31 décembre 2009

La petite fée espérance

"Je suis étendue là toute seule, enroulée dans les plis sombres de la nuit, de l'ennui, de la captivité, et cependant mon coeur bat d'une incompréhensible joie intérieure. Et je souris à la vie dans l'ombre de mon cachot."
Rosa Luxembourg.   
L'année tourne sa dernière page. Comme l'écrit un poète "hier s'en fut , demain n'est pas encore là, aujourd'hui s'en va sans s'arrêter un instant: nous sommes un fut et un sera. (Quevedo)". C'est le moment de feuilleter distraitement les rétrospectives d'une année, d'une décennie. L'actualité nous apprend qu'Obama a été brûlé en effigie  à Lahore, que  90 millions de SMS vont s'échanger ce soir sous les lampions, que Johnny entame un procès, que le créateur de Barbie n'était qu'un pervers rêvant d'immortaliser une call-girl. Et soudain surgit ce court entrefilet narrant qu'un épagneul, perdu il y a trois ans par ses maîtres dans le Gers, est revenu à la maison la semaine passée , fourbu, crasseux mais jappant à en perdre haleine. Notre quotidien s'en trouve soudain embelli, pareil à la boîte mythique de Pandore laissant s'échapper un à un les papillons des passions humaines et ne laissant s'envoler en dernier que le plus fort : l'espérance. 

Je vous souhaite une bonne année 2010
CV. 

30 décembre 2009

Jamais trop vieux pour chanter

« Nathanaël, enseigne-moi la ferveur.»
A Gide

La phrase de Gide s'est imposée d'elle-même lors de la vision du film documentaire "Jeunes de choeur" (Young@Heart) de Stephen Walker, qui s'efface derrière les membres de la petite chorale Young at Heart, formée de personnes âgées de 77 à 93 ans. L’ensemble est dirigé par Bob Cilman, totalement dévoué à son projet et qui leur fait alterner rock, punk, "Should I Stay or Should I Go" du groupe The Clash,  "Stayin’ Alive" ou "I Feel Good".  L'affection que porte le réalisateur au groupe ne perd rien de sa fraîcheur ni de sa spontanéité tout au long des 90 minutes que dure ce portrait sincère, dont le récit sur la résistance au temps et la pulsion vitale est  d'une poésie pure. Un film rassurant en quelque sorte.
 
Lu dans :
André Gide. Les Nourritures terrestres. NRF Gallimard. 1897.
Young@Heart. You're never too old to rock. Stephen Walker. 1h50 minutes.

28 décembre 2009

Voir, percevoir, s'apercevoir

«lci, au bord de la rivière, les motifs se multiplient, le même sujet vu sous un angle différent offre un sujet d'étude du plus puissant intérêt, et si varié que je crois que je pourrais m'occuper pendant des mois sans changer de place en m'inclinant tantôt plus à droite, tantôt plus à gauche. »
Cézanne
Lu dans :
 Oliver Sacks. Un anthropologue sur Mars. Ed du Seuil. 1995. Points. 460 pages. Extrait p. 190.

25 décembre 2009

Le nain de neige

"Réveillon -
Seul, dans le fond de la cour,
Le bonhomme de neige."
Jocelyne Villeneuve

 
Merci à mon frère Marc pour ce haïku bien de saison. Il n'est pas anodin dans le cas présent d'apprendre que celle qui le rédigea, bibliothécaire de profession s'est mise à l'écriture après un accident de voiture qui la laissa tétraplégique et contrainte à l'intermédiaire bienveillant des mains de ses proches pour jeter sa pensée sur papier. Oeuvre sensible, dans laquelle la symbolique des mots fait référence au vécu de l'auteure en permanence, telle dans ce simple 
"Pique-nique. La fourmi
sur la nappe quadrillée disparaît
dans un carreau noir."
Ce matin de Noël, la neige a fondu dans notre minuscule jardin de ville, et ce qui pouvait passer hier pour un bonhomme de neige est redevenu un nain de jardin dégoulinant de pluie. Il faut peu de chose pour passer d'un aspect de la réalité à un autre, du carreau blanc au carreau noir de la table quadrillée, d'une existence sans souci à la difficulté d'être. Un message posté sur mon répondeur hier soir à 20 heures sollicite une prescription non-urgente et me souhaite de bonnes fêtes. En d'autres temps, plus jeune, j'aurais morigéné l'impétrante soulignant le moment inapproprié. La connaissant mieux, et percevant davantage ce que la solitude peut peser un soir de fêtes, je trouve l'appel plutôt touchant, et lui retéléphonerai ce matin. Je tente d'imaginer les proches et familiers qui découvrent la beauté simple de "ce bonhomme de neige seul au fond de la cour" de Jocelyne Villeneuve, les uns dans le bonheur, les autres en difficulté: que la fête Noël vous soit douce. 
CV. 

17 décembre 2009

Une variante de la peau de l'ours

"Il ne faut pas préparer la poêle tant que le poisson est dans la mer."
Proverbe bulgare
 
La mésaventure survenue à Louis Michel ( contre toute attente, le Suisse Joseph Deiss lui a été préféré pour présider la 65ème assemblée générale de l'ONU) ce lundi en rappelle d'autres, qui furent plus philosophes dans leur dépit. Avoir humé l'air des sommets est une ivresse, parfois triste.
 

16 décembre 2009

Une carrière où se blottir

"Une carrière réussie est une chose merveilleuse, mais on ne peut pas se pelotonner contre elle, la nuit,  quand on a froid l'hiver."
Marilyn Monroe
 On doit à la même Marilyn, orfèvre en la matière de gloire et de sentiment de solitude, un pathétique "j'ai une mémoire merveilleuse pour les chose qu'il s'agit d'oublier". Oublier les nuits de solitude, les faux amis, l'isolement accompagné, la pauvreté de l'âme qui bat la campagne. Oublier que réussir n'est pas toujours une réussite, alors que le départ d'êtres dont l'affection, par-delà la mort nous réchauffe n'a guère un goût d'échec. 
 
Lu dans :
Eric de Bellefroid. Enquête indiscrète sur la réussite. Lire. LLB. 14 décembre 2009.
Don Wolfe. Marilyn Monroe. Echange avec Sidney SKOLSKY. Enquête sur un assassinat. Ed Albin Michel 1998. J’ai Lu 

15 décembre 2009

Magie de Noël

"Pour préparer un arbre de Noël, il faut trois choses, outre les ornements et l'arbre, la foi dans les beaux jours à venir."
Zahrad.
Je ne connaissais pas Zareh Yaldcyan dit Zahrad, poète arménien (1924 - 2007) dont les œuvres ont été traduites dans vingt-deux langues. Orphelin de père à trois ans, il a su (vous avez dit résilience ?) développer un point de vue original sur la condition humaine mettant l'accent sur l'action humaine au centre de l'histoire qui constitue un motif de transformation. On peut en prendre une pincée. 

PS On me signale que Paroles d'arbres (que je citais dimanche) est épuisé, remplacé par un 2ème tome, Magie des arbres (plus beau encore), toujours chez Weyrich.

13 décembre 2009

Entre Guantanamo et la fonte des glaces

"C'est ainsi que personne ne peut dire d'un geste gratuit qu'il sera inutile à terme. (..) Il peut arriver que , sans qu'on s'y attende, on vous fasse cadeau du prisonnier pour lequel vous êtes intervenu."
Vladimir Jankélévitch.
Les récentes difficultés rencontrées par le président Obama à concrétiser son engagement de fermer au plus vite le centre de détention de Guantanamo me viennent à l'esprit en découvrant les trente mille (cent mille ?) manifestants qui ont défilé samedi après-midi à Copenhague, en marge des négociations sur le climat. S'il ne se trouve aucun pays pour accueillir les résidents du sinistre camp de concentration, seront-ils plus nombreux à concrétiser leur exigence de lutter contre la fonte des glaciers en acceptant de voir leur niveau de vie baisser significativement, la viande disparaître de leur assiette, leur mobilité réduite et de travailler en pull plus tard et plus longtemps. Signer une pétition pour un monde meilleur, la libération d'un prisonnier d'opinion, le respect de la vie et celui de la femme, la suppression de l'énergie atomique n'engage que l'encre de la plume si nous n'assumons pas les conséquences immédiates de nos revendications, comme nous le ferions dans le cas d'un contrat moral. Et surtout d'envisager l'impensable: ralentir.  
  
Lu dans:
Jean-Jacques Lubrina. Vladimir Jankélévitch. Les dernières traces du maître. Editions du Félin. 2009. 200 pages. Extrait p.68

Ecouter un arbre

 "J'eus le sentiment que cet arbre venait d'entendre les pesantes questions qui me tourmentaient et s'amusait d'elles, allègrement."
Henri Gougaud.
Herman Van Rompuy élude finement la question de l'après-Europe en citant Malraux "je me contenterai de voir grandir un arbre" ... et jouer avec des enfants. Pour avoir gardé deux de nos petits-enfants ce weekend, on peut assurer qu'il s'agira sans aucun doute d'une retraite active. Quant aux arbres, conseillons-lui le superbe livre-cadeau de Cécile Bolly, orfèvre en la matière en ce qui concerne les confidences des plus silencieux et les plus sages de nos interlocuteurs (Paroles d'arbres). Notre président philosophe y puisera sans aucun doute matière à réflexion pour ses futures interviews et discours.
  
Lu dans:
Cécile Bolly. Paroles d'arbres. Weyrich Editions. 2002. 125 pages. Extrait p.42
André Malraux. Les chênes qu'on abat. Correspondance. Gallimard. 1971.
Herman Van Rompuy tourne la page belge. Interview Le Soir Martine Dubuisson & Véronique Lamquin. 12-13 décembre 2009. page 24. . 

10 décembre 2009

Sagesse de William Osler

"Au lieu de vous demander: "De quoi telle personne est-elle malade?" demandez-vous plutôt: "Pourquoi telle maladie a-t-elle choisi telle personne?"
 (attribué à) William Osler
D'Osler il a été écrit qu'il fut à la fois médecin, clinicien au diagnostic réputé, anatomo-pathologiste, enseignant, bibliophile, historien, essayiste, conférencier, organisateur et auteur... Il fut surtout médecin et sa plus grande contribution fut sans doute son programme pour que les étudiants apprennent leur métier en voyant des patients et en leur parlant, préconisant la mise en place des résidents en médecine (internes). Cette dernière idée s'est répandue dans tout le monde anglophone et reste en place aujourd'hui dans la plupart des hôpitaux universitaires. Peu de temps après son arrivée à Baltimore où il enseigne, Osler a insisté pour que les étudiants en médecine puisse se rendre au chevet des patients dès le début de leur formation. Pendant leur troisième année, ils recueillaient l'histoire du patient, réalisaient des examens cliniques et pratiquaient des examens de laboratoire sur les sécrétions, le sang et les selles au lieu de prendre des notes dans une salle de cours. Il a réduit l’importance des cours magistraux et a déclaré un jour qu'il espérait que sur sa pierre tombale on écrirait seulement, "Il a amené les étudiants en médecine au chevet des malades pour y recevoir leur enseignement", considérant cela comme étant de loin le travail le plus utile et le plus important qu'il ait été amené à faire. Devenu doyen d'Oxford, il n'en demeura pas moins un farceur invétéré, écrivant plusieurs pièces humoristiques sous le pseudonyme d’Egerton Yorrick Davis, parvenant même à tromper le rédacteur en chef des Philadelphia Medical News avec un article sur le soi-disant phénomène du pénis captivus (pénis captif). Il aimait à dire: "Celui qui étudie la médecine sans livres navigue sur une mer inconnue, mais celui qui étudie la médecine, sans voir les patients ne va même pas en mer. Si vous écoutez attentivement le patient, ils vous donnera le diagnostic."

