19 mars 2022

Le surgissement de l'inattendu

 "Il s'agit surtout de passionner le temps."

        Vladimir Jankélévitch, formule reprise de H. Bergson



Tout philosophe est le fruit de son époque. Jankélévitch énoncerait-il la même phrase aujourd'hui, peut-être mais?  Ce matin, dans l'espace d'accueil de sa maison de repos, une pensionnaire tricote paisiblement en fredonnant a capella Le temps des cerises. Me surprennent  sa sérénité, le caractère intemporel de son activité et de son chant, ainsi que la distance qui la sépare de ses voisines dont l'inoccupation se fait volontiers malveillante. Dans l'auto, Klara Continuo égrène un Mozart cristallin, tandis qu'explosent à mes yeux une longue traînée de jonquilles en fleurs, de forsythias et de magnolias annonçant un printemps imminent. Brève méditation sur le surgissement de l’inattendu dans nos vies, sur ce bonheur qui soudain prend toute la place, nous plongeant dans un monde de légèreté, d'optimisme et de lendemains meilleurs. L'autoradio interrompt Mozart pour un bulletin d'infos rapportant la destruction d'un théâtre et d'une école à Marioupol. Brutal retour au quotidien, et à une question existentielle: a-t-on le droit d'être heureux face à l'inhumanité, de nous soustraire à un désastre dont nous ne sommes pas directement responsables? Ou au contraire, faut-il plus que jamais cultiver des bulles de paix intérieure pour contrebalancer la violence et le chaos? Question demeurée sans réponse.



Lu dans:
Vladimir Jankélévitch , Frédéric Worms, et al. L'aventure, l'ennui, le sérieux. Flammarion. 304 pages. 2017. Extrait p. 234

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