15 septembre 2012

Le plein et le vide


"Il me dit que la soirée passée hier chez des amis l'a déçu. Je lui demande ce qu'il en attendait. Il ne sait pas trop, rien de particulier, pourtant il est déçu. Peut-il y avoir une déception sans attente, avec une attente qui ignore ce qu'elle attend, qui attend plus ou autre chose, une attente de l'inattendu? En fait, la soirée s'est déroulée comme il pouvait s'y attendre : un bon repas, une conversation enjouée, etc. Une excellente soirée, décevante. (..). Cet homme se reproche souvent d'être trop paisible, de s'être aménagé une existence où il ne manque de rien. « Une réussite à tous égards, ma vie.»
J.-B.Pontalis

Le rêve contemporain: se construire une existence où on ne manque de rien, à moindre risque, stable à tous égards. Cela a un prix, souffrance qu'on nomme de mille manières, et qu'on a aujourd'hui médicalisée. La plus belle description qu'il me revienne a les traits de Vladimir et Estragon, sur scène, dans un non-lieu (« Route de campagne avec arbre ») à la tombée de la nuit pour attendre « Godot ». Cet homme - qui ne viendra jamais - leur a promis qu'il viendrait au rendez-vous ; sans qu'on sache précisément ce qu'il est censé leur apporter, il représente un espoir de changement. En l'attendant, les deux amis tentent de trouver des occupations, des "distractions" pour que la vie passe. Un demi-siècle plus tard, l'absurde s'est teinté pour beaucoup d'une désespérance liée à la fatalité économique, elle aussi sans attente, à côté de laquelle la déception comblée décrite par Pontalis fait sourire. De la boîte mystérieuse ouverte par Pandore, libérant malencontreusement tous les maux de l'humanité, notamment la Vieillesse, la Maladie, la Guerre, la Famine, la Misère, la Folie, le Vice, la Tromperie, la Passion, seule la dernière, plus lente à réagir, ce mal mystérieux et doux nommé Espérance, parfois traduite comme "l'attente de quelque chose", y resta enfermée. Qu'elle ne se soit pas échappée permettait jadis à l'homme d'affronter tous les autres maux. Comment Hésiode (VIIIème siècle avant J.C) réécrirait-il le mythe de Pandore en 2012?

Lu dans:
J.-B. Pontalis. Fenêtres. Gallimard 2000. Folio 3642. 175 pages. Extrait p. 55
Broché: 124 pages
Samuel Beckett. En attendant Godot. Editions de Minuit 1995 (1ère édition 1952), 124 pages 

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