Lu dans;
Oliver Sackx. Un anthropologue sur Mars. Seuil . 1996 460 pages. Exergue p.7
Wikipedia. William Osler. http://fr.wikipedia.org/wiki/William_Osler

06 décembre 2009

05 décembre 2009

Article 27 asbl

"On peut vivre sans le "je ne sais quoi" comme on peut vivre sans philosophie, sans musique, sans joie et sans amour. Mais pas si bien."
V.Jankélévitch
 
Je termine ma consultation par J. qui vient "juste pour un papier" destiné à son médecin du travail. L'occasion est belle pour évoquer son quotidien paumé, détruit par l'alcool, son gris cortège et sa déstructuration lente. Il me surprend par sa connaissance du théatre et du cinéma, qu'il fréquente bien plus régulièrement que moi et le plaisir qu'il y prend. J'apprends ainsi l'existence de l'asbl Article 27 qui se donne pour mission "de sensibiliser et de faciliter l'accès à toute forme de culture pour toute personne vivant une situation sociale et/ou économique difficile" en permettant un accès gratuit à une vaste série de manifestations culturelles. Le choix est varié, théâtre, danse, cirque, théâtre de rue, spectacles de musique classique, opéra, jazz, rock ou musiques folkloriques. Le cinéma n'est pas oublié, des films passant en salle aux documentaires, exploration du monde, tout comme les expositions d’arts plastiques (exposition de peinture, sculpture, architecture, arts contemporains, etc.) A découvrir et à faire partager par tous ceux à qui cette initiative étonnante pourrait redonner un peu de sens à une vie bien éteinte. 

Lu dans:
Jean-Jacques Lubrina. Vladimir Jankélévitch. Les dernières traces du maître. Editions du Félin. 2009. 200 pages. Extrait p.23
Article 27 asbl http://www.article27.be/index.php
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02 décembre 2009

Le meilleur d'entre nous

« L'étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts, n'ayant jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture ne m'ait ôté. »
Montesquieu
Me revient le récit de ce sage qui, se sachant condamné, décide d'apprendre à jouer de la flûte. D'aucuns s'en étonnent, lui demandent quelle utilité cela peut avoir quand il ne reste que quelques semaines à vivre. Si ce n'est "d'approcher ce qu'on ressent quand on apprend encore à quelques jours de sa mort." 
La réflexion de Montesquieu est citée dans le cadre des Grandes Conférences catholiques, qui ce soir recevaient Alain Juppé. Les revers de la vie et des amitiés politiques auraient-ils bonifié cet énarque froid, ex-premier de France, "le meilleur d'entre nous tous" comme le nommait Chirac, mais dont la réputation d'intellectuel calculateur creusa la perte. Revenu d'un long exil québecois, le "moins durable des ministres de l'environnement durable" dans le premier gouvernement Fillon (trois petites semaines de fonction) est redevenu le premier municipaliste de Bordeaux où il découvre une "sobriété heureuse". Une heure de bonheur pour un public conquis, partage chaleureux d'expérience et de convictions nouvelles issues de blessures profondes, d'échecs et de trahisons sur lesquelles il n'est guère disert. On finira par souhaiter quelques "traversées du désert" à  nos responsables politiques. 

Montesquieu (1689-1755). Cahiers.
Je ne mangerai plus de cerises en hiver. Alain JUPPE. Plon . 2009. 252 pages 

30 novembre 2009

Communiquer c'est déjà consommer

"Aucune tribu du Brésil n'était sans doute plus démunie que le premier groupe de Nambikwara approché par Claude Lévi-Strauss en 1938 quelque part sur la ligne Rondon, près du Rio Papagaio. (..) Bouleversé, Lévi-Strauss retrouve (dix ans plus tard, ndlr) ses propres notes, dont voici un extrait: «Le visiteur qui, pour la première fois, campe dans la brousse avec les Indiens, se sent pris d'angoisse et de pitié devant le spectacle de cette humanité si totalement démunie: écrasée, semble-t-il, contre le sol d'une terre hostile par quelque implacable cataclysme; nue, grelottante auprès des feux vacillants. Il circule à tâtons parmi les broussailles, évitant de heurter une main, un bras, un torse, dont on devine les chauds reflets à la lueur des feux. Mais cette misère est animée de chuchotements et de rires. Les couples s'étreignent comme dans la nostalgie d'une unité perdue; les caresses ne s'interrompent pas au passage de l'étranger. On devine chez tous une immense gentillesse, une profonde insouciance, une naïve et charmante satisfaction animale, et, rassemblant ces sentiments divers, quelque chose comme l'expression la plus émouvante et la plus véridique de la tendresse humaine.»
Claude Levi Strauss. Tristes Tropiques, p. 336.
Un nouveau télescopage de lectures ce weekend confronte cette fois l'expérience de Claude Levi Strauss chez les Nambikwara et le dernier ouvrage du sociologue et philosophe français Gilles Lipovetsky, qui publie "Le bonheur paradoxal", dans lequel il définit une nouvelle phase du capitalisme: celle de "l'hyperconsommation". Dans une interview avec William Bourton, il soutient que l'esprit de consommation a également modifié le rapport au politique. "L’hyperconsommation, ce n’est donc pas uniquement posséder un 4×4 ; c’est quelque chose de beaucoup plus fondamental ! C’est l’absorption de la quasi-totalité des interstices de la vie et des modes de vie par la logique marchande. Aujourd’hui, il est difficile d’avoir une activité qui ne s’accompagne pas d’un acte d’achat. Prenez simplement l’exemple de la communication : dans le temps, dans les villages, les gens se parlaient ; aujourd’hui, vous prenez votre téléphone, donc vous payez.(..) Les malaises dont vous parlez sont davantage liés à l’hyperindividualisation de notre monde. Et là-dedans, l’hyperconsommation a sa place surtout comme moyen de venir combler l’extraordinaire anxiété, l’insécurité que génère cette individualisation."

Et vous, où vous situez-vous?

Lu dans :
  • Cathérine Clément. Claude Levi Strauss. PUF. Que sais-je? 2002. 125 pages. Extrait p. 81 et 82.
  • Consommer compense le mal de vivre et le stress. Un entretien entre Gilles Lipovetsky et William Bourton. Le Soir 28/29 novembre. Forum. p. 17. Gilles Lipovetsky parle le 1er décembre, à 20 h, à l’ULB (auditoire P-E Janson, avenue F. D. Roosevelt, 48 à 1050 Bruxelles). Renseignements : 02/650.23.03.

Barbares, et moi et moi

«Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie.»
Montaigne. Des cannibales (cité par Hubert Nyssen)

"L'ethnologue Lévi Strauss ne peut ignorer le remords d'appartenir au monde qui se rendit coupable d'en massacrer un autre. On n'a qu'une idée imprécise de la démographie d'Amérique latine à l'époque des Conquistadores, mais un exemple permet d'en mesurer l'échelle. Dans l'île autrefois nommée Hispaniola, aujourd'hui partagée entre Haïti et Saint-Domingue, les indigènes étaient environ 100.000 en 1492 ; un siècle plus tard, ils n'étaient plus que 200 ! En revanche, malgré ses interminables guerres intestines, l'Occident ne cessa de croître et de s'enrichir."

Un curieux hasard fait se télescoper dans une même journée ces passages qui se répondent dans deux ouvrages distincts dont la lecture m'a enchanté. Que cinq siècles séparent Montaigne de Levy Strauss ne me trouble guère: ces deux-là se seraient entendus comme larrons en foire.

Lu dans
Hubert Nyssen. Ce que me disent les choses. 2009. Actes Sud. 209 pages. Extrait p.155
Cathérine Clément. Claude Levi Strauss. PUF. Que sais-je? 2002. 125 pages. Extrait p. 11.

25 novembre 2009

Interdit de cracher

"Ciel bas et lourd, on le dirait pollué. Dans les préaux des écoles de Bergues au dix-neuvième siècle, ai-je lu ce matin, un avis était affiché qui disait: «Il est interdit de parler flamand et d'uriner sur les murs.» Voilà qui m'a rappelé l'interdietion faite aux chiens et aux Chinois de sc promener sur le Strand à Shanghaï, aux Noirs de fréquenter les lieux réservés aux Blancs, aux Juifs de sortir du ghetto sauf pour aller au crématoire, aux femmes de prétendre aux droits des hommes, etc."
H. Nyssen

Heureux que Berghes fût au Nord de la France (souvenez-vous, Bienvenue chez les Chtis) et non en Belgique, mais on comprend mieux BHV à se remémorer certaines vérités pas si vieilles. Quant au mistral, permanent dans le dernier opus d'Hubert Nyssen, participant à ses fins de nuits écourtées, il est lui aussi d'actualité ce matin de novembre où les portes de la maison n'ont cessé de claquer toute la nuit. Sa force nous incite à la modestie.

Lu dans 
Hubert Nyssen. Ce que me disent les choses. 2009. Actes Sud. 209 pages. Extrait p.49

21 novembre 2009

Prenez l'âme , je garde le corps

"Elle allait
à sa droite un ange gardien
à sa gauche un garde du corps
Prenez l'âme
dit l'ange à l'homme
moi cette nuit
je garde le corps."

André Schmitz

 
Lu dans
Francis Dannemark. Ici on parle flamand et français. Anthologie 2005. Une centaine de poèmes d'auteurs belges d'expression française et néerlandaise. Le Castor Astral. 

20 novembre 2009

Nos âmes se reposent

"Le psychanalyste Carl Jung était un jour en excursion quelque part en Afrique, accompagné de quelques villageois. Il s'étonnait de ce que ceux-ci désiraient s'arrêter pour se reposer plus souvent qu'il ne lui semblait nécessaire. Il ne voulait surtout pas tomber dans l'habituel piège de l'ethnocentrisme en concluant qu'ils étaient paresseux. Toutefois, les haltes ne cessaient de se multiplier. A bout de patience, il leur demanda pourquoi ils avaient besoin de se reposer aussi fréquemment. Leur réponse le laissa pantois: " Lorsque nous marchons sur ces pistes, nous nous arrêtons de temps à autre quand nous nous apercevons que nos âmes n'arrivent plus à nous suivre. Lorsque nous les avons trop distancées, nous attendons un peu, pour leur permettre de nous rattraper. Sans elles, nos idées deviennent confuses, et nous nous perdons. » 
Extrait du discours du recteur Bruno Delvaux à la rentrée académique de l'UCL 


Rien ne va plus

"Notre monde atteint un stade critique. Les enfants n'écoutent plus leurs parents. La fin du monde ne saurait être loin."
Hésiode. VIIIe siècle av.JC
Lu dans 
Ce que me disent les choses. Journal de l'année 2008. Hubert Nyssen.  L'écritoire. Léméac/Actes Sud. 2009. 204 pages. Extrait p.54

19 novembre 2009

Ah les surréalistes

"Tout est vrai, successivement."
Peregrinos

Ah les surréalistes... Au moment où s'inaugure le musée Magritte que la terre nous envie, je découvre l'oraison funèbre écrite par André Breton (auteur du "Manifeste du surréalisme") à l'occasion du décès d'Anatole France. Il conclut son articulet par un peu amène "pour enfermer son cadavre, qu'on vide si l'on veut une boîte des quais de ces vieux livres "qu'il aimait tant" et qu'on jette le tout à la Seine. Il ne faut plus que mort cet homme fasse de la poussière." (Interdit d'inhumer, 12 octobre 24)

Anatole France eut droit à des funérailles nationales, lui qui avait participé à la fondation de la Ligue des droits de l'homme, dénoncé avec force le génocide arménien,  signé la pétition pour la révision du procès Dreyfus, rendu sa légion d'honneur par solidarité avec Zola.  L'exécration des surréaliste à son égard fit tache, eux qui lors d'un dîner en ville s'invectivèrent de si belle manière qu'on vit les corbeilles de fruits voler, s'écrasant sur la tenue d'un officiel,  les tables renversées, la vaisselle piétinée, les vitres voler en éclats, attirant les badauds. Philippe Soupault, suspendu à un lustre balaie du pied plats et bouteilles sur la table sous lui, Michel Leiris hurle par la fenêtre ouverte "A bas la France" et on finit par appeler la police pour vider la salle, les troubles se poursuivant sur le boulevard Saint Michel.

