30 janvier 2022

Fier de toi


"Même le père et la mère du pou
sont fiers de leur enfant."
                    Jean-Pierre Siméon


Lu dans:

Jean-Pierre Siméon.  Lei Pingyang (Illustrations), Ming Meng (Traduction). Le livre des petits étonnements du sage Tao Li Fu. Cheyne éditeur. 2016. 60 pages.

29 janvier 2022

Chut, je m'en vais

 "Cette façon qu'a la vie de ne pas finir ses phrases." 
                    Claude Roy

      


On a fini par la croire éternelle, elle s'éteignait doucement, laissant choir chaque jour un morceau d'elle-même: une date oubliée, un mot confondu, une tribune de marche, et puis plus de marche du tout, une pâleur effrayante, trois tartines le matin, puis deux, puis une, le bien-être d'une main caressée, devenu bientôt "pourquoi tu me touches?", des nuits pareilles aux jours, la sonnerie d'un téléphone qui sonne dans le vide. On imaginait cent manières de prendre congé d'elle et de la vie, on lui dirait les mots tendres jamais prononcés, on la veillerait comme l'enfant à qui on raconte la dernière histoire avant la nuit, et elle s'en irait doucement comme s'envole la montgolfière. Au revoir et bon voyage. Mais un jour elle est partie sans préavis, sans prévenir, en milieu d'après-midi , à la manière des mariés qui jadis se faisaient la belle au soir de la noce, fuyant la fête en catimini pour démarrer leur vie. On aurait pu s'en douter, la connaissant: mourir peut-être, mais sans tout ce qui l'entoure.



 


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Claude Roy. Les rencontres des jours. 1992-1993. NRF Gallimard.1995 342 pages. Extrait p.19

27 janvier 2022

Etre de passage


Tu te crois seul et puis quelqu’un
se tient debout dans l’embrasure de l’aurore.
Il ne dit rien.
« Je suis un homme de passage. »
                    Gilles Baudry
 


Un court film publicitaire créé pour une compagnie d'assurance avait réuni autour d'un jeune couple tout ceux qui avaient, à un moment précis de leur existence, compté pour eux. Rencontres d'une heure ou d'un mois, et plus si affinités, de tous âges, dans le cadre familial, professionnel, amical, anciens propriétaires de la maison familiale, pédiatre, confidents d'une soirée, épicier du quartier, moniteur d'école de conduite, chauffeur de bus scolaire, instit, balayeur de la rue. Rédigeant ce billet me revient en mémoire un agent de police en cape et casque, sosie de l'Agent 15 de Quick et Flupke, qui à l'âge de mes trois ans m'avait sauvé la vie en s'interposant devant un camion descendant la rue Wayez. Un moment inadvertance de mes parents, et j'allais me faire renverser sans l'ombre d'un doute. Qu'est devenu ce brave gardien de la paix sans lequel je ne serais sans doute plus là? Il ne faut pas nécessairement être le héros de Sur la route de Madison pour compter dans une existence, modestement et souvent même à notre insu. N'être que de passage donne à la rencontre une intensité que n'atteindra pas l'usure du temps, et la rend précieuse.



Lu dans:
Gilles Baudry. Il a neigé tant de silence. L'étranger Ed Rougerie 1985

26 janvier 2022

Miam

 “Dans certains restaurants, on appelle “plat du jour” les restes de la veille qui ne peuvent pas attendre le lendemain.”

Philippe Bouvard






Lumières dans la nuit

 "J’ai toujours, devant les yeux, l’image de ma première nuit de vol en Argentine, une nuit sombre où scintillaient seules, comme des étoiles, les rares lumières éparses dans la plaine.  Chacune signalait, dans cet océan de ténèbres, le miracle d’une conscience. Dans ce foyer, on lisait, on réfléchissait, on poursuivait des confidences. Dans cet autre, peut-être, on cherchait à sonder l’espace, on s’usait en calculs sur la nébuleuse d’Andromède. Là on aimait. De loin en loin luisaient ces feux dans la campagne qui réclamaient leur nourriture. Jusqu’aux plus discrets, celui du poète, de l’instituteur, du charpentier. Mais parmi ces étoiles vivantes, combien de fenêtres fermées, combien d’étoiles éteintes, combien d’hommes endormis… Il faut bien tenter de se rejoindre. Il faut bien essayer de communiquer avec quelques-uns de ces feux qui brûlent de loin en loin dans la campagne."
                            Antoine de Saint-Exupéry


 

Se faire aviateur de nuit en Argentine, du temps de l'Aérospatiale . Guetter dans chacun de ces sans-titre, de ces sans-histoire, sans-diplôme, le miracle d'une conscience. Chaque homme, chaque femme, abrite dans son silence un roman, des interrogations, des échecs qui auraient pu être autant de réussites. Rompre ce silence constitue la plus belle victoire qu'on puisse imaginer en débutant nos journées. Et c'est à la portée de tous.
 

