24 octobre 2019

20 ans


"N’attendez pas le bonheur
pour être heureux, mes amis."
                            Norge


Vingt ans ont passé comme une semaine. Le 24 octobre 1999 naissait le premier Café Journal, destiné à mes collègues enseignants à Woluwe afin de les inciter à ouvrir chaque jour leur boite électronique toute fraîche que personne n'utilisait. Je leur promettais d'en poster un chaque soir durant une semaine, et d'arrêter ensuite. Étant d'humeur allègre je choisis une pensée d'Alain "Refais chaque jour le serment d'être heureux", ce que la vie s'empressa de démentir pour l'un ou l'autre dont la sagesse m'apprit néanmoins, avec Prévert, que "le bonheur en partant nous assure qu'il reviendra". Ces minimes d'un soir devinrent progressivement ce que la boite à musique est au sommeil des gosses, modestes grains de bonheur sous les paupières de la  nuit. Les échanges qu'elles permirent sont mes étoiles au ciel, et le ciel brille.



Lu dans:
Daniel Laroche. Une chanson bonne à mâcher. Vie et œuvre de Norge. Préface de Pierre Piret. Presses Universitaires de Louvain. 2019. 266 pages
Alain. Propos sur le bonheur. XCII. 1923. 

23 octobre 2019

Les oiseaux philosophes


 "Tel le ramier posé sur le faîte du toit avec sa posture de grand placide, sa manière de regarder passer la vie comme qui regarderait le dehors, de sa fenêtre, tranquille. Ou plutôt comme les oiseaux de petit format qui ne prennent pas des airs de philosophe et sont faits pour l’intranquillité."
                    Nicole Malinconi


Pour le vol, il n’y a pas mieux que les oiseaux, pour la réflexion non plus d'ailleurs. Un pigeon philosophe perché sur une cheminée de la maison voisine, se chauffant gratuitement pour faire face aux premiers frimas, a de quoi nous rendre jaloux. A moins que nous attire encore davantage l'activité des moineaux, cette sorte de joie permanente de gosses en récréation, cette apparence d'insouciance agitée. Loin là-haut une image disparue depuis l’enfouissement des fils électriques, celle des migrateurs qui à la fin de l'été s'y rassemblaient en préparation du grand départ.  Pareils aux hommes, les oiseaux participent à la transformation du monde et à ses conséquences, à ce qui disparaît et à ce que cela induit. Nous sommes solidaires.


 

Lu dans:
Nicole Malinconi. Poids plumes. Esperluète. 2019. 80 pages

22 octobre 2019

Tu


"J’ai besoin quand j’écris
que tu te penches sur ma feuille

il y a ce tu
dans l’écriture
sans lequel je
ne trouve pas l’usage
des mots."
        Véronique Wautier
 




Lu dans
Pierre Tréfois et Véronique Wautier. Dans nos mains silencieuses. Éranthis. 2018. 34 p. 

20 octobre 2019

Le petit homme raide


"Lui était un tout petit homme maigre, toujours vêtu d’un complet blanc, coiffé d’un casque colonial. Il était raide comme un jouet, avec des mouvements saccadés qui faisaient penser à des jointures rouillées. Quand on le voyait avec sa femme sur la route, on avait  l’impression qu’elle devait le remonter de temps en temps pour le remettre en marche."
                            George Simenon. Les volets verts. 1950


Dans la rue de mon enfance, il habitait à moins de 100 mètres. Son image me revient en lisant ces lignes de Simenon. En vingt ans, pas un échange. On se jaugeait de loin, reconnaissant une silhouette, la couleur invariable d'un imper, l'heure de départ et de retour de sa voiture, garée toujours à la même place. Mi-village mi-ville, c'était ça, la banlieue. Sa femme le supplantait, plus joviale, plus amène, plus bavarde, plus tout en quelque sorte. Cet homme avait sans aucun doute ses propres rêves, ses espoirs de carrière, ses tracas personnels et de santé comme tout le monde. Parfois me prend l'envie de réécrire tout le scénario, de traverser la rue pour aller lui dire bonjour, demander comment il va, mais l'histoire est finie et je ne saurai jamais ce qu'il avait sous son chapeau. Ni lui  sous le nôtre. Les regrets ne mènent à rien, mais je mesure à quel point la chance de ma vie fut la médecine, grâce à laquelle dans ma rue actuelle les visages sont des récits.





Lu dans:
Simenon,  cité par Jean-Claude Vantroyen. Raide comme un jouet. Le Soir. 19 octobre 2019. p. 29

19 octobre 2019

Jeux de plage pas drôles


"Ils ont beaucoup de sable là-bas. Donc, ils peuvent jouer avec beaucoup de sable."
                    Donald Trump
Commentant la situation dans le Kurdistan syrien, le président des États-Unis fait dans l'humour, précisant  "qu'ils ont besoin de se battre un peu. Comme deux gamins, on les laisse se bagarrer un peu, et puis on les sépare". Pareil mépris d'êtres en souffrance laisse pantois. Il y avait beaucoup de sable aussi sur les vastes plages de Normandie, mais du respect pour les victimes quel que soit leur camp et un président qui occupait mieux la fonction.

Lu dans:
Gilles Paris. La guerre en Syrie, miroir de la présidence de Donald Trump. Le Monde 17 octobre 2019.

18 octobre 2019

Contrôle des papiers


"La vie c'est comme le train vers Dourdan: il est plein au départ. Dès Saint-Chéron, il n'y a plus guère que nous, qui descendons au terminus."
                        Claude Roy

Il me montre la photo sepia d'une fête de famille dans le jardin d'une grande maison. Ils étaient 20, frères soeurs unis comme les doigts de la main, parents, et peut-être aussi un grand-père avec un comique chapeau de paille. Il fut le premier à descendre du train, et puis un autre, et puis la mère, et puis le premier frère. Il arrive à Saint-Chéron, le compartiment est vide, il cherche ses papiers se demandant s'ils sont encore valides. Quel beau voyage, mais qu'une gare de campagne peut être triste quand on y descend seul.

17 octobre 2019

Miroir mon beau miroir


"Je me suis regardé dans le miroir : j’ai vu toutes sortes de gens."  
                            Francis Dannemark
 
 
On est tous des fils de... mais encore. Et si, à l'image du figuier des banians dont les branches deviennent des racines, nos vies n'étaient qu'une longue intrication d'influences successives, compagnons de route qui furent à la fois semences et nutriments, lumière et pluie, sentiers ouverts et bordures garde-fous, premiers de cordée et sherpas de fin de colonne. Demain au lever, regarder son miroir comme une fenêtre ouverte sur le paysage de notre existence, peuplé d'une longue traine d'être chers sans lesquels nous ne serions qu'un Mowgli errant dans la Jungle. Et, prolongeant la rêverie des racines imaginer les ailes, toutes ces rencontres croisées auxquelles nous avons donné vie parfois sans nous en rendre compte, des tristes redevenus gais, des incertains remis sur la route, des enfants rieurs devenus des adultes lumineux, de grands vieillards angoissés partis sereins. Certains auteurs ont le don d'écrire dru et de faire de nos miroirs des paysages, c'est le cas de la citation de ce jour qui traînait dans ma mémoire et que j'ai retrouvée avec bonheur.



 
Lu dans:
Francis Dannemark. Les petites voix. Belfond. 2003. 156 pages

15 octobre 2019

Goya et Zweig


"La condition humaine a été atrocement bien représentée par Goya dans l'une des fresques de sa maison du sourd : deux hommes qui se battent au sabre pendant qu'ils s'enfoncent dans des sables mouvants."
                                                                            Jean Loubry
 
L'actualité peut paraître à ce point sinistre qu'on aimerait se réveiller de ce mauvais rêve que constitue la lecture du journal. La littérature regorge de portraits anticipant ces drôles de personnages qui nous gouvernent mais c'est Goya dans sa peinture de la folie qui les résume le mieux. Le Joueur d'échecs de Stefan Zweig lui servirait d’annotation, mais est-ce pertinent d’appeler les échecs un jeu quand on suit la partie entamée cette semaine simultanément dans plusieurs endroits de notre Terre? Certains se trouvent à quelques heures de train de notre pays, et tous leurs chefs d'état ou de gouvernement sans exception furent élus par les voies les plus démocratiques. C'est peut-être ce qui rend le plus triste.


 
Lu dans:
Jean Loubry. Penser contre nature. Aphorismes de philosophie. Presses Universitaires de Louvain. Coll. Petites empreintes. 2018. 74 pages. Extrait pp 23-24.

Aimer une inconnue

"À quoi penses-tu
La question de tous les couples
De tous ceux qui vivent
Côte à côte."
                Emmanuel Régniez.

Nous vivons entourés de planètes inexplorées, personnes chères dont nous ne perçons le jardin secret que par quelques minuscule fenêtres. Il a été suggéré que la vie en société ne résisterait pas longtemps à la connaissance complète et permanente des pensées de ceux que nous croisons. Ne découvrir que ce qui se laisse éclairer est une sagesse.

Emmanuel Régniez réécrit Simenon, en enfile la poésie des mots dans leur simplicité, laissant traîner le regard sur un détail oublié du décor, saisissant le quotidien dans ce qu'il a de plus simple, tissant de nouveau fils pour les perles dont il fait des colliers.



Lu dans:
Emmanuel Régniez, Cédric Friggeri. Marges en pages. Ed. Ordinaire(s). 2019. 176 p.

14 octobre 2019

Le livre qu'on n'attendait pas


"La passion autoproclamée de Jeff Bezos (le fondateur d'Amazon) pour les livres relevait d'une démarche pragmatique. Le rêve qu'il caressait était celui de devenir le plus grand distributeur sur Internet et, partant, du monde. Or, pour démarrer son entreprise, Amazon, il lui fallait trouver le produit idéal capable de faire la preuve que son business model pouvait fonctionner. Et ce produit idéal fut le livre : pas fragile, facile à transporter, non périssable, ne nécessitant pas de service après-vente, peu enclin aux pannes... il présentait toutes les qualités requises."
                            Paul Vacca


Au départ d'une amusante et pertinente analyse de la "story telling" du patron d'Amazon, celui "qui aimait tant les livres qu'il décida de les rendre accessibles au plus grand nombre d'un seul clic", Paul Vacca nous fait partager - outre son amour du livre -  son attachement aux petites librairies. Celles qui nous font découvrir la "terra incognita incognita": pas celle des livres qu'on connaît (Le Petit Prince), ni celle des livres qu'on connaît mais qu'on n'a pas lus (Crime et Châtiment), mais celle des livres qu'on ne sait pas qu'on ne connaît pas (Incognita incognita, de Mark Forsyth, par exemple). Par-delà l'allégorie du livre inattendu s'ouvre une belle réflexion sur ce qui fait le sel de nos vies: la personne qu'on croise et qu'on n'attendait pas, la saveur ignorée du mets exotique, la musique qui ne ressemble à aucune autre mais  nous parle de nous. Ce  jour qui s'ouvre peut nous révéler des surprises. 



