"Je me lève, je suis très calme.
Les mois et les années peuvent venir.
Ils ne me prendront plus rien.
Ils ne peuvent plus rien me prendre.
Je suis si seul et si dénué d'espérance que je peux les accueillir sans crainte. "
Erich Maria Remarque. A l'Ouest, rien de nouveau. 1928
Un regard d'un écrivain allemand sur la première guerre mondiale:
l'absurdité d'une guerre et le désespoir d'une génération sacrifiée.
Paul, un jeune soldat de 19 ans raconte sa vie dans les tranchées, dans
l'attente de l'armistice imminente et devant le vide de l'avenir qui
s'ouvre devant lui. "L'armistice va venir bientôt; maintenant, je le
crois, moi aussi. Alors, nous rentrerons chez nous; c'est à quoi
s'arrêtent mes pensées. (..) Si nous étions rentrés chez nous en mil
neuf cent seize, par la douleur et la force de ce que nous avions vécu,
nous aurions déchaîné une tempête. Si maintenant nous revenons dans nos
foyers, nous sommes las, déprimés, vidés, sans racine et sans espoirs.
Nous ne pourrons plus reprendre le dessus. (..) On ne nous comprendra
pas non plus, car devant nous croît une génération qui, il est vrai, a
passé ces années·là en commun avec nous, mais qui avait déjà un foyer et
une profession et qui, maintenant, reviendra dans ses anciennes
positions, où elle oubliera la guerre; et, derrière nous, croît une
génération semblable à ce que nous étions autrefois, qui nous sera
étrangère et nous écartera. Nous sommes inutiles à nous-mêmes. Nous
grandirons; quelques-uns s'adapteront; d'autres se résigneront et
beaucoup seront absolument désemparés; les années s'écouleront et,
finalement, nous succomberons. (..) Je me lève, je suis très calme. Les
mois et les années peuvent venir. Ils ne me prendront plus rien. Ils ne
peuvent plus rien me prendre. Je suis si seul et si dénué d'espérance
que je peux les accueillir sans crainte. La vie qui m'a porté à travers
ces années est encore présente dans mes mains et dans mes yeux. En
étais-je le maître? je l'ignore. Mais, tant qu'elle est là, elle
cherchera sa route, avec ou sans le consentement de cette force qui est
en moi et qui dit «Je».
Il tomba en octobre mil neuf cent dix-huit par une journée qui fut si
tranquille sur tout le front que le communiqué se borna à signaler qu'à
l'ouest il n'y avait rien de nouveau. Il était tombé la tête en avant,
étendu sur le sol, comme s'il dormait. Lorsqu'on le retourna, on vit
qu'il n'avait pas dû souffrir longtemps. Son visage était calme et
exprimait comme un contentement de ce que cela s'était ainsi terminé.
Lu dans:
Erich Maria Remarque. À l'Ouest rien de nouveau. 1928. Le Livre de Poche (1973) 224 pages.
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