On comprend mieux la mansuétude de Bernard Pivot appelé à commenter les récentes prises de position jugées politiquement incorrectes de Marie NDiaye, Prix Goncourt 2009, qui justifie son choix de s’installer à Berlin estimant que la politique du gouvernement français à l’attention des populations étrangères est monstrueuse. L'invective paraît bien pâle au regard de ce qui s'écrivait il y a moins d'un siècle. Les grands artistes ne connurent jamais le devoir de réserve, estime Pivot, on ne saurait mieux dire. 
 
Lu dans :
Les scandales littéraires. Claire Julliard. Librio 2009. 75 pages. Extrait page 28.

18 novembre 2009

"Je préfère Trouville à Deauville."
P. Delerm
 Ou comment parler de soi sans le dire. Dans un morceau d'anthologie Philippe Delerm s'attarde sur la forme de coquetterie qui fait énoncer "qu'on préfère Trouville à Deauville", les deux stations jumelles qui constituent la sortie du dimanche des Parisiens, et qu'on visite usuellement lors d'une même sortie. A Deauville le luxe un tantinet ostentatoire. À Trouville, quelques ruelles en pente derrière le front de mer, la jovialité revendiquée du marché au poisson, moins de place, un resserrement des terrasses justifieront la prétention à la simplicité. De part et d'autre néanmoins un casino, des tarifs élevés, le bronzage en hiver. Comme le souligne malicieusement Philippe Delerm, on n'évoque pas deux villes "en affirmant je préfère Trouville à Deauville: on parle de soi. De ce petit raffinement d'autosatisfaction qui donne la préférence aux choses plus simples, de cette qualité d'âme qu'on se prête, de cette sensibilité à ce qui est moins connu, moins spectaculaire, moins
luxueux. Avec Trouville et Deauville, on a juste sous la main, à portée d'autoroute, l'occasion d'affirmer sa finesse, son goût pour le jardin japonais. J'aime le vrai et le subtil. Je suis bien trop modeste pour l'affirmer ex abrupto. Je préfère Trouville à Deauville."
  
Lu dans
Philippe Delerm. Ma grand-mère avait les mêmes. Ed.Points 2008. 96 pages. Extrait p.33

15 novembre 2009

Pour la fierté d'une petite fille

"Je ne t'ai jamais fait honte."
Annie Ernaux

"Aux vacances d'été, j'invitais une ou deux copines de fac, des filles sans préjugés qui affirmaient « c'est le cœur qui compte ». Car, à la manière de ceux qui veulent prévenir tout regard condescendant sur leur famille, j'annonçais: "Tu sais chez moi c'est simple." Mon père était heureux d'accueillir ces jeunes filles si bien élevées, leur parlait beaucoup, par souci de politesse évitant de laisser tomber la conversation, s'intéressant vivement à tout ce qui concernait mes amies. La composition des repas était source d'inquiétude, « est-ce que mademoiselle Geneviève aime les tomates?». Il se mettait en quatre. Quand la famille d'une de ces amies me recevait, j'étais admise à partager de façon naturelle un mode de vie que ma venue ne changeait pas. A entrer dans leur monde qui ne redoutait aucun regard étranger, et qui m'était ouvert parce que j'avais oublié les manières, les idées et les goûts du mien. En donnant un caractère de fête à ce qui, dans ces milieux, n'était qu'une visite banale, mon père voulait honorer mes amies et passer pour quelqu'un qui a du savoir-vivre. Il révélait surtout une infériorité qu'elles reconnaissaient malgré elles, en disant par exemple, « bonjour monsieur, comme ça va-ti? Un jour, (il me dit) avec un regard fier: "Je ne t'ai jamais fait honte."


Pourquoi revenir au beau livre d'Annie Ernaux? Parce que j'en ai relu quelques pages, tard après Envoyé Spécial jeudi soir, ému par l'image finale de cette maman seule aux yeux rougis et gonflés par la fatigue, gardienne de parking 12 heures par jour - tout plutôt que le chômage - qui souffle "je voudrais tant que ma fille soit fière de moi". Avec la crise, de plus en plus de petits boulots (re)font leur apparition, permettant à de nombreux Français de joindre les deux bouts et de se reconvertir après un licenciement. Qu'il leur soit interdit de s'asseoir, de parler, de téléphoner ou de lire durant leurs heures leur donne presqu'une dignité supplémentaire, qu'on ne retrouve guère dans l'interview de leurs employeurs aux contrats d'embauche pour le moins surprenants. Sabine, 45 ans, se lève tous les jours à 4 heures du matin pour prendre un bus puis un train pour se rendre à son nouveau travail, elle est pompiste dans une station essence de supermarché, et touche 10% des pourboires que lui laissent les automobilistes. Claude, 52 ans, a longtemps travaillé dans la confection. Il est à présent vendeur de journaux à la criée au départ des trains de la gare du Nord à Paris. Mohamed, 32 ans, est "régulateur de flux" dans le RER, son rôle est de permettre aux voyageurs de mieux se répartir sur le quai et de prendre leur train sans bousculade. Le "je ne t'ai jamais fait honte" du père d'Annie Ernaux n'est guère loin.

Lu dans :
Annie Ernaux. La place. Folio.1983. 114 pages. Extrait p.92,93
Le retour des petits boulots. Un reportage de Guillaume Barthélémy et Guillaume Dumant. Envoyé Spécial. France 2. Jeudi 12 novembre 2009. 20h30

Merci à la vie

Merci à la vie qui m'a tant donné.
Elle m'a donné deux yeux et quand je les ouvre
Je distingue parfaitement le noir du blanc
Merci à la vie qui m'a tant donné.
Elle m'a donné deux yeux et quand je les ouvre
Je distingue parfaitement le noir du blanc
Et là-haut dans le ciel, un fond étoilé
Et parmi les multitudes, l'homme que j'aime.

Merci à la vie qui m'a tant donné.
Elle m'a donné d'entendre, oreilles grandes ouvertes
Enregistrer nuit et jour grillons et canaris,
Marteaux, turbines, aboiements, orages,
Et la voix si tendre de mon bien-aimé.

Merci à la vie qui m'a tant donné.
Elle m'a donné la voix et des lettres
Avec lesquelles je pense les mots, et je dis
Mère, ami, frère, lumière qui éclaire
Le chemin de l'âme que j'aime.

Mercedes Sosa - Gracias A La Vida

En octobre 2009 est morte Mercedes Sosa. Un destin étrange et unique pour cette chanteuse argentine qui a été arrêtée en plein concert par la dictature, et forcée à s'exiler. De nombreuses chansons magnifiques dont celle-ci qu'un ami me fait découvrir (merci Benoît).

08 novembre 2009

Festina lente

"Ubi amici, ibi opes" (Là où sont les amis , là est la richesse).

"Je pris soin de ma santé à Anderlecht, qui est à la fois un endroit très connu et proche de Bruxelles, où se trouve le palais de l'Empereur. Presque chaque jour, je me rendais en ville à cheval et je retournais aussi, sans débrider, à Louvain. Depuis de nombreuses années - j'en rends grâce au Christ - jamais je n'avais été mieux en forme que je ne le fus à cctte époque-là."

La saison est propice pour découvrir le Jardin philosophique de la maison d'Erasme à Anderlecht. Jardin de sagesse, parsemé de petits étangs dans lesquels se reflètent des maximes anciennes, mais aussi jardin des simples où croissent les diverses plantes médicinales utilisées par l'humaniste arrivé en fin de vie pour se traiter. Jardin d'écriture, et grâce au verger également jardin de confitures. Les feuilles qui encombrent les pelouses et les mares incitent à la rêverie au temps qui passe, tandis que les cloches de la collégiale proche égrènent les heures de journée qui s'écourtent rapidement. Une courte promenade dans les parterres permet de parcourir une Europe dont Erasme avait tracé de premiers contours, les végétations des endroits divers où il séjourna ayant été reproduites scrupuleusement par îlots juxtaposés. Un moment unique dans un endroit unique. 
  
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Lu et à prouver

"Lu et à prouver."
Annie Ernaux 

"Autre souvenir de honte: chez le notaire, il (mon père) a dû écrire le premier « lu et approuvé», il ne savait pas comment orthographier, il a choisi « à prouver». Gêne, obsession de cette faute, sur la route du retour. L'ombre de l'indignité. Dans les films comiques de cette époque, on voyait beaucoup de héros naïfs et paysans se comporter de travers à la ville ou dans les milieux mondains (des rôles de Bourvil). On riait aux larmes des bêtises qu'ils disaient, des impairs qu'ils osaient commettre, et qui figuraient ceux qu'on craignait de commettre soi-même. Une fois, j'ai lu que Bécassine en apprentissage, ayant à broder un oiseau sur un bavoir, et sur les autres idem, broda "idem" au point de bourdon. Je n'étais pas sûre que je n'aurais pas brodé "idem."

En quelques pages d'une écriture sobre et dense, Annie Ernaux raconte son père. Paraphrasant Jean Genet qu'elle cite en épigramme, elle tente l'écriture comme "dernier recours quand on a trahi", en une tentative pathétique de combler le fossé insidieux qu'elle a laissé se creuser entre cet homme simple, terrien de Normandie, avare de ses mots et de ses sentiments et sa fille devenue agrégée en lettres. Un récit dépouillé qui possède une dimension universelle et qui m'a ému. 


Lu dans :
Annie Ernaux. La place. Folio.1983. 114 pages. Extrait p.59

04 novembre 2009

Mort de Lévi-Strauss

"Point n'est besoin d'aller bien loin pour rencontrer des sauvages."
Célestin Bouglé
 Petit clin d'oeil à Claude Lévi-Strauss, grand voyageur devant l'éternel, mort hier à l'âge de cent ans, qui (par boutade?) entamait son célèbre Tristes tropiques par un provocant "Je hais les voyages et les explorateurs". Toute grande expédition commence dans notre imagination, et au coin de la rue comme le rappelle avec humour Célestin Bouglé, qui fut son maître à la rue d'Ulm et initia sa vocation d'anthropologe. Il lui reste l'éternité pour observer la vie des anges au paradis, on aimerait le lire. 
 
  

02 novembre 2009

Les mille raisons d'aimer

"On est toujours content quand les gens qui nous aiment relèvent nos travers comme des raisons supplémentaires de nous aimer."
E. Carrère

Lu dans: 
Emmanuel Carrère. D'autres vies que la mienne. P.O.L. 2009. 310 p. Extrait p.119

Epitaphe

 "Je suis mort sans laisser de fils, et regrettant
Que mon père avant moi n'en eût pas fait autant."
Epitaphe du misanthrope.
Une dernière pour fêter nos morts. Lue sur une tombe, sans doute du 3ème siècle avant notre ère. Certes, pas vraiment optimiste, pas vraiment contemporaine, sans être anachronique pour autant. Lire les anciens révèle d'étonnantes lignes.  

Lu dans :
Epigramme anonyme dans le goût de Callimaque. Date incertaine, 3ème siècle avant notre ère. Anth.Pal., VII, 309
Marguerite Yourcenar. La Couronne et la Lyre. Gallimard. NRF 1979, 485 p., extrait page 309

01 novembre 2009

La frontière de l'humain

"Quand on pense à quel point la mort est familière, et combien totale est notre ignorance, et qu'il n'y a jamais eu aucune fuite, on doit avouer que le secret est bien gardé !"
Vladimir Jankélévitch

Encore quelques réflexions pour temps de fête des morts. Une photo, publiée dans le numéro de novembre du National Geographic, met à mal notre le présupposé que la race humaine est la seule à pleurer ses semblables. On y voit le cadavre de Dorothy, femelle chimpanzé de 40 ans, enterrée en présence d'un groupe de ses semblables. Leur silence, exceptionnel dans leur comportement quotidien, est interprété dans ce cas précis par le photographe comme signe d'émotion et de respect. La frontière de l'humain est ténue. Prolongeant cette réflexion, on appréciera que Dorothy fut faite orpheline bébé par un braconnier, et ensuite recueillie par un humain qui lui fit boire des bières et fumer des cigarettes pour amuser les touristes. Il est des jours où je préfèrerais qu'on me range chez les chimpanzés ou les bonobonos.
Lu dans:  
La Mort, Vladimir Jankelevitch, Flammarion, Champs, 2008.

