"Nos ames ont charié si uniment ensemble : elles se sont considerees d'une si ardante affection, et de pareille affection descouvertes jusques au fin fond des entrailles l'une à l'autre : que non seulement je cognoissoy la sienne comme la mienne, mais je me fusse certainement plus volontiers fié à luy de moy, qu'à moy. »
Montaigne , en parlant de son ami La Boétie
«Quand j'essaie de définir ce bien qui depuis des années m'est donné », écrit [Marguerite Yourcenar] à propos de sa longue et intime collaboration avec Grace Frick, «je me dis qu'un tel privilège, si rare qu'il soit, ne peut cependant être unique; qu'il doit y avoir parfois, un peu en retrait, dans l'aventure d'un livre mené à bien, ou dans une vie d'écrivain heureuse, quelqu'un qui ne laisse pas passer la phrase inexacte ou faible que nous voulions garder par fatigue; quelqu'un qui relira vingt fois avec nous s'il le faut une page incertaine; quelqu'un qui prend pour nous sur les rayons des bibliothèques les gros tomes où nous pourrions trouver une indication utile, et s'obstine à les consulter encore, au moment où la lassitude nous les avait déjà fait refermer; quelqu'un qui nous soutient, nous approuve, parfois nous combat; quelqu'un qui partage avec nous, à ferveur égale, les joies de l'art et celles de la vie, leurs travaux jamais ennuyeux et jamais faciles; quelqu'un qui n'est ni notre ombre, ni notre reflet, ni même notre complément, mais soi-même; quelqu'un qui nous laisse divinement libre, et pourtant nous oblige à être pleinement ce que nous sommes».
Cette collaboration unique dans «les joies de l'art et celles de la vie» s'est terminée l'année dernière, juste quelques mois avant l'élection de Marguerite Yourcenar à l'Académie française [6 mars 1980], quand Grace Frick est morte à la veille de la plus grande gloire de son amie. Durant des années Yourcenar avait soigné sa compagne au fil de sa longue maladie, prenant du retard dans son travail, interdisant les traductions par d'autres de ses ouvrages déjà terminés. «Laisser quelqu'un d'autre traduire mes écrits avant que Grace eût quitté ce monde, c'eüt été lui dire que sa vie était déjà finie. Je ne pouvais pas faire cela.»
Lu dans:
Bérengère Deprez. Marguerite Yourcenar et les Etats-Unis. Du nageur à la vague. Racine. 2012. 208 pages.
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