10 novembre 2013

Victoires sans vainqueurs

 "Le pays tout entier était saisi d'une fureur commémorative en faveur des morts, proportionnelle à sa répulsion vis-à-vis des survivants."
Pierre Lemaître. Au revoir là-haut. (Prix Goncourt 2013)

11 novembre, pas la gloire. Il y a la lassitude des soldats après les combats, les déserteurs qui franchissent les lignes pour se constituer prisonniers et fuir ainsi la ligne de front, ceux qui se blessent volontairement pour la même raison, les fusillés pour l'exemple. Et puis il y a les survivants, ceux qui reviennent dans leur foyer après des mois ou des années de tranchées, presque honteux d'être en vie. Cruel contraste entre une forme d'héroïsme attribuée aux morts, qu'on commémore, et la désillusion qui frappa bon nombre de têtes cassées, miraculés qu'on ne sait trop où recaser. Les récits de retour de Vietnam, d'Irak ou d'Afghanistan attestent de la permanence de cette difficulté à affronter le regard des autres au retour de guerre. Le dernier Goncourt, attribué à Pierre Lemaître, en a fait son miel. 
Je revis en ce jour d'armistice le récit que me fit jadis un vieux patient, dissimulant mal ses larmes, narrant son retour au domicile conjugal pour y trouver son fauteuil occupé par un autre homme. Il le regarda, regarda sa femme, ne dit pas un mot et rentra chez ses parents. Ce jour-là il envia le sort des héros morts.


Lu dans:
Pierre Lemaître. Au revoir là-haut. Prix Goncourt 2013. Albin Michel. 576 pages.

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