30 octobre 2022

Jours de novembre

 

"Moment de l'année     où quand l'âge est venu
on vieillit plus vite     où jeune on se sent moins neuf
et avec l'heure d'hiver     les jours sont moins jours
Et puis l'été a eu une arrière-pensée
L'envie de s'attarder de dire au soleil « reste encore »
L'été change d'idée il revient sur ses pas
fait reluire dans le ciel un tout jeune soleil
et la vive clarté d'un matin transparent
On peut attendre un peu     pour croire à l'hiver    
à la fin des beaux jours     à la fin de la fin."
                        Claude Roy


 

Bien sûr, c'est le weekend où on peut dormir une heure en plus, où on gagne une heure de clarté le matin, où on connaîtra le lauréat du Goncourt, le Beaujolais nouveau, la carte du Tour de France, de merveilleuses journées d'été indien, mais tout de même... S'enfiler en si peu de temps Halloween, la Toussaint, le jour des Morts, l’Armistice, la fête du Roi et l'heure d'hiver vous remémore, si vous en doutiez, que l'été est bien fini.



Lu dans: 
Claude Roy. L'étonnement du voyageur. 1987-1989. NRF Gallimard. 1990. 9. 378 pages. p.117

28 octobre 2022

Picasso et l'art abstrait

 « La peinture non figurative (..), cette espèce de sac dans lequel le spectateur peut jeter tout ce dont il veut se débarrasser. »

                    Picasso.



Les rapports entre la peinture de Picasso et l’art abstrait sont restés tendus durant toute son existence. Ne s’étant jamais considéré comme un peintre abstrait, il condamne cette pratique qui supprime le sujet de la peinture et ne serait qu’une mode sans aucune invention essentielle, "ce n'est pas de la peinture, mais de la décoration".  Confrontées à la vision de certaines œuvres de l'artiste, proposées au public par l'exposition temporaire Picasso & Abstraction aux Musées royaux des Beaux-Arts, ces affirmations virulentes me laissent songeur. Où passe la frontière entre l'abstraction et la figuration? Prolongeant ma réflexion, une question me taraude, à la sortie de l'exposition après avoir admiré ce "Nu debout de face" et sa compagne "Female Nude": l'artiste fit-il appel à des modèles dans son atelier pour réaliser ces œuvres?


Female Nude    Female Nude Standing (Femme Nue Debout) - Pablo Picasso -
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Lu dans:
Picasso & Abstraction. Exposition (14.10.2022 > 12.02.2023) Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, rue de la Régence, 3, 1000 Bruxelles

26 octobre 2022

Sagesse de Julien Green

"Paris. 4 avril 1952. Il est hors de doute que j'achète trop de livres. J'en achète presque tous les jours, neufs et d'occasion, français et anglais. Dommage qu'on ne puisse acheter du même coup le temps qu'il faut pour les lire."

                        Julien Green


Passerions-nous nos journées à nous rassurer, à acheter mille et une choses garantes du temps accordé pour leur utilisation? Des livres à lire, des vins précieux à boire, des guides Michelin de pays à visiter, des invitations de conférences à donner? J'ai même assisté à l'achat d'une Jaguar rutilante par un patient le lendemain de sa sortie d'hôpital, qu'une semaine sous respirateur avait arraché à une mort certaine. Il n'avait comme seul projet immédiat que l'acquisition d'une Jaguar pour conjurer la mort, l'argent vaincrait la médecine. Aucun livre n'a jamais ajouté une seule coudée à notre existence, aucun vin n'a prolongé l'ivresse de l'homme en fin de vie, aucune conférence n'a jamais su porter son conférencier au-delà du terme qui lui était assigné. 

La Jaguar de rêve de mon patient ne fit qu'un tour du bloc et s'arrêta doucement en contrebas, un mort au volant. Un autre patient impotent des deux membres inférieurs s'était mis en tête d'acquérir dès son retour à domicile une mini-moto à essence pour laquelle il ne devrait rencontrer aucune difficulté à la surmonter, et ensuite vive la mythique route 66 entre Chicago dans l'Illinois et Santa Monica en Californie, bref la vraie vie qui renaît sous les cendres. Je sus rester discret, assistant à l’arrivée  du petit monstre court sur roue, chevauché par son petit maître dans le garage et qui ne fit ensuite plus le moindre kilomètre. 

