"Le grand repos que donnent les bêtes
c'est que je m'intéresse à elles
qui s'intéressent peu à moi."
Claude Roy
Un changement de phase, d'à peine dix minutes, m'a fait assister hier soir sur notre terrasse paisible avec vue sur jardin, à la magie d'un décor qui s'éteint. L'éclat du soleil frisant sur la tour de la collégiale Saint Michel et Gudule, relayé par l'illumination de la fée électricité a donné l'envoi. Le vol de cinq oiseaux en escadrille dans l'exacte ligne tracée par un avion parti vers l'autre bout du monde me remémore Félix Leclerc : "On va faire une promenade? Avec plaisir. Ils sont partis en direction de la mer, en volant: c'étaient des oiseaux". Le bleu soleil sombre peu à peu dans le bleu nuit. Le chuchotement d'un couple sur une terrasse voisine - la ville par la proximité des lieux de vie enseigne la discrétion et le respect des environnements particuliers - s'estompe avec la clarté. Les arbres bruissent d'oiseaux divers dont les chants se répondent, mais se répondent-ils ? Tout ce que j'ai appris ne m'a pas donné réponse à la nature profonde du langage des oiseaux: le merle de la cîme du sapin répond-il à la merlette du bas, ou chantent-ils leur partition sans se tracasser l'un de l'autre? Le pépiement des moineaux domestiques se soucie-t-il le moins du monde des trilles des mésanges ou des rouge-gorges , bref ce qui est symphonie pour nos oreilles humaines ne serait-elle qu'une cacophonie d'instruments naturellement accordés les uns aux autres, mais sans aucune partition commune.
Un couple de tourterelles a réintégré sa place habituelle pour y bâtir son nid. Où étaient-elles donc durant leur longue absence? Pourquoi sont-elles revenues exactement à la même place, et sont-ce les mêmes d'année en année? Qui écrira l'histoire des couples de tourterelles, il doit y avoir là comme ailleurs de bien étranges histoires. Le rôle peu clair des pies reste lui aussi à éclaircir, elles n'ont pas une réputation bien nette dans le milieu et on n'en voit que rarement cohabiter avec d'autres oiseaux dans notre minuscule enclos urbain, rafraîchi par un minuscule étang. Surprise la semaine passée: un héron, un vrai, s'y est déposé, le bec avantageusement orienté vers les poissons qui y nagent. Il s'envole dès notre arrivée, la conscience apparemment peu tranquille, même si comme dans l'histoire de comptoir "il voulait sauver les poissons d'une noyade certaine en les emportant dans les cieux."
Soudain la nuit est tombée. Les fenêtres se sont allumées une à une, quelques étoiles aussi. Un chien se met à aboyer dans le jardin d'en face, et aussitôt un voisin rageur (pavlov n'est pas mort) lui intime de se taire en frappant dans les mains, en hurlant "silence" et en s'époumonnant dans un sifflet de policier. Les oiseaux qui se sont tus les uns après les autres rient sous cape, pour autant qu'ils s'intéressent à nous autant que nous à eux, ce qui n'est pas sûr du tout. Et ils auraient raison, car il est paradoxal de hurler "silence" alors qu'on pourrait se contenter de chuchoter "bruit", surtout après l'extinction des feux.
Je vous souhaite une bonne semaine. Je vogue demain pour quelques jours vers le moulin de Tartarin de Tarascon, Fontvieille et ses cigales, s'il en reste: je vous le confirmerai volontiers. Vivre un 14 juillet en outre-Quiévrain reste pour nous un bonheur rare. J'ai dans les bagages des livres neufs et un vieux Livre de Poche à l'odeur âcre intitulé Que ma joie demeure, du Giono pur jus qui m'avait ému à l'époque. Mais j'avais 16 ans, et de l'eau a coulé dans la Durance de Stewball et de Daudet depuis. J'en commencerai le premier chapitre et on verra bien.
Lu dans
Impromptu de juillet. Ecrit le 13 juillet 1986. Le voyage d'automne. Gallimard. 1987. 114 pages. Extrait p.96
Le calepin d'un flâneur. Félix Leclerc. Bibiothèque québecqoise. 1961. 218 pages. Extrait p 87.
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