"Lui était un tout petit homme maigre, toujours vêtu d’un complet blanc, coiffé d’un casque colonial. Il était raide comme un jouet, avec des mouvements saccadés qui faisaient penser à des jointures rouillées. Quand on le voyait avec sa femme sur la route, on avait l’impression qu’elle devait le remonter de temps en temps pour le remettre en marche."
George Simenon. Les volets verts. 1950
Dans la rue de mon enfance, il habitait à moins de 100 mètres. Son image
me revient en lisant ces lignes de Simenon. En vingt ans, pas un
échange. On se jaugeait de loin, reconnaissant une silhouette, la
couleur invariable d'un imper, l'heure de départ et de retour de sa voiture, garée toujours à la même place. Mi-village mi-ville, c'était
ça, la banlieue. Sa femme le supplantait, plus joviale, plus amène, plus
bavarde, plus tout en quelque sorte. Cet homme avait sans aucun doute
ses propres rêves, ses espoirs de carrière, ses tracas personnels et de
santé comme tout le monde. Parfois me prend l'envie de réécrire tout le
scénario, de traverser la rue pour aller lui dire bonjour, demander
comment il va, mais l'histoire est finie et je ne saurai jamais ce qu'il
avait sous son chapeau. Ni lui sous le nôtre. Les regrets ne mènent à
rien, mais je mesure à quel point la chance de ma vie fut la médecine,
grâce à laquelle dans ma rue actuelle les visages sont des récits.
Lu dans:
Simenon, cité par Jean-Claude Vantroyen. Raide comme un jouet. Le Soir. 19 octobre 2019. p. 29
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