08 septembre 2012

Au bureau des affaires discrètes


"Dans les locaux de l'ambassade de France à Moscou, il existe une pièce appelée "la chambre sourde". On peut y parler en toute sécurité, à l'abri des micros indiscrets."
Isabelle Hausser

Beau roman allégorique de l'enfermement d'un diplomate qui se mure dans ses soupçons et imagine son propre malheur conjugal, cette chambre sourde réverbère en moi le meuble que je chéris entre tous: le bureau en bois massif de mon cabinet de consultation. A chambre sourde, bureau muet. Possède-t-on jamais pareil objet, qui transite par nos existences et nous survivra sans aucun doute, emportant les confidences, joies et souffrances confondues de milliers de patients. Le grand-père médecin de mon épouse y travailla un demi-siècle, j'y aurai moi-même bientôt passé près de quarante ans. Il aura été un confident discret, offrant sa surface généreuse aux coudes, aux petits billets raturés, aux larmes d'une dizaine de générations successives, d'inconnus improbables que rien ne rapproche, les rassurant par sa simple permanence comme on retrouve un être cher. Sa présence, - même aspect sans âge, solidité, reflets usés sur la marqueterie, localisation inchangée dans un cabinet sans style défini, odeur de cire d'abeille et tabac de Virginie - a davantage rasséréné les anxieux que ne le firent nos paroles, ou est-ce l'alchimie des deux ? Certains soirs je l'interroge: que comptes-tu faire de ta vie future, cher ami-meuble. Le bois travaille quel que soit son âge chuchote-t-il, pas de souci.  
       
Lu dans:
Isabelle Hausser. La chambre sourde. Editions de Fallois. 1998. 364 pages. Extrait page 4 de couverture.

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