Lu dans: Paul Vacca. Délivrez-vous. Les promesses du livre à l'heure numérique. Les Editions de l'Observatoire. 2018. 102 pages. Extrait p.50

12 octobre 2019

Le bon vieux temps


"On pourrait continuer à broder sans fin sur cette ligne de fausse nostalgie. Quand les premiers livres de poche sont apparus, les gens les détestaient et les appelaient les romans à deux sous. Et je soupçonne que lorsque Johannes Gutenberg a inventé l'imprimerie au XVe siècle, les monastères étaient pleins de moines qui prétendaient qu'une Bible imprimée manquait de chaleur humaine. On peut probablement remonter jusqu'à 3000 av. J.-C. et trouver un Égyptien déplorant la disparition des hiéroglyphes sous la poussée de l'écriture hiératique à la nouvelle mode. Ça n'a pas de fin. (..) Le monde a évolué et toutes sortes de choses ont sombré dans l'oubli — les machines à vapeur, les cassettes audio, la petite vérole. Aussi fort que ça nous fasse hurler, nous ne voulons pas réellement revenir en arrière."    
                    Mark Forsyth
 

Lu dans:  
Mark Forsyth. Incognita incognita. La Editions du sonneur. 2019. 48 pages. Extrait pp 19-20

11 octobre 2019


"Avantage de la musique sur la littérature: les notes ignorent la méchanceté."
                    Jean Loubry
 
 

 
Lu dans:
Jean Loubry. Penser contre nature. Aphorismes de philosophie. Presses Universitaires de Louvain. Coll. Petites empreintes. 2018. 74 pages.

10 octobre 2019

Un pourcent et demi


 "Nous avons, paraît-il, nonante-huit pour cent et demi de génomes communs avec le chimpanzé. Plus peut-être. La science ne sait trop que faire de ce pour cent et demi qui lui échappe et grâce auquel pourtant nous avons bâti des cathédrales, peint des tableaux, écrit des poèmes, composé des musiques et même découvert que nous avions nonante-huit pour cent et demi de génomes communs avec le chimpanzé. Et plus peut-être."
                    Jean Loubry


La même observation a été faite pour le porc et son cousin sauvage le sanglier, ce qui en fait un excellent modèle en recherche biomédicale, en chirurgie cardiaque, pour les greffes d'organe et pour la production de médications humaines comme l'héparine. Tout comme l'homme, cet animal peut souffrir de diabète, d'obésité ou de maladies comme Parkinson et Alzheimer. Un petit pourcent de génome qui nous donne tout pouvoir sur lui, à la vie à la mort. Étrange hiérarchie venue du fonds des temps instaurant une suprématie que la race humaine ne paraît guère prête à abandonner.

       

Lu dans :
Jean Loubry. Penser contre nature. Aphorismes de philosophie. Presses Universitaires de Louvain. Coll. Petites empreintes. 2018. 74 pages. Extrait pp 17-18. 
"Petites empreintes" est une création récente des Presses Universitaires de Louvain, en format volontairement réduit de manière à condenser la réflexion comme le temps de cuisson et l'évaporation concentrent les fonds de sauce en cuisine. A découvrir.

08 octobre 2019

Sombre labyrinthe


"Que de mystères demeurent à découvrir dans le système nerveux
cette toile de structure matérielle et éthérée
ce réseau de fils qui parcourent le corps
composé de mille fils d'Ariane menant tous au cerveau
ce sombre labyrinthe où gisent         éparpillés
les os humains
où rôdent les monstres
et aussi les anges..."
                Margaret Atwood


Un tueur en série octogénaire raconte aux enquêteurs ses 93 meurtres de femmes, entre 1970 et 2005. Il en a immortalisé les portraits, a posté le récit filmé de ses forfaits sur un site en ligne et semble y prendre un plaisir certain. Lui et moi, lui et vous, sommes de la même espèce, Homo sapiens. Où se niche donc la différence, si différence il y a ?  Je contemple notre nouveau-né, quelques semaines à peine: que deviendra-t-il?



Lu dans:
Margaret Atwood. Captive. Trad. Michèle Albaret-Maatsch. Ed. 10x18. 2017. 624 pages.  Extrait p. 247

La pluie Pierre

Il pleut
Il pleut
Sur les jardins alanguis
Sur les roses de la nuit
Il pleut des larmes de pluie
Il pleut
Et j'entends le clapotis
Du bassin qui se remplit
Oh mon Dieu, que c'est joli
La pluie

Quand Pierre rentrera
Il faut que je lui dise
Que le toit de la remise
A fui
Il faut qu'il rentre du bois
Car il commence à faire froid
Ici
Oh, Pierre
Mon Pierre

Sur la campagne endormie
Le silence et puis un cri
Ce n'est rien, un oiseau de la nuit
Qui fuit
Que c'est beau cette pénombre
Le ciel, le feu et l'ombre
Qui se glisse jusqu'à moi
Sans bruit
Une odeur de foin coupé
Monte de la terre mouillée
Une auto descend l'allée
C'est lui
Oh, Pierre
Pierre
            Barbara
 
Paroles pour aimer l'automne, et la pluie.
 

06 octobre 2019

L'eau de là-haut


"Elle
rappelle-toi comme elle est belle
et touche-la, elle sent le sel
c'est un don miraculeux
Toi
tu te caches dans les ruelles
et comme un païen qui appelle
les dieux pour qu'elle t'inonde
Elle
elle a le temps
elle est là depuis mille ans
elle te suit comme une ombre
Rien que de l'eau, de l'eau de pluie, de l'eau de là-haut."
                                Véronique Sanson.


Et soudain la pluie... Un jour, deux jours, la semaine. La pluie qu'on aime après un bel été sans fin, "il pleut tellement qu'il pleut même dans mes rêves" (Abraham Verghese)
 
  

Lu dans:
Bernard Swell. Véronique Sanson. Rien que de l'eau.  © Piano Blanc. Société des éditions musicales. 1991
Abraham Verghese. La porte des larmes. Trad Michel Marny. Flammarion 2010.  Coll J'ai Lu 9572. 768 pages. 

05 octobre 2019

Paroles volent


"Si tu supportes mal d’entendre tes propos
interprétés sans cesse par des juges inconnus
et que dans leur regard         comme à travers leur peau
tu vois se refléter leurs soucis mis à nu…"    
                    Thibaut Creppe
 
Ce qu'on dit, ce qui se comprend. Il a 80 ans, vit seul. Il m'interpelle en rue, me dit que son fils lui propose d'aller habiter chez lui, qu'en pensez-vous docteur? Je lui dis que son fils est bien aimable, qu'il faut y réfléchir à l'aise. Le fils me téléphone le soir en panique: mon père me dit que vous estimez qu'il est temps que je le prenne chez moi car il ne peut plus vivre seul. Nos paroles volètent et se retraduisent selon l'épaule où elles se posent.

 
Lu dans:
Thibaut Creppe. La ville endormie. Tétras Lyre. 2019. 57 pages

03 octobre 2019


"Ainsi va le poète : un pigeon dans la ville
Côtoyant les égouts aussi bien que les cimes."
                    Vincent Poth
 
 
       
Lu dans:
Vincent Poth. À l’abri de l’abîme. Taillis Pré. 2019. 98 pages

Rêves brisés


"Un camion d’éboueurs     dans notre rue déserte
fait résonner la nuit et emporte peut-être
sans le savoir         déposées là pour disparaître
quelques lettres et des fleurs que je t’avais offertes. "
                    Thibaut Creppe

Récits de vie, dont le quotidien banal ravive les ruptures, que n'en entendons-nous chaque jour. On rit, on pleure et même le « rire se confond avec un verre brisé » (Apollinaire).





Lu dans:
Thibaut Creppe. La ville endormie. Tétras Lyre. 2019. 57 p.

02 octobre 2019

De la buée aux fenêtres

"Le vent fera craquer les branches
La brume viendra dans sa robe blanche
Y aura des feuilles partout
Couchées sur les cailloux
Octobre tiendra sa revanche

Le soleil sortira à peine
Nos corps se cacheront sous des bouts de laine
Perdue dans tes foulards
Tu croiseras le soir
Octobre endormi aux fontaines

Il y aura certainement,
Sur les tables en fer blanc
Quelques vases vides et qui traînent
Et des nuages pris sur les antennes 
 
Je t'offrirai des fleurs
Et des nappes en couleurs
Pour ne pas qu'Octobre nous prenne
Et sans doute on verra apparaître
Quelques dessins sur la buée des fenêtres."

Francis Cabrel. Octobre. Album : Samedi soir sur la terre. 1994.
 


01 octobre 2019

Comme des ronds dans l'eau


Et l’amour         jamais quantifiable ni reconnu de ceux qui le transmettent
observer la pierre  jetée dans l’eau distraitement         où vont les ronds ?
quelle béatitude de ne pas le savoir
et de continuer
                Kathy d’Hoop

Où vont les ronds? Imaginer que le regard aimant que l'on a jeté sur ceux qu'on croise puisse leur être bénéfique à distance, dans le temps, dans l'espace. Beau sujet de réflexion pour une journée.


 
 

30 septembre 2019

Les yeux de la ville


"Qu’est-ce qu’un quartier sinon, d’abord, ces fenêtres qui s’allument une à une au petit matin et composent dans l’obscurité une constellation d’existences juxtaposées les unes aux autres ?"
                      Manon Ott



Incrustés dans notre rue de longue date et y travaillant, chaque fenêtre est un visage. Quand une à une elles s'illuminent, on ne dit pas "elle s'allume" mais "Monsieur Tilkin se lève", cela fait une sacrée différence.
       