Lu dans:
Antoine de Saint-Exupéry. Terre des hommes Poche. (Ed. originale 1939). Gallimard.  1972. 181 pages.

22 janvier 2022

Climats


« Le matin     pluie et boue
le soir         vent et poussière
hier         froid  
demain     chaud.
Voilà comme on voyage
même sans sortir de chez soi. »
                Proverbe chinois
 
 


21 janvier 2022

Scène de ville

 « Et dire bonjour à tout le monde ! »

                Sagesse du quotidien



La scène se passe à St Josse-ten-Noode ce  mardi vers 18 h. Une équipe de balayeurs de rues sort d’un entrepôt communal, à côté de la place St Josse. Gilets jaunes, balais et chariots avec le porte/sac, tous maghrébins. Visiblement, le « chef » donne, sur le trottoir ses dernières instructions et, au moment où je passe à côté d’eux, je l’entends distinctement : « Et dire bonjour à tout le monde ! »  C'est peu de choses somme toute, et c'est essentiel, c'est ainsi que la ville s'humanise.



 
Lu dans:
Merci à Michel Carlier pour son post!

19 janvier 2022

Le test est négatif

 "Si tu n'es pas cas contact c'est que tu as vraiment une vie de m...."

                     Sagesse des murs




Amusante sentence de pandémie, bien appropriée à ces dernières semaines. Transmise étonnamment par une correspondante que je n'aurais jamais soupçonnée de pareille liberté de langage, ce qui la rend d'autant plus amusante: la pandémie rompt tous les codes.
 
  

18 janvier 2022

Sagesse de Vita Sackville-West

 "Tel un enfant égaré dans le royaume des délices, il était stupéfié par les enchantements du soleil et de l’ombre. Il s’attardait pendant des heures à contempler, dans une béatitude stupide, les grandes nappes de soleil répandues sur l’herbe, et les ombres intenses qui s’enfouissaient dans les profondeurs des bois. Il se levait tôt le matin et, se penchait à la fenêtre ouverte, se livrait à la rosée, au sentiment de la clarté nouvelle, aux oiseaux. Que de gazouillis. ! "

                        Vita Sackville-West
 


Terminer sa journée par la lecture de quelques pages de Vita Sackville-West décrivant la beauté de son domaine anglais est une volupté. Écrites il y a cent ans, ces lignes d'enchantement du soleil et de l'ombre, "ces grandes nappes de soleil répandues sur l’herbe", nous ramènent à nos propres paysages intérieurs si malmenés ces derniers mois par une lecture désespérante du monde. Cette beauté existe pourtant, et pas toujours loin ni dans le temps ni dans l'espace, encore faut-il la voir.




Lu dans:
Vita Sackville-West. L'héritier. Ed. Autrement. 1922 ( 2021 pour l'édition et la traduction actuelles). 158 pages. Extrait p.84.

16 janvier 2022

Empreintes

 

"Je marche éternellement sur ces rivages
entre le sable et l'écume.
Le flux de la marée effacera l'empreinte de mes pas
et le vent emportera l'écume.
Mais la mer et le rivage demeureront
éternellement."
                    Khalil Gibran


L'empreinte de nos pas sur le sable s'efface-t-elle vraiment? Côte-à-côte, un vieil homme, un plus jeune, une toute petite fille longent le bord de mer. Vagues éternelles, vent et sable sur les visages rendent palpable la sensation d'être en vie, et l'enfant en gardera le souvenir à jamais. Avant de la transmettre à son tour, sur la même plage, à d'autres petites filles qui marcheront également à ses côtés, longtemps après que l'écume d'aujourd'hui se soit dissipée. On se prend à rêver face à ces deux formes d'éternité, cette plage et cette mer immuables, ces  humains si fragiles mais qui se prolongeront à-travers d'autres enfants mortels comme eux qu'ils auront marqués de leur empreinte.




Lu dans:
Khalil Gibran. Le Sable et l'écume. Mille et une nuits. Poche. 2001. 112 pages.

