"Il me dit que la soirée passée hier chez des amis l'a déçu. Je lui demande ce qu'il en attendait. Il ne sait pas trop, rien de particulier, pourtant il est déçu. Peut-il y avoir une déception sans attente, avec une attente qui ignore ce qu'elle attend, qui attend plus ou autre chose, une attente de l'inattendu? En fait, la soirée s'est déroulée comme il pouvait s'y attendre : un bon repas, une conversation enjouée, etc. Une excellente soirée, décevante. (..). Cet homme se reproche souvent d'être trop paisible, de s'être aménagé une existence où il ne manque de rien. « Une réussite à tous égards, ma vie.»
J.-B.Pontalis
Le rêve contemporain: se construire une existence où on ne manque de
rien, à moindre risque, stable à tous égards. Cela a un prix, souffrance
qu'on nomme de mille manières, et qu'on a aujourd'hui médicalisée. La
plus belle description qu'il me revienne a les traits de Vladimir et
Estragon, sur scène, dans un non-lieu (« Route de campagne avec arbre »)
à la tombée de la nuit pour attendre « Godot ». Cet homme - qui ne
viendra jamais - leur a promis qu'il viendrait au rendez-vous ; sans
qu'on sache précisément ce qu'il est censé leur apporter, il représente
un espoir de changement. En l'attendant, les deux amis tentent de
trouver des occupations, des "distractions" pour que la vie passe. Un
demi-siècle plus tard, l'absurde s'est teinté pour beaucoup d'une
désespérance liée à la fatalité économique, elle aussi sans attente, à
côté de laquelle la déception comblée décrite par Pontalis fait sourire.
De la boîte mystérieuse ouverte par Pandore, libérant
malencontreusement tous les maux de l'humanité, notamment la Vieillesse,
la Maladie, la Guerre, la Famine, la Misère, la Folie, le Vice, la
Tromperie, la Passion, seule la dernière, plus lente à réagir, ce mal
mystérieux et doux nommé Espérance, parfois traduite comme "l'attente de
quelque chose", y resta enfermée. Qu'elle ne se soit pas échappée
permettait jadis à l'homme d'affronter tous les autres maux. Comment
Hésiode (VIIIème siècle avant J.C) réécrirait-il le mythe de Pandore en
2012?
Lu dans:
J.-B. Pontalis. Fenêtres. Gallimard 2000. Folio 3642. 175 pages. Extrait p. 55
Broché: 124 pages
Samuel Beckett. En attendant Godot. Editions de Minuit 1995 (1ère édition 1952), 124 pages
J.-B. Pontalis. Fenêtres. Gallimard 2000. Folio 3642. 175 pages. Extrait p. 55
Broché: 124 pages
Samuel Beckett. En attendant Godot. Editions de Minuit 1995 (1ère édition 1952), 124 pages
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