Le rêve était sauf, mais je m'interroge encore. Vivre l'utopie à ce point déraisonnable a-t-elle un sens s'il ne se trouve personne pour vous dessiller les yeux, réapprendre et apprécier le rétrécissement des limites, découvrir la lenteur et la prudence, le plaisir d'observer le bétail, les ovins, les chevaux vivant paisiblement leur existence d'animaux domestiques, le vol des oiseaux dont nous tentons de saisir la portée, le plaisir que prend le chien à soudain courir derrière sa queue. 

Il se raconte que le Président Salazar au Portugal, fortement handicapé mentalement par une attaque cérébrale, bénéficia durant quelques semaines  d'un simulacre de conseil des ministres totalement virtuel, afin de lui épargner la désillusion de la perte de son autorité. Est-ce compatible avec la dignité humaine que d'entretenir pareille fiction face au courage simple d'affronter nos derniers mètres vers la sortie?


Lu dans:

Julien Green. Journal 1950-1954 : Le miroir intérieur.  ‎ Le Livre de Poche (1976). 286 pages.


24 octobre 2022

Envol


 "Laissez les enfants rêver
Ne les cassez pas d’avance
Donnez-leur au moins la chance
D’apprendre un jour à voler
Laissez les enfants choisir
Des chemins qui vous dépassent
N’effacez jamais leurs traces
Vous les verrez revenir."
                    Anne Sylvestre
 
 

Repeindre le ciel en bleu

  "Demain, on a une grosse journée. On repeint le ciel en bleu."

                        Robert Charlebois.    
 

 

Une bien grosse bouchée comme disent les Québecqois, tant le ciel est gris et humide, tant on manque d'échelles pour atteindre le plafond, dans lequel se croisent en outre de bien étranges oiseaux. J'ai lu que des experts militaires d'Outre-Qquiévrain se félicitent de tester leur derniers missiles en création dans des conditions de confrontation véritable dans un conflit de haute intensité, et plus seulement sur des plate-formes de simulation. La guerre fait progresser la science, mais ceci la justifie-t-elle pour autant? Il reste des rêveurs s'imaginant préparer les pinceaux pour s'attaquer à la remise à neuf des cumulonimbus. Mais les rêves de 20 ans résistent mal à l'usure du ciel et aux changements de paysage. La restauration risque des retards.





Lu dans :
 Robert Charlebois. On dirait ma femme... en mieux. Gallimard 1999. 202 pages.

22 octobre 2022

Horizon

 "L'horizon n'est pas la limite de la mer, mais celle de nos yeux." 

                            Alric et Jennifer Twice.   





Lu dans :
Alric et Jennifer Twice. La passeuse de mots. Hachette. 2021. 736 pages

21 octobre 2022

Une joie raisonnée

 "Voilà que tout arrive. Le dernier enfant, l'enfant adorée, s'est envolé de la maison. Tout parle de son absence. Les murs se resserrent et ne renvoient plus l'écho de sa voix adorable, ni des cordes de son violoncelle. Dans les pièces vides ne règne aucun désordre, aucun tumulte. L'odeur même de la maison a changé. (..) On reste interloquée, emplie de ces sentiments contradictoires qu'on a connus tout au long de sa vie avec les enfants: l'exaspération, parfois, de trop se voir, de trop dépendre les uns des autres, en même temps que la crainte d'être trop longtemps séparés. Aujourd'hui, reste la joie raisonnée de savoir que leur vie est là-bas." 

                              Françoise Lefèvre



Emouvante description de l'"empty nest syndrome" (le nid vide). Ceux qui s'en vont mesurent-ils le vide qu'ils laissent, l'ombre sur les murs, l'empreinte sur la chaise à table, la chaleur éteinte dans le lit, les voix familières qui s'éteignent? Un patient de la première heure s'étonnait hier "que la maison soit devenue aussi silencieuse, et où sont les vélos?".  Le bruit, la vie qui résonne, les rires qui pouffent se sont simplement déplacés. 


 

Lu dans: Françoise Lefèvre. Souliers d'automne. Editions du Rocher. 2000. 176 pages. Extrait p.170

20 octobre 2022

Un pull géant

 "Ta petite soeur et toi, vous utilisiez un langage codé pour ne pas que votre frère vous comprenne. Le sexe de l'homme, c'est un pull. Le sexe de la femme, une garde-robe. Tu demandes à ta petite sœur comment on sait qu'un pull n'est pas trop grand pour entrer dans une garde-robe et si un pull trop grand peut casser la porte d'une garde-robe. Votre frère rit et dit: C'est un pull géant, ton pull ? " 
                Lisette Lombé



Ou comment dire les choses sans les nommer.  Je véhiculai un jour une sizaine de gosses qui pouffaient en permanence en évoquant "cent patates". Je ne compris rien à leur récit, si ce n'est que ce devait être fort drôle, et totalement codé. Cela leur appartenait, et j'en étais exclu, ce qui ajoutait sans doute à leur plaisir. Remplacer un mot par un autre, et en modifier complètement la signification, permet de créer un univers dans lequel ne pénètrent que les initiés. 