31 octobre 2009

Rire après ma mort

"C'est très beau un arbre dans un cimetière. On dirait un cercueil qui pousse."
Pierre Doris


L'humoriste est mort mardi. J'aimerais que ce que j'ai pu dire ou écrire fasse rire les jours après ma mort. Demain, nous irons au cimetière comme chaque année nous recueillir sur les tombes des proches et parents. Dans les allées, mon regard tombera sur les noms de patients décédés et je revivrai en un surprenant travelling arrière leurs chagrins, bonheurs et confidences. Leurs amours cachées et les infimes trahisons d'une existence: je n'ai guère connu ni de grands truands, ni de véritables Casanova, mais beaucoup de braves hères qui ont vécu de leur mieux avec les faibles moyens qui leur avaient été alloués à la naissance. Peu sont nés avec une cuiller en argent dans la bouche, peu sont mort riches. Mais ils m'auront rendu riches d'eux-mêmes, de leurs expériences. 
Je jetterai un regard neuf sur les arbres: tant de cercueils qui poussent, une vraie forêt.

Lu dans.
Pierre Doris a poussé son dernier râle.  Le Soir . 29 octobre 2009. p.34 

25 octobre 2009

Pensée de fin octobre

"This loneliness
returning like an old dog
to its favorite spot
I try to shrug its effect
while the rain continues on."

"Cette solitude
revient comme un vieux chien
à son coin favori
J'essaie d'en ignorer le sens
alors que la pluie continue à tomber."


Marjorie A. Buettner, 2002
Trad. Serge Tomé, Micheline Beaudry

24 octobre 2009

La femme est l'avenir de l'homme

"Si Lehman Brothers avait été Lehman Sisters, on n'en serait pas là aujourd'hui!"
Ngozi Okonjo-Iweala, directrice général de la Banque mondiale au Nigeria

 Les femmes dirigeantes réunies à Deauville du 15 au 17 octobre, à l'occasion du Women's forum, sont plus que jamais convaincues que leurs paroles, leurs visions du monde doivent être davantage entendues et prises en compte. Leur ambition est globale, visant le monde de l'entreprise certes, mais aussi l'éducation, la santé, les inégalités et la prise en compte du changement climatique. Dans les entreprises, la présence de femmes accroît les performances comme le révèle cette recherche menée par Michel Ferrary, professeur au Ceram (Ecole supérieure de commerce à Nice-Sophia Antipolis) qui prouve que les firmes qui emploient plus de 35 % de femmes, ou dont le taux d'encadrement est à plus de 35 % féminin, voient leur chiffre d'affaires progresser davantage que les autres. Que ces firmes sont aussi deux fois plus rentables, ont une meilleure productivité et créent davantage d'emplois. Une étude de la société Hedge Fund Research, basée à Chicago, montre aussi que, entre 2000 et 2009, les fonds financiers ayant une majorité de femmes parmi leurs gestionnaires, ont vu leur valeur augmenter nettement plus que la moyenne. Précurseur, Jean Ferrat ne chantait-il pas avec Aragon il y a une vingtaine d'années que la femme était l'avenir de l'homme. Message confidentiel car à part la vente de disques, il ne passa guère dans les émissions de télévision à l'époque, snobé par les médias commerciaux ou officiels en raison de son image de franc-tireur. Gageons que le Women's forum aura plus d'audience. 

Lu dans :
Les femmes dirigeantes veulent faire la révolution. Annie Kahn. Le Monde. 24 octobre  2009. kahn@lemonde.fr

La femme est l'avenir de l'homme

"Si Lehman Brothers avait été Lehman Sisters, on n'en serait pas là aujourd'hui !"
Ngozi Okonjo-Iweala, directrice général de la Banque mondiale au Nigeria

 Les femmes dirigeantes réunies à Deauville du 15 au 17 octobre, à l'occasion du Women's forum, sont plus que jamais convaincues que leurs paroles, leurs visions du monde doivent être davantage entendues et prises en compte. Leur ambition est globale, visant le monde de l'entreprise certes, mais aussi l'éducation, la santé, les inégalités et la prise en compte du changement climatique. Dans les entreprises, la présence de femmes accroît les performances comme le révèle cette recherche menée par Michel Ferrary, professeur au Ceram (Ecole supérieure de commerce à Nice-Sophia Antipolis) qui prouve que les firmes qui emploient plus de 35 % de femmes, ou dont le taux d'encadrement est à plus de 35 % féminin, voient leur chiffre d'affaires progresser davantage que les autres. Que ces firmes sont aussi deux fois plus rentables, ont une meilleure productivité et créent davantage d'emplois. Une étude de la société Hedge Fund Research, basée à Chicago, montre aussi que, entre 2000 et 2009, les fonds financiers ayant une majorité de femmes parmi leurs gestionnaires, ont vu leur valeur augmenter nettement plus que la moyenne. Précurseur, Jean Ferrat ne chantait-il pas avec Aragon il y a une vingtaine d'années que la femme était l'avenir de l'homme. Message confidentiel car à part la vente de disques, il ne passa guère dans les émissions de télévision à l'époque, snobé par les médias commerciaux ou officiels en raison de son image de franc-tireur. Gageons que le Women's forum aura plus d'audience. 

Lu dans :
Les femmes dirigeantes veulent faire la révolution. Annie Kahn. Le Monde. 24 octobre  2009. kahn@lemonde.fr

La femme est l'avenir de l'homme

"Si Lehman Brothers avait été Lehman Sisters, on n'en serait pas là aujourd'hui ! "
Ngozi Okonjo-Iweala, directrice général de la Banque mondiale au Nigeria

 Les femmes dirigeantes réunies à Deauville du 15 au 17 octobre, à l'occasion du Women's forum, sont plus que jamais convaincues que leurs paroles, leurs visions du monde doivent être davantage entendues et prises en compte. Leur ambition est globale, visant le monde de l'entreprise certes, mais aussi l'éducation, la santé, les inégalités et la prise en compte du changement climatique. Dans les entreprises, la présence de femmes accroît les performances comme le révèle cette recherche menée par Michel Ferrary, professeur au Ceram (Ecole supérieure de commerce à Nice-Sophia Antipolis) qui prouve que les firmes qui emploient plus de 35 % de femmes, ou dont le taux d'encadrement est à plus de 35 % féminin, voient leur chiffre d'affaires progresser davantage que les autres. Que ces firmes sont aussi deux fois plus rentables, ont une meilleure productivité et créent davantage d'emplois. Une étude de la société Hedge Fund Research, basée à Chicago, montre aussi que, entre 2000 et 2009, les fonds financiers ayant une majorité de femmes parmi leurs gestionnaires, ont vu leur valeur augmenter nettement plus que la moyenne. Précurseur, Jean Ferrat ne chantait-il pas avec Aragon il y a une vingtaine d'années que la femme était l'avenir de l'homme. Message confidentiel car à part la vente de disques, il ne passa guère dans les émissions de télévision à l'époque, snobé par les médias commerciaux ou officiels en raison de son image de franc-tireur. Gageons que le Women's forum aura plus d'audience. 

Lu dans :
Les femmes dirigeantes veulent faire la révolution. Annie Kahn. Le Monde. 24 octobre  2009. kahn@lemonde.fr

17 octobre 2009

Ne pas rendre la cure plus insupportable que la maladie

«Il faut employer les remèdes les plus aisés qu'il sera possible, autrement, il y a grand danger que leur accumulation et le dégoût qu'ils causeront, ne fassent mourir le malade avant qu'il en ait reçu aucun soulagement. Il faut remplir les indications par le moins de remèdes possibles et ne jamais rendre la cure plus insupportable que la maladie. »
John Quincy

Je souhaitais rencontrer ce collègue, et l'ai invité à déjeûner la semaine prochaine pour un échange informel. Je crois qu'on va bien s'entendre. Comme il vient de loin, j'espère qu'il passera sans encombre les traditionnels bouchons du carrefour de la Bastille (1789), de l'échangeur de Waterloo (1815), des tranchées de l'Yser (1918) et de la place de Dresde (1945). 

Lu dans :
Qyincy John, Pharmacopée universelle raisonnée, Paris, 1749, p514.
cité par Luc Perino, Une brève histoire du médicament. L'oeil neuf. 2009. 145 pages. extrait p.26 

16 octobre 2009

Le roi est nu

"C'est un peu comme dans le conte d'Andersen « Le roi est nu ». Un tailleur escroc avait fait croire à un roi autocrate qu'il était capable de lui tisser et de lui confectionner un habit sublime en fil tellement fin qu'il aurait l'illusion d'être vêtu d'un tissu invisible. Le monarque se laisse d'autant plus facilement convaincre que, bien qu'en réalité, il n'y ait pas plus de tissu que d'habit et qu'il soit totalement à poil, les courtisans s'extasient devant la magnificence de son costume. Et lorsqu'il sort, en majesté, dans la rue, ses sujets, terrifiés par la présence d'une police omniprésente, feignent d'admirer sa mise et ses atours. Jusqu'au moment où un enfant, forcément inconscient, s'écrie « Regarde maman, le roi il est tout nu ! ». Et, aussitôt, explosion d'hilarité libératrice."
JF Kahn

Je découvre ce délicieux conte dans une rubrique de Jean François Kahn ce matin. Je n'en connaissais que la dernière phrase du roi nu, mais apprécie sa délicieuse impertinence. Il faudra décidément relire ces ouvrages inactuels.


Lu dans 
Jean François Kahn. Affaire Mitterrand, lynchage disent-ils. Le Soir. Vendredi 16 octobre 2009. p.23

15 octobre 2009

Le goût de l'inactuel

"Mon goût pour l'inactuel (..) a revêtu l'importance d'un jeu. J'éprouve un plaisir grandissant à lire ces livres oubliés, ensommeillés sur des rayons sans visiteurs, abandonnés sans grande chance d'être redécouverts, ces revues qui parlent d'événements qui faisaient autrefois l'Actualité et que le temps a recouverts.  Je retrouve la forêt dense des livres telle que je m'y perdais entre neuf et vingt ans (..) , cet océan sans limites où des milliers de naufragés se noient, que nul ne songe à secourir. À quoi sert d'en ramener quelques dizaines sur la berge où la marée du temps viendra les rechercher? "
Pierre Hebey.


Soudain privé d'arrivage neuf en septembre, n'ayant trouvé le temps d'une demi-journée de flânerie chez mon libraire, je découvre coup sur coup quatre ouvrages ensommeillés sur les rayonnages de notre bibliothèque. Une réflexion sur l'inactuel, une biographie d'Etty Hillesum, un récit de médecin rescapé des camps de la mort, une biographie d'un journaliste juif allemand qui déserta son pays en 1933. Tous moments d'intense réflexion sur le sens d'une existence. Bien sûr la saison des prix littéraires me rendra l'impatience du neuf qui favorise les conversations de table, mais cette incursion dans nos caves à livres m'aura fait du bien. 
  
Lu dans
Pierre Hebey. Le goût de l'inactuel. NRF. Gallimard. 1998. 222 pages. Extrait p.40
Sylvie Germain. Etty Hillesum. Chemins d'éternité. Pygmalion. 1999. 212 pages.
Miklos Nyiszli. Médecin à Auschwitz. Julliard. 1961. 250 pages.
Sébastien Haffner , Histoire d'un Allemand, Babel, Actes Sud 2002, 425 pages.
 

14 octobre 2009

Quand serai-je moi ?