15 janvier 2022

Vivre prend du temps

 "Le durable, c’est ce qui est réparable. Ce qui se transmet. Ce qui a une mémoire.  Il y a une notion dans le cuir qu’on aime beaucoup, c’est la notion de patine. L’objet, ce n’est pas tant qu’il vieillit, c’est qu’il se patine. C’est une question de mémoire. Une question très intime aussi parce qu’un sac qui nous revient en réparation ou en nettoyage, on peut presque deviner à qui il appartient, comment il est porté, à la main ou au coude, où il frotte, etc. L’usure et les traces qui s’y trouvent, c’est un supplément d’âme, une histoire, une mémoire, une réalité. (..) Vivre prend du temps, cela prend un temps fou d’arriver à quelque chose de bien, de connaître les gens, de connaître un métier."

                    Olivier Fournier, président de la Fondation Hermès.




Trois photos sépia sur le buffet du modeste appartement, égrenant trois saisons de la vie de cette patiente octogénaire. Comment se peut-il que la dernière me paraisse la plus accomplie, si ce n'est par le récit d'une vie qu'elle reflète, enrichie d'innombrables rencontres, d'un supplément d'âme, d'une empreinte qui fait qu'en filigrane de cette physionomie parcourue par de multiples sillons ce sont cent autres visages, paysages, projets, affections qui s'interpénètrent. La lumière de midi, intense, écrasant les ombres, de la jeune mariée a laissé place à la luminosité rasante qui exalte les reliefs lorsque le soleil se couche. La patine du cuir nous apprend bien des choses sur nous-mêmes.


 

Lu dans:
Julie Huon interviewe Olivier Fournier, président de la Fondation Hermès. Luxe: Hermès, l’éloge du temps long. Le Soir. 3 janvier 2022

12 janvier 2022

La vie gagnante


"À m'asseoir sur un banc, cinq minutes, avec toi
regarder le soleil qui s'en va (..)
et entendre ton rire s'envoler aussi haut
que s'envolent les cris des oiseaux
Te raconter, enfin, qu'il faut aimer la vie
l'aimer même si le temps est assassin
qui emporte avec lui
les rires des enfants
et les Mistral Gagnant." 
                        Renaud
 
 

Le bonheur se contente de peu. Un homme sur un banc parle à sa fille, lui raconte le goût acidulé des Carambars d'antan et des Roudoudous achetés au Mistral Gagnant, cette ancienne confiserie de son enfance aujourd’hui disparue. Paroles sobres que l'on devrait écrire à la main les soirs où trop de nouvelles sombres nous encombrent la tête. Les bonbons qui consolent n'appartiennent pas nécessairement au passé, et les petites filles transparaissent souvent dans les visages croisés au hasard des journées. Ce matin, deux rencontres m'ont permis de gagner ma journée. La première a 90 ans, voûtée comme pas possible, raccourcie de 20 centimètres, elle travaille jour après jour à recopier sur son PC des textes manuscrits qu'elle juge inestimables. La seconde, tout aussi âgée et recroquevillée, se désole en m'accueillant dans sa maison de repos. Elle a perdu son smartphone, recherché en vain depuis son lever, à la fois si peu de choses et à la fois tout. Nous cherchons ensemble, miracle, il a glissé sous le lit, le bonheur se contente de peu.


11 janvier 2022

Sagesse de Rudyard Kipling


"Votre journal annonce mon décès.
Comme vous êtes toujours bien informés, cela doit être vrai. Veuillez donc supprimer mon abonnement, devenu inutile."
                    Rudyard Kipling

 

Qui de nous ne s'est surpris en lisant la nécrologie d'imaginer son propre faire-part? Dans le cas de Rudyard Kipling, immense personnage reconnu de son vivant, l'effet de comique est garanti quand se confrontent en une courte phrase la grandeur (le détachement à la lecture de son propre faire-part de décès) et la grogne (le désabonnement au journal en cause).

 

10 janvier 2022

Avant la pluie


« J’aime la pluie      avant qu’elle tombe
bien sûr     on croit que ça n’existe pas
c’est bien pour ça
que c’est ma préférée.

Une chose n’a pas besoin d’exister
pour rendre les gens heureux. »
            Jonathan Coe




C'était à Calcutta, il y a bien des années durant la saison des moussons, l'étrange expérience de marcher dans un air qui progressivement se liquéfie, court intervalle où se pressent avec certitude "qu'il va se passer quelque chose" qu'on ne pourra éviter. Une telle saturation en humidité qu'elle ne peut que déboucher sur un déluge inondant les rues en quelques minutes. Ces points de rupture sont plus fréquents qu'on l'imagine: le moment juste avant le gel, la lueur dorée juste avant la nuit, ou juste avant le jour. La vie connaît elle aussi ces fulgurances, l'attente anxieuse du premier cri au sortir du sein maternel, ou celle précédant l'émerveillement des premiers pas, le court vertige juste avant de devenir amoureux, l'instant essentiel où on décide de tout quitter pour vivre sa vie, celui du retour quand Ulysse retrouve Pénélope au terme d'un interminable périple, le moment des adieux avant de mourir. Moments reliés par un sentiment d’inéluctabilité, que "ce ne peut être autrement", qu'il faut lâcher prise, et que c'est bien ainsi.
 