Lu dans:
Lisette Lombé. Venus poetica. L'Arbre à paroles - Maison de la poésie d'Amay. 2020). 70 pages

19 octobre 2022

La phrase cachée

 "Une seule phrase compte dans un livre. Il n'est pas donné à celui qui écrit de savoir laquelle."

                            Françoise Lefèvre.

 



Incertitude de la transmission. On écrit, on parle, on donne à voir comme l'agriculteur sème, au vent, à l'aveugle, confiant dans sa terre. Il a sélectionné les meilleures graines, choisi le meilleur jour, le meilleur vent. Le reste ne lui appartient plus, mais il dort en paix car il a fait sa part au mieux. Transmettre c'est lâcher prise.




Lu dans:
Françoise Lefèvre. L'or des chambres. Éditions du Rocher. 256 pages. Extrait p.131

18 octobre 2022

Images de Piéta


"Je voudrais que ma fille me revienne
même radicalisée jusqu'à la moelle
même fichée, même déchue de tous ses droits
Qu'elle me revienne
même abîmée, même suante
Qu'elle me revienne
même nue, même rampante
La serrer tout contre moi
même dans un sac, même dans une boîte
Qu'elle sache qu'elle avait raison
pour l'inépuisable beauté du monde
pour l'humanité qui ne renonce en personne
pour l'amour, pour la révolte
pour la magie et pour l'exil.

La serrer tout contre moi
même dans un sac, même dans une boîte.
Et lui demander, lui murmurer, lui chuchoter :
Pardon. " 
                    Lisette Lomblé

 



Une image me revient à la lecture de ce texte de souffrance. Elle est ancienne, emblématique, lumineuse: la Piéta de Michel Ange, une mère en détresse qui étreint le corps de son fils, mort, et se demande par quel chemin d'obscurité elle a pu en arriver là. 



 

Lu dans: 
Lisette Lombé. Brûler brûler brûler. Éditions Iconoclaste. 2020. 80 pages

17 octobre 2022

Par les flammes

 

"Si le feu brûlait ma maison, qu'emporterais-je?
J'aimerais emporter le feu"
                Jean Cocteau


 


C'est un Cocteau désabusé par son époque qui parle, phrase incompréhensible si ce n'est pour celui qui a tout perdu. Nous fûmes un jour réveillés la nuit par l'incendie d'une maison quasi mitoyenne, saoulés par le bruit, la chaleur, la lumière du brasier et par l'étendue de l'essentiel calciné en quelques instants. On soupçonna une allumette jalouse enflammant l'édredon, le mari enfui, l'épouse habillée d'une fine chemise de nuit tenant par la main une petite fille et son ours. Que tant de trésors, accumulés avec patience puissent se désintégrer dans l'instant est une leçon qui trace. Que cette violence puisse déboucher sur une nouvelle existence - deux ans plus tard on revit la sinistrée à la caisse d'une grande surface, avec un nouvel ami - témoigne que le feu est bien ce qu'on emporte. 


.



Lu dans:
Jean Cocteau. Clair Obscur. Poésie.1954. Editions du Rocher. 208 pages

15 octobre 2022

Un enfant à sa fenêtre


"En ce moment même
dans les rues, les open spaces, le métro, les amphis
des millions de romans s'écrivent dans les têtes
chapitre par chapitre
effacés, repris et qui meurent tous
d'être réalisés ou de ne pas l'être."
                        Annie Ernaux

 


Je fus un enfant fasciné par la contemplation du firmament: tous ces mondes côte à côte dans la nuit, que s'y passait-il, et s'y trouvait-il  un enfant comme moi qui regardait ma planète?  Cette semaine dans ma ville, je contemplais les passants, imaginant les romans véhiculés dans leurs têtes. Toutes ces vies qui s'entrecroisent sur le piétonnier encombré, qui rêvent à leur passé, se créent un avenir, pleurent un amour, craignent pour leurs enfants, pensent aux rivages ensoleillées de leur pays d'origine ou plus prosaïquement au repas qu'ils prépareront ce soir. Mon firmament se serait-il à ce point rétréci avec les années? Ou comme les fractales, se serait-il infiniment morcelé, donnant à voir à l'échelle de mon expérience actuelle l'entièreté de l'univers dans ces humains qui partagent mes rues et ma ville?


