31 mai 2022

Quant la guerre était un art

 "Quant à l’accaparement des ressources et l’assujettissement des vaincus, où réside l'intérêt de détruire les villes convoitées ou de tuer ceux qui seront demain nos sujets? Il n'existe pas d’ennemi héréditaire."

Sun Zi. L'art de la guerre. 1078.

 


L’Art de la guerre est un court traité de stratégie militaire chinois, attribué au stratège Sun Zi  (1078) qui propose une analyse rationnelle d’une guerre victorieuse : fondée sur une stratégie indirecte, toute d’économie, de ruse, de connaissance de l’adversaire, d’action psychologique, destinée à ne laisser au choc que le rôle de coup de grâce asséné à un ennemi désemparé. Longtemps enseignée dans les académies militaires, on paraît loin du compte.


 

Lu dans:
Sun Zi. L'art de la guerre. Flammarion. 2008. 352 pages

29 mai 2022

A l'horizon la brume


"Sur le fleuve, sur les canaux, nous n’avons
nulle autre frontière que la brume."
                    Carl Norac




Ils sont venus à deux, pour un rappel de vaccin tétanos/diphtérie/coqueluche qui leur a été conseillé par le pédiatre de leur arrière petite-fille. On ne saurait être trop prudent, la coqueluche revient. Rappel conseillé dans dix ans, ce qui les fait sourire, car ils auront atteint à ce moment 95 ans, et je devine qu'ils soupèsent l'improbabilité que j'exerce encore à ce moment. Un court temps suspendu succède à ce banal rappel du calendrier, l'occasion est trop belle d'une réflexion sur l'incertitude des choses, la vie nous faisant naviguer à vue sur un canal dont ne distinguons que rarement les berges.

 

Lu dans:
Carl Norac. Le goût de traverser. Neuvième poème national [dans le cadre d’Escales poétiques]. https://www.poetenational.be/poemes-carl-norac/

28 mai 2022

Vulnérabilité


" Sur le chemin, il y a les anciens
ceux qui ont des yeux qu'on retient
nous ont captés, enseigné
ce qu'il faut savoir pour qu'on comprenne
avec classe     nous donnent des ailes
nous ont transmis qu'apprendre     se rêve.
La vie fait qu'on les quitte     mais ils ne savent pas
combien ils nous élèvent. "
                    Manon Gilbert & Guillaume Shelly




Elle est toute menue, a 93 ans et toute sa tête. Elle vit chez elle, combien de temps encore? Elle résume son état comme étant celui "d'un lapereau qui marche à peine, perdu dans un grand champ sans relief ni abri, le jour de l'ouverture de la chasse".  Elle fut jadis institutrice, cela se remarque: dans cette profession, on ne perd jamais l'art d'expliquer par des mots simples une réalité complexe.


Lu dans:
Petite Gueule. Moi j'crois aux fées. Paroliers. Manon Gilbert & Guillaume Shelly

25 mai 2022

Amis, cher amis

"Un jour, on découvre qu'on a un nouvel ami et qu'on y tient. C'est une information accueillie avec calme. On n'est pas excité, survolté, insupportable comme dans l'affichage d'un nouvel amant ou d'une amoureuse tombée du ciel. L'introduction de ce bonus dans l'existence se déroule tranquillement. L'amitié n'emménage pas. Elle respecte les distances. Elle n'entame pas l'autonomie ni la liberté des nouveaux amis. Elle ne mélange pas leurs emplois du temps, leurs nuits et leurs petites cuillères. Ni obligations de charges ni contraintes par corps. L'amitié est légère comme une brise de jardin."

                    Bernard Pivot




On appréciait le Bernard Pivot lecteur-animateur d’Apostrophes ou de Bouillon de Cultures, dont les appréciations à l'écran du vendredi soir faisaient exploser les ventes le samedi en librairie. Assagi par les années, il se révèle maintenant par l'écriture de quelques ouvrages intériorisés, à la mode de Montaigne réfugié dans sa célèbre bibliothèque.  Son dernier opus sur l'amitié est une belle réflexion nous renvoyant à nos propres vies, à ces amis croisés, parfois distanciés sans pour autant se voir oubliés, sur ceux ou celles dont la parole fut précieuse, nous précédant sur le chemin en suggérant des pistes, ou marchant dans nos pas sans qu'on s'en aperçoive. Volubiles ou taciturnes, amis du soir sur la Toile, voisins de rue, beaufs, .. l'amitié est la fille du hasard et des circonstances. Soudain ce soir à les évoquer, j'entends comme dans un murmure les voix multiples de ces ami-es se pressant dans la pièce où le livre de Pivot, ouvert sur le bureau, ne sert que de prétexte à célébrer le bonheur qu'on eut à les connaître. Sans eux, nous serions moindres.