 

07 janvier 2022

Ligne de vie

 "Je regarde le gamin, je lui souris, il me regarde, (..) je l’entends me dire: "Il ne faut pas se faire la guerre, pas à soi-même."

                            Alex Lorette
 


Un jour, sur un trottoir du quartier chinois de Singapour, une chiromancienne dessinait son existence à une jeune fille - 17, 18 ans à peine - en laissant son pouce sillonner les lignes de sa main. Je les observais à distance, fasciné par l'expressivité de leur échange. Arrivée à une bifurcation de sa ligne de vie, elle eut un geste signifiant en même temps "c'est à toi maintenant" et "vis ta vie". Puis, écrivant trois quatre mots résumant l'entretien sur un minuscule papier à cigarettes soigneusement enroulé et placé au creux de la main scrutée, elle en referma la paume et l'éleva vers le ciel en un geste d'envol. "Il ne faut plus se  faire la guerre, et surtout pas à toi-même." Il y aura toujours quelqu'un qui courra plus vite, qui sautera plus haut, qui sera plus élégant, plus éloquent, plus riche, de meilleure naissance, plus rapide à la répartie, que nous ne le serons jamais.  S'accepter sans se comparer, placer la barre à la bonne hauteur, savourer ce qui nous été donné est un chemin de sagesse.
Sacrée leçon de médecine que cette consultation de trottoir: ne pas rater l'envol au moment où on se quitte , cet ultime transfert qui rend le futur aimable; résumer l'essentiel en quelques mots placés au creux de la main; ne jamais faire de la ligne de vie une ligne de mort. Je ne revis jamais bien sûr ni la diseuse de bonne aventure ni sa jeune patiente d'un jour, mais les imagine parfois. Elles ignorent évidemment tout de ce qu'elles me transmirent à leur insu. L'empreinte inconnue qu'on laisse dans l'existence des autres, sans même s'en douter, laisse rêveur.


Lu dans:
Alex Lorette. La ligne de partage des eaux. Ed. Lansman. Coll. Poche. 2021. 40 pages.

04 janvier 2022

Les larmes non-versées

 "Si un enfant va mal, il faut toujours avoir un œil sur les autres. Car les bien por­tants ne font pas de bruit, ils s'adaptent (..), épousent la forme des peines sans rien réclamer.Ils seront les gardiens du phare, (..) un sentiment de devoir les guide, ils se tiendront là, vigies dans la nuit."

                         Clara Dupont-Monod
 



Appelé au chevet d'un mourant, toujours commencer par le moins malade en apparence, celui qui vous sourit et vous propose un café, poursuivre par celle qui se confine dans la cuisine, silencieuse; s'enquérir de la petite dernière qui a eu mal au ventre la nuit passée. Terminer par l'agonisant, il n'y a pas d'urgence à mourir. La maladie, cela frappe toute la famille, différemment, successivement. Négliger cette évidence laissera des malades bien-portants, on les appellera résilients, beau mot pour décrire les larmes non-versées.

 

Lu dans:
Clara Dupont-Monod. S'adapter. Stock. 2021. 174 pages. Extrait p.94

03 janvier 2022

Mon précieux


 "Ta douce mélodie me réveille chaque matin
Avant même d'embrasser ma femme je te prends par la main
Puis je te caresse le visage pour voir si tout va bien

Je te partage ma vie         au lieu de la vivre
Tu me partages la vie des autres         pour me divertir
Je ne regarde plus le ciel
Je ne sais plus vivre sans toi 

Ton regard m'a envoûté,
Quand tu vibres
Je perds la tête
comment pourrais-je te quitter
Toi mon précieux         mon précieux         mon précieux."
                Soprano


Et si votre précieux s'appelait s........e


 Lu dans:
Soprano & Djaresma. Mon précieux. Album L'Everest. Parlophone. Warner Music

01 janvier 2022

Agenda page un

"Tournant la page
de mon agenda :
l’étendue des possibles."             
Damien Gabriels


Ce matin, notre rue se réveille aussi déserte et silencieuse que la première page de l'agenda 2022 tout neuf. On guette la minute de soleil ajoutée chaque jour, c'est déjà cela de pris. Et pour le reste, on verra bien.