11 octobre 2022

Un temps où on chantait

 "Comment sommes nous présents dans l'histoire des autres, leur mémoire, leurs façons d'être, leurs actes mêmes ?"

                            Annie Ernaux

 


D'où nous reviennent les images sépia qui volètent dans nos têtes? C'était il y a soixante ans, avec nos grands parents nous attendions papa à la sortie des bureaux, serrés dans la Ford familiale. La veille, ils avaient été écouter "leur" môme, Edith Piaf, aux Palais des Beaux-Arts, de retour sur scène à l'issue d'une longue hospitalisation, ravagée par les excès.  Petit moineau malingre dans sa robe noire, elle occupait la grande salle et le cœur de son public comme personne auparavant ne l'avait fait. Ma grand-mère nous chantait de mémoire dans la voiture "Non je ne regrette rien" et "Milord", puis nous en racontait la trame, émue comme si c'était sa propre existence. Silencieux, nous tendions l'oreille comme si Piaf elle-même était avec nous, sans mesurer à quel point le souvenir de ces moments simples s'incrusterait. Et je m'interroge: quelle image, quelle saveur, quelle phrase issues de notre quotidien banal seront-elles évoquées peut-être dans soixante ans par un enfant d'aujourd'hui qui en aura fait son miel?


Lu dans:
Annie Ernaux. Mémoire de fille. Gallimard. NRF. 2016. 160 pages.

Aucun commentaire: