31 décembre 2013

Saut d'année


"Cette graine que je tiens
dans le creux de ma main
qu'en naîtra-t-il     demain
un roseau     ou un chêne
quelque plante de jardin
(..) pourvu que je lui trouve
bonne terre     qui la couve.
Ainsi         bonne graine
attends

(..) Cet amour     que tu tiens
dans le creux de ta main,
qu'en naîtra-t-il demain
mon bonheur      ou ma peine
ou mes regrets       
        sans fin. "
        E. Granek

Dans quelques heures se tourne la page d'une année. Que nous réserve la suivante? Savourons le bonheur de l'ignorer encore et de nous souhaiter le meilleur.
Bonne et heureuse année 2014

Lu dans :
Esther Granek. Portraits et chansons sans retouches. Préface de Flora Groult. Ed. Saint-Germain des Prés. 1976. 61 pages. Extrait p.20

29 décembre 2013

Par temps clair de fin décembre


"Par temps clair, hiver pur, été sec, la plus belle lumière est celle de la fin du jour, rasante, intense, dorée, sœur vive des ombres longues et promesse du repos de la vie. Rembrandt suggère qu'il peut y avoir des fins de vie éclairées de cette lumière-là, vies de vieux hommes « rassasiés de jours », et que douleur, joie et sagesse ont passées au tamis."
Claude Roy

Belle description de la lumière rasante de cette fin d'après-midi, par temps pur. Une poule faisane échappe sous nos yeux au tir croisé de cinq chasseurs, laissant leur chien rapporteur bredouille. On rit sous cape, en voilà une qui aura des choses à raconter à son faisan ce soir. La tempête a abattu un vieux sapin lui aussi "rassasié de jours", la tronçonneuse lui donne une seconde vie sous forme de bûches qui rougiront dans l'âtre. Une journée ainsi s'achève, comme l'année, tissée de récits et d'événements minimes qui ensemble forment la toile contrastée de nos vies. 


Lu dans :
Claude Roy. La fleur du temps. Ed Gallimard 1988. NRF. 357 pages. Extrait p.330


"En moi
ce besoin
de poser l'oreille
contre terre
D'écouter cogner
le coeur du monde
Pour entendre
le mien."
L. de Groot


Lu dans: 
Louisa de Groot. Le Parloir. Ed. Traces de vie. 2005. 100 pages. Extrait p.98

28 décembre 2013

Art et dérisoire


"Chacun apprend les répliques de son rôle
sans pouvoir lire la pièce en entier
on joue mal on joue bien
parce qu'on ne connaît pas le sujet ."
 Robert Mallet

Une découverte du nouveau centre culturel de Dunkerke, battu par les embruns de la mer du Nord qui le borde, laisse rêveur. Entre un miroir que l'artiste a arrosé de son sperme pour l'immortaliser et une chaise Ikea oubliée dans un coin, l'esprit se repose. Mal nous en prend si nous tentons de nous y mettre, délogé aussitôt par un gardien hilare qui nous intime "qu'on ne s'assied pas sur une oeuvre d'art". Il en rit tant lui-même que je doute qu'il soit dupe, mais fait ce qu'on lui demande de faire et on le comprend bien. J'en sors avec l'impression d'un monde atteint d'une intense lassitude, ayant érigé l'insignifiant et le dérisoire en sublime, me récitant quelques phrases de Beckett ou de Marcel Marien pour qui  "il manque au monde le commencement et la fin. Nous vivons dans le reste."

Lu dans :
Robert Mallet. L'ombre chaude. NRF. Gallimard. 1984. 110 pages. Extrait p.78
Frac . Fond Régional d'Art Contemporain. 503 Avenue Bancs de Flandres, 59140 Dunkerque. Téléphone :03 28 65 84 20 http://www.fracnpdc.fr/

27 décembre 2013

La fièvre de tous les soirs


« C’est la fièvre de la jeunesse qui maintient le monde à la température normale. Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents. "
Georges Bernanos

Un long entretien consacré aux enfants difficiles hier en radio m'a remis la phrase de Bernanos en mémoire. Ces mômes qui ne tiennent pas en place, hurlent, tirent la langue quand on leur parle, paraissent ne rien entendre ni ne rien saisir de ce qu'on leur demande seraient-ils atteints de la fièvre évoquée par Bernanos, ou gagnés par la simple agitation d'une société qui ne se pose jamais? Hypothèse plausible, mais comment expliquer dans ce cas qu'au sein d'une même fratrie tant de différences se notent. Une hyperactivité sans projet et sans cadre réchauffe-t-elle le monde ou l'épuise-t-elle au même titre qu'elle épuise les parents de ces marsupulamis bondissants sans cesse. Faute de les comprendre, il nous reste à les aimer, car plus que d'autres sans doute ils en expriment le besoin. 

Entendu à :
O Positif 26/12/2013 - ADN - Comprendre les enfants difficiles
http://www.rtbf.be/radio/player/lapremiere?id=1881353&e=

26 décembre 2013

Sagesse d'Epicure


"Ce n'est pas tant l'intervention de nos amis qui nous aide mais le fait de savoir que nous pourrons toujours compter sur eux."
Epicure



24 décembre 2013

La promesse de l'aube


"Sempre caro mi fu quest'ermo colle
E questa siepe, che da tanta parte
Dell'ultimo orizzonte il guardo esclude."
    Giacomo Leopardi. L'infinito

« Toujours chère me fut cette colline  
Solitaire; et chère cette haie
Qui refuse au regard tant de l'ultime
Horizon de ce monde. »
    L'infini, trad. Yves Bonnefoy

La vie qui s'écoule m'a appris à apprécier l'obscure clarté d'un ciel étoilé autant que la transparence de l'heure de midi, les tons mordorés du soleil qui se couche et le decrescendo des instruments qui, un à un, quittent la scène. La limite de toute chose, les zones d'ombres, la décroissance deviennent des compagnons aimables. On découvre que la nuit la plus profonde, de par la promesse de l'aube, peut avoir un goût de nuit de Noël, de fête intime partagée, de rêves d'avenir comme autant d'invisibles richesses. Fragile trêve dans une année qu'on vous souhaite heureuse. 

Lu dans:
Leopardi cité par Jean Clair, Les derniers jours. Gallimard NRF. 2013 346 pages. Extrait p.123

23 décembre 2013

On n'achète pas l'amitié d'un Mermoz


"La grandeur d'un métier est peut-être, avant tout, d'unir des hommes:  (..) on n'achète pas l'amitié d'un Mermoz."
A. de Saint Exupéry.

Sans avoir été pilote à l'Aérospatiale, j'eus la chance de pratiquer un métier qui m'a fait rencontrer des Mermoz. Comme le décrit le père du Petit Prince, si je cherche dans mes souvenirs ceux qui m'ont laissé un goût durable, si je fais le bilan des heures qui ont compté, à coup sûr je retrouve celles que nulle fortune ne m'eût procurées. Il connut bien sûr, privilège des as du ciel, "ces nuits de vol et leurs cent mille étoiles, cette sérénité, cette souveraineté de quelques heures, que l'argent n'achète pas. Cet aspect neuf du monde après l'étape difficile, ces arbres, ces fleurs, ces femmes, ces sourires fraîchement colorés par la vie qui vient de nous être rendue à l'aube, ce concert des petites choses qui nous récompensent". Je connus ces matins lumineux au retour d'une visite de nuit au chevet de vieux patients qui se sont éteints à l'aube, ces fins de consultations où, fourbu, on rejoint ses proches attablés, ces réveillons de l'an où se révélaient toutes les détresses de la ville: que de journées anonymes où, peut-être, j'ai soigné Beethoven. La contrainte stimulante d'une profession qu'on aime, par les rencontres qu'elle autorise, est à elle seule déjà un salaire. 

Lu dans :
Antoine de Saint-Exupéry. Terre des hommes. Gallimard 1939. Folio 21. 183 pages. Extrait pp 35-36

21 décembre 2013

Appelés à migrer


"Quand passent les canards sauvages à l'époque des migrations, ils provoquent de curieuses marées sur les territoires qu'ils dominent. Les canards domestiques, comme attirés par le grand vol triangulaire, amorcent un bond inhabile. L'appel sauvage a réveillé en eux je ne sais quel vestige sauvage. Et voilà les canards de la ferme changés pour une minute en oiseaux migrateurs. Voilà que dans cette petite tête dure où circulaient d'humbles images de mare, de vers, de poulailler, se développent les étendues continentales, le goût des vents du large, et la géographie des mers. L'animal ignorait que sa cervelle fût assez vaste pour contenir tant de merveilles, mais le voilà qui bat des ailes, méprise le grain, méprise les vers et veut devenir canard sauvage."
A. de Saint-Exupéry

Aujourd'hui c'est l'hiver, et l'heure où les uns et les autres ramènent bulletins et évaluations à leur domicile, fiers ou penauds. Le paradoxe est que ces derniers auront parfois été les plus méritants, n'est pas doué qui veut. Rude tâche que de mener un apprenant vers la connaissance et lui faire découvrir le bonheur de découvrir l'inconnu. Enseignants-passeurs demandés, capables de susciter l'envie d'apprendre chez ces petits canards domestiques qui "ignorent que leur cervelle fût assez vaste pour contenir tant de merveilles."


Lu dans :
Antoine de Saint-Exupéry. Terre des hommes. Gallimard 1939. Folio 21. 183 pages. Extrait pp 169-167

19 décembre 2013

Déconstruire l'oubli

"Nos souvenirs, on les garde, ils se baladent, ça flotte, ça traîne, ça s’échange… Puis, à un moment donné, on en attrape quelques-uns, on lie une image et une émotion [comme] pour en faire un petit gâteau. (..) Pour y arriver, il faut le faire avec des choses qui ont du sens pour vous. Quand on fait répéter des suites de chiffres à des personnes âgées, c’est d’une crétinerie absolue. Comment voulez-vous vous souvenir de chiffres qui n’ont aucun sens? Il faut que cela ait du sens, que cela apporte quelque chose. (..) L’oubli a ses vertus. Pour être créatif, il faut avoir oublié. L’oubli rend disponible à tout ce qui peut arriver, aux découvertes, aux surprises, à la curiosité, à l’innovation. "
Simon-Daniel Kipman.



Lu dans:
Simon-Daniel Kipman. L'oubli et ses vertus. Albin Michel. 2013.

17 décembre 2013

Une main nue

"Il n’aurait fallu qu’un moment de plus
Pour que la mort vienne
Mais une main nue alors est venue
Qui a pris la mienne."
     Aragon

Serré combien de mains aujourd'hui, geste convenu ou amical. Parmi elles,peut-être une pour laquelle nous fûmes cette "main nue" lui permettant de redémarrer. Cela vaut la peine de se lever le matin.


16 décembre 2013

Insaisissables amours

"L'amour reste à l'épreuve du temps
Le trouver, c'est le chercher sans cesse
L'attendre, le saisir un instant
S'en souvenir pour qu'il reparaisse"
Charles Dumont

Il faut être moine-poète à Scourmont pour parler de l'amour avec pareille justesse, ou Marguerite Duras, qui n'eurent pas tout-à-fait la même vie et disent pourtant la même chose  "Tu es comme mille femmes ensemble ..." / "Cela ne me déplaît pas, d'être mille femmes ensemble pour toi." (Hiroshima mon amour)

Lu dans :
Gabriel Ringlet. Effacement de Dieu. Albin Michel 2013. 297 pages. Extrait p.196
Elizabeth Connor. Charles Dumont: Monk-Poet: A Spiritual Biography. Cistercian Publications. 2007. p. 173-187. 229 pages. Extrait p 173-187

Une vie en panne, faute de vent

"Nous ne demandons pas à être éternels, mais à ne pas voir les actes et les choses tout à coup perdre leur sens, (..) semblables à un voilier en panne, sans vent, sur la mer."
    Antoine de Saint-Exupéry. Vol de Nuit.

L'image du voilier en panne, faute de vent, est belle. Surgissent de notre passé ces souvenirs de Bretagne, de "ces petites villes d'autrefois qui entendaient parler des îles et se construisaient un navire, pour le charger de leur avenir, pour que les hommes puissent voir leur espérance ouvrir ses voiles sur la mer." L'émission Thalassa a suivi durant de longs mois une famille en projet de construction d'un voilier, finalement mis à l'eau et confié au large. De quels navires sommes-nous les rêveurs?
       
Lu dans:
Antoine de Saint-Exupéry. Vol de Nuit. Préface d'André Gide. Prix Femina (1931). Gallimard 1931. 178 pages. Extrait p.156

12 décembre 2013

Dunes à l'infini

"A beau chameau, vaste désert."
Achille Chavée

Je ne l'ai connu que rouspétant contre un fils qu'il décrit ingrat, des voisins bruyants, des amis qui le dénigrent, la fausseté de son chat, le curé devenu black. Sa viande est devenue dure, ses lunettes faiblissent, les prothèses acoustiques deviennent inabordables, le dentier est inadapté par malice du prothésiste dentaire. Il traverse sa fin de sa vie dans une solitude construite à petites touches... "par la faute des autres". Comme il le résume avec un humour glacé "je les déteste, et il me le rendent bien."  


11 décembre 2013

"Il ne faut pas oublier de se souvenir."
Sagesse des comptoirs

Phrase de poivrot ou de poilu, elle m'a fait sourire ce matin.

Lu dans:
Jean-Marie Gourio. Le grand café des brèves de comptoirs. Laffont 2013. 925 pages.

10 décembre 2013

"J'étais si près de toi
que j'ai froid près des autres."
        Paul Eluard. Ma morte vivante.


07 décembre 2013

Sâges

"La sève est toujours jeune."
Gilles Baudry

Ces mots simples prennent vie quand on revoit Mandela dansant à l'aube de ses 90 ans.

Lu dans:
Gabriel Ringlet. Effacement de Dieu. Albin Michel 2013. 297 pages. Extrait p. 108

06 décembre 2013

Mandela dies

"Et dans la tendre mort le capitaine entra vivant encore."
Joseph Kessel

Nelson Mandela est mort ce matin.


Lu dans :
Joeph Kessel. L'équipage. Gallimard 1924. Le Livre de Poche n°83. 250 pages. Extrait p.231

04 décembre 2013

Etoile d'araignée


Comme l'araignée
tisse sa toile
Quand la rosée
s'égoutte sur ses fils
goutte à goutte
dès le premier soleil
Sa toile
devient étoile
au lieu
d'un piège à mouches
Et je l'envie
   Louisa de Groot


Lu dans:
Louisa de Groot. Le Parloir. Ed. Traces de vie. 2005. 100 pages. Extrait p.42    

03 décembre 2013

Sagesse de Sun Tzu

"Dans la guerre, le nombre seul ne procure aucun avantage."
Sun Tzu

On a écrit que Napoléon et le duc de Wellington étaient des patrons de terrain. Wellington reconnaissait la valeur de son adversaire: "Sa présence sur le champ de bataille comptait autant que 40.000 hommes." Pour l'affronter, il se devait d'être lui aussi près de ses soldats, ce qu'il fit avec succès. Conseils avisés que reprend Louis Ferrante dans son petit manuel "Les règles d'or de la Mafia", dont on recommandera la lecture à tous les dirigeants, ainsi que celle de Sun Tzu ( VIème siècle av. J.-C), qui décrit l'attitude à adopter face à la victoire: "Traitez bien les prisonniers, nourrissez-les comme vos propres soldats ; faites en sorte, s'il se peut, qu'ils se trouvent mieux chez vous qu'ils ne le seraient dans leur propre camp, ou dans le sein même de leur patrie. Ne les laissez jamais oisifs, tirez parti de leurs services avec les défiances convenables, et, pour le dire en deux mots, conduisez-vous à leur égard comme s'ils étaient des troupes qui se fussent enrôlées librement sous vos étendards. Voilà ce que j'appelle gagner une bataille et devenir plus fort." 




Lu dans:
Louis Ferrante. Les règles d'or de la Mafia. Les Editions de l'Homme. 2012. 270 pages. Extrait p. 193
Sun Tzu. L'art de la guerre. Flammarion Poche.  1999. 266 pages.

01 décembre 2013

Entre loisirs et travail

"Les mendiants ne travaillent pas, dit-on. Mais alors, qu'est-ce que le travail? Un terrassier travaille en maniant un pic. Un comptable travaille en additionnant des chiffres. Un mendiant travaille en restant dehors, qu'il pleuve ou qu'il vente, et en attrapant des varices, des bronchites, etc. C'est un métier comme un autre. Parfaitement inutile, bien sûr - mais alors, bien des activités enveloppées d'une aura de bon ton sont elles aussi inutiles. [ ... ] Un mendiant, à voir les choses sans passion, n'est qu'un homme d'affaires qui gagne sa vie comme tous les autres hommes d'affaires, en saisissant les occasions qui se présentent. Il n'a pas plus que la majorité de nos contemporains failli à son honneur: il a simplement commis l'erreur de choisir une profession dans laquelle il est impossible de faire fortune".
George Orwell

Qu'est-ce qu'un travail? Intéressante réflexion poursuivie sur le mode de l'autodérision par le philosophe Lars Svendsen qui s'observe au quotidien (il est professeur de philosophie à l'université de Bergen en Norvège), restant parfois quelques jours à la maison en "home working" plutôt que de se rendre à son bureau, passant ses journées sur le divan du salon, ses chats sur les genoux, à siroter son café et à fumer des cigarettes tout en lisant un livre tellement intéressant et distrayant qu'il l'aurait lu de toute façon pendant son temps libre. "Aristote n'aurait pas vu le moindre travail dans ce que je fais; il aurait plutôt considéré cela comme du loisir. Ce n'est qu'assez récemment dans l'histoire de l'humanité, avec l'émergence des professions intellectuelles, que ce que je fais a commencé à être qualifié de métier. " Certains se retrouveront dans cette description, d'autres pas. Par ailleurs, je connais des papys et des mamys dont le quotidien est réglé par un horaire et une liste de prestations soutenant la comparaison avec des travailleurs plein-temps. On a rencontré hier un tandémiste pour aveugle bénévole et une dentellière dont les prestations égalent les miennes en termes d'horaire: travail? pas travail? Assez philosophé pour aujourd'hui, au boulot :).  



Lu dans:
Lars Svendsen. Work. Acumen Publishing 2008. Le travail. trad Léa Drouet. Autrement. 2013. 195 pages. Extrait p.15
George Orwel. Dans la dèche à Paris et à Londres (Down and out in Paris and London). Livre autobiographique de George Orwell (1933). Ed 10/18. 2003; 290 pages

30 novembre 2013

Why ?

"Tiger got to hunt
Bird got to fly
Man got to sit
and wonder « why, why, why? »
        Kurt Vonnegut Jr

«Le tigre chasse
l'oiseau vole
l'homme s'assied et se demande
"pourquoi, pourquoi, pourquoi ?"
 

 
Lu dans:
Matthieu Méguevand. Ce qu'il reste des mots. Fayard/ 2013. 211 pages. Extrait p. 84-85 

28 novembre 2013

On n'a pas de cyclones toutes les nuits

"Une fois la route tracée, on ne peut pas ne plus poursuivre."
A. de Saint-Exupéry. Vol de nuit

Un pilote ne répond pas, perdu dans la tempête au-dessus de la Patagonie après avoir épuisé ses ressources de carburant. Un silence de mort se répand sur le petit aéroport. Mais la vie continue, au même moment le courrier d'Asuncion signale qu'il va atterrir. Même aux pires heures, un vol heureux annonçe par ses télégrammes mille autres vols aussi heureux. On n'a pas de cyclones toutes les nuits. (..) Victoire, défaite, ces mots n'ont point de sens. La vie est au-dessous de ces images, et déjà en prépare de nouvelles. Une victoire affaiblit un peuple, une défaite en réveille un autre. (..) Dans cinq minutes les postes de T. S. F. auront alerté les escales. Sur quinze mille kilomètres le frémissement de la vie aura résolu tous les problèmes. Déjà un chant d'orgue monte : l'avion d'Asuncion pointe à l'horizon. 

Certains soirs, on a besoin de relire pareilles lignes, qui paraissent écrites pour demain.
 
 

Lu dans:
Antoine de Saint-Exupéry. Vol de Nuit. Préface d'André Gide. Prix Femina (1931). Gallimard 1931. 178 pages. Extrait p.174

26 novembre 2013

Des racines et des chaînes

"Une vie se passe. Dix ans ans en pensionnat, dix en maison de repos, et entre les deux quarante ans à la chaîne dans une fabrique de tirettes. Cela laisse peu d'espace pour vivre." 

Renée (81) sourit en ajoutant qu'elle ne va pas se plaindre, "quand on voit toutes ces horreurs au journal le soir... Et puis heureusement il y a Des racines et des ailes et Thalassa."   Petite fille, petite vieille qui - comme le disait joliment Chateaubriand - portez en vous toute l’immensité, vous m'aurez appris à vivre.  



"Chaud quand il fait froid, frais quand il fait chaud."
Publicité d'abribus (Cécémel)

On aime croiser un homme (une femme) qui a ces qualités.
   

24 novembre 2013

Tout homme est un marin

"Vos mères vous ont dit que les phares sont là pour éclairer l'océan; n'en croyez rien, ils sont là pour dire aux marins où ils sont."

On prête la phrase à Tabarly, qui tenait ces mots de son professeur de navigation. Un marin perdu est un naufragé en puissance, et les gardiens de phare n'ont eu de cesse au fil des siècles de conquérir, voire d'apprivoiser ces cailloux isolés et massacrés par les déferlantes. Ici comme ailleurs, la machine a progressivement remplacé l'être humain, et la présence rassurante pour les marins d'un homme, oublié comme eux au milieu de la tourmente des flots déchaînés, se fait rare: si les phares guident toujours les navigateurs, le plus souvent ils n'abritent plus de gardien. Il demeure que l'image est belle, de ces hommes perdus dans la détresse s'accrochant au fanal lointain près duquel il devinent un autre homme, affrontant les mêmes vents et les mêmes vagues. 

23 novembre 2013

L'appel de la lumière

"Et maintenant, au cœur de la nuit comme un veilleur, il découvre que la nuit montre l'homme : ces appels, ces lumières, cette inquiétude. Cette simple étoile dans l'ombre: l'isolement d'une maison. L'une s'éteint: c'est une maison qui se ferme sur son amour, ou sur son ennui. C'est une maison qui cesse de faire son signal au reste du monde. Ils ne savent pas ce qu'ils espèrent ces paysans accoudés à la table devant leur lampe : ils ne savent pas que leur désir porte si loin, dans la grande nuit qui les enferme. Mais Fabien le découvre quand il vient de mille kilomètres et sent des lames de fond profondes soulever et descendre l'avion qui respire, quand il a traversé dix orages comme des pays de guerre (..) et quand il gagne ces lumières, l'une après l'autre, avec le sentiment de vaincre. Ces hommes croient que leur lampe luit pour l'humble table, mais à quatre-vingts kilomètres d'eux, on est déjà touché par l'appel de cette lumière, comme s'ils la balançaient désespérés d'une île déserte devant la mer."
    Saint-Exupéry. Vol de nuit.
  
Lu dans:
Antoine de Saint-Exupéry. Vol de Nuit. Préface d'André Gide. Prix Femina (1931). Gallimard 1931. 178 pages. Extrait pp.25-26

22 novembre 2013

Jolie bouteille sacrée bouteille

"Une bouteille d’eau avec des amis me dit moins qu’une bouteille de vin avec des amis.»
Maggie Deblock

Ah la douce alchimie entre l'amitié et le vin, cette eau qui chante, enrichie du savoir-faire des hommes, de soleil, de paysages somptueux et de la patience du raisin porté à maturité idéale. Cet aveu de jouissance, dans sa franchise, fera sans aucun doute scorer notre secrétaire d'état à l'Asile et à la Migration, peu complexée par son tour de taille. Et constitue un coup de pub inattendu pour l'incontournable Beaujolais nouveau, premier jalon sur la route des fêtes de fin d'année, avec  "son nez rond et harmonieux, équilibré avec une belle souplesse en bouche, aux senteurs de fruits rouges, framboises et groseilles." Comme soufflé avec humour par un expert "un vin d'amis, à boire sans prétention autour d'une assiette de cochonnailles".  Tchin.  



Lu dans:
Béatrice Delvaux . Maggie et Fatima, deux sacrées femmes. Le Soir. 21 novembre 2013. p.22
Fabrizio Buccela, cité par Cathérine Jendrzejczyk. Le beaujolais nouveau boit la tasse. Le Soir. 21.11.13. p.21

21 novembre 2013

On les disait les plus beaux et les plus intelligents

"Les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages !"
Baudelaire. L'étranger.

C'était également un vendredi je m'en souviens, juste après le souper, il y a longtemps. On avait tiré sur le président dans ce pays dont nous rêvions et il était mort. Pendant de longues années, j'ai collecté tout ce que les journaux publièrent sur J.F Kennedy et sa saga familiale. Il était devenu le héros qui nous manquait, jeune génération qui n'avions pas connu la guerre, et sa famille était si heureuse. On savait tout de lui, et de ses frères, et de sa femme, et on ne savait encore rien. On apprit peu à peu que le rêve n'était qu'une image construite, que le héros avait des mains et le sexe baladeurs, on découvrit les rumeurs d'argent et d'amitiés douteux, d'un prix Pulitzer usurpé, les convictions fluctuantes, la dépendance aux médicaments, et que et que... Peu importe après tout: le rêve fut beau, nous rendit heureux un certain temps, et croire aux contes de fées développa notre envie de changer le monde. Cinquante ans de vraie vie nous ont permis ensuite de discerner les héros anonymes qui nous côtoient quotidiennement, et c'est encore plus beau. 


 
Lu dans:
Stéphane Trano. Kennedy ou l'invention du mensonge. 2013. L'Archipel. 317 pages.
Baudelaire cité par Françoise Sagan. Les merveilleux nuages. 1961. Julliard. 152 pages. Exergue.

Un amour minuscule


"La vraie bonté de l’homme ne peut se manifester en toute pureté et en toute liberté qu’à l’égard de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de l’humanité, ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci : les animaux.”
Milan Kundera

Surprise au petit-déj: sur la sous-tasse à café, deux minuscules bestioles se poursuivent, virevoltent et copulent. Plus petites que les plus petites des mouchettes, plus grosses qu'un microbe, je n'ai jamais rien vu de si petit qui bouge. Les écraser d'une pichenette sous prétexte qu'elles menacent mon pain ne serait pas sympa, on ne détruit pas un couple juste après l'amour. Leur vulnérabilité m'interpelle, comme la mienne: ne suis-je pas qu'une poussière à l'échelle du monde comme elles le sont sur leur soucoupe. Le café s'est entre-temps refroidi, je range la tasse, le pain, mes petits potes ont disparu, la journée peut se poursuivre. 


Lu dans :
Milan Kundera. L'insoutenable légèreté de l'être. Gallimard 1990. 476 pages

19 novembre 2013

Douce France


"Douce France  /  cher pays de mon enfance  /   bercée de tendre insouciance..."
Charles Trenet
 

Petite page d'anthologie dans ma presse matinale du petit-déjeûner, je savoure. "La République une et indivisible est devenue une fédération de protestations: les commerçants et les cavaliers, les sages-femmes et les sales hommes amateurs de prostituées, les artisans et les victimes des plans antisociaux, les routiers et les adversaires de la limitation de vitesse, les paysans, les éleveurs de porcs et les amis du cheval, les enseignants et les policiers, (..) les patrons et les syndicalistes (..), les adversaires du mariage et des taxes pour tous, les piranhas d’extrême droite qu’attirent la République qui saigne et les merlans d’extrême gauche qui n’entendent pas rater une vague." Guillebaud évoquait l'esprit grognon, Chirac les emm. qui ne volent jamais qu'en escadrille: et si tout ceci réflétait plus prosaïquement les préoccupations d'un monde qui navigue sans visibilité, et sans objectif.



Lu dans:
Jean-François Kahn. On change avant l’explosion ou après? Le Soir. 19 novembre 2013

18 novembre 2013

La clôture de l'Europe

« C'est quoi, un Noir ? Et d'abord, c'est de quelle couleur ? »
Jean Genet

Il est de ces moments où les mots vacillent, comme le suggère Marie Darrieussecq: " il est noir mais il est sympathique ". "Verrons-nous un jour une citoyenneté mondiale, des papiers planétaires, un Bretton Woods de l'immigration comme le proposent les chercheuses Catherine de Wenden et Hélène Thiollet, pour répondre à ce fantasme d'un monde divisé par une clôture de l'Europe au-delà de laquelle régnerait un outre-monde sauvage dont il faut se protéger afin de ne pas se dissoudre, d'être avalé, et que le blanc se dilue dans le noir. Ce Noir qui devient la figure même de l'exploité, du rejeté qu'on a peur de devenir surtout quand on est un petit Blanc d'Europe, déclassé du système par temps de crise, habité par la terreur d'être déjà noir, ou pire beige à cheveux bruns. Or le remplacement des peuples est un fantasme ridicule. Des peuples ont disparu, oui : les Lutrawita de Tasmanie, certains Indiens d'Amérique, et presque tous les Héréros de Namibie. Disparus après des génocides motivés précisément par la passion forcenée de la division, la manie de la domination vue comme un sens et une fin." 


Lu dans :
Marie Darrieussecq. Il faut beaucoup aimer les hommes. Prix Médicis 2013. POL. 320 pages.
Marie Darrieussecq. Pour Christiane Taubira. Le Monde en ligne. 15.11.2013.
Achille Mbembe. Critique de la raison nègre. La Découverte. 2013. 268 pages.

Money money

"Si l’argent ne fait pas le bonheur, rendez-le."
Jules Renard

"Des enquêtes sociologiques faites dans des pays aussi différents que les États-Unis, la France, le Ghana ou le Mexique, [révèlent que] lorsqu'on demande aux gens: Qu’est-ce qui vous rend heureux?, ce sont toujours les mêmes réponses qui reviennent: la santé, l’amour – la qualité des relations affectives avec les autres – et l’épanouissement dans son travail. Jamais l’argent ou le confort matériel ne sont cités. Par contre, dans le même genre d’enquêtes, quand vous demandez aux gens ce qui leur manque pour être plus heureux, ils répondent: L’argent. L’argent apparaît comme un plus, singulièrement en temps de crise, mais ne fait pas partie des fondamentaux du bonheur. L’argent, au-delà du confort matériel, nous permet de réaliser des aspirations profondes, qui nous épanouissent. Si on en manque trop, on est dans la survie et on n’a plus le temps de savourer la vie. Mais si on recherche trop l’argent, on ne vit plus non plus. Or, toutes les études scientifiques sur le bonheur montrent que pour être heureux, il faut être attentif à ce qu’on fait et savourer les moments de l’existence." 


Lu dans:
Fréféric Lenoir. Du bonheur, un voyage philosophique. Essai. Editions Fayard. 2013. 240 pages
William Bourton. L’argent ne fait pas le bonheur. Le Soir 16 novembre 2013. Extrait p.42

17 novembre 2013

Sagesse du poulailler

"Un fermier donnait tous les jours à ses poules généreusement les meilleures graines, celles qu'elles préfèrent. Au deux-centième jour, une poule se dit : « Il est quand-même sympa ce bonhomme ». On ne peut jamais poser son jugement sans connaître la fin de l’histoire, ou les intentions profondes qui la sous-tendent."

cité par Luc de Brabandere


15 novembre 2013

La course en tête


Les illusions logiques. "Tu fais une course à pied, tu doubles le deuxième et tu deviens..."


Eh non, c'est comme dans la vie, les études, le boulot: encore un effort, on croit devenir le premier et on est ... deuxième. Autant savoir avant de s'épuiser.


Lu dans:
Franz-Olivier GIESBERT. Dictionnaire d'anti-citations pour vivre très con et très heureux. Cherche-Midi. 2013. 157 pages

14 novembre 2013

Sagesse du carburateur

"Il adorait son métier et le faisait bien. Il adorait la vie et vivait bien. Ainsi il était d'accord avec lui-même."
J.Kessel, évoquant Emile Lécrivain, pilote dans l'Aéropostale 

Une à deux fois par an, je traverse la ville pour confier ma vieille moto Honda Nighthawk 1988 aux bons soins de l'artisan qui lui permet de traverser les années sans encombre. Je ne connais pas mécanicien plus imprégné de sagesse, de sérénité et de compétence modeste que cet éternel adolescent qui posséda un exemplaire similaire à la mienne à 18 ans et lui voue une affection particulière. Point d'enseigne en façade, ni local de réception ni hall de vente de modèles neufs: il entretient ce qu'on lui confie, et cela lui suffit. Il sourit quand on lui demande la raison de tant de modestie, l'absence d'enseigne ou de publicité racoleuse: je vis bien, le bouche-à-oreille fonctionne, je travaille à mon rythme, les clients sont heureux, que souhaiter de plus? La vie peut être simple. 



Lu dans:
Joseph Kessel. Vent de sable (1929). 1966. Coll. Folio 3004. 181 pages. Extrait p. 61 

Déjà tard

"On a longtemps marché     Il était déjà tard
La nuit tombait très vite effaçant l'horizon
À un tournant de la route on a vu la maison

On devinait de la lumière à la jointure des volets
On a cherché la sonnette à la droite de la grille
Un rectangle de clarté s'est ouvert dans le jardin
et dans le long froissement des feuilles mortes sous les pas
quelqu'un est venu à la rencontre tandis qu'on ouvrait la grille
Elle a grincé sur ses gonds et raclé un peu le gravier
exactement comme autrefois avec exactement l'odeur
de feuilles et de bois brûlé et de lierre sur la façade

avec exactement les neuf coups de neuf heures au clocher de l'église
leur son exactement comme autrefois quand on avait douze ans
En s'approchant on a reconnu celui qui venait à la rencontre

C'était moi autrefois un peu plus distrait qu'autrefois
triste d'avoir tout seul attendu si longtemps
que je revienne sur mes pas et me rencontre enfin un soir
après avoir marché des années
et que la nuit tombe déjà
et que déjà le noir efface l'horizon. "
     Claude Roy . Le Haut Bout. 10 novembre 1983


Lu dans:
Claude Roy. A la lisière du temps. Les passantes du rêve. NRF Gallimard. 208 pages. Extrait pp. 185,186 

13 novembre 2013

Sagesse de la caverne

"Au premier regard, c'est toujours la caverne de Platon, inchangée depuis vingt-cinq siècles: les prisonniers ne voient que des images et des silhouettes. Pourtant, ils ne contemplent plus fixement le fond de la grotte ni les ombres portées défilant sur la paroi. Les prisonniers d'aujourd'hui sont équipés d'écrans - téléviseurs, tablettes, smartphones - interconnectés et interactifs. Et cela bouleverse absolument tout."
Valérie Charolles

Je termine la lecture d'un article du Monde en ligne, poste quelques mails, découvre une vidéo, m'enquiert de la météo de demain dans mon bureau silencieux. Je m'aperçois que simultanément une dizaine d'amis, proches, familiers se livrent au même moment à des tâches similaires sur Skype, Facebook, Yahoo, Spotify ou YouTube. D'aucuns répondent à mes mails de manière quasi instantanée, m'invitent à découvrir leurs dernières photos, à partager une musique. Nos salons soudain s'interconnectent, comme nos pensées. Un doux vertige s'installe à imaginer les millions de personnes qui au même moment se donnent accès les uns aux autres par-delà les langues, les océans et les frontières. La caverne de Platon est devenue planétaire, sur un laps de temps d'une dizaine d'années et à une vitesse qui donne le tournis.

La métaphore de la termitière décrite par David Van Reybrouck, avec son fonctionnement homogène de parties hétérogènes, son équilibre entre autonomie et intégration, débouche sur l'image neuve d'une planète où les communautés les plus diverses ont désormais la possibilité non seulement de cohabiter, mais de partager un cerveau commun interconnecté. La vitesse de cette évolution rend difficile toute prévision, positive ou négative selon nos tempéraments et humeurs du moment. Les milliers de termites organisées comme un organisme unique capable de se défendre, de se nourrir, de faire circuler l'information, d'éjecter ses déchets offre pourtant une image apaisante de l'individu collectif plus fort dans sa volonté d'être ensemble. Vue du ciel, notre planète se mettra-t-elle aussi soudain à penser comme un ensemble, irriguée d'un flux continu de vie grouillant jour et nuit, souffrant et se réjouissant de manière quasi simultanée quand un typhon ou un séisme la frappe, dansant et chantant sur les mêmes clips superbes ou débiles, surveillée en permanence par d'immenses oreilles.

Plus modestement, imaginer que ces quelques rêveries vont se mêler dans l'instant à celles de quelques dizaines d'autres, les nourrissant et se transformant en autant d'images, de pensées neuves, de projets divers, pour se voir ensuite peut-être à nouveau relayées vers de nouveaux réseaux, réveille soudain en moi l'image de la balançoire de nos enfants - et de la résonance étudiée en physique, celle qui faisait vaciller les ponts. Que nous en soyons conscients ou non, nous ne penserons plus comme avant. 



Lu dans:
Valérie Charolles. Philosophie de l'écran. Dans le monde de la caverne. Fayard. 2013. 310 p.
David Van Reybrouck. Le Fléau. Actes Sud Littérature. 2008. 416 pages. Extrait p.333.

11 novembre 2013

L'immigration, problème ou solution?


"Sur quelque territoire qu'on veuille la tracer, la frontière représente une réalité à double face : elle est à la fois ce qui rassemble et ce qui exclut."
Jean Birnbaum

Acquaformosa, petite commune moins de deux mille habitant en Calabre s'éteignait progressivement: école sur le point de fermer, bus scolaire rangé, commerces de proximité désertés, voirie négligée faute de bras valides. Habitée par une forte communauté de migrants à partir du 15ème siècle ayant gardé une forte identité et surtout la mémoire de leurs origines nomades, la petite commune tente depuis peu le pari d'intégrer volontairement, avec l'aide de budgets européens, des naufragés de Lampedusa. Venus d'Erythrée, de Syrie, de Lybie, logés dans les habitations désertées, scolarisés gratuitement afin de favoriser une intégration rapide, ces petits groupes colorés et disparates sont venus rajeunir sensiblement la moyenne d'âge, redonner du rire aux rues escarpées, alimenter en forces vives les ressources municipales pour entretenir les infrastructures et permettre au village de renaître. La réussite de cette intégration volontaire est telle que les mairies avoisinantes envisagent d'élargir l'expérience en se proposant à leur tour comme terre d'accueil. Un émouvant documentaire jette un regard neuf et volontariste sur le douloureux problème des naufragés de Lampeduza, en posant la question insolite: l'immigration est-elle un problème ou une solution pour nos sociétés vieillissantes? Cette expérience en temps réel dans le sud de l'Italie ouvre des perspectives inattendues, découvertes ce samedi sur France2. On sort heureux de pareil reportage (une demi-heure), que vous pouvez à votre tour découvrir à l'adresse suivante : 
http://www.france2.fr/emissions/13h15-le-samedi-le-dimanche/les-evades_149625

Je vous souhaite une bonne semaine
CV.

Lu dans:
Le 13h15 de France 2. Samedi 9 novembre 2013. http://www.france2.fr/emissions/13h15-le-samedi-le-dimanche/les-evades_149625
Jean Birnbaum. Ce qui exclut et ce qui rassemble. Le Monde des Livres. 8 novembre 2013

10 novembre 2013

Armistriste

"Les mois se succèdent. Cet été de l'année mil neuf cent dix-huit est le plus pénible et le plus sanglant de tous. (..) Jamais la vie ne nous a semblé aussi désirable que maintenant : rouges coquelicots des prairies sur les brins d'herbe, chaudes soirées dans les chambres fraîches et à demi obscures; arbres noirs et mystérieux du crépuscule, étoiles et eaux courantes, rêves et long sommeil, ô vie, vie, vie ! ...
(..) Jamais on n'a supporté en silence plus de douleurs qu'au moment où l'on part pour les premières lignes. Les faux bruits, si excitants, d'armistice et de paix ont fait leur apparition; ils troublent les cœurs et rendent les départs plus pénibles que jamais. (..) Jamais la vie au front n'a été plus amère et plus atroce que dans les heures passées sous le feu, lorsque les blêmes visages sont couchés dans la boue et que les mains se convulsent en une seule protestation: « Non, non, non, pas maintenant! Pas maintenant, puisque ça va être la fin ! ». (..) Question incompréhensible: «Pourquoi? Pourquoi n'en finit-on pas? » (..) Si nous étions rentrés chez nous en mil neuf cent seize, par la douleur et la force de ce que nous avions vécu, nous aurions déchaîné une tempête. Si maintenant [en 1918] nous revenons dans nos foyers, nous sommes las, déprimés, vidés, sans racine et sans espoirs. Nous ne pourrons plus reprendre le dessus."
Erich Maria Remarque

Ce 11 novembre 1918 à 11 heures, comme l'écrira joliment Mermoz "le son des cloches de la cathédrale d'une cathédrale lointaine / musique sereine / l'heure / meurt.." comme meurent les illusions d'une génération qui - dit-on - partit au front en chantant. Un conflit interminable s'éteint, séparant sans gloire deux fronts exsangues sur un continent dévasté, que peut-on commémorer devant pareil désastre, si ce n'est le chagrin et le souci illusoire que jamais l'histoire ne se répète... 
 

Je vous souhaite une bonne semaine
CV.

Lu dans:
Erich Maria Remarque. À l'Ouest rien de nouveau. 1928. Le Livre de Poche (1973) 224 pages. 278-279, 285-286
Michel Faucheux. Mermoz. Gallimard 2013. coll. Folio 101. 295 pages. Extrait p.123

Victoires sans vainqueurs

 "Le pays tout entier était saisi d'une fureur commémorative en faveur des morts, proportionnelle à sa répulsion vis-à-vis des survivants."
Pierre Lemaître. Au revoir là-haut. (Prix Goncourt 2013)

11 novembre, pas la gloire. Il y a la lassitude des soldats après les combats, les déserteurs qui franchissent les lignes pour se constituer prisonniers et fuir ainsi la ligne de front, ceux qui se blessent volontairement pour la même raison, les fusillés pour l'exemple. Et puis il y a les survivants, ceux qui reviennent dans leur foyer après des mois ou des années de tranchées, presque honteux d'être en vie. Cruel contraste entre une forme d'héroïsme attribuée aux morts, qu'on commémore, et la désillusion qui frappa bon nombre de têtes cassées, miraculés qu'on ne sait trop où recaser. Les récits de retour de Vietnam, d'Irak ou d'Afghanistan attestent de la permanence de cette difficulté à affronter le regard des autres au retour de guerre. Le dernier Goncourt, attribué à Pierre Lemaître, en a fait son miel. 
Je revis en ce jour d'armistice le récit que me fit jadis un vieux patient, dissimulant mal ses larmes, narrant son retour au domicile conjugal pour y trouver son fauteuil occupé par un autre homme. Il le regarda, regarda sa femme, ne dit pas un mot et rentra chez ses parents. Ce jour-là il envia le sort des héros morts.


Lu dans:
Pierre Lemaître. Au revoir là-haut. Prix Goncourt 2013. Albin Michel. 576 pages.

09 novembre 2013

Belle comme mille

"Il la regarde. Affirme doucement:
LUI: Tu es comme mille femmes ensemble ...
ELLE: C'est parce que tu ne me connais pas. C'est pour ça.
LUI: Peut-être pas tout à fait pour cela seulement.
ELLE: Cela ne me déplaît pas, d'être mille femmes ensemble pour toi."
M. Duras. Hiroshima mon amour.

Comme elle est belle, l'image de la femme amoureuse aux mille visages, justifiant que le mot amour ne soit féminin qu'au pluriel (avec "délice" et "orgue") . Paraphrasant Courteline, on énoncera avec humour: « Cet amour est le plus beau des plus belles ». 


 
Lu dans:
Marguerite Duras. Hiroshima mon amour. Gallimard 1960. Folio 9. 157 pages. Extrait pp. 55.  

07 novembre 2013

Accion poetica

« Naciste para ser real, no perfecta. / Tu est née pour être vraie, pas pour être parfaite."
Poésie murale chilienne. Accion poetica

Des murs peints en blanc et quelques mots en noir, dont la poésie surprend au milieu du paysage urbain d'une vingtaine de pays latino-américains. Une seule signature : Accion poetica. Lorsqu'il a lancé Accion poetica, à Monterrey (nord-est du Mexique), l'écrivain Armando Alanis Pulido ne se doutait pas que ce mouvement essaimerait, en dix-sept ans, dans toute l'Amérique latine et en Europe. "Fondre la poésie dans le paysage urbain de manière à ce qu’elle interpelle les passants et provoque la réflexion" au moyen de phrases courtes - pas plus de dix mots- accessibles à tous et toujours positives. Le mouvement s'est répandu grâce au bouche à oreille. Au Mexique tout d'abord,  où il est présent dans de plus de vingt villes. « A partir de 2002, les réseaux sociaux ont pris le relais, transformant ce projet local en un mouvement international  », constate Antonella Moyano, un des piliers du mouvement au Pérou, pays où Accion poetica sévit dans dix-huit villes. Aujourd’hui, cette poésie silencieuse a colonisé les murs de plus de vingt-cinq pays.  La majorité d'entre eux – Argentine, Pérou, Equateur, Chili etc. – se trouvent en Amérique du Sud. Mais le concept a franchi l'Atlantique, de l'Espagne en passant par l'Italie, jusqu'en Angola. Les participants, qui ne signent jamais de leur nom mais de celui de leur mouvement, s’adaptent aux contextes sociaux des lieux où ils se trouvent. Ils écrivent leurs rêves, chaque mur a désormais son histoire. 


Lu dans
Léonore Stangherlin.  Accion poetica: en Amérique latine, les murs parlent d’amour. Le Monde Académie 31 octobre 2013 

06 novembre 2013

La fin du bal

"Tout s'est tu
en moi
Plus personne n'habite
à l'intérieur."
L. de Groot

Deux variantes de la détresse interne: le chaos et le néant. L'un peut mener à l'autre, pareil à ces salles de bal bruissantes et surpeuplées soudain désertées par le maître de la noce lui-même, ne laissant que tables renversées, verres sales, serviettes froissées, petits os empilés sur le bord des assiettes. Nature morte ou champ de bataille? La peur du silence naîtrait-elle de cette prise de conscience de la précarité des choses dans un univers qu'on croyait immuable? 
 


Lu dans: 
Louisa de Groot. Le Parloir. Ed. Traces de vie. 2005. 100 pages. Extrait p.58

Relire Duras

"LUI: Qu'est-ce que tu appelles être d'une moralité douteuse?
ELLE (d'un ton très léger) : Douter de la morale des autres."
M. Duras  

Il faut relire Duras l'écorchée, l'impertinente. L'envie m'a pris la semaine passée de me replonger dans le scénario de "Hiroshima mon amour", et son récit écrit au scalpel d'une toute jeune fille amoureuse d'un garçon, mais à la mauvaise période, au mauvais endroit, d'une mauvaise nationalité.  A la fin de la guerre, elle sera tondue, et cachée par sa mère dans une cave, coupable. "Un jour, ma mère est arrivée pour me nourrir, comme elle faisait d'habitude. Elle m'a annoncé que le moment était venu de m'en aller. Elle m'a donné de l'argent. Je suis partie pour Paris à bicyclette. La route était longue mais il faisait chaud. L'été. Quand je suis arrivée à Paris, le surlendemain matin, le mot Hiroshima était sur tous les journaux. C'était une nouvelle sensationnelle. Mes cheveux avaient atteint une longueur décente. Personne ne fut tondu." La culpabilité a des fluctuances.   


Lu dans:
Marguerite Duras. Hiroshima mon amour. Gallimard 1960. Folio 9. 157 pages. Extraits pp. 55, 150.  

04 novembre 2013

Pourra-t-on se trouver?

"Comment dire à ceux qui nous aiment tellement qu'ils ne nous aiment pas."
    E. Pagano

"Il me dit qu'il m'aime
quand c'est facile d'aimer

Moi je voudrais qu'il m'aime
quand je ne suis plus la même
quand je ne sais pas m'aimer
quand j'ai mal
quand j'ai peur
quand je peine pour trouver
le chemin vers moi-même

Il me dit qu'il m'aime
m'aimera-t-il assez
pour accueillir la femme
que je saurai aimer?

Je lui dis que je l'aime
l'aimerai-je quand même
si je ne suis plus la même?

Pourra-t-on se trouver? "
L. de Groot

Pourra-t-on - enfin - se trouver?  On aime aimer, et l'image qu'on en poursuit nous échappe toujours car construite sur un mythe: homme idéal cherche femme idéale, Clooney aime Barbie, Don Quijote chante Dulcinée, se damnant pour l'or d'un mot d'amour et d'une inaccessible étoile.  J'ai souri en lisant la description que fait Emmanuelle Pagano de cet amoureux transi qui de son assistante architecte ne voit que les doigts qui construit ses maquettes. "Elle a des doigts pour ça, si fins, si petits. Quand elle se penche sur les maisons miniatures, elle qui est déjà petite et menue semble se rétracter plus encore, comme pour habiter ces espaces réduits. Je la vois diminuer. Bientôt, je la prendrai dans ma main et je la déposerai dans le jardin minuscule." Sans imaginer une seconde qu'elle puisse rêver de tout autre chose. Quoi qu'on en ait déjà écrit, la rencontre amoureuse demeure un continent à découvrir.    
  

Lu dans:
Emmanuelle Pagano. Nouons-nous. POL. 2013. 208 pages. Extraits pp 63 et 122-123
Louisa de Groot. Le Parloir. Ed. Traces de vie. 2005. 100 pages. Extrait p.54 

03 novembre 2013

Doigts noués

"Je l'ai aimé par ses mains, immédiatement. Lui, il est le premier homme de ma vie à m'avoir serré la main, les autres, familiers ou non, me faisaient la bise."
 Emmanuelle Pagano

"Il existe tant de manières de se prendre par la main. Paume à paume, du bout des doigts, doigts serrés, crochés un à un, s'articulant doucement dans le creux tiède. Enchevêtrés. Noués. Mais le lien est fragile. On peut le rompre pour rien ou vraiment pas grand-chose, une porte à passer, un trottoir à descendre. Et là, vite, on se reprend. On se lâche aussi parce qu'il faut bien laisser l'autre s'en aller. Pour un moment ou pour longtemps."



Lu dans:
Emmanuelle Pagano. Nouons-nous. POL. 2013. 208 pages.

01 novembre 2013

Life goes on


Amour      je m'éloigne
le navire de ma vie poursuit son voyage       seul 
je guette un au revoir de la main
et ne vois qu'une image qui se brouille
sans ce feu d'artifice
étourdissant       de plaisir et d'amour
que tu suscitais en moi
et progressent les mois        interminables
s'accumulent les souvenirs    sans que tu y soies
le peu de toi qui me reste        comme une eau
s'écoule entre mes mains
pardonne-moi, mon amour      j'ai mal
mais ne puis t'emmener
comme si je te trompais
à chaque lever de soleil         au retour de la pleine lune
la vie continue        disent-ils
et moi je m'éloigne             de toi
comme s'estompe      le sepia d'une photo ancienne
   Marah        Leaving you behind

    My love, I am leaving you behind.
    The ship of my life sails on.
     I cannot wave goodbye,
     And the image I conjure of you
     Blurs in my mind without the sparkle
    Of ideas and fun and love
     That shot from you like fireworks.

     As I plod through the year
     A growing pile of memories
     Are filed without you,
     And what I hold of you
     Trickles like water from my hands.
     Forgive me, love. I ache
     But cannot take you with me.
     This betrayal is as certain
     As sunrise or the next full moon,
     Life goes on, they say,
     So I leave you behind
     And like an old photograph, you fade.


Texte superbe, écrit par une consoeur généraliste (Rutland, UK) quelques mois après le décès de son mari. "Quand les souvenirs s'estompent, l'écriture est une manière de leur redonner vie, écrit-elle en exergue, et de permettre au survivant de poursuivre sa route". 
On ne peut savoir où on va si on oublie d'où on vient, et la Toussaint qui se fête aujourd'hui est là pour nous le rappeler. Merci à Paulette Dumas pour sa superbe traduction, si sensible et magnifiant la beauté du texte anglais. 

Lu dans :
Marah. Leaving you behind. Hektoen International Journal. Volume 3, Issue 2 - May 2011. Trad. P.Dumas

31 octobre 2013

Silhouettes rassurantes

" Aucun acteur ne souhaite jouer dans le noir. Mais il ne faut pas confondre "visibilité" et "être en pleine lumière": il y a une différence entre être perçu et être vu. Décider qu'[on] va apparaître comme une silhouette plutôt qu'en pleine lumière est un choix... "
Philippe Rousselot

Dans le film de nos existences, que de présences rassurantes nous entourent, qui n'occupent pas pour autant la scène lumineuse, ayant même parfois  délibérément quitté notre horizon familier. On les appelait jadis nos anges gardiens, on peine maintenant à leur donner un nom. Modeste médecin de famille, que de fois n'ai-je été surveillé à mon insu vers la fin de mes vacances par des patients guettant la réapparition de mon véhicule, l'éclairage derrière les fenêtres, un vague mouvement derrière les rideaux. Le seul fait de savoir "qu'on est là" permet de dormir tranquille. Pour d'autres, ce sera la présence sereine d'un parent, d'un conjoint ou d'un enfant. Ou simplement la possibilité de passer un coup de téléphone en cas de coup dur. Aucune vanité, aucune vocation à jouer au sauveur mais un rappel discret que - quelle que soit notre fonction - nous interagissons les uns sur autres, contribuant à rendre la terre plus hospitalière. 


 
Lu dans:
Philippe Rousselot. La Sagesse du Chef opérateur. J.C.Béhar Editions. 2013. 112 pages. Extrait p.51

30 octobre 2013

On se cherche, papa

"Perdre un père, qu’il soit égaré ou pirate, c’est toujours quitter l’enfance."
Cali et Quarello

"Seul, assis à la table du petit-déjeuner et trempant sa tartine dans son bol de chocolat chaud, un petit garçon dirige son regard inquiet vers le bol fumant, le journal et la place vide de son père. “Ce matin, j’ai perdu mon papa”, déclare­-t­-il tout de go. Il se rend alors au bureau des papas perdus et apprend qu’il y arrive chaque jour une trentaine de papas, en plus ou moins bon état. Avec un peu de chance, les enfants viennent les chercher le jour même mais certains, paraît-il, sont là depuis la préhistoire. En atteste ce dessin d’hommes préhistoriques, barbus et poilus comme il se doit, en train de jouer aux osselets. Il y a aussi les papas qui pleurent, les papas rayés, les barbus qui mâchent des chewing-gums. Une fois par an, tous sortent en forêt. Dans la galerie de portraits proposés par Eric Veillé et Pauline Martin, on trouvera le papa qui vient de Strasbourg avec la coiffe ad hoc ou celui qui a toujours l’air de sortir du bain. Mais ce qui compte, chacun en conviendra, c’est de retrouver son papa à soi. "

Après Stromae qui cherche son papa, ce "sacré papa / Dis-moi où es-tu caché ? / Ça doit, faire au moins mille fois que j'ai / Compté mes doigts / " , deux albums pour enfants se lancent également à la recherche des papas perdus, avec des canevas différents certes mais une petite musique identique. A l'image du Grand Commandeur s'est substituée l'image estompée d'un père plus tendre, plus gauche, parfois incertain de lui-même, mais pourtant si nécessaire. Qu'il soit perdu ou pas, entre Halloween et le Jour des morts, la période est propice à ce genre d'évocation, pourquoi s'en priver? 