Lu dans :
Bernard Pivot. Amis, chers amis. Allary Éditions.  2022. 160 pages. Extrait p.12

23 mai 2022

Meurtre à Compostelle

 "A quoi bon marcher si longtemps si ce n'est pas pour devenir?"     
                    Jacques Lacarrière

                    


Placée en exergue du dernier ouvrage d'André Linard, grand marcheur sous le soleil avec Suzanne, la réflexion de Jacques Carrière intrigue. Roman noir selon l'éditeur il faudra en effet rebondir d'hypothèses en mystères pour en comprendre le sens dans les toutes dernières pages. L'auteur, dont on apprécie les articles pointus en sciences humaines et sociales, les avis ciselés sur les controverses de presse et des médias, le récit parfois caustique (coécrit avec son épouse) d'une longue route vers Compostelle, se mue en maître-ès-intrigue qui nous surprend par une construction romanesque digne des meilleurs polars. Avec l'inévitable petite musique sur les choses de la vie, dont l'absence nous aurait surpris de sa part.



Lu dans:
André Linard. Des cailloux dans les chaussures. Roman noir. Éditions Deville. 2022. 414 pages. Extrait p.8
Rencontre avec l'auteur samedi 28 mai, de 15 à 17h00 au café culturel La Fourmilière, à Anderlecht, place de la Vaillance (en face de la Maison d’Érasme). 

21 mai 2022

D'ombre et de lumière


"Éclaire ce que tu aimes
sans toucher à son ombre." 
                Christian Bobin



A Rodez, le musée Soulages nous promène dans une méditation sur la lumière que dévoile l'ombre. Partant d’un recouvrement partiel ou total de la toile par le noir, en couches superposées, l’artiste Pierre Soulages travaille les transparences : il racle la matière, dévoile les fonds avec des bleus, des rouges, des bruns…  En démultipliant le regard, les aspérités de la peinture se font lumineuses alors qu'une photo n'y verrait que du noir. Les yeux cillent et, sortant du musée, notre vision sur nos familiers, amis, collègues proches, s'en trouve  imperceptiblement modifiée. Accepter l'obscurité de ceux qui nous entourent sans la réduire à une faiblesse, la part d'ombre cachée au fond de nous, y déceler la lumière en modifiant le diaphragme tout en posant un regard qui ne juge pas, est une école de vie.





Lu dans: 
Chantal Dellicour. Je peux entrer. Un petit galet de tendresse. Photos: Corentin Dellicour. Avril 2022. 52 pages. Extraits choisis de Christian Bobin, Gustave Thibon, Christiane Singer et de l'auteure.

19 mai 2022

La mémoire du bois

 " Faut-il absolument jouer sur un Stradivarius pour être virtuose ? Ou est-ce le contraire. Le bois a de la mémoire, et le son d’un instrument varie en fonction de la personne qui le joue.  Lorsqu’un virtuose s’empare par exemple d’un violon, la qualité de l’instrument a tendance à augmenter. Comme le note Pierre-Yves Thienpont, "c’est d’ailleurs pour ça que les Stradivarius sont bons. Tous n’étaient pas bons au départ, mais ceux qui l’étaient ont directement été joués par les plus grands musiciens d’Europe et ça n’a jamais cessé. " 

                                Gaëlle Moury
 

 
Lu dans:
Gaëlle Moury. Instruments de musique. Ekho à l’artisanat et à la passion. Le Soir. 19 mai 2022. P.16

17 mai 2022

Lumière du soir


 "J'aime la lumière du soir
qui réchauffe le sable,
effleure les contours,
caresse les sommets,
et laisse aux ombres
la part du doute."  
            Christiane Gleize


 

Petits cailloux


"On le croit silencieux      moi je sais qu'il chante
au bord du chemin     sa chanson de petit caillou
il a appris dans la rivière     sur le barrage du ruisseau,
les secrets de l'eau qui court
et des êtres qui passent ."
                        Sabine Sicaud



Deux pots de miel "aux mille fleurs" ramenés du jardin d'un grand-père apiculteur resté en Pologne agrémentent une fin de consultation. Avec le récit des jeux d'enfants, des culbutes et des secrets partagés sous la ramure, il y a longtemps déjà. Petits cailloux d'une journée qui s'en trouve illuminée.

