10 novembre 2013

Armistriste

"Les mois se succèdent. Cet été de l'année mil neuf cent dix-huit est le plus pénible et le plus sanglant de tous. (..) Jamais la vie ne nous a semblé aussi désirable que maintenant : rouges coquelicots des prairies sur les brins d'herbe, chaudes soirées dans les chambres fraîches et à demi obscures; arbres noirs et mystérieux du crépuscule, étoiles et eaux courantes, rêves et long sommeil, ô vie, vie, vie ! ...
(..) Jamais on n'a supporté en silence plus de douleurs qu'au moment où l'on part pour les premières lignes. Les faux bruits, si excitants, d'armistice et de paix ont fait leur apparition; ils troublent les cœurs et rendent les départs plus pénibles que jamais. (..) Jamais la vie au front n'a été plus amère et plus atroce que dans les heures passées sous le feu, lorsque les blêmes visages sont couchés dans la boue et que les mains se convulsent en une seule protestation: « Non, non, non, pas maintenant! Pas maintenant, puisque ça va être la fin ! ». (..) Question incompréhensible: «Pourquoi? Pourquoi n'en finit-on pas? » (..) Si nous étions rentrés chez nous en mil neuf cent seize, par la douleur et la force de ce que nous avions vécu, nous aurions déchaîné une tempête. Si maintenant [en 1918] nous revenons dans nos foyers, nous sommes las, déprimés, vidés, sans racine et sans espoirs. Nous ne pourrons plus reprendre le dessus."
Erich Maria Remarque

Ce 11 novembre 1918 à 11 heures, comme l'écrira joliment Mermoz "le son des cloches de la cathédrale d'une cathédrale lointaine / musique sereine / l'heure / meurt.." comme meurent les illusions d'une génération qui - dit-on - partit au front en chantant. Un conflit interminable s'éteint, séparant sans gloire deux fronts exsangues sur un continent dévasté, que peut-on commémorer devant pareil désastre, si ce n'est le chagrin et le souci illusoire que jamais l'histoire ne se répète... 
 

Je vous souhaite une bonne semaine
CV.

Lu dans:
Erich Maria Remarque. À l'Ouest rien de nouveau. 1928. Le Livre de Poche (1973) 224 pages. 278-279, 285-286
Michel Faucheux. Mermoz. Gallimard 2013. coll. Folio 101. 295 pages. Extrait p.123

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