Lu dans:
Laurence Bertels. Au pays des papas perdus. La Libre Lire. 28 octobre 2013. p.8
Davide Cali et Maurizio A.C. Quarello. Mon papa pirate. Sarbacane. 2013. 56 pp.
Eric Veillé et Pauline Martin. Le bureau des papas perdus. Actes Sud junior. 2013. 38 pp.


28 octobre 2013

Vérité et réconciliation

"La vérité ne ramène pas les morts mais elle les libère du silence."
José Zalaquett

"Dans son livre sur la Commission Vérité et Réconciliation, Antjie Krog poétesse de langue afrikaans et journaliste à radio sud-africaine, cite cette formule lapidaire de José Zalaquett, juriste chilien et ancien président d'Amnesty International, membre de la Commission Vérité de son pays après la chute de la la dictature: "La vérité ne ramène pas les morts mais elle les libère du silence." Sans les travaux de la Commission, jamais ces activités n'auraient été révélées. La Commission Vérité a eu pour effet de montrer et de consoler, elle a su concilier vision d'avenir et regard sur le passé. (..) 
Une chasse aux sorcières n'aurait pas fait de bien à la jeune démocratie, mais la solution chilienne - une amnistie générale - n'était pas plus séduisante; des criminels endurcis auraient pu se promener en toute liberté et l'on n'aurait jamais mis sur la place publique la douleur innommable infligée à tant de victimes. Une amnistie pure et simple aurait conduit à l'amnésie, à une perte de mémoire. C'est la raison pour laquelle il a été décidé de recourir à un compromis unique en son genre. Tout individu, quel qu'ait été son rôle à l'époque de l'apartheid, pourrait obtenir une amnistie pour les crimes commis entre 1960 et 1994 à une double condition: que ses crimes aient une motivation politique et que les coupables parlent en toute franchise. Quant aux victimes, elles bénéficieraient d'une reconnaissance officielle, voire d'une indemnisation, en échange de leur témoignage devant la Commission Vérité et Réconciliation. Cette solution s'inscrit dans la tradition de la jurisprudence africaine, dans laquelle la notion de réparation prime sur celle de représailles, où la réconciliation est plus importante que le châtiment et la vérité que la vengeance."



Lu dans:
Antje Krog. La douleur des mots. Actes Sud Littérature. 2004. 416 pages.
David Van Reybrouck. Le Fléau. Actes Sud Littérature. Lettres néerlandaises. 2008. 416 pages. Extrait p.344. Traduit du néerlandais par Pierre-Marie FINKELSTEIN. Extrait page 348-350

Entendre la mer

"J'étais promeneur sur une plage souillée de détritus et d'épaves dont notre temps n'est pas chiche, quand, à l'écart, entre deux rochers battus par les vagues, j'ai découvert un coquillage d'une étrange beauté, aux couleurs irisées, changeantes comme la mer, un coquillage remonté des grandes profondeurs, non répertorié dans les nomenclatures les plus autorisées, et j'eus l'ingénuité de le porter à mes oreilles. Et me parvint, enfin, la rumeur oubliée de la mer, alors que mon ouïe défraîchie par l'érosion intérieure, ne percevait plus celle qui battait à mes pieds, non plus que les premiers ressacs enchanteurs de l'enfance, perdus à jamais dans les régions les plus inaccessibles de la mémoire : tel est le pouvoir des seuls magiciens : nous rendre à nous-même et au monde. "
Jean Carrière
          
Lu dans :
Jean Carrière. Qui êtes-vous, Julien Gracq? La Manufacture. 1986. 192 pages. Extrait p.21

27 octobre 2013

Futurs incertains

"C'est une invention étonnante, mais qui voudra un jour se servir d'un tel appareil ?"
Rutherford B. Hayes, président des Etats-Unis (1877-1881), lors de la première présentation du téléphone

Il est difficile de prédire l'avenir. Une belle histoire commençait par une amusante anecdote. Un dénommé Forain se construisit un hôtel, et y fit poser le téléphone, alors encore assez peu répandu. Il voulut l'utiliser tout d'abord à étonner le peintre Degas. Il l'invite à dîner, prévient un compère qui, pendant le repas, appelle Forain à l'appareil. Quelques mots échangés, Forain revient... Degas lui dit : "C'est ça, le téléphone ?... On vous sonne, et vous y allez !" Me reviennent une brassée de souvenirs d'un temps pas si lointain où les téléphones étaient noirs, les walkie-talkies tendance et la CB (Citizens Band) entre véhicules affaire de spécialistes. G1id2kdo ("j’ai une idée de cadeau", pour les non-initiés): un smartP HTC One animé par un processeur Snapdragon 600, cadencé à 1.7 GHz QuadCore et 2 Go de RAM poussés par un GPU Adreno 320 :)) . Avez-vous bien saisi? 

26 octobre 2013

Combien de temps?

"Il faudra une seconde pour être un peu plus grand, le temps de souffler les bougies, une minute pour s'habiller, ou se déguiser en Indien, une journée pour partir à la mer, un été pour tomber amoureux et une vie entière pour devenir vraiment grand. [..] La dernière question reste suspendue à son point d'interrogation : combien de temps pour être heureux? "
Chloé Perarnau.


Une sagesse écrite pour les gosses, que nous sommes restés? Cette nuit, il faudra une heure supplémentaire pour changer de saison.


Lu dans:
Chloé Perarnau. Combien de temps?  Actes Sud junior. 2013. 32 pp.       

25 octobre 2013

Ma vie comme une île


"N'être qu'une île dans la mer
battue par le flux des vagues qui    inlassablement   
succède au reflux
moi qui n'attends plus guère d'elles
que reflux  reflux   reflux

Aujourd'hui     à l'horizon de ma vie    c'est en vain que je scrute
cet endroit familier d'où je discernais
le sac et le ressac
sur la plage qui pour moi
maintenant sans cesse recule."


"It is well for an island of the great sea:
flood comes to it after its ebb; 
as for me, I expect
no flood after ebb to come to me.

Today there is scarcely
a dwelling-place I could recognize;
what was in flood
is all ebbing."

 
Lu dans:
Inspiré d'un poème irlandais médiéval "The lament of the Old Woman of Beare"
9ème siècle, traduit de l'irlandais en anglais par Gerard Murphy.      

23 octobre 2013

La mémoire trouble


"La mémoire est la faculté grâce à laquelle les humains interprètent l'expérience. Se souvenir, c'est réinterpréter."
James Carroll

"Mais ces images que l'on garde en mémoire, parfois toute une vie, ne sont pas que des cartes postales, avec, inscrites au verso, la date et l'identification du lieu; elles se présentent comme des assemblages, associant au visuel des impressions, des émotions, des sons, des odeurs, toute une synesthésie à chaque fois singulière. C'est grâce à ces combinaisons de sensations qu'on peut les conserver, et s'en servir à bon escient, le moment venu. Une image (mentale ou non) ne sert à rien si elle n'évoque pas un moment, un lieu, une histoire, une de ces microparcelles de vie qui semblent contenir la vie tout entière. On se souvient d'une lumière à laquelle on a confié pendant quelques secondes la totalité de son âme; restituer cette lumière, c'est toujours chercher à retrouver le moment où elle nous est apparue. Ces images résistent avec force à toute description, à toute reproduction."

La lecture crée d'étranges dialogues, parfois à quelques heures d'intervalle, mettant aux prises dans notre salon des auteurs qui paraissent se répondre, ou affiner une pensée ébauchée: dans le cas présent, Labro citant Carroll, que développe Rousselot. Je mesure chaque jour le bonheur d'avoir pareils invités à ma table. 


Lu dans :
James Carroll cité par Philippe Labro. Le flûtiste invisible. Gallimard. 2013. 179 pages. Extrait p.41
Philippe Rousselot. La Sagesse du Chef opérateur. J.C.Béhar Editions. 2013. 112 pages. Extrait p.7,8

De l'or sous nos pas

"Il y a de l'or
         dans le vert du feuillage
(..) et passe sur l'écran
        la saison des couleurs


La forêt tout entière
    veuve de son feuillage
    est trouée de lumière
    d'une touche d'été
    qui brûle
    de l'intérieur

Mes pas désapprennent
    les chemins balisés
J'aime ce désordre
    cette pagaille de feuilles
    aux tons enchevêtrés
(..)
Il y a les tout seuls
    il y a les groupés
enfin il y a moi
    seule
    mais pas esseulée."

Magie des mots écrits. On porte en soi les couleurs d'un automne flamboyant, une douceur dans l'air et dans le coeur, le rythme balancé des pas dans un tapis de feuilles aux senteurs fauves. Et soudain, on lit sous la plume d'un(e) autre, mieux que nous ne pourrions jamais le décrire, toutes ces sensations réunies.


Lu dans:
Louisa de Groot. Le Parloir. Ed. Traces de vie. 2005. 100 pages. Extraits p.24, 33, 34

21 octobre 2013

Quand le maître copie

"Plagier quelqu'un, c'est reconnaître à un travail une estime que l'on dénie à son auteur."
David Van Reybrouck

Maurice Maeterlinck, qui fut "notre" Prix Nobel de littérature en début de XXème siècle, connut des pages moins glorieuses en fin de vie. Son dernier ouvrage consacré à la vie des termites s'inspira largement, sans le citer, des travaux d'Eugène Marais, entomologiste discret né en 1871 près de Prétoria. Le plagiat de son œuvre par un auteur européen mondialement célèbre le toucha au plus profond, ce qu'il releva avec élégance: "Le célèbre écrivain belge m'a fait le grand honneur d'utiliser mes travaux, mais sans avoir la courtoisie de citer ses sources, comme il est d'usage en pareil cas". Meurtri, reconnu par ses pairs sud-africains mais guère au-delà, il nota dans ses carnets qu'"être victime de plagiat est autrement plus grave que de ne pas être reconnu sur le plan scientifique. "  Tout le monde n'a pas la chance d'être Coco Channel qui répétait: "copiez-moi, copiez-moi, j'en créerai d'autres plus belles encore." 


 
Lu dans :
David Van Reybrouck. Le Fléau. Actes Sud Littérature. Lettres néerlandaises. 2008. 416 pages. Extrait p.344. Traduit du néerlandais par Pierre-Marie FINKELSTEIN. Extraits pages 16, 139.       