 

16 mai 2022

Que nous dit le vertige

 "Longtemps, je n’ai pas eu le vertige. Je n’éprouvais sans doute aucune de ses deux composantes : la peur de la chute et l’attirance pour le vide. Aujourd’hui, je dois avoir perdu mes ailes : si je grimpe au sommet d’une tour d’où se dévoile un vaste panorama, je garde mes distances. Ce n’est pas tellement que j’aie peur de tomber mais plutôt d’avoir envie de plonger. "

                    Daniel Charneux



Un jour, 4 ans, peut-être 5, profitant d'une brève absence des parents, j'avais entrepris de mettre mes doigts dans une prise de courant. La perception du danger était à la mesure de l'interdiction formelle de m'en approcher, et c'est précisément ce qui en faisait l'attrait. Premières découvertes de l'ivresse que procure la liberté de bien ou mal faire, mais surtout d'entrouvrir les portes débouchant sur un infini qu'on souhaite expérimenter. L'arrivée de ma maman et la cuisson de la fessée me dissuada pour quelques années de reprendre le projet. D'autres ivresses similaires survinrent plus tard, toutes pareilles, tout aussi folles: que se passerait-il si soudain je lâchais toute la puissance de la moto, rien que pour voir, ou si je nageais à perdre haleine vers le large pendant dix minutes, ou si je tentais du parapente sans apprentissage... Le vertige qui nous fait reculer demeure sans doute l'arme la plus efficace contre l'ivresse de tester les limites de sa liberté.


Lu dans:
Daniel Charneux. Les oiseaux n’ont pas le vertige. Genèse édition. 2022. 207 pages.

14 mai 2022

Vespérales

 

Il y a vraiment très peu        si peu de chances
que dans quelques milliards d'années sidérales
je me trouve nez à nez avec toi
dans un degré perdu du cosmos       
et que je dise    enfin content
après un long séjour dans le rien et l'absence
« Tiens    te voilà    Loleh »
            Claude Roy. Un rendez-vous aléatoire




Revenues les douces soirées autorisant la rêverie, seul dans le jardin ou sur la terrasse, accompagnant le passage du jour à la nuit. Le silence n'est  habité que par les oiseaux et les arbres, et parfois un avion. Et, plus lointaines, par les voix de ceux qu'on aime. Vivants ou disparus, ces différences s'estompent durant ces moments suspendus entre rêve et réalité, entre clarté et ombre. Mai est douceur.


 

Lu dans:
Claude Roy. Les pas du silence. Gallimard. NRF. 1993. 274 pages. Extrait p.117

13 mai 2022

Il se dit que la visibilité est bonne


 "Matin de mai je perds
mon goût pour la détresse
La visibilité est bonne."
            Karel Logist.

 
 

Il faisait beau temps en mai 40. Hermann Hesse écrivait sans qu'on le croie que jour après jour, se préparait avec zèle la prochaine guerre. Je lis la presse, trop sans doute. Les blocs se constituent, les budgets militaires explosent, on se réjouit de la résistance de l'Ukraine, on maudit Poutine. Tui remplit ses avions, l'Eurovision en jette plein les paillettes, le concours Reine Élisabeth renaît, les Rolling Stones tout fripés entament une tournée triomphale. Sur le pont du Titanic, l'orchestre jouait, et j'ai ce soir l'impression d'en être. Que l'essence augmente d'un cent effraie, mais habiter à un kilomètre du siège de l'OTAN et du parlement européen, à cinq kilomètres de Swift ne tracasse vraiment personne, la Russie c'est si loin. Funestes pensées d'un pessimiste, alors que le temps est si beau.

 


Lu dans:
Karel Logist. Tout est loin. Ed. L'herbe qui tremble. Collection D’autre part. 2022. 120 pages.
Hermann Hesse. Le Loup des steppes (1927). ‎ Le Livre de Poche. 1991. 224 pages.

11 mai 2022

Pierres de lumière


"Que fais-tu donc là? Tu le vois, je taille des pierres, à longueur de journée, il faut bien vivre.
Et toi? Tu le vois, je taille des pierres, pour que s'élève un mur.
Et toi donc? Tu le vois, je taille des pierres et construis une cathédrale." 
                    Alix Myôshô


Par-delà les mains qui pétrissent la pierre, il y a l'esprit qui façonne - ou non - une œuvre. Un court récit qui nous interpelle tous.