Lu dans :
Annie Ernaux. Mémoire de fille. NRF. Gallimard. 2016. 160 pages.

12 octobre 2022

Le vieux scarabée

 "Sortant d'Auchan, un très vieil homme plié en deux, flottant dans un imperméable, avance tout doucement avec une canne en traînant des chaussures avachies. Sa tête tombe sur la poitrine, je ne vois que son cou. De la main libre, il tient un cabas hors d'âge. Il m'émeut comme un scarabée admirable venu braver les dangers d'un territoire étranger pour rapporter sa nourriture."

                                Annie Ernaux



Lu dans:
Annie Ernaux. Regarde les lumières, mon amour. Éditions Raconter la vie. 2014. 84 pages.

Lapins de chasse

 "La guerre, c'est comme la chasse, sauf qu'à la guerre, les lapins tirent."
                                    Charles de Gaulle

              
 



On sourit: les bons mots égayent la vie, surtout quand ils suggèrent Walt Disney et ses lapins coquins. Drôle de chasse quand même, quand les fusils des lapins s'appellent Iskander, Totchka-U, Kh-101, Kh-555, Kalibr Grad, Smerch, missiles tout neufs et vieilles roquettes dont il est tombé une centaine d'exemplaires en une seule journée sur 23 villes en Ukraine. Qu'en pensent les chiens, les garde-chasse, les chevaux, les  piqueux, pris entre ces tirs croisés? Que ni la chasse ni la guerre ne font le bonheur des lapins.


11 octobre 2022

Un temps où on chantait

 "Comment sommes nous présents dans l'histoire des autres, leur mémoire, leurs façons d'être, leurs actes mêmes ?"

                            Annie Ernaux

 


D'où nous reviennent les images sépia qui volètent dans nos têtes? C'était il y a soixante ans, avec nos grands parents nous attendions papa à la sortie des bureaux, serrés dans la Ford familiale. La veille, ils avaient été écouter "leur" môme, Edith Piaf, aux Palais des Beaux-Arts, de retour sur scène à l'issue d'une longue hospitalisation, ravagée par les excès.  Petit moineau malingre dans sa robe noire, elle occupait la grande salle et le cœur de son public comme personne auparavant ne l'avait fait. Ma grand-mère nous chantait de mémoire dans la voiture "Non je ne regrette rien" et "Milord", puis nous en racontait la trame, émue comme si c'était sa propre existence. Silencieux, nous tendions l'oreille comme si Piaf elle-même était avec nous, sans mesurer à quel point le souvenir de ces moments simples s'incrusterait. Et je m'interroge: quelle image, quelle saveur, quelle phrase issues de notre quotidien banal seront-elles évoquées peut-être dans soixante ans par un enfant d'aujourd'hui qui en aura fait son miel?


Lu dans:
Annie Ernaux. Mémoire de fille. Gallimard. NRF. 2016. 160 pages.

09 octobre 2022

Sagesse de la bulle de savon


"La bulle de savon
tout le possible atteint
tout le parfait vécu
dès le souffle qui veut

Rien de plus rond, plus lisse
mieux clos
mieux irisé, plus céleste
mieux réel

Rien de mieux
pour dire
soudain
sans bruit
que tout
n'est plus rien.
                Robert Mallet






Est-il possible d'avoir peur d'être heureux ? Cela porte même un nom, la chérophobie, décrite comme la peur de ressentir du bonheur puis de tout perdre. Antichambre du malheur, la réussite est ainsi ressentie comme ayant forcément un prix à payer. C'est grave, docteur? Pas nécessairement mais cela gâche la vie. Cela se soigne? Par la prévention, éviter le bonheur, mais c'est dommage. Ou alors s'exercer à faire des bulles de savon, nombreuses, tout le temps, et observer à quel point leur destruction même est belle, et laisse la place à tant d'autres encore et encore.




Lu dans:
robert Mallet. L'ombre chaude. Poèmes. NRF Gallimard. 1984. 110 pages. Extrait p.26

08 octobre 2022

Un autre mot pour la résilience

 "Kintsugi. Art japonais qui permet de recoller les morceaux d'un vase brisé." 

