"Dans un jardin public un homme observe un petit garçon en larmes dont les deux barquettes à la confiture viennent de tomber dans le sable. Et il découvre que son extrême légèreté, ce jour-là, doit autant à l'après-midi ensoleillé, et aux quelques minutes qu'il est en train de voler à ses activités professionnelles, qu'au drame de l'enfant proprement dit.
«Tant d'années pour émerger et en avoir eu si peu conscience jusqu'ici », se dit l'homme en songeant au cortège des malheurs ordinaires de l'enfance : la peur panique de l'obscurité lorsqu'il fallait se coucher. Les genoux entaillés après une chute sur l'asphalte. La morsure de l'alcool sur la plaie vive. Les poches percées et ses plus belles billes disparaissant dans une bouche d'égout. Ses jouets favoris brisés, perdus ou volés. Les chaussures trop petites, ou trop grandes. L'ennui irrépressible, certains jours, parce qu'au square personne n'acceptait un compagnon de jeu inconnu. La grisaille de l'itinéraire, quatre fois par jour, pour aller à l'école communale et en revenir. La peur d'être montré du doigt par le maître. Un temps étale enfin, sans la moindre aspérité, et la perspective des plus grandes joies elles-même qui paraissait toujours se perdre dans un futur improbable."
Marcel Cohen
Belle occasion de placer une description de souvenirs d'enfance ce 6 décembre. Belle Saint Nicolas à ceux qui peuvent encore la vivre.
Lu dans:
Marcel Cohen. Faits. NRF Gallimard. 2002. 242 pages. Extrait pp.227,228
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