 

 
Entendu à:
Alix Myôshô Helme Guizon au 15ème Printemps de l'Ethique (Libramont, 6 mai 2022)

10 mai 2022

Immortalité

 " Quoi qu'il en soit de nous, ceux qui croient à l'immortalité de la personne humaine n'ont pas à craindre d'être trompés après leur mort. S'ils ont espéré en vain, s'ils ont été dupes, ils ne le sauront jamais."

                    Anatole France.  Notice nécrologique de Louise Ackermann

 

Une amusante relecture du Pari de Pascal (*) en somme.



Lu dans:
Le Temps 10 août 1890. La Vie littéraire. Notice nécrologique de Louise Ackermann par Anatole France.
(*) L'appellation vient de Pascal lui-même ("Pari sur le problème de l'éternité") et qualifie un argument philosophique qu'on peut résumer: que Dieu existe ou qu'il n'existe pas, autant croire en lui pour être sûr de gagner sa place au paradis, si paradis il y a.

09 mai 2022

Moment de grâce


"On devrait dire aux gens quand on les aime
Trouver les phrases, trouver le temps
Oh juste merci d'être ceux qu'ils sont
Qu'ils changent nos heures amères en poèmes
On devrait tout se dire avant

Il faut le dire aux gens quand on les aime
Comme ils comptent pour nous chaque instant
Et tant qu'on est là, bien vivant
Tout se dire tant qu'il est temps." 
                Patrick Fiori. Les gens qu'on aime



Petit moment de grâce vendredi au "Printemps de l'Ethique", à Libramont, consacré à la "Douceur dans les soins."  Interprété par une classe d'élèves, quelques notes et quelques paroles touchent l'assemblée par sa simplicité. J'ai retrouvé le texte, réécouté la musique, et ai eu envie de vous les partager. Il n'y a pas de honte à se laisser émouvoir.



Lu dans:
Les gens qu'on aime. Interp. Patrick Fiori. Paroliers : Jean-jacques Goldman, Yann Mace, Luc Lero
Écouter:  https://music.youtube.com/watch?v=OBO-3nwcv1g

07 mai 2022


"J'aime allumer une cigarette au milieu de la mer.
C'est un minuscule point rouge sur le bleu.
Un point d'incandescence, de grésillement et de chaleur.
Il signifie que j'existe."
                Jean-Michel Maulpoix
 




Lu dans:
Jean-Michel Maulpoix. Une histoire de bleu suivi de L'instinct du ciel. Gallimard. 2005. 256 pages

03 mai 2022

Sagesse de Florence Aubenas

 "Quand il est juste, le mot conduit. Quand il ne l'est pas, il écarte du chemin."

                Janouch. Conversations avec Kafka



Pour prolonger Kafka, ces réflexions de Florence Aubenas sur son métier d'auteure-journaliste: "Les mots vous échappent ! Pour un papier, qu’on a finalement titré « La France des ronds-points », on avait hésité à mettre « Gilets jaunes ». Mais c’est un mot trop fourre-tout, il y a une différence entre ceux des manifestations et ceux des ronds-points… Ça commence par là : comment va-t-on les appeler ? En Ukraine, par exemple, c’est un volontaire, un combattant, un soldat ? On se mord la langue des fois, on se tape sur les doigts. Quand je relis un papier, je me demande comment j’ai pu écrire ça ! L’inconscient marche tout seul. Écrire, c’est une bataille contre soi-même, contre ce qu’on voudrait penser, ce qu’on croit acquis."



Lu dans:
Gustav Janouch. Conversations avec Kafka. Ed.  Maurice Nadeau. 1998. 278 pages
Fanny Declercq. «Écrire, c’est une bataille   contre soi-même». Entretien avec Florence Aubenas. Le Soir 30 avril 2022. Extrait p.12

02 mai 2022

Bien sûr

 "Les mots vous échappent ! (..) Chaque fois que je mets « bien sûr », ce n’est pas sûr du tout, en fait ! Vous savez, c’est comme les gens qui commencent leurs phrases par « sincèrement », vous êtes sûr que suit un gros mensonge ! "

                                Florence Aubenas





Lu dans :
Fanny Declercq. «Écrire, c’est une bataille   contre soi-même». Entretien avec Florence Aubenas. Le Soir 30 avril 2022. Extrait p.12