13 novembre 2013

Sagesse de la caverne

"Au premier regard, c'est toujours la caverne de Platon, inchangée depuis vingt-cinq siècles: les prisonniers ne voient que des images et des silhouettes. Pourtant, ils ne contemplent plus fixement le fond de la grotte ni les ombres portées défilant sur la paroi. Les prisonniers d'aujourd'hui sont équipés d'écrans - téléviseurs, tablettes, smartphones - interconnectés et interactifs. Et cela bouleverse absolument tout."
Valérie Charolles

Je termine la lecture d'un article du Monde en ligne, poste quelques mails, découvre une vidéo, m'enquiert de la météo de demain dans mon bureau silencieux. Je m'aperçois que simultanément une dizaine d'amis, proches, familiers se livrent au même moment à des tâches similaires sur Skype, Facebook, Yahoo, Spotify ou YouTube. D'aucuns répondent à mes mails de manière quasi instantanée, m'invitent à découvrir leurs dernières photos, à partager une musique. Nos salons soudain s'interconnectent, comme nos pensées. Un doux vertige s'installe à imaginer les millions de personnes qui au même moment se donnent accès les uns aux autres par-delà les langues, les océans et les frontières. La caverne de Platon est devenue planétaire, sur un laps de temps d'une dizaine d'années et à une vitesse qui donne le tournis.

La métaphore de la termitière décrite par David Van Reybrouck, avec son fonctionnement homogène de parties hétérogènes, son équilibre entre autonomie et intégration, débouche sur l'image neuve d'une planète où les communautés les plus diverses ont désormais la possibilité non seulement de cohabiter, mais de partager un cerveau commun interconnecté. La vitesse de cette évolution rend difficile toute prévision, positive ou négative selon nos tempéraments et humeurs du moment. Les milliers de termites organisées comme un organisme unique capable de se défendre, de se nourrir, de faire circuler l'information, d'éjecter ses déchets offre pourtant une image apaisante de l'individu collectif plus fort dans sa volonté d'être ensemble. Vue du ciel, notre planète se mettra-t-elle aussi soudain à penser comme un ensemble, irriguée d'un flux continu de vie grouillant jour et nuit, souffrant et se réjouissant de manière quasi simultanée quand un typhon ou un séisme la frappe, dansant et chantant sur les mêmes clips superbes ou débiles, surveillée en permanence par d'immenses oreilles.

Plus modestement, imaginer que ces quelques rêveries vont se mêler dans l'instant à celles de quelques dizaines d'autres, les nourrissant et se transformant en autant d'images, de pensées neuves, de projets divers, pour se voir ensuite peut-être à nouveau relayées vers de nouveaux réseaux, réveille soudain en moi l'image de la balançoire de nos enfants - et de la résonance étudiée en physique, celle qui faisait vaciller les ponts. Que nous en soyons conscients ou non, nous ne penserons plus comme avant. 



Lu dans:
Valérie Charolles. Philosophie de l'écran. Dans le monde de la caverne. Fayard. 2013. 310 p.
David Van Reybrouck. Le Fléau. Actes Sud Littérature. 2008. 416 pages. Extrait p.333.

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