"Il s'agit surtout de passionner le temps."
Vladimir Jankélévitch, formule reprise de H. Bergson
Tout philosophe est le fruit de son époque. Jankélévitch
énoncerait-il la même phrase aujourd'hui, peut-être mais? Ce
matin, dans l'espace d'accueil de sa maison de repos, une
pensionnaire tricote paisiblement en fredonnant a capella Le
temps des cerises. Me surprennent sa sérénité, le caractère
intemporel de son activité et de son chant, ainsi que la distance
qui la sépare de ses voisines dont l'inoccupation se fait
volontiers malveillante. Dans l'auto, Klara Continuo égrène un
Mozart cristallin, tandis qu'explosent à mes yeux une longue
traînée de jonquilles en fleurs, de forsythias et de magnolias
annonçant un printemps imminent. Brève méditation sur le
surgissement de l’inattendu dans nos vies, sur ce bonheur qui
soudain prend toute la place, nous plongeant dans un monde de
légèreté, d'optimisme et de lendemains meilleurs. L'autoradio
interrompt Mozart pour un bulletin d'infos rapportant la
destruction d'un théâtre et d'une école à Marioupol. Brutal retour
au quotidien, et à une question existentielle: a-t-on le droit
d'être heureux face à l'inhumanité, de nous soustraire à un
désastre dont nous ne sommes pas directement responsables? Ou au
contraire, faut-il plus que jamais cultiver des bulles de paix
intérieure pour contrebalancer la violence et le chaos? Question
demeurée sans réponse.
Vladimir Jankélévitch , Frédéric Worms, et al. L'aventure, l'ennui, le sérieux. Flammarion. 304 pages. 2017. Extrait p. 234
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