"Dans les locaux de l'ambassade de France à Moscou, il existe une pièce appelée "la chambre sourde". On peut y parler en toute sécurité, à l'abri des micros indiscrets."
Isabelle Hausser
Beau roman allégorique de l'enfermement d'un diplomate qui se mure dans
ses soupçons et imagine son propre malheur conjugal, cette chambre
sourde réverbère en moi le meuble que je chéris entre tous: le bureau en
bois massif de mon cabinet de consultation. A chambre sourde, bureau
muet. Possède-t-on jamais pareil objet, qui transite par nos existences
et nous survivra sans aucun doute, emportant les confidences, joies et
souffrances confondues de milliers de patients. Le grand-père médecin de
mon épouse y travailla un demi-siècle, j'y aurai moi-même bientôt passé
près de quarante ans. Il aura été un confident discret, offrant sa
surface généreuse aux coudes, aux petits billets raturés, aux larmes
d'une dizaine de générations successives, d'inconnus improbables que
rien ne rapproche, les rassurant par sa simple permanence comme on
retrouve un être cher. Sa présence, - même aspect sans âge, solidité,
reflets usés sur la marqueterie, localisation inchangée dans un cabinet
sans style défini, odeur de cire d'abeille et tabac de Virginie - a
davantage rasséréné les anxieux que ne le firent nos paroles, ou est-ce
l'alchimie des deux ? Certains soirs je l'interroge: que comptes-tu
faire de ta vie future, cher ami-meuble. Le bois travaille quel que soit
son âge chuchote-t-il, pas de souci.
Lu dans:
Isabelle Hausser. La chambre sourde. Editions de Fallois. 1998. 364 pages. Extrait page 4 de couverture.
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