esprits sans modifier pour autant - provisoirement - notre quotidien. Après le journal télévisé, dans la paix du soir qui tombe, j'épluche des pommes rouges qui feront une compote. Avec quelle force se réveille dans l'instant même le souvenir des marrons, du soleil entre les branches, de l'odeur âcre des herbes qu'on brûle. On a  tous des automnes de brumes et de flambées heureuses dans la mémoire. Qui suis-je donc, balloté entre deux réalités que rien ne rapproche? Une vague culpabilité permanente liée à une inaction, confrontée à la saveur paisible d'être au monde en ce début d'automne dans une bulle aux parfums d'enfance heureuse. Je m'endormirai donc, laquelle de ces deux réalités occupant mes rêves, entre le rouge du sang et celui des pommes?





Lu dans:
René Guy Cadou. Les amis d'enfance. Automne. Œuvres poétiques complètes. Seghers. 1973. 830 pages

14 septembre 2022

Une pluie qui enchante


 "Le jour où la pluie viendra
Nous serons, toi et moi
Les plus riches du monde
Les plus riches du monde
Les arbres, pleurant de joie
Offriront dans leurs bras
Les plus beaux fruits du monde
Les plus beaux fruits du monde
Ce jour-là

La triste, triste terre rouge
Qui craque, craque à l'infini
Les branches nues que rien ne bouge
Se gorgeront de pluie, de pluie
Et le blé roulera par vagues
Au fond de greniers endormis
Et je t'enroulerai de bagues
Et de colliers jolis, jolis."

 

Dans le silence de la nuit, soudain la pluie. Bien drue, continue, perçue comme une boisson rafraichissante et bienvenue. Une boisson pour la terre, qui casse l'angoisse sourde ressentie devant les prairies uniformément roussies par la sécheresse d'un été. Soleil, pluie, vent, gel, frimas, tout est bonheur, successivement.



 

Lu dans:
Le jour où la pluie viendra. interp. Gilbert Becaud (1957). Paroles: Pierre Delanoe.  

13 septembre 2022

Une rallonge d'été


"L'été a laissé partir les hirondelles
Il a cédé la place à ce silence de l'automne
coupé seulement par le chant d'une grive
et le bruit sourd des pommes qui tombent
dans l'herbe décidée à s'en tenir là
et à ne plus pousser davantage avant les pluies
Il fait humide et frais le matin et le soir
 
Moment de l'année où quand l'âge est venu
on vieillit plus vite     où jeune on se sent moins neuf
et avec l'heure d'hiver les jours sont moins jours
Et puis l'été a eu une arrière-pensée
L'envie de s'attarder de dire au soleil « reste encore »
L'été change d'idée fi revient sur ses pas
fait reluire dans le ciel un tout jeune soleil
et la vive clarté d'un matin transparent
On peut attendre un peu
pour croire à l'hiver
à la fin des beaux jours à la fin de la fin.
        Claude Roy. L'été encore un peu

 

 

Lu dans:
Claude Roy. L'étonnement du voyageur. 1987/1989. NRF Gallimard. 1987. 376 pages. Extrait pp.116-117

12 septembre 2022

Ground zero

 "À Ground Zero, une chaîne humaine de sauveteurs armés de seaux s’est formée. Les hommes essayaient de fouiller les décombres fumants dans l’espoir de retrouver des survivants ou d’extraire les cadavres. Les incendies de Ground Zero continueraient encore quatre-vingt-dix-neuf jours supplémentaires, jusqu’à la dernière flamme, qui s’éteindrait le 19 décembre 2001."

                                    Garrett N.Graff


 
Sinistre commémoration, vingt ans plus tard il reste des fumeroles dans nos souvenirs de ce qui entamait bien mal notre siècle. On découvre ainsi qu'il fallut cent jours d'efforts acharnés pour que s'éteigne la dernière flamme de cet amas de ferraille, de pierre et de débris humains intriqués. Le pénible travail de déblayage pouvait se poursuivre. Et le travail de mémoire pour les survivants.




Lu dans: 
11 septembre, une histoire orale. Garrett m. Graff, Jérôme Schmidt. Les Arènes. 2021. 529 pages

10 septembre 2022

Mort d'une reine

 "La reine qui vient de disparaître aura réussi un exploit : faire oublier l’anachronisme de la monarchie, prolonger sa popularité en l’adaptant tout en maintenant l’illusion qu’elle est immuable. Son secret tient probablement dans l’extraordinaire résolution d’Elizabeth II, sans doute la femme la plus célèbre du monde, à demeurer un mystère. D’innombrables articles de presse, livres et documentaires ont été consacrés à une reine qui n’a jamais donné d’interview, qui n’a prononcé, hors rituels parlementaires et de Noël, que quatre discours en soixante-dix ans, et dont rien ne filtrait vraiment, ni sur les choix ni sur les idées. (..)  L’époque récente correspond plutôt à une perte d’influence de son pays. Le choc de la disparition d’Elizabeth II sera ressenti partout dans le monde, en particulier dans les quinze États dont elle était la souveraine, comme un signe supplémentaire de la fin d’une époque."

