« Rien n'est plus triste qu'une bataille gagnée, si ce n'est une bataille perdue."
Wellington, parcourant le champ de bataille le soir de sa victoire à Waterloo.
Victor Hugo, dans Les Misérables, donne à ce moment une intensité
épique. On est dans la défaite : on la respire, on la boit, elle
vous étouffe. Et, miracle de l'art, elle se transforme en beauté
tant elle traduit l'inéluctable destin humain qui est de perdre,
de souffrir, de périr. « Si quelque chose est effroyable, s'il existe une réalité qui
dépasse le rêve, c'est ceci : vivre, voir le soleil, être en
pleine possession de la force virile, avoir la santé et la joie,
rire vaillamment, courir vers une gloire qu'on a devant soi,
éblouissante, se sentir dans la poitrine un poumon qui respire, un
cœur qui bat, une volonté qui raisonne, parler, penser, espérer,
aimer, avoir une mère, avoir une femme, avoir des enfants, avoir
la lumière, et tout à coup, le temps d'un cri, en moins d'une
minute, s'effondrer dans un abîme, tomber, rouler, écraser, être
écrasé, voir des épis de blé, des fleurs, des feuilles, des
branches, ne pouvoir se retenir à rien, sentir son sabre inutile,
des hommes sous soi, des chevaux sur soi, se débattre en vain, les
os brisés par quelque ruade dans les ténèbres, sentir un talon qui
vous fait jaillir les yeux, mordre avec rage des fers de chevaux,
étouffer, hurler, se tordre, être là-dessous et se dire: "Tout à
l'heure, j'étais un vivant!" »
Le vote dans nos pays a remplacé le canon. Victoire, défaite demeurent,
l'élection reste une confrontation, voire un combat de chefs. Nettement
moins épique toutefois que la description qu'en fait Victor Hugo. Ce
soir pourtant, on laissera avec un certain amusement les vainqueurs
avancer leurs bulletins de victoire.
Lu dans:
Jean-Marie Rouart. Napoléon ou la destinée. Gallimard 2012. 347 pages.
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