"Cette façon qu'a la vie de ne pas finir ses phrases."
Claude Roy
On a fini par la croire éternelle, elle s'éteignait doucement,
laissant choir chaque jour un morceau d'elle-même: une date oubliée, un
mot confondu, une tribune de marche, et puis plus de marche du tout, une
pâleur effrayante, trois tartines le matin, puis deux, puis une, le
bien-être d'une main caressée, devenu bientôt "pourquoi tu me touches?",
des nuits pareilles aux jours, la sonnerie d'un téléphone qui sonne
dans le vide. On imaginait cent manières de prendre congé d'elle et de
la vie, on lui dirait les mots tendres jamais prononcés, on la
veillerait comme l'enfant à qui on raconte la dernière histoire avant la
nuit, et elle s'en irait doucement comme s'envole la montgolfière. Au
revoir et bon voyage. Mais un jour elle est partie sans préavis, sans
prévenir, en milieu d'après-midi , à la manière des mariés qui jadis se
faisaient la belle au soir de la noce, fuyant la fête en catimini pour
démarrer leur vie. On aurait pu s'en douter, la connaissant: mourir
peut-être, mais sans tout ce qui l'entoure.
Claude Roy. Les rencontres des jours. 1992-1993. NRF Gallimard.1995 342 pages. Extrait p.19
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