Lu dans:
Mathieu Macheret. De cendres et de braises , la beauté cachée des cités. Le Monde Cinéma. 25.9.19.
La chercheuse en sciences sociales Manon Ott livre le fruit d’une longue enquête de terrain sur Les Mureaux dans un documentaire.

28 septembre 2019

Naufragés


"Assis dans un coin du vieux port je me disais : Et dire qu’un billet d’avion Dakar-Paris, c’est 800€ et 5 heures de vol."
                    Slimane Benaïssa


Elle a trouvé refuge dans le vieux Marseille, en attente d'une route vers l'Angleterre. Elle se remémore l’impossible odyssée aux bons soins de passeurs douteux, les compagnons de voyage emportés par les flots, la traversée ce que l’humanité produit de plus pure horreur. On lui dit que le plus dur est derrière elle, elle n'en est guère convaincue: en Afrique elle était migrante, ici elle est une exilée et l'exil est une souffrance à part entière. Demain cela fera trois mois qu'elle a quitté son village et sa famille de la manière la plus clandestine qui soit. A la devanture des kiosques, elle déchiffre la une des quotidiens relatant la faillite de Thomas Cook et ses 600.000 clients à rapatrier. L'incertitude du calendrier de retour (un jour, une semaine?) de ces naufragés touristiques lui fait envie, ainsi que la sollicitude à les rapatrier dans de bonnes conditions. Si tous les hommes sont égaux, ceux avec un visa le sont plus que d'autres, même clients d'une firme en faillite. 



 
Lu dans:
Collectif. Des traversées et des mots. Écritures migrantes. Mardaga. 2019. 96 p.
Une initiative originale née dans la foulée de la Foire du livre : rassembler en un recueil des textes écrits par des migrants et d’autres créés pour l’occasion par quelques-uns de nos écrivains francophones et par des personnes impliquées dans les mouvements aux côtés des réfugiés. 

26 septembre 2019

La beauté des retours


"Je n'aimais pas sentir arriver la fin des vacances, mais j'adorais le trajet du retour, vers la France notre pays natal, vers Paris, vers notre appartement et la chambre que je partageais avec mon frère, vers l'année scolaire qui allait commencer. J'aimais avaler les kilomètres, dominer l'autoroute le long de laquelle défilaient les paysages et tous ces possibles : sorties vers d'autres villes, d'autres vies, d'autres enfances. Et c'était encore meilleur la nuit, lorsqu'on avait le droit de veiller avec mon frère et que les feux des voitures autour de nous (points rouges devant le camping-car, phares jaunes arrivant en sens inverse), les lampadaires au-dessus de l'asphalte, les stations-service et les centres commerciaux paraient la nuit industrielle des beautés qu'on lui refuse, traînées opalescentes, diadèmes, escarboucles, lasers entrecroisés, rivières de diamants. J'en étais millionnaire."
                        Ivan Jablonka


La beauté se niche dans le regard, qui peut transformer le quotidien en aventure. Se créer mille existences en devinant les sorties d'autoroute, et une toile impressionniste à la vue des phares de voiture, laissera rêveur les poètes ancrés dans l'humus de nos campagnes, mais pourquoi pas? Il existe une poésie urbaine pour réenchanter le monde.

 
Lu dans: Ivan Jablonka.
En camping-car. Seuil. 2018. 184 pages. Extrait p. 26

Sept milliards de langues


"Ma mère était anglaise et je parlais anglais avec elle. Très jeune, on m'a emmené en Suisse et je parlais français avec la maîtresse, et j'apprenais le latin avec un professeur. Avec mon père je parlais et j'écrivais en espagnol. J'ai donc longtemps cru que chaque personne avait sa propre langue."
                    Jorge Luis Borges

 
La manière de dire, l'empreinte vocale, double nos  empreintes digitales: chacun a la sienne, même en parlant une langue commune.  On reconnaît dans l'instant, à la manière de s'annoncer au téléphone, d'énoncer "ma fille est malade", de s'excuser pour un retard la personne qui  le prononce. Les années qui passent le modifient peu, et même si on améliore la syntaxe la mélodie d'une voix demeure unique. Je suis tel que je parle.
 

25 septembre 2019

Une séduisante maîtresse


"La médecine est une maîtresse exigeante, fidèle, généreuse et sincère. Elle m'a accordé le privilège de voir des patients et d'enseigner à des étudiants, et donné du sens à tout ce que je fais." 
                        Abraham Verghese
 
 
Le lyrisme d'Abram Vergheze, qu'un ami médecin m'a fait découvrir récemment, résonne en moi. J'ai dévoré son long ouvrage semi-autobiographique "La porte des larmes" en quelques jours, transporté par la magie des mots dans une pratique médicale si peu différente de celle que je vis, égrenant passionnément les étapes de ce médecin ayant étudié en Inde, pratiqué en Éthiopie, enseigné à Stanford aux États-Unis. Le livre refermé, ne restent que les questions: comment entretenir une maîtresse exigeante sans trahir ses proches et sans sacrifier une partie de soi-même, négligeant ce jardin intérieur qui aurait demandé davantage d'égards et de temps?  Comment entretenir un œil lucide sur cette maîtresse si peu sincère par moment, comme le révèle le procès du Médiator qui s'ouvre aujourd'hui à Paris, une "médecine de barbouzes" comme la nomme la lanceuse d'alerte Irène Frachon? Comment résister à l'usure du quotidien, à la "médecine bête" aux solutions simplistes d'une plainte une pilule, à la morsure du gain facile?  Les plus beaux romans seraient-ils ceux qui se rapprochent au plus près de nos réflexions endormies?


Lu dans:
Abraham Verghese. La porte des larmes. Trad Michel Marny. Flammarion 2010.  Coll J'ai Lu 9572. 768 pages. Extrait p.767
Frédéric Soumois. Irène Frachon : « Servier, ce sont des criminels récidivistes ». Le Soir 25.9.19. 

24 septembre 2019

Impasse Semal

"Donner mon nom à une impasse
Que chacun lise dans le journal
S'il vous reste quelques chats maigres
Feulant des râles langoureux
Une ruelle sans fenêtre
Pour abriter deux amoureux
Pour conjurer le temps qui passe
Donnez mon nom à une impasse
Que chacun lise dans le journal
Impasse Semal

Y a une école Georges Perec
Des lycées Brel ou Jacques Prévert
J’ai roulé en Van au Québec
Sur l’autoroute Félix Leclerc
Rapport à mon succès d’estime
Faut quelque chose de plus intime
Un genre de repère d’animal
Impasse Semal

Ça sent la sueur, la cuisine
Le vieil alcool
Et la lavande
Du linge à contre-jour dessine
Des arcs-en-ciel de contrebande
Entre le rosier, la glycine
À côté du mur de l’usine
Après tout on ne vit pas si mal
Impasse Semal."
               

Bonheur de l'autodérision: se montrer petit dans les grandes choses, grand dans les petites. Le poète belge Claude Semal sait y faire, et on rit en cueillant la leçon pour soi-même.


Lu dans :
Claude Semal. Impasse Semal , sur une musique de Romain Didier et sur des arrangements de Gil Mortio.

23 septembre 2019

Ce qui brûle en nous


"Le moine a quatre-vingt-sept ans
ses pieds n’ont plus de graisse pour les protéger des pierres
il a oublié son chapeau         agrandi au fil des ans.
Près d’un ruisseau il voit une femme         rencontrée cinquante étés plus tôt
toujours jeune fille à ses yeux.
Une fois de plus ses mains tremblent         quand elle lui tend une tasse remplie d’eau.".
        Jim Harrison
 
Il était fort âgé, et j'avais pour lui une affection nourrie par les années et sa sagesse. Il consultait rarement, davantage pour des conseils que des médications. Un jour, il partagea qu'une amie de toujours, religieuse comme lui, à l'autre bout du monde, était décédée et qu'il en ressentait une peine immense. Il n'en dit pas plus, tout était compréhensible. L'époque se plaît à à de subtiles distinctions entre les notions d'amour, d'amitié, de complicité affective, entre émoi et passion, tous ces sentiments forts que la durée ou la distance parfois émoussent. Par sa discrétion même, la confidence d'une si longue tendresse partagée me fit relire sous un jour neuf l'allégorie du buisson ardent de l'Exode, ce mûrier sauvage qui brûle sans jamais se consumer.



 
Lu dans:
Jim Harrison. Une heure de jour en moins. Littérature étrangère. Flammarion Poésie. 2012. 224 pages. Édition du Kindle. Extrait p. 77
Exode. Chapitre 3. 

21 septembre 2019

Automne


"Ici, l'automne n'était pas une véritable saison, plutôt un état d'esprit."
                    Ragnar Jonasson



21 septembre. Il y a une mélancolie particulière qui accompagne le départ des oiseaux migrateurs. L'envers exact de la joie qu'on éprouve à leur retour au printemps. L'été referme son livre, on organise des fêtes pour prolonger chaleur et lumière : braderies, fête des voisins,  fête du vélo le dimanche sans voiture, fin des vendanges, foire au vin, derniers barbecues avec petite laine de rigueur, dernier weekend  dans la maison de vacances, ultime tonte des pelouses, récolte des noix, fermeture des volets. Le soleil se couche pendant le souper, dernière heure d'été. On hésite à allumer le premier feu dans la cheminée, qui signerait définitivement l'entrée en automne.  Tout rappelle qu'on est dans la décrue et le rangement des réserves pour l'hiver, mais que la lumière est belle! La nostalgie même des beaux jours devient bonheur, régal pour les rétines et pour les récits.