                Editorial du Monde du 9 septembre 2022

 
 

Une dame vieille et digne meurt dans son lit à 96 ans. Son fils, sans doute "l'homme le mieux préparé au trône", lui succède à l'âge où on entre en maison de repos. Aucun fait d'arme, ni de comportement héroïque mais l'image rassurante que plus ça change, moins ça change. "Elle ne faisait rien, mais elle le faisait bien" résume avec humour un commentateur de France 5 sur C dans l'air. D'où vient donc l'émotion qui saisit les foules quand meurt leur monarque? Souvenons-nous des files devant la dépouille de Baudouin il y a 30 ans, ou de l'océan fleuri lors de la mort de Diana. Y aurait-il un lien avec l'émotion que suscitait en nous la lecture des contes de fée, au moment où se fermait le livre, où se recevait le dernier bisou avant la nuit et où nous sombrions sans plus réfléchir dans le sommeil? Un court instant, nous rêvions à la fée Clochette, celle qui flotte dans les airs et produit de la poussière de lutin, qui permet aux autres de voler comme elle. Plus la réalité d'une époque est incertaine, plus le besoin est prégnant de se créer un monde de fées.


 

Lu dans:
Elizabeth II, une femme souveraine entre dans l’histoire. Editorial du Monde du 9 septembre 2022

08 septembre 2022

Le destin d'une source

 "Toute source ignore de quoi elle est capable."
                    Sylvain Tesson.

 


Ici commence ma course vers l'océan. Un panonceau en bois permet de localiser la source de la Loire, quelque part en Auvergne. Le plus long fleuve de France naît dans un minuscule interstice de la terre. Il possède toutes les apparences d'une fragile imprévisibilité, n'inspire aucune crainte, ne laisse supposer aucun destin alors que tout est écrit: les vastes méandres, les berges sablonneuses, les crues, les châteaux.  Cette confrontation entre l'image même du hasard et l'évidence de l'estuaire constitue une source inépuisable de réflexion sur le destin de l'homme. Mais à la différence du fleuve, le décours d'une vie n'est jamais prédestiné, issu de trois facteurs : ce dont on a hérité, ce que notre milieu a fait de nous, et ce que que nous avons jugé bon de faire de notre milieu et de notre héritage (Aldous Huxley).
 



Lu dans:
Sylvain Tesson. La panthère des neiges. La panthère des neiges. Gallimard 2019. 176 pages. Extrait p. 171
Pascal Chabot. Six jours dans la vie d'Aldous Huxley. PUF. 2022. 64 pages.

07 septembre 2022

Solitude

 

"Pour ne pas vivre seul
on vit avec un chien
on vit avec des roses
ou avec une croix
une ombre, n'importe quoi
on vit pour le printemps
et quand le printemps meurt
on vit pour le prochain printemps."
        S. Balasko. D. Faure


Fort bien écrit sans doute, mais réducteur. D'où nous vient cette image si négative de la solitude? Serait-elle liée à cette vieille peur enfouie: nous naissons seul, et nous mourrons seul. J'ai connu des solitaires magnifiques, d'une sérénité exemplaire qui m'apprirent qu'un long compagnonnage avec soi-même bien vécu est une chance à saisir. Dans l'étreinte la plus amoureuse, c'est un être libre et seul que l'on rencontre, un "lui" ou une "elle" qui ne sera jamais moi, et qu'un jour séparera.

 

Lu dans:
Pour ne pas vivre seul. Sébastien Balasko et Daniel Faure, interprété par Dalida. 1972

05 septembre 2022

Une fraction de bonheur

 "Le bruit court qu'on peut être heureux" 
                    Jean Malrieu



Hier j'ai vu un chevreuil. J'avais apporté le café et les croissants à mes grands enfants, campeurs d'une nuit dans notre petit verger brabançon, quand surgit une flamme rousse, gracile, lumineuse dans les rayons du soleil. Apeuré, il regagna prestement le champ de maïs et les bois proches au bout d'un saut superbe. L'impression laissée par cette séquence m'habite encore, alchimie heureuse entre la saveur partagée des viennoiseries chaudes, l'arôme du café, l'inattendu de cette rencontre avec tant de beauté, de gratuité et de fragilité. Quel hasard avait fait se croiser nos routes et celle de ce chevreuil égaré, d'où venait-il et où se cache-t-il à l'heure actuelle? Aurais-je gagné un million à la loterie hier matin, la joie serait-elle équivalente, je ne le pense pas. Vivre un moment qu'on n'attend pas et le savoir unique possède une saveur inestimée.



Lu dans:
Jean Malrieu. Poète français né à Montauban le 29 août 1915 et mort dans la même ville le 24 avril 1976.