"S'il n'y avait qu'un seul instant de notre vie à emporter pour le grand voyage, lequel choisir? Au détriment de quoi et de qui? Et surtout, comment se reconnaître au milieu de tant d'ombres, de tant de spectres, de tant de titans?.. Qui sommes-nous au juste? Ce que nous avons été ou bien ce que nous aurions aimé être? Le tort que nous avons causé ou bien celui que nous avons subi? Les rendez-vous que nous avons ratés ou les rencontres fortuites qui ont dévié le cours de notre destin? Les coulisses qui nous ont préservés de la vanité ou bien les feux de la rampe qui nous ont servi de bûchers? Nous sommes tout cela en même temps, toute la vie qui a été la nôtre, avec ses hauts et ses bas, ses prouesses et ses vicissitudes; nous sommes aussi l'ensemble des fantômes qui nous hantent... nous sommes plusieurs personnages en un, si convaincants dans les différents rôles que nous avons assumés qu'il nous est impossible de savoir lequel nous avons été vraiment, lequel nous sommes devenus, lequel nous survivra.".
Yasmina Khadra

 
Je referme, ému, la dernière page du beau roman de Khadra, superbe fresque dans l'Algérie brûlante de la guerre d'indépendance. Ce matin, j'ai accompagné à sa dernière demeure un collègue et ami médecin généraliste, devenu patient. Ma première visite de courtoisie comme futur médecin de famille en 75 avait été pour lui, et le récit de son quotidien, renouvelant chaque soir à 22 heures le contenu de sa trousse  pour le lendemain, en espérant ne pas être réveillé de nuit, m'avait terrifié. A la fin de son existence, il s'interrogeait sur la cause d'une fatigue permanente qui ne le lâchait plus. Moi je me souvenais, et le lui ai mainte fois remis en mémoire. Le beau passage de Khadra se surimprime dans ma mémoire ce soir sur cette vie qui se termine, et dont le déroulement tranquille dans notre faubourg anderlechtois annonçait la mienne. Et pose la question sans réponse:  de quel  instantané de notre existence fera-t-on la photo officielle qui nous survivra? 

 
Lu dans:
Ce que le jour doit à la nuit. Yasmina Khadra. Julliard. 2008. 415 pages. Extrait p.406 

10 octobre 2009

Réflexion sur la fauvette de Spencer

"L'information ne veut rien dire quand elle se situe hors d'un système interne de pensées et de réflexions qui leur sert de contexte."
D. Tammet.

«Tu vois cet oiseau? C'est une fauvette de Spencer. Bien, en italien, c'est un chutto Lapittida. En portugais, on l'appelle born da peida. En chinois, Chung-Iong-tah, et en japonais Katano Takeda. Tu peux apprendre le nom de cet oiseau dans toutes les langues du monde, mais quand tu auras fini, tu ne connaîtras absolument rien de lui. Tu sauras seulement des choses sur les humains qui vivent dans différentes régions du monde et sur le nom qu'ils donnent à l'oiseau. C'est pourquoi nous allons bien regarder cet oiseau et voir son comportement - c'est cela qui compte."

Richard Feynman, citant son père

   
Lu dans:
Daniel Tammet. Embrasser le ciel immense. Les Arènes. 2009. 332 pages. extrait p.262

Une réflexion pour un Nobel

"L'esprit pense avec les idées, non avec les informations."
Theodore Roszak  
"Les idées définissent l'information, lui donnent sens et la génèrent. Les idées les plus fondamentales, comme celles des Pères fondateurs des États-Unis ("Tous les hommes sont égaux"), ne contiennent pas d'information. Elles sont le résultat d'une sensibilité humaine innée qui nous permet, à travers le brouillard des informations, de reconnaître et de synthétiser des schémas de pensée transcendants. Notre vision personnelle du monde nous aide ensuite à remettre l'information en perspective, en lui donnant intuitivement une place dans notre esprit, comme un livre dans une bibliothèque." (D. Tammet) 

Serait-ce cette capacité de donner un sens que le comité Nobel de la Paix a voulu saluer en nominant Barak Obama hier à Oslo?

Lu dans :
Théodore Roszak. The Cult of Information: A Neo-Luddite Treatise on High-Tech, Artificial Intelligence, and the True Art of Thinking. 267 pages,
April 1994, The Unoversity of California Press.
Daniel Tammet. Embrasser le ciel immense. Les Arènes. 2009. 332 pages. extrait p.262
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08 octobre 2009

Les portes du corps

"Si les yeux sont les fenêtres de l'âme, les lèvres sont les portes du corps". 
B Deprez


Des lèvres pour mordre dans la vie à pleines dents, passionnément. Comment ne pas évoquer "Une gourmandise" de Muriel Barbery (NRF Gallimard, 2000) et cette délicieuse description du "gourmet qui embrasse le monde sur la bouche" (auteur non retrouvé, cité de mémoire). Dans la description qu'en fait Bérengère Deprez, qui signe ici son dernier ouvrage dans la droite ligne de "Kilomètre 7" (Luce Wilquin 2006) , la gourmandise est d'un autre ordre mais la phrase garde toute sa saveur. Beau roman de passage, à l'instar de cette émouvante description de la bascule du jour dans la nuit d'Angelos Sikelianos, qui donne son titre au livre:  "A l'heure où je t'attends, la grecque, l'hirondelle, la nuit vient retourner le sablier du jour." 


Lu dans
Bérengère Deprez. Le sablier du jour. Ed. Luce Wilquin 2009, 165 pages, extrait p. 30.

06 octobre 2009

Si je ne suis pas moi, qui donc le sera ?

"Vous n'êtes pas responsables de ce que les autres aimeraient que vous fassiez. Je ne suis pas responsable de ne pas être celui qu'ils voudraient que je sois: c'est leur erreur, pas la mienne."
Richard Feinman


La phrase est issue de "What Do You Care What Other People Think ?" (litt. Qu'est-ce que ça peut vous faire ce que les autres pensent ?). Richard Feynman (Prix Nobel de  physique 1965) fut avant tout un esprit libre qui se permettait de passer de la physique théorique au déchiffrage de hiéroglyphes mayas et au forçage de coffres-forts. Amateur de plaisanteries, il trouva la combinaison d'une serrure en essayant les numéros qu'un physicien utiliserait (il s'agissait de 27-18-28, les premiers chiffres de la valeur de e = 2,71828, la plus connue et la plus exploitée des fonctions exponentielles…), et il trouva que trois bureaux de la base top-secrète de Los Alamos qui contenaient des notes sur les recherches sur la bombe avaient la même combinaison. Il laissa une série de notes malfaisantes en guise de farce, ce qui provoqua l'inquiétude de son collègue à propos de la présence d'un éventuel espion ou saboteur qui aurait eu accès à des documents secrets concernant la bombe atomique. 

05 octobre 2009

Le temps nous égare , le temps nous étreint

"Le temps nous égare / Le temps nous étreint
Le temps nous est gare / Le temps nous est train."
Jacques Prévert


Une belle réflexion sur la nature du temps m'a permis d'entamer ma journée sur un mode réflexif. Le physicien français Etienne Klein nous en fournit quelques clés en préambule de la conférence qu'il donne à l'ULB ce mardi soir. La physique newtonienne a séparé le temps et l'espace, mesurant le premier avec une règle, le deuxième avec une montre, et considère que ces deux référentiels sont identiques pour tous les observateurs. La théorie de la relativité les relie. Nous voilà immergés dans l'espace-temps. Vous êtes assis dans votre salon. Imaginons qu'un observateur traverse la pièce à très, très grande vitesse disons une vitesse proche de celle de la lumière; il verrait sous forme d'espace une partie de ce que vous voyez sous forme de temps; et vice versa. (..) Peut-on dès voyager dans le temps? Oui, en théorie, si l'on pouvait voyager aussi vite que la lumière. Au retour de notre voyage, ceux que nous avons quittés seraient bien plus âgés, ou morts depuis longtemps. Mais nous serions restés prisonniers de notre temps; nous ne pouvons voyager que dans le futur des autres. Le temps est une prison à roulettes ...
 
Lu dans:
Dominique Berns. Etienne Klein: le temps est une prison à roulettes. Le Soir. Forum. lundi 5 octobre 2009. p. 12
Cultures d'Europe. Mardi 6 octobre, 20 h. , auditoire Paul Janson, av. Franklin Roosevelt 48, 1050 Bruxelles. tél. 02.650.23.03

Marek Edelman, mort d’un héros éternel

Nous le croyions immortel ! Et il l’est… sans doute. Il ne sera pas oublié. Il était l’une des rares autorités morales absolues en Pologne. Il savait, disaient ses amis, comment vivre et comment mourir. Il n’a jamais accepté de se taire, n’a jamais plié à la conjoncture : il était, quelles que furent les circonstances et même à l’égard de ses proches amis, un procureur sans appel contre l’injustice, l’indifférence, la passivité, et contre la peur quand il fallait défendre l’homme et sa mémoire. 

Il fut un grand Juif et un grand Polonais. Pourquoi  était-il est resté en Pologne, malgré le souvenir de l’Holocauste, malgré les pogroms de l’après-guerre et la campagne antisémite de 1968 qui ont poussé tant de Juifs polonais à l’exode ? Edelman, dernier commandant de l’insurrection du ghetto de Varsovie, répondait :  « C’est ici qu’est enterré mon peuple. Je suis resté car je suis le gardien des tombes juives. » 

Il y aura d’innombrables gardiens de la tombe de Marek Edelman, mort vendredi dernier, à 90 ans. Il fait partie de l’histoire des Juifs, des Polonais et de l’humanité tout entière. Né à Homl, une ville maintenant située au Belarus, dans une famille de Juifs engagés dans le Bund, le parti socialiste juif, Edelman fut, dès l’enfance, imprégné de l’idéologie de mouvement ouvrier. 

Quand il était tout petit sa famille s’était installée à Varsovie. « C’est ma ville. C’est ici que j’ai appris le polonais, le yiddish et l’allemand. C’est ici, qu’à l’école, j’ai appris qu’il fallait toujours prendre soin des autres. C’est aussi ici que j’ai pris, pour la première fois, un coup dans la figure seulement parce que j’étais juif », avait dit Edelman quand il fut fait citoyen d’honneur de Varsovie en 2001. 

Quand éclata la Seconde Guerre mondiale, il se retrouva, avec près d’un demi-million de Juifs, confiné par les Allemands dans le ghetto de Varsovie. Créé le 12 avril 1942, entouré d’un mur de 3 mètres de haut et de barbelés sur 18 km, le ghetto généra des conditions de vie très vite insupportables. Maladie et mort y devinrent banales. Entre le 22 juillet et le 12 septembre, 300.000 Juifs furent arrêtés et envoyés à Treblinka, camp de la mort. Il ne resta plus qu’environ 70.000 personnes dans le ghetto, destinées à une seconde vague de déportations. Elles devaient commencer le 18 janvier 1943. Mais cette fois les Juifs les plus jeunes et les plus vaillants qui restaient dans le ghetto, n’ayant plus rien à perdre, osèrent résister. Pour l’honneur. Ils disposaient de quelques armes livrées par la résistance polonaise. Le 19 avril 1943, les nazis pénétrèrent en force dans le ghetto et l’encerclèrent. 

« On savait parfaitement qu’on ne pouvait en aucun cas gagner. Face à 220 garçons mal armés, il y avait une armée puissante », expliquait Edelman, fondateur de l’Organisation juive de combat. Mais, ajouta-t-il, « l’humanité a décidé que la mort armes aux mains est plus belle que sans armes. Nous avons respecté cette consigne ». Ils transformèrent les caves en bunkers et malgré l’inégalité des forces, l’insurrection allait durer trois longues semaines. Lorsque Mordechaï Anielewicz, 24 ans, le commandant de l’insurrection, pris au piège, se suicida, c’est Edelman qui reprit le commandement. Pour venir à bout de l’insurrection, les Allemands brûlèrent tout le ghetto, maison par maison. Ce fut la fin. Certains combattants, dont Edelman, purent s’enfuir par les égouts. Mi-mai 1943, le général Jünger Stroop qui commandait les opérations annonça à Hitler : « Le quartier juif de Varsovie n’existe plus ! » 

Ayant échappé aux lance-flammes, Edelman réussit à exister. Il rejoignit la résistance polonaise, participa en 1944 à l’insurrection de Varsovie, qui  coûta la vie à 200.000 Varsoviens. Après la guerre, il fit des études de médecine et devint un cardiologue célèbre. Il s’engagea du côté de l’opposition anticommuniste, puis dans Solidarité et il fut interné sous la loi martiale du général Jaruzelski. A la chute du communisme en 1989, il fut élu sénateur. Il restera dans la mémoire juive et polonaise comme le symbole du combat contre le racisme et l’antisémitisme, contre le cynisme, le mensonge. L’enfer qu’il vécut et qui l’avait marqué à jamais, lui avait donné la force d’être « un homme qui a eu le courage de la vérité », référence suprême dans ce qui fait la dignité de l’homme. 

