Nous le croyions immortel ! Et il l’est… sans doute. Il ne sera pas oublié. Il était l’une des rares autorités morales absolues en Pologne. Il savait, disaient ses amis, comment vivre et comment mourir. Il n’a jamais accepté de se taire, n’a jamais plié à la conjoncture : il était, quelles que furent les circonstances et même à l’égard de ses proches amis, un procureur sans appel contre l’injustice, l’indifférence, la passivité, et contre la peur quand il fallait défendre l’homme et sa mémoire.
Il fut un grand Juif et un grand Polonais. Pourquoi était-il est resté en Pologne, malgré le souvenir de l’Holocauste, malgré les pogroms de l’après-guerre et la campagne antisémite de 1968 qui ont poussé tant de Juifs polonais à l’exode ? Edelman, dernier commandant de l’insurrection du ghetto de Varsovie, répondait : « C’est ici qu’est enterré mon peuple. Je suis resté car je suis le gardien des tombes juives. »
Il y aura d’innombrables gardiens de la tombe de Marek Edelman, mort vendredi dernier, à 90 ans. Il fait partie de l’histoire des Juifs, des Polonais et de l’humanité tout entière. Né à Homl, une ville maintenant située au Belarus, dans une famille de Juifs engagés dans le Bund, le parti socialiste juif, Edelman fut, dès l’enfance, imprégné de l’idéologie de mouvement ouvrier.
Quand il était tout petit sa famille s’était installée à Varsovie. « C’est ma ville. C’est ici que j’ai appris le polonais, le yiddish et l’allemand. C’est ici, qu’à l’école, j’ai appris qu’il fallait toujours prendre soin des autres. C’est aussi ici que j’ai pris, pour la première fois, un coup dans la figure seulement parce que j’étais juif », avait dit Edelman quand il fut fait citoyen d’honneur de Varsovie en 2001.
Quand éclata la Seconde Guerre mondiale, il se retrouva, avec près d’un demi-million de Juifs, confiné par les Allemands dans le ghetto de Varsovie. Créé le 12 avril 1942, entouré d’un mur de 3 mètres de haut et de barbelés sur 18 km, le ghetto généra des conditions de vie très vite insupportables. Maladie et mort y devinrent banales. Entre le 22 juillet et le 12 septembre, 300.000 Juifs furent arrêtés et envoyés à Treblinka, camp de la mort. Il ne resta plus qu’environ 70.000 personnes dans le ghetto, destinées à une seconde vague de déportations. Elles devaient commencer le 18 janvier 1943. Mais cette fois les Juifs les plus jeunes et les plus vaillants qui restaient dans le ghetto, n’ayant plus rien à perdre, osèrent résister. Pour l’honneur. Ils disposaient de quelques armes livrées par la résistance polonaise. Le 19 avril 1943, les nazis pénétrèrent en force dans le ghetto et l’encerclèrent.
« On savait parfaitement qu’on ne pouvait en aucun cas gagner. Face à 220 garçons mal armés, il y avait une armée puissante », expliquait Edelman, fondateur de l’Organisation juive de combat. Mais, ajouta-t-il, « l’humanité a décidé que la mort armes aux mains est plus belle que sans armes. Nous avons respecté cette consigne ». Ils transformèrent les caves en bunkers et malgré l’inégalité des forces, l’insurrection allait durer trois longues semaines. Lorsque Mordechaï Anielewicz, 24 ans, le commandant de l’insurrection, pris au piège, se suicida, c’est Edelman qui reprit le commandement. Pour venir à bout de l’insurrection, les Allemands brûlèrent tout le ghetto, maison par maison. Ce fut la fin. Certains combattants, dont Edelman, purent s’enfuir par les égouts. Mi-mai 1943, le général Jünger Stroop qui commandait les opérations annonça à Hitler : « Le quartier juif de Varsovie n’existe plus ! »
Ayant échappé aux lance-flammes, Edelman réussit à exister. Il rejoignit la résistance polonaise, participa en 1944 à l’insurrection de Varsovie, qui coûta la vie à 200.000 Varsoviens. Après la guerre, il fit des études de médecine et devint un cardiologue célèbre. Il s’engagea du côté de l’opposition anticommuniste, puis dans Solidarité et il fut interné sous la loi martiale du général Jaruzelski. A la chute du communisme en 1989, il fut élu sénateur. Il restera dans la mémoire juive et polonaise comme le symbole du combat contre le racisme et l’antisémitisme, contre le cynisme, le mensonge. L’enfer qu’il vécut et qui l’avait marqué à jamais, lui avait donné la force d’être « un homme qui a eu le courage de la vérité », référence suprême dans ce qui fait la dignité de l’homme.
Lu dans :
Pol Mathil. Marek Edelman, mort d’un héros éternel Journaliste. Le Soir. Lundi 05 octobre 2009.