Lu dans :
Ragnar Jonasson. Mörk. La Martinière. 2017. 336 pages. Exergue
 

20 septembre 2019

Le bonheur des Chordés


"Chordés, l’ascidie (description). C’est un être sessile (qui vit fixé à un support) basique, composé de deux siphons qui lui donnent une forme d’outre. À l’état de larve, l’ascidie ressemble à un têtard de grenouille avec un cerveau et une sorte de moelle épinière (la corde) permettant de recevoir des informations sur le monde qui l’environne et de chercher l’endroit où se fixer définitivement (exposition de l’emplacement, température de l’eau, proximité d’une réserve alimentaire). Une fois l’endroit trouvé (rocher, coque de bateau, algue), l’ascidie mange son cerveau et la corde se résorbe. Ils ne lui sont plus nécessaires, son activité ne consistant dès lors plus qu’à ingurgiter de l’eau par un siphon pour la recracher par l’autre. Elle n’a aucun autre besoin ni présent ni futur nécessitant un cerveau et a une confiance totale dans son choix et dans l’Univers, qu’importe qu’il existe mille autres endroits à explorer. "
                   Charly Delwart


Une forme ultime de bonheur?  Il existe mille manières d'être au monde, et l'ascidie a la sienne propre. Qu'importe après tout qu'elle se mange le cerveau après usage et se limite à s'alimenter jusqu'à la fin de son existence sans plus quitter son rocher. Un trajet inversé de celui auquel se destine le petit d'homme. Le plus interpellant n'étant-il pas qu'au bout du compte, on aboutisse à la même disparition?



Lu dans:
Charly Delwart. Databiographie. Flammarion. 2019. 352 pages.

19 septembre 2019

Tous malades


«La médecine a fait tellement de progrès que plus personne n’est en bonne santé."  
                        Aldous Huxley
  

Aldous Huxley est décédé en 1963: que dirait-il aujourd'hui? La charge est lourde, trait d'humour d'un auteur provocateur, car nul ne niera que ces nombreux "malades" sont en bien meilleure santé actuellement, à des âges bien plus grands, que les personnes saines de 1950. Il faudrait peut-être corriger l'affirmation en notant que nous sommes tous "médicalisés", et que cela nous convient.
 

 
Lu dans:
Roger Detry. Curieuse histoire de la médecine: La saga des héritiers de Thot. Jourdan. 2019. 264 pages.

18 septembre 2019

La musique des siècles et des ruelles tranquilles


"Il faudrait que la joie soit paisible. Il faudrait que la joie soit une chose habituelle et tout à fait paisible, et tranquille, et non pas batailleuse et passionnée. Car moi je ne dis pas que c'est de la joie quand on rit ou quand on chante, ou même quand le plaisir qu'on a vous dépasse le corps. Je dis qu'on est dans la joie quand tous les gestes habituels sont des gestes de joie, quand c'est une joie de travailler pour sa nourriture. Quand on est dans une nature qu'on apprécie et qu'on aime, quand chaque jour, à tous les moments, à toutes les minutes tout est facile et paisible. Quand tout ce qu'on désire est là."    
                            Jean Giono
Moment cueilli: vers midi hier, jour de braderie à Anderlecht, soudain une volée de cloches festives, de celles qui annoncent les mariages, les célébrations sortant de l'ordinaire, l'élection d'un pape. On suspend le pas, tend l'oreille vers cet espace de temps figé remontant les siècles d'existence de la belle collégiale, et la vie de ceux qu'elle abrite dans les ruelles avoisinantes. Adolescent je dévorai le roman d'Elisabeth Goudge La Cité des Cloches, et l'espace de quelques minutes je m'y retrouvai, ma trousse médicale à la main entre deux visites à domicile, comme si soixante ans ne s'étaient passés dans l'intervalle. Comme le rappelle Giono, il faut que la joie soit paisible.


 
Lu dans:
Jean Giono. Que ma joie demeure. Grasset 1935. Le Livre de Poche 493-494. 504 p. Extrait p. 427 

16 septembre 2019

Migrations


« J’espère définir ma vie    ou ce qu’il en reste
par des migrations         au sud et au nord avec les oiseaux
loin de la fièvre métallique des horloges
le soi fixant l’horloge et disant         « Je dois faire cela".
Je ne vois pas le temps sur la langue de la rivière
dans l’air frais du matin         l’odeur fermentée
de la végétation     la poussière sur les parois du canyon
les hirondelles plongeant vers l’eau vive parfumée. »         
                            Jim Harrison


Image d'un presque vieil homme interviewé dans le Midi par France 3, chômeur après avoir été cadre chez Orange. Il habite une masure de deux pièces , dans un village perché. On l'interroge sur le bonheur, la malchance, les regrets. Il raconte son émerveillement d'avoir redécouvert le lever du soleil, les couleurs des fleurs et des papillons "et tout cela est gratuit". "J'avais tout, et me tourmentais du matin au soir.  Je n'ai plus rien, que l'essentiel.  "La journée était si suave et belle / Que je n’ai pensé à rien. / J’ai perdu la tête. » (Jim Harrison)




Lu dans:
Jim Harrison. Une heure de jour en moins (Poèmes). Traduit de l’anglais (EU) par Brice Matthieussent. Flammarion. 2012. 221 pages. Extrait p.151

Les mots qui sauvent


"La réponse à la question que l'examinateur en chef lui avait posée « Quel traitement d'urgence administre-t-on par l'oreille ? » quand il s'était présenté à l'oral de l'école royale de chirurgie d'Édimbourg après avoir passé l'écrit - à savoir : « Des paroles de réconfort!» - lui avait valu son diplôme."
             Abraham Verghese


Me reviennent les paroles d'une patiente emmenée par la SAMU au terme d'une réanimation périlleuse: "Je suis revenue à moi dans l'ambulance en entendant une toute jeune infirmière me répéter ça va aller madame. Répétées comme un mantra rythmant ma respiration retrouvée, j'ai perçu que la vie m'était revenue." Belle occasion également de relire Christiane Gleize:


"La lumière crue de midi éclaire sans pitié les objets et les choses, 
sans ombre où se protéger, brûlant les yeux et le cœur. 
Alors que la lumière du soir effleure les contours,
laissant aux ombres leur part de doute,
lumière douce aux multiples nuances,
pénétrant les choses de biais et sans violence
toi qui me soignes,
quand tu me parles de ce mal que je ne peux pas nommer,
s'il te plaît, fais-toi lumière du soir." (Christiane Gleize)

Lu dans:
Abraham Verghese. La porte des larmes. Trad Michel Marny. Flammarion 2010.  Coll J'ai Lu 9572. 768 pages. Extrait p.60

12 septembre 2019

Le charter des amis

"Mes grands-parents paternels n’ont organisé chez eux que deux dîners dans leur existence car voir des gens fragilisait le couple, le mettait en danger. À l’inverse, une personne croisée un jour me dit avoir soixante amis très proches, au point de former une garde rapprochée en cas de problème majeur dans sa vie. Deux dîners, c’est trop extrême. Soixante amis aussi ? " 
     Charly Delwart


Soixante amis, et même plus si votre position l'exige. On raconte que Kenneth Kaunda, président de la Zambie, avait exigé que la compagnie nationale Zambie Airways fasse l'acquisition du plus gros avion de ligne existant, un Boeing 747 pour ses nombreux déplacements à l'étranger, sans aucun argument économique crédible. Il s'avéra que le but du président Kaunda n'était pas d'utiliser cet avion pour voyager dans le luxe, mais pour pouvoir embarquer avec lui tout ce que le pays comptait d'opposants , de ministres ou de chefs militaires susceptibles de comploter ou de fomenter un coup d’état pendant son absence. Rendons-lui cette justice: en 1991, acceptant l'organisation d'élections libres qu'il perdra, il cède librement le pouvoir.



Lu dans:
Charly Delwart. Databiographie. Flammarion. 2019. 352 pages.
Henning Mankell. Le Chinois. Points. 2013. 576 pages (à propos de Kenneth Kaunda)

La langue de chez nous


 " A travers la langue que nous parlons résonnent les voix des peuples qui se sont éteints il y a des milliers d’années."
            Vassilis Alexakis. Le Premier Mot.


Un court moment mon doigt retient la page et je suspends ma lecture, ému devant cette "langue si belle avec des mots superbes, où la saveur des choses est déjà dans les mots (Duteil)".  Je tente d'imaginer, dans la luxuriance des paysages et l'écoulement du temps, tous ces gens  "du Mont-Saint-Michel à l'Île d'Orléans, jusqu'à la Contrescarpe" qui m'ont transmis la langue que j'aime. Bien avant que n’apparaisse l’écriture, c’est sur leur seule parole qu’ont reposé la transmission des savoirs et leur accumulation, au fil des générations dont chacune, en un cercle vertueux, se forgea de nouveaux mots. Et si dans une même journée je peux tour-à-tour imaginer que l'estoilette, la môme, la meuf, l'embellie, l'inaccessible étoile dessinent tous la silhouette de l'aimée c'est à ces  innombrables anonymes que je le dois. 

Lu dans:
Florence Rosier. Au commencement était le Verbe . Le Monde. 9 septembre 2019.
Vassilis Alexakis. Le Premier Mot. Stock. 2010. 384 pages.
Yves Duteil. La langue de chez nous. 1985.

10 septembre 2019

L'apprentissage de la tétée


"À peine l'enfant a-t-il commencé à pleurer
quand sa mère lui a retiré son sein droit
qu'il trouve dans le gauche sa consolation. "
                        Rabindranath TAGORE, L'Offrande lyrique

Quand la tétée enseigne ce que sera sa vie, une succession de renoncements et de gratifications.




Lu dans:
Abraham Verghese. La porte des larmes. Trad Michel Marny. Flammarion 2010.  Coll J'ai Lu 9572. 768 pages. Exergue.

Ces choses qui arrivent


"Des choses arrivent qui sont comme des questions. Une minute se passe, ou bien des années, puis la vie répond."
                Alessandro Baricco


L'instant de la question  contient rarement celui de la réponse. On passe une vie à essayer de comprendre ce qui un jour passe pour une évidence: le croisement mystérieux de deux existences, un départ sans laisser de piste, un échec inexpliqué, une filiation incompréhensible. Accepter la part d'ombre qui borde le sentier où nous progressons rend léger. 


Lu dans: 
Alessandro Baricco. Chateaux de la colère. Trad. Françoise Brun. Gallimard 2003. Collection Folio. 336 pages. Extrait p. 261  

09 septembre 2019

à jour frisant

"C'est un silence de soleil tissé de bruits légers
Le froissement d'ailes de deux tourterelles
Elles s'envolent de l'ormeau et traversent le jardin
Un chardonneret rouge jaune noir blanc picore les graines
Vers la forêt un vol d'étourneaux se plie et se déploie
en mouvements capricieux pleins de grâce et gaieté

Il fait paisiblement chaud et beau         Le soleil
semble content d'être soleil         Il est facile
d'oublier le mal     et la douleur     et la cruauté
parce que le calme automne     la clarté du matin
les arbres encore verts     les oiseaux dans le ciel
et le silence du jour écoutant le silence
feraient croire aujourd'hui qu'il est bon d'être né."
                    Claude Roy . Derrière le silence.