Lu dans :
Pol Mathil. Marek Edelman, mort d’un héros éternel Journaliste. Le Soir. Lundi 05 octobre 2009. 

04 octobre 2009

Si nous partions en promenade

"Qu'y a-t-il de plus beau qu'un oiseau libre qui vole vers le soleil ?"
J. Van Hamme


A l'arrêt sur 10 bandes de circulation (?) dans les deux sens, le Ring de Bruxelles se morfond à hauteur de Grimbergen ce mardi matin. Tache lumineuse sur un versant herbeux qui surplombe la route, fine silhouette découpée dans le soleil, un héron fait la pause en observant ce spectacle insolite. Immobile pour immobiles, gracieux, le bel oiseau "au long bec emmanché d’un long cou" décrit par Jean de la Fontaine paraît fasciné par tant d'impuissance concentrée, escargots collés au sol en attente d'un sort meilleur.  Et soudain s'envole de deux battements d'ailes en direction de la mer. "Si nous partions en promenade, et il s'envolent. C'étaient des oiseaux?" écrivit joliment Félix Leclerc. La phrase m'est revenue, et m'a fait rêver. 

Lu dans
Jean Van Hamme , Grzegorz Rosinski. Thorgal - L'île des mers gelées.   Thorgal. Tome 2. 2000. Ed. Le Lombard, 50 pages

Notre histoire à tous

"Ah, et puis: je préfère ce qui me rapproche des autres hommes à ce qui ce qui m'en distingue. Cela aussi est nouveau."
E. Carrère

 
Un précédent ouvrage (L'adversaire) m'a fait découvrir Emmanuel Carrère. Je l'ai retrouvé la semaine passée dans son dernier roman "D'autres vies que la mienne." Une longue traversée d'une transformation intérieure par la confrontation au deuil de ses proches. Qui débouche sur une certaine forme de lumière, après des longueurs - mais qui n'en a? 


Lu dans:
Emmanuel Carrère. D'autres vies que la mienne. P.O.L. 2009. 310 p. Extrait p.308

02 octobre 2009

Se fier aux haies et aux fossés

"Nous évoluions parmi eux avec l'insouciance de promeneurs qui, dans un zoo moderne dont on a supprimé les cages, vont et viennent parmi les fauves en se fiant aux haies et aux fosssés. Les fauves, de leur côté, devaient éprouver un sentiment correspondant: pour désigner l'ordre invisible qui leur assignait des limites tout en les laissant en liberté."
S. Haffner
Il y a six ou sept ans , un collègue luxembourgeois hébergé une nuit chez nous m'offrit un petit livre que je lui promis de découvrir rapidement, et rangeai. Les affaires urgentes prirent le dessus et je l'ai lu... la semaine passée. Ce livre modeste, écrit par un Allemand qui quitta son pays en 1933 devant la montée des périls, offre une explication subtile de la prise de pouvoir par les voies les plus légales du national-socialisme en Allemagne dans les années trente. De petites merveilles dorment paisiblement dans les rayonnages de nos bibliothèques.

 
Lu dans
Sébastien Haffner , Histoire d'un Allemand, Babel, Actes Sud 2002, 425 p. , extrait p.128

01 octobre 2009

S'élancer

«Pour aller de l'avant, il faut prendre du recul
Car prendre du recul, c'est prendre de l'élan.»

MC Solaar
 

30 septembre 2009

Une absence de bruit

«Pas d'aile, pas d'oiseau, pas de vent, mais la nuit,
 Rien que le battement d'une absence de bruit.»

Eugène Guillevic 

28 septembre 2009

Le soleil s'est porté pâle

"Ce matin c'est l'automne
A dire ces mots
Je me sens vieillir."
Issa

Ce matin , quatre patients différents me décrivent avec leurs mots la brume matinale qui accompagna leur lever:  "On ne voyait même pas le clocher de Saint Guidon", "le soleil s'était porté pâle", "un boruillard à faire tousser", "tout-à-coup, un rappel de ce qu'est l'hiver" pour ensuite s'émerveiller d'une fin de saison superbe qui reprend vigueur dès 10 heures. Une étincelle d'émerveillement sommeille au coeur du citadin le plus endurci. 

27 septembre 2009

Trouvez-vous une vie

" Bas les pattes. Trouvez-vous une vie."
 Michelle Obama


La Première Dame ne supporte plus les gestes déplacés des groupies de son mari, mains aux fesses, suggestions coquines susurrées à l'oreille, numéros de portables discrètement glissés dans les poches du Président. "J'ai envie de dire à toutes ces femmes: Bas les pattes, trouvez-vous une vie.


Lu dans 
La Libre Momenton. 26 sptembre 2009. p.24

Time to move

"TTM, Time-To-Move"
 Les cadres de France Télécom testent à leurs dépens une règle interne redoutée, le "TTM", "Time-To-Move" (il est temps de bouger), ou "Tire-Toi-Maintenant !". Un cadre sup doit bouger tous les trois ans. Un cadre normal, tous les cinq ans. Ces mobilités forcées seraient en grande partie responsables, des suicides de salariés, vingt-trois au total depuis début 2008, six durant ce seul été dans la grande firme de télécommunications. Dont certains, d'une rare violence symbolique, comme celui, le 11 septembre, de Stéphanie, une jeune femme de 32 ans, qui s'est donné la mort en se défénestrant d'un des sites de l'opérateur à Paris. Sans parler des tentatives. Une salariée qui avale des barbituriques dans une agence commerciale mi-septembre, un technicien de Troyes qui se plante un couteau dans l'abdomen en pleine réunion, une semaine avant. Ou ce cadre qui a tenté de se jeter du 17e étage d'un site du groupe à Bercy, au début de l'année. "Le chef a dit à son équipe qu'il y en avait un de trop. Il était le plus vieux", raconte un collègue. 
  
Lu dans:
Cécile Ducourtieux. Le Monde interactif. 25.09.09 . France Télécom : "Mon chef m'a dit..."

09 septembre 2009

Avec autant d'espace auour de peu de mots

"Si j'écris un jour, je voudrais tracer quelques mots au pinceau sur un grand fond de silence, (..) comme cette estampe avec une branche fleurie dans un coin inférieur."
 E. Hillesum

 
Lu dans :
Sylvie Germain. Etty Hillesum. Chemins d'éternité. Pygmalion. 1999. 212 p. extrait page 126

07 septembre 2009

ma gueule comme fonds de commerce

".. jusqu'au jour où je me suis regardé dans une glace. Alors je me suis rendu compte que ma tête était un fonds de commerce possible. » 
 Sim
Sim, est mort ce dimanche 6 septembre. Il était d'abord une gueule, "des lèvres réduites à un fin et large trait ouvert sur le visage, long nez plongeant sur le menton pointu en galoche, crâne très vite dégarni, valises sous les yeux." et un "sourire qui lui fendait sa tronche en biais en deux, d'une oreille à l'autre, ni d'un pétillement de l'œil qui montrait toute sa distance d'avec ses pitreries." Adieu l'artiste, qui nous appris à rire de nous avant de rire des autres. 

Lu dans
Sim a cassé sa fameuse gueule. Jean Claude Vantroyen, Jean François Lauwens, avec AFP. Le Soir , 7 septembre 2009, p. 18

Vie publique, vie privée

"Chaque personnage est intéressant car tous ont une vie publique, une vie privée et une vie secrète."
Meryl Streep venue présenter le film "Julie et Julia" à Deauville.

Lue entre café et journal ce matin, l'innocente réflexion me poursuit, têtue. On a tendance à confondre les deux dernières, la vie privée et la secrète, alors qu'elles ne se confondent guère dans nos têtes. La vie secrète, faite de mille et un petits bonheurs et misères pas nécessairement partageables, aussi vraie que les deux autres vies dans lesquelles elle se glisse sans qu'on la remarque, trois notes de Satie à la radio ou une bouffée de parfum humée fugacement en rue, un pinceau de soleil entre deux buissons, un trait d'humour aussitôt dit aussitôt évaporé à jamais, un café meilleur que les autres de la semaine. Le bonheur ne serait-il finalement que la recherche patiente de se sentir bien à la fois dans sa vie publique, sa vie privée et sa vie secrète? 

Lu dans 
Fabienne Bradfer. Meryl dans les rues de Deauville. Le Soir. Culture. 7 septembre 2009. p. 17.

04 septembre 2009

La rose et les bonobos

"La rose est sans pourquoi: elle fleurit parce qu'elle fleurit
N'a souci d'elle même, ne cherche pas si on la voit."
Angelus Silesius
Le célèbre vers du mystique allemand a inspiré Heidegger, ce qui incite à la prudence au regard de l'attitude quelque peu veule de ce dernier à l'égard des théories nazies. L'être humain s'épanouit-il en s'oubliant lui-même, dans un abandon confiant au temps, ou au contraire dans une courageuse confontation permanente au monde  qui le forme, l'informe et sur lequel il a l'audace de croire qu'il peut influer? N'est-il vraiment lui-même que s'il est à sa manière comme la rose - sans pourquoi ni souci de laisser trace - ou dans un combat éperdu contre un destin parfois absurde et des forces de destruction toujours présentes? L'époque actuelle a quelque peu perdu l'acuité des débats qui nous passionnaient naguère, ou les défis auraient-ils changé de nature ?  La simple vision des actualités nous rappelle pourtant chaque jour que ces questions demeurent d'actualité. Gunzig opposait avec humour dans une récente carte blanche le désir de rejoindre les bonobos dans les arbres ou d'affronter quotidiennement "un monde aussi réel qu’une prison chinoise, qu’un tibia cassé sur un terrain de foot, qu’un potentat libyen qui fête ses quarante ans de règne sans emmerdements notables, qu’un double millénaire de guerres immondes, qu’une multitude de petites arnaques pouilleuses dans un pays minuscule, que l’hypocrisie de l’économie libérale et le cauchemar de l’économie planifiée." Le prix est élevé pour être un humain responsable. 

Lu dans :
  • Angelus Silesius, Le Pèlerin chérubinique, éd. Arfuyen, trad. R Munier, 1988, p. 28-29.
« Die Ros' ist ohn' Warum, sie blühet, weil sie blühet,
Sie ach't nicht ihrer selbst, fragt nicht, ob man sie sieht. » (1,289.)

  • Bonobo. Thomas Gunzig . Le Soir. mercredi 2 septembre 2009.
  • Sylvie Germain. Etty Hillesum. Chemins d'éternité. Pygmalion. 1999. 212 p. extrait page 71-72 

03 septembre 2009

"Et puisque, désormais libre, je ne veux plus rien posséder, désormais tout m'appartient et ma richesse intérieure est immense. "
Etty Hillesum
Le livre reposait paisiblement dans la bibliothèque, depuis presque dix ans. Je savais qu'un jour je le dévorerais, c'est arrivé. Simplement il fallait que je sois prêt à l'entendre. Des événements survenus il y a 60 ans sont d'une actualité surprenante. L'histoire d'une jeune Juive hollandaise, Etty Hillesum, née le 15 janvier 1914 à Middelbourg, en Zélande, aux Pays-Bas et décédée le 30 novembre 1943 au camp de concentration d’Auschwitz en Pologne, est restée d'une rare actualité: la banalité du mal, la liberté intérieure et les liens qui unissent le bourreau et la victime ne connaissent ni époque ni pays.  Alors que nos journaux reprennent la genèse de la seconde guerre mondiale et que la télévision égrène les six épisodes d'Apocalypse, il n'est pas anodin de lire la description clinique des transports de déportés juifs hollandais vers Auschwitz. 
 