                Au-delà des mots



Il est des mots qui chantent. Kintsugi, par exemple, ou "jointure en or" en japonais. C'est une méthode ancestrale de réparation des porcelaines ou céramiques brisées, utilisant de la laque dorée qui sublime les fêlures de l'objet et le rend plus beau que lorsqu'il était  intact. Après la brisure, les morceaux sont patiemment réassemblés pour lui redonner une seconde vie, comme une renaissance sublimant ce qui a été cassé. Au lieu de chercher à cacher les fêlures, elle les met en valeur. Elle nous enseigne qu'un accident de la vie n’est pas forcément synonyme d’échec, mais peut être l’occasion d’une véritable renaissance.


Kintsugi: Gold-dusted lacquer restoration | Japan House London

 
 

07 octobre 2022

La reconnaissance d'un Nobel

 "Le temps de l'attente à la caisse, celui où nous sommes le plus proche les uns des autres. Observés et observant, écoutés, écoutant. (...) Exposant comme nulle part autant, notre façon de vivre et notre compte en banque. Nos habitudes alimentaires, nos intérêts les plus intimes. Même notre structure familiale. Les marchandises qu'on pose sur le tapis disent si l'on vit seul, en couple, avec bébé, jeunes enfants, animaux... "

Annie Ernaux






Qu'on soit issue d'une région pauvre de France, de parents modestes, que rien ne vous prédestine à écrire, ni à être reconnue, et recevoir le Prix Nobel de Littérature constitue une sacrée surprise. Méritée quoiqu'en pense la lauréate, qui lors d'une interview en août 2022
espérait bien "que ce malheur ne lui arrive jamais."



Lu dans:
Annie Ernaux; Regarde les lumières, mon amourFolio 2016. 112 pages. Extrait page 47. Prix Nobel de littérature 2022. 

05 octobre 2022

Poésie des berges


"L'eau prend la forme
de ce qui la contient."
                Robert Mallet



Soudain me revient l'image du Saint Laurent dont les berges s'estompent dans la brume au moment précis où il redevient océan. Comme nos vies, qui rejoignent l'infini quand à la fin du parcours le jour se confond à la nuit. 



Lu dans:
Robert Mallet. Presqu'îles Presqu'amours. Poèmes. NRF. Gallimard. 1986. 126 pages. Extrait p.78

04 octobre 2022

Combien d'échecs pour un miracle?

 "Ce qu'i y a de plus incroyable avec les miracles, c'est qu'ils arrivent."       
                             Chesterton

                  
 


Mais peut-être pas à tout le monde. Le miracle - toute notion de transcendance écartée - ne tombe pas du ciel mais récompense celui qui y croit tant que - d'échec en échec - il se rapproche de l'inévitable réussite. Avec un peu de chance tout de même, qui est la cerise sur le gâteau.


Lu dans:
Raphaëlle Rérolle . L’homme aux 40 000 livres . Le Monde 29 septembre 2022

02 octobre 2022

Une extrême amitié

"La définition du paradis, c’est d’être un lieu que vous perdez.»   
Alberto Manguel

          



"Je vis un rêve éveillé". Veuve, elle retrouve un cousin qui la séduit en 24 heures. Journaliste sportif de renom, il s'est établi dans le sud de la France pour sa retraite. Il conduit son cabriolet comme un dieu, il lui raconte les mille et une péripéties du Tour de France qu'il a suivi pendant trente ans, l'invite dans les plus beaux restaurants de la région, la fait rêver dans sa propriété du Lot-et-Garonne: le gris d'une vie antérieure et besogneuse se déchire par une éclaircie inattendue. Elle le rejoint définitivement, n'emportant qu'un minimum dans ses bagages: quelques livres que je lui prête-donne, dont Le Petit Prince et Une extrême amitié d'Henri Troyat, vivante description de ce qu'elle a vécu, ses albums-photos, quelques habits adaptés au climat local et du rêve plein les yeux. Les mois passent trop vite, elle m'annonce que son compagnon est atteint d'une maladie d'Alzheimer, qui l'emporte rapidement. Un an plus tard, une secrétaire municipale attentionnée me téléphone pour m'annoncer son décès, et qu'elle m'envoie un petit colis de livres et d'albums photos, exécutant ainsi ses dernières volontés. Je retrouve l'exemplaire du Petit Prince et le Troyat, annotés "Je ne regrette rien, c'était si beau, merci pour tout."  Il n'est de bonheur éternel, mais cela n'en diminue en rien l'intensité. 



Lu dans:
Raphaëlle Rérolle . Alberto Manguel. L’homme aux 40 000 livres . Le Monde 29 septembre 2022