On reçoit ces journées comme un présent inattendu, cet été de début d'automne plus beau que l'été d'été, cette chaleur non accablante, ce soleil qui n'écrase pas. On tond le gazon une presque dernière fois, pressentant que la sève se calme. Les moissons sont rentrées, les vendanges pointent et la durée du jour diminue. Les migrateurs rentrent en vol serré, les feuilles ocres tombent en vol léger.  Cette arrière-saison à jour frisant est un cadeau.  

 


Lu dans:
Claude Roy . La Fleur du Temps. 1983-1987. NRF Gallimard. 1988. 358 pages. Extrait. 349.  

06 septembre 2019

Fragile


"On est là comme sur les arbres les feuilles d'automne."
                    Giuseppe Ungaretti


L'image est belle, et la concordance du spectacle des premières feuilles au vent et de la fragilité extrême de nos bonheurs incite à la réflexion. Et à la perception que, de tous les cadeaux reçus, le plus beau est de vivre. 


Lu dans:
Giuseppe Ungaretti. Vie d'un homme. Poésie 1914-1970. Gallimard 1981. 352 pages.

04 septembre 2019

L'agenda des promesses non-réalisées


"Tu fais ou tu te tais."
            Agenda Filofax. Page de garde édition 2003.


Deux choses dont se garder: les justifications pour résolutions non-tenues, les promesses qu'on ne pourra assumer.

 

Ce n'est pas parce qu'il y a une rose sur le rosier que l'oiseau s'y pose, c'est parce qu'il y a des pucerons.
                    Jules renard
 

03 septembre 2019

Sagesse de l'inuktitut


"Les Inuits ont des dizaines de mots pour désigner la neige. En inuktitut, on distingue :  Qanik, neige qui tombe, Aputi, neige sur le sol, Pukak, neige cristalline sur le sol, Aniu, neige servant à faire de l’eau, Siku, glace en général, Nilak, glace d’eau douce, pour boire, Qinu, bouillie de glace au bord de la mer. La langue anglaise, elle, a des termes pour chaque grand nombre, chaque puissance de 10, à l’inverse du français qui n’en dénomme que certains : 106 (million), puis pas 107 ni 108, mais bien 109 (milliard). Dans chaque langue et pour chaque population, un élément différent importe : la neige pour les uns, les chiffres pour les autres."
            Charly Delwart





Lu dans:
Charly Delwart. Databiographie. Flammarion. 2019. 352 pages.

Le bonheur des commencements


"L’unique joie au monde c’est de commencer. Il est beau de vivre parce que vivre c’est commencer, toujours, à chaque instant."
        Cesare Pavese

Et si début septembre était le vrai début d'année, plus symbolique que le Nouvel An?  Une fête sobre, dégagée des serpentins et des souhaits creux, avec la petite boule au ventre provoquée par la page blanche, le souci de bien faire, les nouveaux visages à apprivoiser, l'incertitude de ce qui n'est pas écrit d'avance. Cet après-midi sont tombées les premières feuilles, dans deux semaines ce seront les marrons, on crée de la place pour que puissent s'imaginer les bourgeons. Quel bonheur de reprendre ce petit billet quotidien, et l'espace de partage qu'il suscite. On recommence. 



Lu dans:
Cesare Pavese. Le Métier de vivre. Michel Arnaud (Traducteur). Gallimard 1987. Folio 1895. 466 pages.

29 juin 2019

Date limite

 "Ça commence par un coup d'bol
En arrivant on connaît personne
On tombe sur des gens sympas qui nous aiment déjà
Ça commence par du pas mal
Des filles en blouse d'hôpital
Un cordon qui nous relie à la femme de notre vie
C'est comme un drôle de cadeau
Un chef-d'œuvre qu'on lit sans en comprendre un mot

Va savoir quand elle nous quitte l'insouciance
Va trouver la date limite de l'enfance

Ça part souvent plutôt bien le foot avec les copains
Tous ces jours qui s’additionnent sans pleurer personne
Les quatre accords qu'on répète sur une guitare qu'on nous prête
Chaque photo qui nous sourit c'est la femme de notre vie
On ne sait pas trop ce que ça vaut
L'enfance est un jardin qu'on visite un peu tôt

Va savoir quand elle nous quitte l'insouciance
Va trouver la date limite de l'enfance
Surtout qu'avec les années elle a tendance à s'effacer."

                Maxime Le Forestier. Date limite. 2019


Une dernière avant la route, découverte sur le dernier album de Maxime Le Forestier, qui a gardé l'inspiration dont il borda nos jeunes années.
Après cela on ferme. Quel que soit notre âge, le 30 juin reste associé à une éternelle part d’enfance. On a tous un cahier mal ficelé à jeter au feu ("et les profs au milieu" pour ceux qui ont la mémoire des rengaines scolaires).  Pour laisser la place à cette plage d’oisiveté relative appelée grandes vacances avec sa part d’insouciance, de liberté et de naïveté, et ce besoin renouvelé d'un chemin où tout va se mettre en roue libre durant deux mois.

Bonnes vacances pour ceux qui peuvent se permettre d'en prendre, on se retrouve en septembre.
CV

28 juin 2019


"On pense mal, parfois, non quand on n’a pas d’idées, mais quand on a froid."
                    Charlotte Casiraghi. Robert Maggiori.


.. ou qu'on a chaud :)



Lu dans:
Charlotte Casiraghi. Robert Maggiori. Archipel des passions.  Seuil. 2018. Collection : H.C. essais. 336 pages.


27 juin 2019

Une passion narcisse


"Je fume tes gitanes tu bois mon café noir
Tu as mal à mes reins et j'ai froid à tes pieds
Tu passes mes nuits blanches et j'ai tes insomnies
Je ne sais pas ou tu commences tu ne sais pas ou je finis."
                Georges Moustaki


"J’ai rencontré l’âme sœur", éblouissement de la rencontre-fusion, de l'être unique avec qui on partage les mêmes goûts, les mêmes répulsions, les mêmes idéaux, le goût des mêmes lieux de vacances, de la même musique et des mêmes films. L’attirance des semblables est vertigineuse mais conduit-elle à l'amour? Narcisse, follement amoureux de celle dont il admire l'image au fonds du puits, et qui n'est que son propre visage que l'eau renvoie, n'est jamais loin. Aimer l’autre parce qu’il est comme soi, c’est établir une relation primitive, quasi biologique, qui au lieu de nous faire aller vers l’autre nous fait , tel un boomerang, revenir vers soi. "Ce que j’aime en toi, c’est que tu sois un autre moi, en qui je peux me regarder et m’admirer comme dans un miroir, et m’aimer deux fois, en moi et en toi."  Une vraie réflexion douce-amère pour Bac Philo de fin d'année.


 
Lu dans:
Georges Moustaki. Album "Moustaki". Polydor ‎2393 019. 1971
Charlotte Casiraghi. Robert Maggiori. Archipel des passions.  Seuil. 2018. Collection : H.C. essais. 336 pages.

26 juin 2019

Seuls, les uns contre les autres


"Pauvres porcs-épics. Comment font-ils pour se protéger du vent glacial ? Ils se rapprochent les uns des autres, créant leur propre chaleur. Mais s’ils se rapprochent, ils se piquent. S’ils s’éloignent, ils ont froid."
                    Charlotte Casiraghi. Robert Maggiori. 

On se protège comme on peut, soit on se rassemble, soit on s'isole. Troupeau ou terrier, entre le besoin de société et le besoin de solitude, quelle est la bonne distance? La politesse et les bonnes manières étaient  une piste, la gestion médiatisée de grandes émotions communes, les initiatives associatives et les réseaux sociaux en recréent d'autres. Quels sont nos pics à nous, aujourd'hui?



Lu dans:
Charlotte Casiraghi. Robert Maggiori. Archipel des passions.  Seuil. 2018. Collection : H.C. essais. 336 pages.

25 juin 2019

En haute mer


"J'ai nagé
avec toi dans la mer
avec toi dans le ciel
avec toi partout
au cœur de ce grand vide
où maintenant j'habite."
        François de Cornière. Nageur du petit matin. Recueil évoquant sa femme décédée.
 
   

Lu dans:
François de Cornière. Nageur du petit matin. Le Castor Astral. 2015. 170 pages. 

23 juin 2019

Une senteur douce amère


"Surtout il y avait le tilleul. Immense et dévorant. (..) Aux heures les plus chaudes de l'été, son ombrage importun offrait la plus odorante des tonnelles. Je m'asseyais sur le petit banc de bois vermoulu, contre le tronc, et j'aspirais à grandes goulées avides l'odeur de miel pur et velouté qui s'échappait de ses fleurs d'or pâle."
                        Muriel Barbery
 

Soudain ce matin, le parfum entêtant d'une époque lointaine. Le tilleul est de retour, et les images qu'il véhicule. Il embaumait le site de la faculté de médecine de Woluwé en fin d'année académique, senteur capiteuse pour les uns et d'une tristesse infinie pour les autres. Ces années sont loin, mais les effluves de l'arbre à tisane demeurent à jamais imprégnés d'un mélange de bonheur et de tristesse. 
 


Lu dans:
Muriel Barbery. Une gourmandise. NRF Gallimard. 2000. 146 pages. 

22 juin 2019

Signé humain


"Prouvez que vous n'êtes pas un robot."
                Procédure informatique

L'injonction devenue traditionnelle au moment d'envoyer un formulaire par Internet amuse par son apparente simplicité: recopier 4 chiffres et deux lettres intriqués n'est guère difficile. Attester de notre humanité dans l'exercice quotidien de nos activités et contacts n'est étonnamment jamais demandé, et nettement plus complexe.

 

20 juin 2019

Une vie étriquée


"Je me suis souvenu qu'elle m'avait dit un jour que la vie ressemblait aux chaussures. On ne pouvait pas imaginer qu'elles nous allaient si tel n'était pas le cas.
Les chaussures trop petites font partie de la réalité."
                    Henning Mankel


Un grand journaliste français présentait le journal télévisé de 20 heures, avant que l'usage n'impose de le faire debout devant la table, en pantoufles charentaises. Il estimait qu'on ne peut avoir la tête dégagée les pieds à l'étroit. Pour ceux qui ne peuvent se le permettre, il leur reste à s'imprégner de ce que les chaussures trop petites font partie de la réalité. Et ils sont nombreux.