"En juin (42) Eichmann a passé un accord avec les chemins de fer du Reich pour assurer le «transfert» vers l'Est de milliers de familles ratissées à travers l'Europe. Un contingent de 40 000 Juifs est fixé pour la Hollande à court terme; ce chiffre sera largement multiplié par la suite. La Reichsbahn (la société des chemins de fer allemands) coopère sans le moindre état d'âme: elle consent à des tarifs de groupe (ceux réservés aux excursions) pour les adultes; les enfants de moins de dix ans bénéficient du demi-tarif et ceux de moins de quatre ans de la gratuité. Mais tous n'ont droit qu'à un « aller simple », sans distinction d'âge. Le ticket retour n'est octroyé qu'aux gardes, lesquels ont souvent les mêmes trajets à effectuer pour convoyer une cargaison sans cesse renouvelée. « Maintenant, précise Raul Hilberg, si les wagons étaient souillés ou endommagés -ce qui n'était pas rare - à cause des longs trajets et parce que 5 à 10 % des prisonniers mouraient en route, un supplément était facturé pour les dégâts. » Quant  au coût de ces transports, il était couvert par l'argent tiré des biens confisqués aux Juifs; le système fonctionne à circuit fermé, de manière impeccable. "

Lu dans:
Raul Hilberg, in Shoah de Claude Lanzmann, Gallimard, coll. Folio, pp 201-202
Etty Hillesum, Une vie bouleversée, coll. Points, Paris, 1995, p. 23
Sylvie Germain. Etty Hillesum. Chemins d'éternité. Pygmalion. 1999. 212 p. extrait page 47

02 septembre 2009

Bonjour l'école

Ainsi, cher Stefano, je t'offrirai des fusils. Et je t'apprendrai à jouer à des guerres très compliquées, où la vérité ne se trouve jamais d'un seul côté, où l'on doit
signer, à l'occasion, des armistices. Tu te défouleras, dans tes jeunes années; tes idées s'embrouilleront un peu, mais des convictions naîtront lentement en toi. Puis, une fois adulte, tu croiras que tout cela n'aura été qu'un conte: le chaperon rouge, Cendrillon, les fusils, les canons, l'homme contre l'homme, la sorcière contre les sept nains, les armées contre les armées. Mais si d'aventure, quand tu seras grand, il y a encore les monstrueuses figures de tes rêves d'enfant, les sorcières, les kobolds, les armées, les bombes, les mobilisations générales, peut-être que tu auras acquis une conscience critique à l'égard des fables, et que tu apprendras à te mouvoir de façon critique dans le monde réel. "
Umberto Eco

Une pensée accompagne l'ainé de nos petits-enfants qui entre à l'école ce matin. Quelques larmes inévitables pour un enfant sensible dont on devine les craintes devant tant de nouveauté. Soixante années de mise au pas et de respect des consignes s'ouvrent, de certifs à produire les jours de fièvre ou d'entérite, de coude-à-coude précautionneux. A moins que dès l'école gardienne se produise ce miracle: qu'il croise sur son chemin des passeurs de sens, qui sachent ouvrir la cage aux oiseaux et lui apprennent à voler.  C'est pas gagné d'avance.
 
Lu dans 
Umberto Eco. Pastiches et postiches Bibliothèque 10/18. 1992. 183 p. Extrait page 176.  
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29 août 2009

ombres dans la rue

"Qu'est-ce qu'une ombre
Une silhouette qui t'accompagne dans la rue
ou un corps qui te cherche quand tu es déjà parti ? "
Homero Aridjis

Lu dans
Les poèmes solaires. Homero Aridjis. Mercure de France. 2008. 182 pages. extrait p.  157 
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28 août 2009

Comme l'ombre et le vent

"Toutes ces choses sont passées comme l'ombre et comme le vent."
Victor Hugo. Les contemplations.

Lu dans.
François Bayrou. Abus de pouvoir. Plon. 2009. 252 p. extrait page 23. 

26 août 2009

chic un cul

"Je suis à un tournant de ma carrière".
Geluck


Décidément , le réverbère inspire et se voit chargé de tout un imaginaire folklorique, lié aux chiens de rue le plus souvent. J'ai souri en lisant vos messages décrivant ce cartoon de Geluck où l'on voit le chat s'affairer à tourner énergiquement en rond autour d'un réverbère et déclarer: "Je suis à un tournant de ma carrière", et encore cette délicieuse petite histoire de basset tournant lui aussi autour d'un réverbère: 
"il trouve un cul
il dit :chic un  cul
snif , merde c'est le mien.."

Très allégorique tout cela, car souvent avouons-le, nous sommes comme ce chat ou ce basset, inconscients du ridicule de nos grandes décisions, découvertes et enthousiasmes, immenses à notre petite échelle, minuscules à l'échelle de la planète.

25 août 2009

Y voir clair

"Une nuit. Un homme, seul, tourne autour d'un réverbère. Un autre s'approche: " Vous avez perdu quelque chose? » - " Oui, répond le premier, mes clefs. » Et ils cherchent ensemble. Au bout d'un moment, le second: « Vos clefs, vous êtes sûr de les avoir perdues ici ? - « Non, là-bas, mais là-bas on n'y voit rien. »
Norbert Bensaïd

Le célèbre médecin, psychiatre et écrivain français nous réenchante encore par son sens de la formule. Décédé en 94, il fut à l'origine du célèbre «A vouloir supprimer tous les risques, c'est la vie elle-même qu'on réduit à rien.» (in "La Lumière médicale") . J'y repensais à l'écoute du Journal télévisé de France 2 narrant l'infortune de ce conducteur verbalisé pour avoir fumé au volant.  Bigre, on a tué le péché mais par quoi l'a-t-on donc remplacé. 
 
 
Lu dans
Norbert Bensaïd. La consultation. Médiations. Denoël Gonthier. Mercure de France 1974. 308 pages. extrait p.7

Une passion pour l'inutile

"La jeunesse, dit l'homme, c'est la joie. Et la jeunesse, ce n'est ni la force, ni la souplesse , ni même la jeunesse comme tu disais: c'est la passion pour l'inutile."
Jean Giono

Lu dans
Jean Giono. Que ma joie demeure. Grasset 1935. Le Livre de Poche 493-494. 504 p. extrait p.39
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24 août 2009

La bâtisse d'ombre seule compte

"En bas, Marthe alluma l'âtre avec le bois préparé. L'eau du chaudron commença à chanter. Le café était moulu, la. débéloire prête sur la table. Marthe v:ersa le café sec sur la passoire. Ça sentait déjà fort. Le feu, le chant de l'eau, l'odeur du café étaient une maison beaucoup plus solide que la ferme. On pouvait s'abriter là-dedans beaucoup mieux que dans toutes les constructions de pierre. C'était souverain contre le vent d'est. Marthe versa doucement l'eau bouillante. Le café se mit à passer. Il clapotait dans le bas de la débéloire, goutte par goutte. Ça donnait envie de s'asseoir près du feu, la tasse chaude.dans la main et de boire par petites lappées."
Jean Giono.

L'image de ce café chaud plus solide que la ferme elle-même est poursuivie de superbe manière : "On a l'impression qu'au fond les hommes ne savent pas très exactement ce qu'ils font. Ils bâtissent avec des pierres et ils ne voient pas que chacun de leurs gestes pour poser la pierre dans le mortier est accompagné d'une ombre de geste qui pose une ombre de pierre dans une ombre de mortier. Et c'est la bâtisse d'ombre qui compte."



Lu dans
Jean Giono. Que ma joie demeure. Grasset 1935. Le Livre de Poche 493-494. 504 p. extrait p.27

23 août 2009

La dernière goutte

"Montaigne décrit la vie à partir de la vieillesse et comme une transition graduelle, « conduits par sa main, d'une douce pente et comme insensible, peu à peu, de degré en degré, elle nous roule dans ce misérable état et nous y apprivoise; si bien que nous ne sentons aucune secousse, quand la jeunesse meurt en nous .. ». Le passage est même plus rude de la jeunesse à la vieillesse, nous dit Montaigne, que de la vieillesse à la mort: il est plus « lourd» d'un être doux et fleurissant à un être pénible et douloureux» que «du mal être au non être ».

cité par François Jullien


Les dernières lignes de l'opus de François Jullien m'habitent, opposant les transformations silencieuses à l'événementiel qui fait notre vie quotidienne. L'acutalité d'un monde qui se transforme de manière sûre, constante et invisible face aux actualités se bousculant pour nous distraire de notre ennui , accumulant les petites phrases de nos hommes politiques et décideurs, l'annonce du décès de tel chanteur où la satisfaction devant le ministre d'une claque de fausses ménagères se réjouissant que le panier de la rentée soit moins cher.  

Ce dimanche nous offre un soleil éclatant, noces de l'été qui lance son bouquet final comme un superbe feu d'artifice. Je finis une longue tournée de patients hospitalisés vers 12h30, la tête pleine de questions: que ressent-on dans son lit d'hôpital quand on demande un peu d'eau fraîche avec une paille, puis un petit bonbon, petits bonheurs infmes qui parviennent à ramener le sourire sur un visage?  Les hasards (?) de l'existence me font relire durant la sieste ce passage de Giono, qui me soufflent comme une réponse à l'oreille. "Dans la montagne, un jour, je suis arrivé près de la maison où je suis né, je suis entré chez un de mes amis. Il était vieux, paralysé dans son lit, nourri de lait, incapable de bouger. Soigné par sa fille. Seule. J'entre. Je le vois, je reste un moment, je me dis: « Il serait mieux mort." (..) Sa fille était là. A un moment il nous  regarda. Il essaya. Il fit bouger son œil. Un signe. Alors je la vis. Elle alla chercher la pipe. Elle la bourra de tabac. Elle l'alluma, la mettant à sa bouche à elle et tirant. Une fois bien allumée elle la lui donna. Il se mit à pomper tout doucement. Il ferma les yeux. Sa fille me dit:  « Viens, sortons. Ça, il l'aime." (..) Une seule joie, et le monde vaut encore la peine. Les joies du monde sont notre seule nourriture. La dernière goutte nous fait encore vivre. Le monde est une nourriture."

Le mystère de la dernière goutte de vie, voilà une petite réflexion qui peut nourrir une semaine, non?

 Lu dans:
  • François Jullien. Les transformations silencieuses. Grasset. 2009. 110 pages. extrait p.35 et 36
  • Montaigne. Essais. I. 20. éd. par Jean Plattard, coll. Les textes français.  p.123  
  • Zuanghzi. "Da Zong Shi". Guo. p.142
  • Jean Giono. Que ma joie demeure. Grasset 1935. Le Livre de Poche 493-494. 504 p. extraits p.16 et 266

21 août 2009

Certitudes imaginaires

"[Une vieille histoire juive] celle de ce père athée qui, soucieux de donner à son fils la meilleure instruction possible, l'envoie à l'école des jésuites; l'enfant doit, malgré ses origines, assister au cours de catéchisme, où on lui enseigne le dogme catholique de la Trinité; de retour chez lui, il demande à son père s'il est vrai qu'il y a « trois dieux». L'autre fronce les sourcils: « Ecoute-moi bien, mon fils ! Il n'y a qu'un seul Dieu, et nous n'y croyons pas! »
Amin Maalouf  
Lu dans 
Amin Maalouf. Le dérèglement du monde. Grasset.  2009. 316 pages. Extrait page 217. 

19 août 2009

Les rêves illusoires

"Man has survived hitherto
because he was too ignorant to know
how to realize his wishes.
Now that he can realize them,
he must either change them
or perish ."
William Carlos Williams (1883-1963)
 
"L'homme a survécu jusqu'ici
parce qu'il était trop ignorant
pour pouvoir réaliser ses désirs.
Maintenant qu'il peut les réaliser,
il doit les changer, ou périr."

Le moment paraît venu de reprendre de bonnes habitudes, triant parmi ce qui fut lu, annoté, médité durant les vacances ce qui paraît digne d'être partagé. On débutera donc par l'exergue du beau livre "Le dérèglement du monde" d'Amin Maalouf, tout un programme. 


Lu dans
Amin Maalouf. Le dérèglement du monde. Grasset.  2009. 316 pages. Extrait page 9.  