20 octobre 2013

"Il y a plus grave que l'ignorance (socratique, elle avoue ses limites) : c'est de croire savoir ce que l'on ne sait pas."
Lu dans:
Pierre Sansot. Ce qu'il reste. Payot et Rivages. 2006. 201 pages. Extrait p.111

19 octobre 2013

Heureux comme un babouin

"Tout à coup, nous entendons un jappement sourd. On dirait un chien, mais ce n'en est pas un. Ils dormaient toujours au même endroit. C'est là qu'ils se rassemblaient chaque jour au crépuscule. Je lève les yeux. A moins de trente mètres de moi, je vois se détacher une silhouette dans la lumière grise au bord du rocher: le babouin. Je sors ma longue-vue: il s'agit d'un mâle presque adulte. Il jappe à nouveau dans ma direction, l'air nerveux, menaçant. Un deuxième le rejoint. Je suppose que le reste de la bande dort derrière le rebord. La tombée du jour les a réunis, comme à l'accoutumée. Ce doivent être les arrière-arrière-petits-enfants de ceux [qui furent décrits exactement au même endroit un siècle plus tôt]. (...) Alors que l'Afrique du Sud a connu le siècle le plus mouvementé de son histoire, une bande de babouins a vécu ici pendant toutes ces années. Ils ont continué à manger, à s'épouiller, à se battre, à s'accoupler, à dormir et à mourir, là dans ce coin reculé." 



Les images de Lampeduza dégagent un malaise durable, photographie instantanée d'un nouveau monde accouché dans la douleur, comme Robben Island le fut pour l'Afrique du Sud. Je liste au même moment la liste de choses à faire d'une journée du Belge lambda que je suis: des rendez-vous, quelques visites de routine, l'acquisition du dernier smartphone, immobiliser l'auto devant notre domicile ce soir de bonne heure pour ne pas nous faire chauffer la place par une voiture-ventouse, passer assez tôt au Colruyt demain pour tenter d'y trouver encore de l'Orval. A l'abri de l'extrême pauvreté, des dictatures et des horreurs guerrières d'un monde qui se déchire, ne sommes-nous devenus une bande de babouins égayés s'épouillant dans la salle d'attente? A l'image de  ce magistrat de campagne dans un roman de Coetzee contraint de s'occuper de politique alors qu'il préférerait se livrer à ses activités d'archéologue amateur dans le désert, "dorlotant sa mélancolie et tentant de déceler dans le vide du désert une acuité historique particulière." 



Lu dans :
David Van Reybrouck. Le Fléau. Actes Sud Littérature. Lettres néerlandaises. 2008. 416 pages. Extrait p.344. Traduit du néerlandais par Pierre-Marie FINKELSTEIN. Extrait page 325
J.M Coetzee En attendant les barbares. Seuil 2000. Collection : Points. 249 pages

18 octobre 2013

Ombres légères

"Se pourrait-il

que je porte en moi
le lourd fardeau
de toutes celles
qui m'ont précédée?

Toutes les femmes
tenues à l'ombre
au secret
à distance
à couvert
à l'écart
tenues sous tutelle
(..)
Se pourrait-il
qu'il y ait en moi
deux femmes ennemies?
Celle qui veut exister
et celle qui s'efface
Celle qui vous regarde en face
et celle qui s'infantilise
Celle qui se donne des choix
et celle qui s'immobilise
Femme funambule ...

Dessine droit devant toi
un point imaginaire
sur la ligne d'horizon
glisse doucement ton pas
sur le fil ténu du temps
sans peur
sans honte
sans haine
légère ... "



Lu dans:
Louisa de Groot. Le Parloir. Ed. Traces de vie. 2005. 100 pages. Extrait p.13,14.

16 octobre 2013

Notre vie sur pilotis

"Il y a en Louisiane une sorte d’autoroute qui traverse sur pilotis le lac Ponchartrain, plus de quarante kilomètres en ligne droite au-dessus de l’eau. Tôt le matin, tard le soir, c’est une destination aller et retour, vers un lieu de tournage, trente minutes à cent à l’heure. Et la première question du jour se pose en regardant la lumière et le ciel se reflétant sur l’eau, de chaque côté de la voie, « comment, de quelle manière, filmer ce paysage ? Où mettre la caméra, quel mouvement lui donner, où placer le point de fuite, la ligne d’horizon, quel filtre, quel objectif utiliser ? Comment décrire ce qu’on ne peut encore voir, comme la rive opposée cachée par l’arc de la terre, et qui fait que ce pont sur l’eau s’étire à l’infini ? ». 
Le texte est beau, et interpelle. Ne sommes-nous pas, dans le film de notre vie, sur une route toute pareille, scrutant à chacun de nos réveils la lumière d'un horizon qui se dérobe "comme la rive opposée cachée par l'arc de la terre et qui fait que ce pont sur l'eau s'étire à l'infini" ? 


Lu dans :
Philippe Rousselot. La Sagesse du Chef opérateur. J.C.Béhar Editions. 2013. 112 pages. Extrait p.6

La peinture qu'on aime

« L'art est de cacher l'art. »
Joseph Joubert.

Etrange raccourci. Entre deux visites à domicile lors de ma tournée du soir, France Inter diffuse une émission consacrée à ces toiles acquises à prix d'or par des investisseurs et aussitôt entreposées à Genève ou à Singapour dans des hangars sécurisés dont elles ne ressortiront qu'épisodiquement pour revente. Un grand nombre d'oeuvres d'art disparaissent ainsi du monde visible, négociées sur catalogue par des experts plus financiers qu'esthètes. Je laisse  l'autoradio pour examiner chez elle une patiente secouée par la toux, et découvre un coquet appartement, bric-à-brac à la Prévert aussi pittoresque que sa propriétaire. Au mur, une reproduction délavée de la Joconde, façon sixties Artis-Historia, à l'énigmatique sourire. Pour faire vrai musée, calé dans un coin du pauvre cadre, un carton sur laquelle une main maladroite a écrit: Mona Lisa. L.de Vinci. On peut certes sourire des petites gens, mais entre l'émotion ressentie à la vue d'une sous-copie de la Joconde et la dissimulation spéculative dans un bunker du port-franc de Singapour de toiles bien réelles mais devenues invisibles se déroule toute la palette du monde, et sa déraison. 
 

Entendu:
Catherine Lamour et Danièle Granet, pour le film La ruée vers l'art de Marianne Lamour (en salle le 16 octobre en France). France Inter. L'humeur vagabonde. Lundi 14 octobre 2013. 20 h. http://www.franceinter.fr/emission-lhumeur-vagabonde-catherine-lamour-et-daniele-granet

14 octobre 2013

Le progrès et son ombre

"Tout progrès, pour intéressant et bienvenu qu'il soit, implique toujours une perte."
 David Van Reybrouck.

Ils sont la nouvelle Afrique du Sud, mais l'ancienne est encore omniprésente, le chemin sera long. Ils ont conscience d'appartenir à une minorité de privilégiés auxquels le changement apporte réellement des améliorations concrètes et regrettent pourtant les samedis où, enfants, ils se levaient avant le jour pour attraper des oiseaux ou pour aller jouer au foot toute la journée jusqu'à ce que le ballon leur sorte par les yeux lorsqu'ils rentraient à la maison, à la nuit tombée, la peau couleur de terre. Tous bonheurs aujourd'hui supplantés par les dessins animés à la télévision. La nostalgie est inhérente à l'ascension sociale, tout passage au palier supérieur générant inévitablement, chez celui ou celle qui en fait l'expérience, un sentiment de perte par rapport à la condition précédente.
 


Lu dans :
David Van Reybrouck. Le Fléau. Actes Sud Littérature. Lettres néerlandaises. 2008. 416 pages. Extrait p.344. Traduit du néerlandais par Pierre-Marie FINKELSTEIN.

13 octobre 2013

Marcheurs solitaires

"Robinson a toujours fasciné les philosophes. L'essence de l'humanité n'est pas dans l'isolement, mais dans la rencontre. Je fais une différence entre la solitude et l'isolement. La solitude, c'est le fait d'être le seul à être soi-même et à ça, on n'échappe pas. Il faut combattre l'isolement et accepter la solitude, qui est indissociable de la condition humaine."
André Comte-Sponville

On dort
    les uns contre les autres
on vit
    les uns avec les autres
on se caresse     on se cajole
on se comprend    on se console
mais au bout du compte
on se rend compte
    qu'on est toujours tout seul au monde.
                        (Fabienne Thibeault)

Nous sommes des marcheurs solitaires qui ne nous déplaçons qu'en groupe.


Lu dans:
André Comte-Sponville. Entretien avec Gilles Bechet. Le Soir Victoires. 12 octobre 2013. p.6

12 octobre 2013

Les sons du silence

"La méditation, c'est comme une douche de silence qu'on prendrait chaque matin en laissant pour une fois les mots à distance."
 André Comte-Sponville.

J'ai testé récemment un casque Bose à réduction de bruit, impressionnant d'efficacité dans une FNAC vacarmeuse. L'alternance instantanée bruit/silence et la musique cristalline qu'il permet d'écouter réussit à faire désirer intensément l'achat (coûteux) de cet ustensile de rêve. Il ne permet pas d'acheter simultanément la méditation qui donne sa valeur à ce désert sonore. Le silence intérieur est un patient entraînement, accessible à peu de frais, qui se mérite ou se partage dans la confidence à mots comptés, et l'absence de paroles qui la suit. Lors d'un séjour déjà lointain dans le temps (que j'associe dans ma mémoire à la chute du mur de Berlin et au vacarme assourdissant qu'il créa pour l'équilibre de la planète) je fis un court séjour dans les mouroirs de la mère Thérèse à Calcutta. Assis en tailleur dans la grande chapelle de la Circular Road où se célébrait le premier office du matin, fenêtre ouvertes pour assurer la ventilation et envahie par les bruits d'un trafic extérieur épouvantable, je me laissai envahir par le silence d'une communauté qui intériorisait  la journée à venir. Trois cent personnes assises comme moi partageaient ce moment gratuit d'une valeur inestimable. Le silence vient de l'intérieur de l'être et se dilate en lui, avec ou sans casque à réduction de bruit. 