Lu dans:
Henning Mankell. Les chaussures italiennes. Seuil. Cadre vert. 2009. 352 pages.

19 juin 2019

La cache de Morphée


"Toute ma vie, j'ai eu des cachettes dont personne n' a jamais soupçonné l'existence; mais aucune n' a été aussi parfaite que le sommeil." 
            Henning Mankell
   

On la chercha partout sur la plage immense. Sauf au grenier, blottie dans les bras de Morphée. Elle s'était retrouvée.    

 


Lu dans:
Henning Mankell. Les bottes suédoises. Le Seuil. Points. 2017. 384 pages. 

18 juin 2019

Heureuse incertitude


 "Le pire n'est pas toujours certain. "       No siempre lo peor es cierto   
                Pedro Calderon de la Barca (1600-1681)


Merveilleuse phrase viatique pour tracer une perspective quand l'horizon se couvre. Annoncer le pire provoque le pire par le découragement et la démobilisation que cela entraîne. Les oracles annonçaient l'enlisement pour Londres au début du XXème siècle:  la multiplication des calèches allait inonder les artères de la ville de crottin de cheval, rendant toute circulation impossible et multipliant les épidémies. Les interdictions proposées ne durent jamais être appliquées... en raison de l'arrivée de l'automobile. Cette semaine, des prévisionnistes escomptent que l'espèce humaine pourrait totalement disparaître en 2050. Péché d'orgueil? Voir s'éteindre la vie cellulaire apparue sur Terre il y a 2 milliards d'années au moment même où s'achève sa propre existence n'est pas le propre d'un modeste.  La médecine m'a appris la prudence lors de l'annonce de l'inéluctable: au colin-maillard de l'existence, les choses se passent rarement comme prévu. Le soigné survit au soignant, le condamné meurt dans un accident de roulage, l'aïeul enterre ses enfants. Heureuse incertitude qui laisse une chance à l'espoir. 



Lu dans :
Amin Maalouf. Le naufrage des civilisations. Grasset. 2019. 332 pages. Extrait p.325

16 juin 2019

La peur intime


 "J'ai peur. Ça ne veut pas dire que je n'ose pas braver ce qui m'effraie."
                Henning Mankell
 

En maladie comme à la guerre, celui qui n'a peur de rien peut-il être courageux? 
  

Lu dans:
Henning Mankell. Les chaussures italiennes. Seuil. Cadre vert. 2009. 352 pages.

15 juin 2019

Sagesse de George Orwell


"Le choix, pour l'humanité, est entre la liberté et le bonheur, et pour la grande majorité, le bonheur est meilleur »
            George Orwell,  1984 (roman d'anticipation, écrit en 1949)


"Personne ne nous présentera les choses de manière aussi crue [que George Orwell]; mais, dans le contexte de ce siècle, un tel dilemme ne paraît plus complètement insensé. Il est à craindre que nos contemporains et leurs descendants seront de plus en plus attentifs aux voix qui leur diront qu'il vaut mieux vivre dans une forteresse aux murs hauts, efficacement protégée, même s'il fallait, pour cela, mettre en veilleuse certaines libertés, et certaines valeurs."

 
Lu dans:
Amin Maalouf. Le naufrage des civilisations. Grasset. 2019. 332 pages. Extrait p.313

14 juin 2019

Fugitive éclaircie

"Une embellie et le soleil
pose ses mains sur la rive d'en face
sur le versant heureux
de la lumière murmurée
juste un instant
qui aimerait durer."
                Gilles Baudry       


On ne peut offrir le bonheur permanent, mais n'être comme le chante Ferrat que "cet instant de rêve et de pause / dans le tumulte de la vie / écrire quelque chose de joli / un moment de métamorphose" qui se nomme l'embellie représente déjà un bien beau programme. 



Lu dans:
Gilles Baudry. Versants du secret . Ed. Rougerie. 2002. 93 pages.
Jean Ferrat. L'embellie. Album Ferrat 80. 1980

12 juin 2019

Les moineaux de Bruxelles-Midi


"Mon petit papa, quand on recouvrira ma tombe, émiette dessus un croûton de pain, que les petits moineaux, ils viennent, moi, je les entendrai voleter, et ça me fera une joie de ne pas être seul, en dessous."
                            Parole d'enfant


Sous le pont de la gare du Midi, à moto on bénéficie d'un abri bienvenu contre l'averse. Le regard croise le matelas désert d'un sans-abri, absent pour la manche, et une famille rapprochée par la pluie qui rentre chez elle. D'aucuns ne verront sans doute que leur voile, je ne vis que la main y déposant avec précaution un plateau repas scellé et une sucette sous cellophane ronde comme un clin d’œil d'enfant. Comme on émiette un croûton de pain aux oiseaux, cela dut lui réchauffer le cœur, au sans-abri, de ne pas se sentir seul en-dessous.


Sagesse de Myriam Tonus


" [Ce qui donne sens] au banal et à l'ordinaire de la vie, (..) est ce qui s'échange dans le travail partagé, dans les gestes simples de la tendresse, dans les conversations au contenu peut-être dérisoire, mais où  pourtant l'on converse, face à face, présents pour s'entendre.
C'est ce qui subsiste et resurgit dans les situations extrêmes: quand quelqu'un va mourir (..), quand quelqu'un, par âge ou accident, est réduit à l'hébétude. Alors il arrive qu'un presque rien, la lumière d'un visage, la musique d'une voix, le geste offert d'une main, tout d'un coup dise tout. Comme témoignait un lecteur de "La Traversée de l'en-bas" de Maurice Bellet, "c'est comme si, alors que je suis en prison, quelqu'un frappait tout d'un coup de l'autre côté du mur de ma cellule, et je ne suis plus seul. "
                    Myriam Tonus, parcourant l’œuvre de Maurice Bellet

Myriam Tonus, pardonnera sans doute quelques raccourcis et collages dans sa relecture intime de l’œuvre de Maurice Bellet. Mais où trouver plus belle description de l'instant magique où un manque se voit comblé par une écoute. 
 
       

Lu dans:
Myriam Tonus. Ouvrir l'espace du christianisme. Introduction à l'œuvre pionnière de Maurice Bellet. Préface de Jean-Claude Guillebaud . Albin Michel. 2019. 250 pages. Extraits pages p.75, 80-83 

11 juin 2019

Argile ou Babel?


"Si je suis fait d'argile,
La terre entière est mon pays
Et toutes les créatures sont mes proches."
                Omayyah Ibn Abissalt al-Andalusi, XIème siècle



Mots élémentaires, écrits il y a dix siècles dans cette Andalousie terre de cohabitation de cultures mêlées. Avons-nous progressé depuis?  Par quel biais cognitif, lorsque nos pas croisent un Africain de peau noire y voyons-nous quasi instantanément un Noir et non un frère humain? Comme le note finement notre contemporain Chawki Amari,  journaliste, caricaturiste et écrivain à La Tribune et dans le quotidien El Watan, "les Arabes prennent les Algériens pour des barbares, les Européens les prennent pour des Arabes, les Africains pour des Blancs et les Méditerranéens pour des musulmans." On a oublié l'argile dont fut tiré Adam pour la séparation des langues dont fut tirée Babel. 




Lu dans:
Omayyah Ibn Abissalt al-Andalusi est cité par Amin Maalouf. Le naufrage des civilisations. Grasset. 2019. 332 pages. Extrait p.93

08 juin 2019

Selon que vous serez puissant ou ...


« Pour chaque petit poisson, il y a un poisson plus petit encore. »
                     Amin Maalouf


La réflexion d'Aamin Malouf concerne les persécutions de minorités dans 
des pays qui furent eux-mêmes morcelés. On est toujours le minoritaire 
de quelqu'un. Au-delà de la politique, l'observation s'applique à 
d'autres phénomènes sociétaux comme le révèle les récentes Assises de 
Liège, ayant à juger cinq accusés faibles persécutant et tuant un 
déficient mental de 18 ans quémandant leur amitié. Nous reviennent ces 
images de cours de récréation, même dans les meilleures écoles et à une 
échelle moindre, où mieux valait ne pas  être  le plus modeste, le plus 
petit ou le plus pauvre. Et cela peut durer: un de mes patients en 
maison de repos, ancien cosaque de l'Armée blanche, se targuait d'être 
servi le premier à table afin de bénéficier d'une soupe encore chaude. 
Il présidait le repas en quelque sorte, monnayant ce privilège auprès du 
personnel grâce à une mignonnette Côte d'Or glissée ostensiblement dans 
la paume tenant la louche. "La force d'un carré de chocolat est 
incroyable" affirmait-il, mais je soupçonne que tout résidait dans la 
manière de le donner .



Lu dans:
Amin Maalouf. Le naufrage des civilisations. Grasset. 2019. 332 pages.
Extrait p.266.

07 juin 2019

Sagesse du Pays des merveilles


"Si le monde n'a absolument aucun sens, qui nous empêche d'en inventer un ?"
                    Lewis Carroll
 

Dans un récent article, Regis Debray s'interroge: "Maintenant qu’on a perdu et le bon Dieu et les lendemains qui chantent, que reste-t-il ? »  Lewis Carroll suggère une ébauche de réponse à Alice explorant le Pays des merveilles. C'était en 1865, et à l'origine le livre n'était pas destiné aux enfants. Même si les enfants se posent parfois les bonnes questions.
 


Lu dans:
Lewis Carroll. Alice au pays des merveilles. Macmillan and Co. 1869. 

06 juin 2019

Inutiles conquêtes


 "N'y a-t-il pas de puces dans vos lits? - Sûr, les poux les ont tous bouffés."
                Sagesse d'hôtelier

On rit bien sûr. Même si la confrontation des puces et des poux en rappelle bien d'autres dans le monde des hommes.
 