12 juillet 2009

L'extinction des des feux

"Le grand repos que donnent les bêtes
c'est que je m'intéresse à elles
qui s'intéressent peu à moi."
Claude Roy
Un changement de phase, d'à peine dix minutes, m'a fait assister hier soir sur notre terrasse paisible avec vue sur jardin, à la magie d'un décor qui s'éteint. L'éclat du soleil frisant sur la tour de la collégiale Saint Michel et Gudule, relayé par l'illumination de la fée électricité a donné l'envoi. Le vol de cinq oiseaux en escadrille dans l'exacte ligne tracée par un avion parti vers l'autre bout du monde me remémore Félix Leclerc : "On va faire une promenade? Avec plaisir. Ils sont partis en direction de la mer, en volant: c'étaient des oiseaux". Le bleu soleil sombre peu à peu dans le bleu nuit. Le chuchotement d'un couple sur une terrasse voisine - la ville par la proximité des lieux de vie enseigne la discrétion et le respect des environnements particuliers - s'estompe avec la clarté. Les arbres bruissent d'oiseaux divers dont les chants se répondent, mais se répondent-ils ? Tout ce que j'ai appris ne m'a pas donné réponse à la nature profonde du langage des oiseaux: le merle de la cîme du sapin répond-il à la merlette du bas, ou chantent-ils leur partition sans se tracasser l'un de l'autre? Le pépiement des moineaux domestiques se soucie-t-il le moins du monde des trilles des mésanges ou des rouge-gorges , bref ce qui est symphonie pour nos oreilles humaines ne serait-elle qu'une cacophonie d'instruments naturellement accordés les uns aux autres, mais sans aucune partition commune. 

Un couple de tourterelles a réintégré sa place habituelle pour y bâtir son nid. Où étaient-elles donc durant leur longue absence? Pourquoi sont-elles revenues exactement à la même place, et sont-ce les mêmes d'année en année? Qui écrira l'histoire des couples de tourterelles, il doit y avoir là comme ailleurs de bien étranges histoires. Le rôle peu clair des pies reste lui aussi à éclaircir, elles n'ont pas une réputation bien nette dans le milieu et on n'en voit que rarement cohabiter avec d'autres oiseaux dans notre minuscule enclos urbain, rafraîchi par un minuscule étang. Surprise la semaine passée: un héron, un vrai, s'y est déposé, le bec avantageusement orienté vers les poissons qui y nagent. Il s'envole dès notre arrivée, la conscience apparemment peu tranquille, même si comme dans l'histoire de comptoir "il voulait sauver les poissons d'une noyade certaine en les emportant dans les cieux." 

Soudain la nuit est tombée. Les fenêtres se sont allumées une à une, quelques étoiles aussi. Un chien se met à aboyer dans le jardin d'en face, et aussitôt un voisin rageur (pavlov n'est pas mort) lui intime de se taire en frappant dans les mains, en hurlant "silence" et en s'époumonnant dans un sifflet de policier. Les oiseaux qui se sont tus les uns après les autres rient sous cape, pour autant qu'ils s'intéressent à nous autant que nous à eux, ce qui n'est pas sûr du tout. Et ils auraient raison, car il est paradoxal de hurler "silence" alors qu'on pourrait se contenter de chuchoter "bruit", surtout après l'extinction des feux. 

Je vous souhaite une bonne semaine. Je vogue demain pour quelques jours vers le moulin de Tartarin de Tarascon, Fontvieille et ses cigales, s'il en reste: je vous le confirmerai volontiers. Vivre un 14 juillet en outre-Quiévrain reste pour nous un bonheur rare. J'ai dans les bagages des livres neufs et un vieux Livre de Poche à l'odeur âcre intitulé Que ma joie demeure, du Giono pur jus qui m'avait ému à l'époque. Mais j'avais 16 ans, et de l'eau a coulé dans la Durance de Stewball et de Daudet depuis. J'en commencerai le premier chapitre et on verra bien. 

Lu dans
Impromptu de juillet. Ecrit le 13 juillet 1986. Le voyage d'automne. Gallimard. 1987. 114 pages. Extrait p.96
Le calepin d'un flâneur. Félix Leclerc. Bibiothèque québecqoise. 1961. 218 pages. Extrait p 87.

Une toux guère innocente

"Je ne resterai jamais dans une salle d'où je ne peux pas sortir !"
G. Banu

Que n'a t-on dit sur le silence durant une représentation. Récemment je fus abasourdi par la virulence d'une altercation entre une spectatrice tousseuse et une voisine de balcon au Bozar, incapable de départager le droit inaliénable d'une asthmatique d'assister à une finale du Concours Reine Elisabeth et d'une mélomane à l'ouië (trop?) sensible. Quoique. Le symptôme d'ennui n'est-il pas dans ces toux éparses, ce frémissement gêné... Les applaudissements, protocole respecté, ne sauront pas effacer les indices inquiétants fournis par le comportement du public. Ils sont repérables. Lisibles. Subtile réflexion que développe Georges Banu dans Le Monde ce samedi, qui ne clôt guère le débat.  "L'homme de théâtre ne fustige rien de plus que le spectateur qui quitte une salle au point même d'élaborer une fois encore des stratégies à même de juguler les hémorragies prévisibles. La suppression de l'entracte s'explique, parmi d'autres, par de pareilles craintes aussi. A-t-on droit de partir ? Etant jeune, dans une salle bondée, je me souviens d'un vieux metteur en scène respecté que j'ai vu se lever, lorsqu'il a appris que, selon les coutumes de l'avant-garde des années 1960, les portes du théâtre étaient fermées. En se retournant vers nous, il cria : "Je ne resterai jamais dans une salle d'où je ne peux pas sortir ! Il y a des modes violents ou discrets pour quitter une salle, mais ce départ doit toujours rester possible. A-t-on lu tous les livres jusqu'au bout ? (..) Une question : pourquoi part-on toujours en couple ? Est-ce signe de fusion ou de soumission ? "

Lu dans
Silence amoureux et départ volontaire, par Georges Banu. 11.07.09. Le Monde. Georges Banu est critique théâtral, auteur de "Miniatures théoriques" (Actes Sud, 144 pages, 22 €). 

10 juillet 2009

Sagesse du doute

«C'est un triste chemin que de monter et de descendre l'escalier d'autrui.»
Dante, La Divine comédie 


J'avais oublié jusqu'à l'existence de Dante, Cathérine (82 ans) me l'a remise en mémoire hier. Son mari est décédé des suites d'une démence il y a trois ans, et pour la première fois elle est revenue à sa bibliothèque pour se lancer dans la lecture de La divine comédie, imprimé il y a 50 ans. Elle y a découvert un mince feuillet jauni écrit de la main de son beau-père, recommandant de s'inspirer autant que possible de la lecture du poète italien ("Autant que savoir, douter me plaît", souligné dans le texte) et conseillant de poursuivre par la découverte de maître Eckkaert...  Cathérine m'explique qu'elle oublie de plus en plus, ce pourquoi elle recopie dans un cahier toilé l'essentiel de ses découvertes et de ses réflexions personnelles. "Je m'aperçois que mémoire et réflexion sont deux notions totalement différentes" souffle-t-elle, "dès lors et si je perds l'une, l'autre fonctionne comme lorsque j'avais 20 ans, dès lors j'écris." 

Je la quitte pour rendre visite à une autre patiente, plus âgée, plus oublieuse, dont je note l'étonnant monologue: "je ne sais pas où je suis, ni même plus qui je suis, heureusement qu'il y a des cartes d'identité, mais c'est ma fille qui l'a car elle craint que je la perde. On est le 2 juillet, je ne m'en souviens pas mais je viens de le lire sur la première page de mon journal, c'est agréable un 2 juillet, cela évoque le 21 juillet et la fête nationale, et des dizaines de souvenirs heureux. Heureusement qu'on a encore tout ce bonheur dans la tête. Je n'entends plus bien, j'ai les oreilles bouchées, tant mieux, ainsi les souvenirs heureux ne pourront pas sortir. "

On quitte tout cela avec des sentiments mélangés, dehors le ciel est gris plombé d'un côté, tout bleu de l'autre, juillet cette année est capricieux. Comme la vie sans doute, heureusement qu'on a la possibilité de garder tout ce bonheur dans la tête. 

09 juillet 2009

Sagesse de la différence

"Le progrès de la connaissance est entièrement basé sur les divergences d'opinion."

Karl Popper

07 juillet 2009

La connaissance accroît les limites de l'ignorance

"Je sens que je progresse à ceci que je recommence à ne rien comprendre à rien."
Ramuz
 
Lu dans
Charles Ferdinand Ramuz. Journal, 10 septembre 1917. Extrait du Chant de notre Rhône.

Sagesse du Sun Zi

"Souvenons-nous de ces maximes du Sunzi: si l'ennemi arrive reposé, commencez par le fatiguer; s'il arrive rassasié commencez par l'affamer; s'il arrive uni, commencez par le désunir. Sans même qu'il s'en rende compte, transformez-le jusqu'à ce qu'il ait perdu la capacité de vous résister; dès lors, à peine vous l'attaquez, il se défait, et 1'action devient inutile."


Un des premiers principes de l’art de la guerre chez Sun Zi est de pouvoir gagner sans combat. L’Art de la guerre de Sun Zi fut à l’origine un ouvrage militaire, mais dont les principes sont aujourd’hui couramment utilisés dans le monde de l’entreprise et dans la construction de stratégies de développement économique par les entreprises chinoises, en particulier à l’international. La guerre devient ainsi un art de l’affrontement indirect, basé sur la tactique et l’intelligence plus que sur les forces en présence. C’est la recherche de la meilleure adaptation, par l’étude approfondie du terrain, la ruse mais aussi grâce à une utilisation optimale de l’information. Ces concepts de base de l’analyse stratégique de Sun Zi sont très adaptés à la vie économique actuelle et à la compétition qui règne pour la maîtrise des secteurs économiques dominants. 

Lu dans
François Jullien. Les transformations silencieuses. Chantiers, I. Grasset. 2009. 198 pages. Extrait p. 184.

05 juillet 2009

Sagesse de Mencius

"Un paysan qui veut que son blé pousse, tire sur les pousses; le soir, quand ses enfants accourent voir le résultat, tout est desséché. En tirant sur les pousses, en visant par cette action directement l'effet, il a forcé l'effet et produit immanquablement du contre-effet. Car la poussée est dans la situation: la graine qui est dans la terre et ne demande qu'à pousser. Faut-il pour autant rester passivement au bord du champ et regarder pousser: j'attends que ça pousse... ? Non, bien sûr; il convient seulement, nous dit Mencius, de faire ce que tout paysan sait, qui est discret et non pas héroïque: de jour en jour, biner, sarcler, bêcher, au pied de la pousse - favoriser la poussée, c'est-à-dire favoriser la transformation silencieuse qui aboutit peu à peu, sous nos yeux, mais sans qu'on s'en aperçoive, à ce que le blé un jour soit mûr et qu'on n'ait plus qu'à le couper. "
Mencius
 
Mencius, est à la fois le nom d'un penseur chinois ayant vécu aux alentours de 380-289 av. J.-C, disciple de Confucius et recueil d'entretiens consignés dans le livre qui porte son nom, le Mencius. On y retrouve cette autre anecdote souvent racontée aux enfants en Asie du Sud-Est. Un jour, sa mère, ayant élu domicile dans un endroit "convenable" pour l'éducation de son fils, était à son ouvrage - un métier à tisser. Elle vit le jeune garçon rentrer de l'école plus tôt que prévu. Sans mot dire, elle prit les ciseaux et coupa le beau morceau de tissu qu'elle était en train de réaliser. Le jeune Mencius lui demanda pourquoi ce geste de destruction d'un si bel ouvrage ! Ce à quoi sa mère rétorqua : « C'est exactement ce que tu es en train de faire ! » Aussitôt, l'enfant se confondant en excuses, retourna à l'école et devint le grand philosophe Mencius. 

Lu dans:
Mencius II, A, 2 (16)
François Jullien. Les transformations silencieuses. Chantiers, I. Grasset. 2009. 198 pages. Extrait p. 185