30 novembre 2009

Communiquer c'est déjà consommer

"Aucune tribu du Brésil n'était sans doute plus démunie que le premier groupe de Nambikwara approché par Claude Lévi-Strauss en 1938 quelque part sur la ligne Rondon, près du Rio Papagaio. (..) Bouleversé, Lévi-Strauss retrouve (dix ans plus tard, ndlr) ses propres notes, dont voici un extrait: «Le visiteur qui, pour la première fois, campe dans la brousse avec les Indiens, se sent pris d'angoisse et de pitié devant le spectacle de cette humanité si totalement démunie: écrasée, semble-t-il, contre le sol d'une terre hostile par quelque implacable cataclysme; nue, grelottante auprès des feux vacillants. Il circule à tâtons parmi les broussailles, évitant de heurter une main, un bras, un torse, dont on devine les chauds reflets à la lueur des feux. Mais cette misère est animée de chuchotements et de rires. Les couples s'étreignent comme dans la nostalgie d'une unité perdue; les caresses ne s'interrompent pas au passage de l'étranger. On devine chez tous une immense gentillesse, une profonde insouciance, une naïve et charmante satisfaction animale, et, rassemblant ces sentiments divers, quelque chose comme l'expression la plus émouvante et la plus véridique de la tendresse humaine.»
Claude Levi Strauss. Tristes Tropiques, p. 336.
Un nouveau télescopage de lectures ce weekend confronte cette fois l'expérience de Claude Levi Strauss chez les Nambikwara et le dernier ouvrage du sociologue et philosophe français Gilles Lipovetsky, qui publie "Le bonheur paradoxal", dans lequel il définit une nouvelle phase du capitalisme: celle de "l'hyperconsommation". Dans une interview avec William Bourton, il soutient que l'esprit de consommation a également modifié le rapport au politique. "L’hyperconsommation, ce n’est donc pas uniquement posséder un 4×4 ; c’est quelque chose de beaucoup plus fondamental ! C’est l’absorption de la quasi-totalité des interstices de la vie et des modes de vie par la logique marchande. Aujourd’hui, il est difficile d’avoir une activité qui ne s’accompagne pas d’un acte d’achat. Prenez simplement l’exemple de la communication : dans le temps, dans les villages, les gens se parlaient ; aujourd’hui, vous prenez votre téléphone, donc vous payez.(..) Les malaises dont vous parlez sont davantage liés à l’hyperindividualisation de notre monde. Et là-dedans, l’hyperconsommation a sa place surtout comme moyen de venir combler l’extraordinaire anxiété, l’insécurité que génère cette individualisation."

Et vous, où vous situez-vous?

Lu dans :
  • Cathérine Clément. Claude Levi Strauss. PUF. Que sais-je? 2002. 125 pages. Extrait p. 81 et 82.
  • Consommer compense le mal de vivre et le stress. Un entretien entre Gilles Lipovetsky et William Bourton. Le Soir 28/29 novembre. Forum. p. 17. Gilles Lipovetsky parle le 1er décembre, à 20 h, à l’ULB (auditoire P-E Janson, avenue F. D. Roosevelt, 48 à 1050 Bruxelles). Renseignements : 02/650.23.03.

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