Lu dans:
André Comte-Sponville. Entretien avec Gilles Bechet. Le Soir Victoires. 12 octobre 2013. p.6

11 octobre 2013

La cérémonie des adieux

"Nous ne savons plus nous acquitter de la cérémonie des adieux. Nous possédions autrefois une maison familiale au bord du Lot. Fin septembre, nous la fermions, nous en fermions les volets, nous la rendions au silence, à un hiver sans doute rude, à la brume du Lot qui l'envelopperait dès le mois d'octobre. Nous la retrouverions quelque peu transie au mois de juin prochain. Avant de l'abandonner, je m'avançais le long du perron. Je m'approchais du fleuve, mélancolique, recueilli, ému, parcourant du regard tous ces mois où nous serions séparés l'un de l'autre. "
P. Sansot
Lu dans:
Pierre Sansot. Ce qu'il reste. Payot et Rivages. 2006. 201 pages. Extrait p. 136

10 octobre 2013

La nouvelle richesse

«Vous avez besoin du trou, pas de la perceuse ; d’une projection, pas d’un DVD; de déplacements, pas d’une voiture ! »
Rachel Botsman


Assiste-t-on au passage progressif d'un âge de la propriété vers un âge de l’accès, où la possession matérielle d'un objet se verrait supplantée par la seule satisfaction de pouvoir en jouir? L'utilisation de logiciels en ligne, en permanence mis à jour, sans qu'il soit nécessaire de les installer sur son PC, en est un indice conforté par bien d'autres: le succès des vélos-lib, du car-pooling genre Cambio, des mises en location durant ses vacances de son appartement ou de sa maison, du time-sharing, voire des places de parkings en ville utilisées en alternance jour-nuit comme le tente une administration communale. Le mouvement touche jusqu’à l’épargne : plutôt que de la laisser dormir sur un compte, des particuliers se la prêtent en contournant les banques. "La richesse réside bien plus dans l’usage que dans la possession" notait Aristote.  La crise, en contraignant les gens à la débrouille, provoquera-t-elle un sursaut de créativité et de confiance mutuelle susceptible de faire naître ce phénomène de la consommation collaborative?  Rien n'interdit d'essayer. Un article récent du Monde diplomatique prolonge cette réflexion 


Lu dans:
Rachel Botsman et Roo Rogers, What’s Mine Is Yours : How Collaborative Consumption Is Changing the Way We Live, HarperCollins, Londres, 2011  ; Lisa Gansky, The Mesh : Why the Future of Business Is Sharing, Portfolio Penguin, New York, 2010.
Martin Denoun et Geoffroy Valadon  Posséder ou partager ? Le Monde diplomatique. Octobre 2013. p.3

08 octobre 2013

"Le véritable analphabétisme n'est pas dans l'incapacité de lire et d'écrire, mais dans l'inaptitude à créer."
Hyaku-sui

Entre fuite et rejet

"Nous sommes sans domicile fixe, le monde entier est sans abri si nous ne parvenons pas à nous sentir chez nous avec les autres."
Jens C Grondahl
La semaine passée lors d'une visite j'ai croisé en rue un couple, la femme était entièrement voilée, visage dissimulé. Ma surprise témoigne de la proportion ténue de ce port de la burka intégrale dans nos quartiers pourtant fort hétérogènes de longue date: le cas demeure aussi rare que de voir un chien à trois pattes. On oscille pourtant à ce moment entre deux réactions simultanées, le rejet et la fuite. Ou l'acceptation de nos différences, mais jusqu'où? L'impression de fragilité de nos équilibres de vie face à ces nouvelles situations prend sa source dans la totale perte de repères au quotidien, alors que nous croyions nos rues, nos placettes, nos voisins immuables, et pour toujours. Les voisins proches sont morts, ou ont déménagé vers des régions plus typées, les terrasses autour de nous résonnent d'idiomes que nous ne comprenons guère, parfois de chants; les fumets ne sont plus ceux du barbecue bleu-blanc-belge, les visages nous sont à peine connus. La tentation nous guette d'adopter l'expression féroce de Sébastien Marx, journaliste et comédien américain établi en France définissant le "con" utilisé couramment par les Français comme "tout autre personne qui n'est pas moi". Je n'en ferai pas la mienne.



Lu dans:
Jens Christian Grondahl. Les complémentaires. Gallimard. 2013. 236 pages. 

07 octobre 2013

Sagesse de la transmission

"La transmission de quelques objets modestes , témoins silencieux de leur affection. Ils en usèrent dans la vie de tous les jours sans trop les renouveler. Ils portèrent l'empreinte de leur souci à vivre, à nous alimenter, à nous protéger de la faim, du froid. Une certaine manière de tendre les draps, de disposer les couverts prolonge, dans notre mémoire, leur vie.  Nous ne saurions dissocier leur être et leurs manières de nous apparaître : en ce qui concerne mon père, un béret dont il ne se séparait jamais. "
Pierre Sansot


 
Lu dans:
Pierre Sansot. Ce qu'il reste. Payot et Rivages. 2006. 201 pages. Extrait p. 134

05 octobre 2013

Rêves d'étoiles

"Un être humain ramène des histoires à raconter, pas un robot."
Frank De Winne

Alors que les robots parcourent Mars, est-il encore nécessaire d’y envoyer des êtres humains au risque de ne pouvoir assurer leur retour comme l'envisage crûment une agence spatiale privée ? Comme le souligne non sans humour Frank De Winne, notre deuxième spationaute belge après Dirk Frimout et premier commandant européen de la station spatiale internationale,  "c’est un projet qui peut poser des problèmes éthiques. Comme agence spatiale, nous portons des valeurs fortes. Nous voulons prendre soin de nos astronautes, nous oeuvrons pour l’humanité mais aussi avec humanité. (..) L’exploration spatiale est une activité à risques, mais notre objectif est de revenir sauf et en bonne santé, en minimalisant le danger. Il me semble qu’offrir sa vie à coup sûr est un prix très élevé à payer pour accomplir cette exploration".

Il n'empêche que l'exploration humaine de la planète rouge demeure un défi pour le XXIème siècle, démarche essentielle "parce qu’une société qui s’arrête d’explorer et de chercher est une société qui n’avance plus. Les civilisations qui ont arrêté d’explorer ont toutes disparu plus ou moins rapidement."   Rover, le robot qui a précédé Curiosity, a parcouru en cinq ans moins de kilomètres que les astronautes d’Apollo 17 en deux semaines. La machine humaine est plus complexe, elle regarde un panorama là où le robot ne regarde qu’où on lui dit de regarder. L’être humain peut apporter des données très complexes. Et puis, cela nous sert aussi à nous projeter aux côtés de cette exploration. Un être humain ramène des histoires à raconter, pas un robot. 

On croit entendre le rire en grelot du Petit Prince : "-Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j'habiterai dans l'une d'elles, puisque je rirai dans l'une d'elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles. Tu auras, toi, des étoiles qui savent rire!" Et il rit encore. "-Et quand tu seras consolé (on se console toujours) tu seras content de m'avoir connu. Tu seras toujours mon ami. Tu auras envie de rire avec moi. Et tu ouvriras parfois ta fenêtre, comme ça, pour le plaisir... Et tes amis seront bien étonnés de te voir rire en regardant le ciel. Alors tu leur diras: "Oui, les étoiles, ça me fait toujours rire!" Et ils te croiront fou. Je t'aurai joué un bien vilain tour... "
 
Lu dans:
Frank De Winne. Ce siècle verra l’homme sur Mars. Propos recueillis par Frédéric Soumois. Le Soir 4 octobre 2013. Extrait p. 6
Antoine de Saint-Exupéry. Le Petit Prince. Project Gutenberg. http://gutenberg.net.au/ebooks03/0300771h.html

03 octobre 2013

Poussières entre ombre et lumière

"... la poussière qui s'était accumulée sur les meubles, qui jonchait le sol, qui naissait des vêtements que j'examinais, qui m'emplissait les poumons et provoquait un début de conjonctivite. . (..) [Alors que] pour moi, qui fus un enfant du Lot-et-Garonne, la poussière était associée à celle que je soulevais à vélo du côté de Sainte-Livrade ou de Villeréal. Je la faisais naître du chemin à la manière d'un cheval blanc et fougueux. "
Pierre Sansot

Revient en mémoire l'ancestrale "toi qui es poussière". Vers laquelle des deux nous imaginons-nous retourner? 

Lu dans:
Pierre Sansot. Ce qu'il reste. Payot et Rivages. 2006. 201 pages. Extrait p. 139
 «Je suis très connu, mais personne ne le sait...»
Jean-Philippe Toussaint

Lu dans:
Nue, par Jean-Philippe Toussaint, Minuit, 170 p. 

02 octobre 2013

Sagesse de Dante

" Mais le temps est venu pour nous de suivre Dante, que guida si bien Virgile dans les méandres de l'après-vie. Le temps est venu de quitter les Enfers. «Et de là nous sortîmes à revoir les
étoiles'. »
' Dante, La Divine comédie, L'Enfer, chant XXXIV.



Lu dans:
Lucien Jerphagnon. C'était mieux avant ... Texto 2007  250 pages. Extrait p 170

30 septembre 2013

Les objets de rien des gens de peu

"Ils avaient fait leur temps. Nous les avions rangés dans un grenier ou une pièce inoccupée ou encore nous les avions accompagnés sans scrupule jusqu'à une décharge. Et voilà qu'ils resurgissent dans l'allégresse et qu'ils bénéficient d'une seconde vie. Ils sont tous là en ordre de bataille, la plupart écorchés par leur vie antérieure, et hors d'usage ou encore bons pour une société qui n'a plus cours: un moulin à café alors que les machines ont rendu leur usage inutile, des lames de rasoir, celles qui coupent le visage de celui qui en use, des brocs destinés à la toilette du matin comme si les salles de bains n'existaient pas, des tubes de dentifrice marque « Colgate ». (..) J'aperçois des diplômes, celui du certificat d'études ou du brevet élémentaire. L'acheteur sera-t-il un être inculte qui se prévaudra d'un savoir qu'il ne possède pas ou bien les montrera-t-il à un enfant qui se gaussera à la vue de ses papiers dont il ne saura que faire? Tout ce petit monde vit à plat, modestement, résigné à s'étaler à même le trottoir et à subir les outrages d'un public distrait. Si on leur donnait la parole, ils voudraient revendiquer, manifester de la fierté, une fierté outragée: «Que croyez-vous, ma chère madame, autrefois j'ai mouliné un excellent café dont l'arôme excitait une famille mal réveillée».
Pierre Sansot. Ce qu'il reste.

La consultation est terminée depuis une heure, et ma tête bourdonne encore des récits de tous ces "gens de peu" qui font notre quotidien, et ma vie professionnelle. La description que me fait Pierre Sansot des multiples objets de brocantes des rues de nos cités compose le meilleur des décors à ce qui est devenu mon quotidien, une pratique médicale du "presque rien" qui se révèle souvent une rencontre permanente du presque tout, d'existences souffrantes égrenant les pathologies les plus diverses et les plus réelles, tellement intriquées dans la pauvreté de moyens disponibles  qu'on ne sait guère par quel bout en dévider l'écheveau. "Au-delà du marchandage, ce sont des histoires de vie qui sont en jeu - non point ces histoires commémorées reproduites à grand spectacle mais des vies authentiques, silencieuses, accomplies dans la douleur et dans la joie, qui se sont brisées avec un décès, un héritage, une succession difficile. Les uns et les autres parlent d'abondance puis se taisent quand ils prennent conscience d'un néant qui fait effraction sur une rue banale et auquel ils ont été associés brutalement et dans lequel, un jour, ils seront immergés. Enfin, vient le moment de fixer le prix: là encore je découvre une visée démocratique dans ce rassemblement qui contient des objets d'une inégale valeur et qui se côtoient fraternellement en dehors d'une quelconque valeur marchande."
Quand la médecine rencontre les brocantes, on peut s'entendre.

Lu dans:
Pierre Sansot. Ce qu'il reste. Payot et Rivages. 2006. 201 pages. Extraits p. 39, 43-45