28 mai 2019

Impression fugace

"Il y a plus de mille photographies dispersées dans le cimetière. Le jour où toutes ces photos ont été prises, aucun des hommes, des enfants, des femmes qui posaient innocemment devant l'objectif ne pouvait penser que cet instant les représenterait pour l'éternité. [Photos saisies] un jour où ils étaient un peu plus beaux, un jour où ils étaient tous réunis, un jour particulier où ils étaient plus élégants. C'est important de mettre des photos sur les tombes. Sinon on n'est plus qu'un nom. La mort emporte aussi les visages."
                                        Valérie Perrin


Près de la tombe de mes parents repose un patient, que je salue au passage avec émotion. Sa photo sépia date de 1936, il porte béret et on devine la tente sur la moto de sa première descente vers le Midi. Il devait avoir 16 ou 17 ans, et la vie devant lui. Il était plutôt sympa, et quand il prit femme, il ajouta un side-car à sa bécane. Premiers congés payés, on touchait du doigt ce que pourrait être le bonheur et la liberté de partir deux semaines tous frais payés. Ils ne se doutaient guère que leur véhicule allait les emmener sur des routes moins insouciantes trois ans plus tard. Chaque photo est un récit de vie.




Lu dans:
Valérie Perrin. Changer l'eau des fleurs. Albin Michel 2018. 560 pages. Extrait p.44

27 mai 2019

Sourire que vent emporte


"Suzie décide de se fabriquer des sourires de papier
le sourire de circonstance
le sourire assorti à l’écharpe
le sourire des épinards crème beurk
le sourire de la photo de classe
le sourire même pas peur
et puis surtout         le sourire pour dire qu’on va bien, très bien

sauf qu’un matin         le vent emporte tous ces sourires de façade
sous la pluie     même la version      tout va bien, très bien
finit détrempée, déchirée. "
                Anne Crahay

Ah ces sourires de défense, ou l'art de se cacher en souriant, jusqu'à la main tendue qui vous souffle: je t’aime quand tu es gaie et je t’aime quand tu es triste. 



Lu dans:
Anne Crahay. Le sourire de Suzie. Ed. CotCotCot. 2019. 26 pages.

25 mai 2019

Les jeunes filles à bicyclette


 "Un jour, B se trouvait près d'un enfant de cinq ans qui était appuyé contre un arbre. Le regard dans le vide il était beau et elle l'admirait. Tournant la tête, il avait perçu ce qu'elle ressentait et il lui avait dit :
-  Toi aussi tu es belle."
                        Charles Juliet.

Dit-on encore ces choses aujourd'hui? Cette naïveté fut celle de notre enfance, illustrée par les chromos pastels du photographe David Hamilton dont même les bicyclettes abandonnées sur le côté du chemin nous faisaient rêver. Il s'est suicidé pour échapper à la justice, entraînant avec lui, et d'autres, notre regard candide sur le monde. 

Lu dans:
Charles Juliet. Gratitude. Journal IX (2004-2008). POL.  2017. 400 pages.

24 mai 2019

Gratitude


"On ne devrait prier que pour le présent. Pour lui dire merci quand il a ton visage"
                Valérie Perrin
   

Lucien a appris le braille à Valérie, avant de devenir lui-même amnésique. Des années plus tard, elle redécouvre cette phrase écrite en braille sur un morceau de papier journal par Lucien, jadis. On perd la vue, on perd la mémoire, nos insuffisances se complètent. Les signes d'affection nous survivent.
 

 
Lu dans :
Valérie Perrin. Les oubliés du dimanche. Le Livre de Poche. 2017. 416 pages. Extrait p.224

23 mai 2019

Condensé de vie


"À voir la Terre au-dessous de lui, il se laisse chaque fois submerger par ce sentiment très fort qu'elle contient toute la vie, condensée là, dans cette boule, tandis qu'au-dessus de lui il n'y a rien. Au-dessus, c'est le noir complet. "
                                Christine Montalbetti.
 
 

  
Lu dans:
Christine Montalbetti. La vie est faite de ces toutes petites choses. Récit de la dernière mission d'Atlantis, juillet 2011. P.O.L. 2016. 336 pages. Extrait pp 152

22 mai 2019

L'émotion créatrice


"Ici     sur le bord de ce que nous savons
au contact avec l'océan de tout ce que nous ne savons pas
brillent     le mystère du monde
                            la beauté du monde
Une beauté à couper le souffle."
                     Carlo Rovelli

Un récent dossier de La Libre révèle ce que pourrait être l'ordinateur quantique demain. Plus rien à voir avec les puces de silice qui émerveillèrent nos vingt dernières années: on nage dans un monde mi-réel, mi-imaginé ne sachant ce qu'il faut admirer le plus de l’œuvre ou de son créateur. La beauté de ce que des scientifiques, êtres humains comme nous, imaginent dans leur cerveau me remplit d'une émotion similaire à l'admiration éprouvée devant un grandiose paysage de nature . Peut-être même davantage, tant est fragile ce qui se crée dans le cerveau d'un homme comparé à l'éternité des montagnes et des mers. 



 Lu dans:
Carlo Rovelli. Sept brèves leçons de physique. Odile Jacob. 2015. 96 pages

21 mai 2019

La légèreté de l'être


"La gravité est cause que nous tombons, ou que se brisent, hélas, des objets auxquels nous tenons. Mais elle retient avec bonheur nos semelles à la croûte terrestre, et organise gentiment le monde autour de nous. Là-haut, une fois gagnée l'impesanteur, les choses en vont bien autrement."
Christine Montalbetti


La pesanteur, fidèle alliée dans notre expérience au monde? Imaginez un repas spaghetti dans l'espace, ou une simple douche. Entre l'infinie légèreté qui nous émerveille et une forme de gravité, cette dernière possède bien des atouts.

 
Lu dans:
Christine Montalbetti. La vie est faite de ces toutes petites choses. Récit de la dernière mission d'Atlantis, juillet 2011. P.O.L. 2016. 336 pages. Extrait: 4ème de couverture

20 mai 2019

Les pointillés


"[La coupole de la Station Spatiale Internationale est] un endroit privilégié pour regarder la planète dont on vient, pleine et ronde,  émouvante par la minceur de la couche d'atmosphère qui nous enveloppe et la sensation de fragilité qui s'en dégage. (..) Comme d'autres avant lui, Fergie s'extasie de ce qu'on voie défiler les océans et les continents, comme enfant sur les mappemondes qu'on faisait tourner du doigt, mais sans frontières apparentes. Qu'il n'y ait plus ces pointillés qui signifiaient leur tracé est une chose qui peut laisser rêveur."
                    Christine Montalbetti

 
Ah ces pointillés sur nos globes! Ferait-on tout pour les effacer, ils réapparaissent aussi vite que ce soit à l'Eurovision, au Reine Elisabeth, à la Champions League, aux élections européennes, ou dans nos rues. La compétition renforce le sentiment d'appartenance, et dans ce cadre même la défaite est rassurante. En mai 68, gagné par la contestation, le festival de Cannes ne remettra aucun prix. Édition sans lendemain, en 69 tout rentrait dans l'ordre. La Terre vue de la Coupole et la Terre vue de la Terre n'offrent pas nécessairement la même image. 
 

 
Lu dans:
Christine Montalbetti. La vie est faite de ces toutes petites choses. Récit de la dernière mission d'Atlantis, juillet 2011. P.O.L. 2016. 336 pages. Extrait pp 151

16 mai 2019

Danser


"Et vera incessu patuit dea".
"Sa démarche révèle la déesse"
                                  Virgile


Isabelle danse. Son cerceau est pour l'heure son seul partenaire et les arbres du jardin lui tiennent lieu de  public. Sa tignasse rousse tournoie avec fureur, embrasant les regards des adultes qui lui envient son appétit de vie. Ses premiers pas furent des envolées, ses premières chutes des pointes trop tôt esquissées. Ses mains et ses pieds se sont emparés de la musique sans aucune réserve: elle fera de son passage sur terre une superbe chorégraphie.

Je sonne. Un temps de patience me permet d'imaginer la démarche qui fut ondoyante. Si la jambe droite traîne un peu, coxarthrose oblige, les yeux dansent encore. Elle a eu mal au dos ce matin au lever, se demande s'il n'existe rien pour effacer l'âge. Le soleil qui enflammait sa chevelure a laissé la place à une luminosité neigeuse qui ondoie au rythme de sa démarche. Quelques notes de musique s'échappent de la pièce voisine, fugitif moment de grâce pour une tournée médicale devenue un instant buissonnière. Elle s'enquiert de ce qu'elle me doit ;  j'hésite à monnayer cet échange qui m'a apporté sans doute plus que ce que j'ai pu donner. Le Temps n'efface guère la beauté .

 


15 mai 2019

Le bonheur nomade


"Car, celui-là, que vous voyez là et qui est mon patron, et qui n'a pas de champs, celui-là, mes braves gens, moissonne sans avoir besoin ni de soleil, ni de faux. Mais, vous savez ce qu'il moissonne et avec quoi il fait son pain? Il fait son pain avec son bonheur. Il n'a jamais été aussi heureux que depuis qu'il a son grand troupeau dans sa grande herbe..." 
                        Jean Giono
 
 
Faire son pain avec son bonheur? Il est mille sorte de pains. Il aimait les belles voitures, et aimait les conduire. La retraite venue, on le poussa à acquérir une petite cylindrée. Il acheta une Citroën CX Prestige gris métallisé à toit ouvrant avec laquelle il bat la campagne jour après jour. Chaque matin, il se fait chien rapporteur des bagages qui se sont trompés d'avion, les rapportant à leur propriétaire dans les contrées les plus diverses. Chaque aube s'ouvre sur un voyage improvisé, pour lequel il est rémunéré au kilomètre: plus il roule, plus il gagne, une véritable martingale gagnante. Les paysages qui défilent sont ses plus beaux films, les musiques qu'il écoute ses plus beaux concerts. Il a convaincu sa femme de l'accompagner, et chaque midi les meilleures auberges se font accueillantes. C'est en quelque sorte mieux que des vacances, car elles n'ont pas de fin. Le bonheur est nomade et la retraite son royaume.


 
Lu dans:
Jean Giono. Que ma joie demeure. Grasset 1935. Le Livre de Poche 493-494. 504 p.

Soleil


"A vrai dire, il m'a toujours semblé que la météorologie climatique induisait en nous, selon les variations de l'atmosphère, une météorologie plus subtile : celle de nos états d'âme. La joie ou la gaieté, la tristesse ou la mélancolie, l'impatience, l'humeur vagabonde ou la paresse de certains jours paraissent bien en effet (du moins en majeure partie) être reliées au temps qu'il fait."
                                Denis Grozdanovitch. 
 
