"La définition du paradis, c’est d’être un lieu que vous perdez.»
Alberto Manguel
"Je vis un rêve éveillé". Veuve, elle retrouve un cousin qui la
séduit en 24 heures. Journaliste sportif de renom, il s'est établi dans
le sud de la France pour sa retraite. Il conduit son cabriolet comme un
dieu, il lui raconte les mille et une péripéties du Tour de France qu'il
a suivi pendant trente ans, l'invite dans les plus beaux restaurants de
la région, la fait rêver dans sa propriété du Lot-et-Garonne: le gris
d'une vie antérieure et besogneuse se déchire par une éclaircie
inattendue. Elle le rejoint définitivement, n'emportant qu'un minimum
dans ses bagages: quelques livres que je lui prête-donne, dont Le Petit
Prince et Une extrême amitié d'Henri Troyat, vivante description de ce
qu'elle a vécu, ses albums-photos, quelques habits adaptés au climat
local et du rêve plein les yeux. Les mois passent trop vite, elle
m'annonce que son compagnon est atteint d'une maladie d'Alzheimer, qui
l'emporte rapidement. Un an plus tard, une secrétaire municipale
attentionnée me téléphone pour m'annoncer son décès, et qu'elle m'envoie
un petit colis de livres et d'albums photos, exécutant ainsi ses
dernières volontés. Je retrouve l'exemplaire du Petit Prince et le
Troyat, annotés "Je ne regrette rien, c'était si beau, merci pour
tout." Il n'est de bonheur éternel, mais cela n'en diminue en rien
l'intensité.
Lu dans:
Raphaëlle Rérolle . Alberto Manguel. L’homme aux 40 000 livres . Le Monde 29 septembre 2022
Raphaëlle Rérolle . Alberto Manguel. L’homme aux 40 000 livres . Le Monde 29 septembre 2022
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