14 octobre 2012

C'était Waterloo


« Rien n'est plus triste qu'une bataille gagnée, si ce n'est une bataille perdue."
Wellington, parcourant le champ de bataille le soir de sa victoire à Waterloo.

Victor Hugo, dans Les Misérables, donne à ce moment une intensité épique. On est dans la défaite : on la respire, on la boit, elle vous étouffe. Et, miracle de l'art, elle se transforme en beauté tant elle traduit l'inéluctable destin humain qui est de perdre, de souffrir, de périr. « Si quelque chose est effroyable, s'il existe une réalité qui dépasse le rêve, c'est ceci : vivre, voir le soleil, être en pleine possession de la force virile, avoir la santé et la joie, rire vaillamment, courir vers une gloire qu'on a devant soi, éblouissante, se sentir dans la poitrine un poumon qui respire, un cœur qui bat, une volonté qui raisonne, parler, penser, espérer, aimer, avoir une mère, avoir une femme, avoir des enfants, avoir la lumière, et tout à coup, le temps d'un cri, en moins d'une minute, s'effondrer dans un abîme, tomber, rouler, écraser, être écrasé, voir des épis de blé, des fleurs, des feuilles, des branches, ne pouvoir se retenir à rien, sentir son sabre inutile, des hommes sous soi, des chevaux sur soi, se débattre en vain, les os brisés par quelque ruade dans les ténèbres, sentir un talon qui vous fait jaillir les yeux, mordre avec rage des fers de chevaux, étouffer, hurler, se tordre, être là-dessous et se dire: "Tout à l'heure, j'étais un vivant!" » 

Le vote dans nos pays a remplacé le canon. Victoire, défaite demeurent, l'élection reste une confrontation, voire un combat de chefs. Nettement moins épique toutefois que la description qu'en fait Victor Hugo. Ce soir pourtant, on laissera avec un certain amusement les vainqueurs avancer leurs bulletins de victoire. 
 

Lu dans:
Jean-Marie Rouart. Napoléon ou la destinée. Gallimard 2012. 347 pages. 

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