Ce mercredi le soleil brillera de milles feux dans un ciel limpide. Coté températures, la fraicheur sera encore de mise en matinée avant de profiter d'une après-midi pleinement printanière (Météo du 15 mai à à  7h30). Sus aux pensées ombrageuses. 

 
Lu dans:
Denis Grozdanovitch. Petit éloge du temps comme il va. Gallimard 2014. Folio 5820. 132 pages. 

14 mai 2019

Dans la tête de Guillaume


"Quand je les rencontre pour la première fois, c'est toujours la même image que je cherche, celle de l'Avant. Derrière leur regard flou, leurs gestes incertains, leur silhouette courbée ou pliée en deux, comme on tenterait de deviner sous un dessin au vilain feutre une esquisse originelle, je cherche le jeune homme ou la jeune femme qu'ils ont été. Je les observe et je me dis : elle aussi, lui aussi a aimé, crié, joui, plongé, couru à en perdre haleine, monté des escaliers quatre à quatre, dansé toute la nuit. Elle aussi, lui aussi a pris des trains, des métros, marché dans la campagne, la montagne, bu du vin, fait la grasse matinée, discuté à bâtons rompus. Cela m'émeut, de penser à ça. Je ne peux pas m'empêcher de traquer cette image, de tenter de la ressusciter. "
                            Delphine de Vigan


La vision séquentielle décrite par Delphine de Vigan interpelle. Existe-t-il vraiment un avant et un après, et où commence le passage?  La vie tourne-t-elle des pages ou est-elle écoulement continu d'une source sans cesse renouvelée. Une vision extérieure (celle de l'orthophoniste des Gratitudes) sur les patients âgés les imagine tels ils étaient avant leur placement en maison de repos. Mais le patient, lui, dans  sa tête à lui, aime, danse, apprécie le bon vin, discute à bâtons rompus , émet des opinions, des joies et des peines de gosse sans qu'on ait à le ressusciter tel qu'il était avant. Il n'y a qu'un seul Guillaume dans la tête de Guillaume, et pas une succession de Guillaumes. La perte liée à l'âge est aussi progressive que fluide, même si de jour en jour on marche un peu moins loin, un peu moins vite, un peu moins haut, mais quelle importance?  Et qui dit qu'un jour imaginer qu'on marche, qu'on danse, qu'on chante, pourquoi pas qu'on vole, ne procure pas le même plaisir que s'avancer pour de vrai au soleil ou dans le vent?  On marche à voix basse en quelque sorte, et ce chuchotis possède peut-être des saveurs insoupçonnées.  La vie comme un long fondu-enchaîné plutôt que la dureté de l'avant et de l'après, des césures et des marches qu'on descend.
 

 
Lu dans :
Delphine de Vigan. Les gratitudes. JC Lattès. 2019. 192 pages. Extrait page 41.

13 mai 2019

Éperdu


"Dans le regard que lève sur toi ce chien perdu que tu viens de recueillir, cette peur qui commence à se rassurer, cet indécis commencement de bonheur, cette interrogation: « Est-ce bien vrai ? », toute l'angoisse et tout l'espoir de l'univers dans leur expression pure et totale."                     Thierry Maulnier


Les humains aussi ont parfois ce visage, ce regard dont on dit qu'il est "éperdu". Il nous inquiète, tant la peur de décevoir leur attente est grande. 



Lu dans:
Thierry Maulnier. Le dieu masqué 1980-1984. Essai. Gallimard. NRF.1985. 340 p. Extrait. p. 306.

10 mai 2019

Sagesse de Montaigne


"Rien n’imprime si vivement quelque chose à notre souvenance que le désir de l’oublier."
                                Michel de Montaigne
 



Lu dans:
Michel de Montaigne. Essais. Livre II. Chapitre XII 

09 mai 2019

Elève côté pile, élève côté face


 "J'ai beaucoup appris de mes maîtres
davantage de mes compagnons
et plus encore de mes élèves."
                Rabbi Yehouda

Invité hier à la séance de présentation des projets d'année du cours "Médecine, culture et création" de mon ancien centre facultaire, je suis sorti ébahi par la qualité et la créativité des travaux présentés. Écoutant aujourd'hui le récit de deux patients, enseignants, l'un en Flandre, l'autre à Bruxelles, cassés par la violence scolaire et le manque de respect de certains élèves, je suis sorti tout aussi ébahi par ce qui se passe dans certaines de nos écoles. Les paroles de sagesse ne résistent guère à certains éclairages.
 

L'atelier de chant


"Et les vieux, comme ils n'ont plus que ça à faire, ils racontent le passé comme personne. Pas la peine de chercher dans les livres ni les films: comme personne. Ce jour-là, j'ai compris que les anciens, il suffit de les toucher, de leur prendre la main pour qu'ils racontent. Comme quand on creuse un trou dans le sable sec au bord de la mer, l'eau remonte systématiquement sous les doigts. " 
                        Valérie Perrin                                 


Il approche des cent ans, et travaillait dans un atelier de confection de pièces mécaniques. Tout ce dont il se souvient, à part la fatigue de la fin de journée, c'est qu'il chantait au travail, et ses camarades aussi "quand vous voyez la Lisette / vous en perdez la raison / mais vous perdez aussi la tête / dès que vous voyez Lison". C'était à 500 mètres de notre maison, l'atelier est devenu un centre culturel. Pensif, je contemple cette rue et sa placette abritant deux coiffeurs, un fleuriste, une boulangerie normande et notre garagiste. Comme l'atelier à chansons, nous passerons et ces rues poursuivront leur vie. Nos enfants raconteront qu'à l'époque, ils roulaient à vélo sur les trottoirs, que les chiens y posaient la crotte, et qu'on laissait la porte entrouverte quand on allait acheter le croissant. Et leurs propres enfants les croiront à peine.


 
Lu dans :
Valérie Perrin. Les oubliés du dimanche. Le Livre de Poche. 2017. 416 pages. Extrait p.17 et 18

07 mai 2019

A nouveau la vie


Peut-être     probablement     mais tout de même
en attendant     même s'il est sans doute précaire d'exister
il y a des instants     (ce matin)     où le temps passe avec douceur 
                Claude Roy . Porquerolles. Mercredi 7 juin 1989

 

Il connut le fond du trou, et la nuit à laquelle succède la nuit. Aujourd'hui une paix retrouvée, une réconciliation avec le quotidien, la retrouvaille du bitume sous les roues du vélo. Que c'est bon ce temps qui à nouveau passe avec douceur.

 
Lu dans :
Claude Roy. Le Noir de l'Aube. Gallimard. NRF. 1990. Extraits p. 144

Eternité


 "Lis et réfléchis, car tu auras des siècles pour ne pas le faire."
                Ràmon Gómez de la Serna



Lu dans:
Seins de Ràmon Gómez de la Serna. Seins. Editeur : Cent pages. 2005. 146 pages

06 mai 2019

Le chant de la poulie


"Ce qui embellit le désert, c’est qu’il cache un puits quelque part. Je fus surpris de comprendre soudain ce mystérieux rayonnement du sable. Lorsque j’étais petit garçon j’habitais une maison ancienne, et la légende racontait qu’un trésor y était enfoui. Bien sûr, jamais personne n’a su le découvrir, ni peut-être même ne l’a cherché. Mais il enchantait toute cette maison."
                A de Saint Saint-Exupéry. Le Petit Prince (1943)



Il a vieilli, et il a subi. Son cœur est aussi sec que son visage. Je lui souhaite un bon anniversaire, c'est aujourd'hui, on l'aurait presque oublié et ç'aurait été dommage car soudain  il sourit. Il n'est de mécréant qui ne cache un puits asséché au fond de lui, qu'un rien réalimente en eau fraîche, un trésor enfoui. Savoir qu'il existe enchante la relation humaine.





Lu dans: 
A de Saint Saint-Exupéry. Le Petit Prince  Édition Ebooks libres et gratuits. Extrait p. 88

04 mai 2019

Le regard qui donne vie


"Et ce regard de brume bleue
que tu portes
sur toute chose avec amour
pollinise le monde."
        Gilles Baudry

 
Importance du regard qui précède toute création, comme le suggérait Marguerite Yourcenar pour le sculpteur qui anticipe le cheval dans le bloc de pierre qu'il va tailler.  L’œuvre existe déjà dans le regard qui sculpte la matière et lui donne vie.




Lu dans :
Un silence de verdure de Gilles Baudry. Ed L'enfance des arbres. Coll. Poésie. 2017.

03 mai 2019

Comme si on se promenait


« C’est comme si on se promenait et à la fin du mois, on touche un salaire. »
                Sagesse de tramwayman


Le tram, on aime. Laurence Meert et Mesut Tasarcan participent ce samedi au championnat européen du meilleur tramway(wo)man .  Métier étrange et méconnu. "Trois allers-retours sur une ligne par jour, ce pourrait être ennuyeux, mais le temps passe vite. Sur la ligne 39-44 entre Montgomery et Tervuren se voient des choses magnifiques, des lapins, des cerfs, des renards. La ville change, les lignes aussi et de nouvelles motrices arrivent comme on étrenne un nouveau jouet. C’est comme si on se promenait et à la fin du mois, on touche un   salaire." On se souhaite de partir travailler dans cet état d'esprit. 



Lu dans:
Sophie Mignon. Bruxelles: quand les conducteurs de tram partent à la conquête de la Coupe d’Europe. Le Soir 2.5.19.

01 mai 2019

Sagesse des bancs publics


"Quand on voit dans quel état les pigeons nous mettent, on bénit le ciel qu'il n'ait pas donné des ailes aux vaches."
                    Graffiti sur un banc public
 

Je tente d'imaginer le facétieux qui commenta l'état du banc sur lequel il trouva le repos. Il ne doit pas être triste à fréquenter.
 

Sagesse du muguet


"Sous la mousse du rocher
tu crois te cacher
en vain
malgré toi         petit muguet
ton parfum dit ton secret."
    adapté de Hippolyte-Louis Guérin de Litteau (1797-1861)
 
Que de muguets offerts depuis l'écriture de ces lignes. On parlait mignon en ces temps-là, on le dit autrement aujourd'hui .  Le brin de muguet n'a guère changé.