28 décembre 2010

"Si j'avais su que je l'aimais tant
je l'aurais aimé encore davantage."
Frédéric Dard



en exergue de Rappelle-moi. Michel Drucker. Robert Laffont. 2010. 328 pages.

26 décembre 2010

Noël d'aujourd'hui

"Il neige
il neige
il neige
le jour s'achève
il neige
la nuit."
A. Kiarostami
Matin de Noël. La neige a rendu à ma rue et le silence, et la paix. Une famille la remonte à pied, à contre-sens, sur la voie désertée par les autos. La maman pousse son bébé dans un landeau. Le père suit, deux enfants à la main. Ils viennent d'Afrique et rient à tue-tête à chaque glissade. Mieux qu'une crèche pour fêter un Noël d'aujourd'hui.

Lu dans :
Abbas Kiarostami. Avec le vent. P.O.L Traduit du persan par Nahal Tajadod et Jean-Claude Carrière. 2002. 242 pages. Extrait p.8

23 décembre 2010

Un hiver de l'âme

"On était heureux,
on ne le savait pas.
Les jours tendres sont loin.
Se retourner, pourquoi faire?
Il y a longtemps, tous les deux
main dans la main,
on a scellé un pacte avec le ciel.
Maintenant, tout ce qui m'arrive
n'est rien. "

Alexandre Romanès
Les mots manquent pour imaginer Jacques sans Anne. Me revient un dessin de Royer le lendemain du décès du Roi Baudouin, l'ombre d'un bras sur une épaule. Soudain, c'est l'hiver.

Lu dans:
Alexandre Romanès. Sur l'épaule de l'ange. NRF Gallimard. 2010. 90 pages. Extrait p 83


21 décembre 2010

Une aptitude à être heureux

"... comme une inaptitude au bonheur."
Belle conclusion de l'émission consacrée hier soir à Jacques Martin, lequel semble être passé à côté du bonheur malgré le succès indéniable de ses émissions: il se rêvait acteur, il ne fut qu'animateur. L'aptitude au bonheur est diversément répartie, l'observation de tout petits enfants permet de s'en rendre compte. Nul n'est pourtant condamné à l'inaptitude, et à l'heure des bilans nos bonnes lectures et bons amis nous permettent de remettre nos réussites et échecs en perspective.

20 décembre 2010

"Il faudrait réconcilier l'intensité des regards et la chaleur des poignées de mains".
Paul Vincensini

19 décembre 2010

La faculté d'oubli

"L'oubli, c'est ce qu'on a trouvé de mieux pour les secrets. Ce n'est pas de la lâcheté, c'est juste la voix de la vie. Ecoute-moi bien parce que je vais te donner le vrai secret: la mémoire est pour les morts ou les mourants, l'oubli est pour les vivants. C'est valable pour les peuples comme pour les individus."
Fabrice Humbert
Etrange réflexion, que l'auteur d'un superbe roman prolonge en distinguant l'oubli de l'ignorance "tout savoir pour oublier, parce que la vie est dans l'oubli et pas le ressassement." Comment ne pas évoquer Irénée Funes (de Borges) qui, suite à un accident de cheval, a perdu la capacité d’oublier. Il retient tout, sans tri, sans filtre, « j’ai à moi seul plus de souvenirs que n’en peuvent avoir eu tous les hommes depuis que le monde est monde » mais désordonnée, « ma mémoire, monsieur, est comme un tas d’ordures ». Prisonnier de sa propre mémoire, Funes absorbe tout et retient tout sans pouvoir ordonner cette fantastique accumulation. Arrivé à un certain point, il décide de ne retenir que l’essentiel et d’essayer de réduire ce qu’il retient, de prioriser. Mais cette tâche s’avère impossible : « Il décida de réduire chacune de ses journées passées à quelques soixante-dix mille souvenirs, qu’il définirait ensuite par des chiffres. Il en fut dissuadé par deux considérations : la conscience que la besogne était interminable, la conscience qu’elle était inutile. Il pensa qu’à l’heure de sa mort il n’aurait pas fini de classer tous ses souvenirs d’enfance ».

Ne sommes-nous pas entrés insensiblement dans un processus pathologique du même ordre qui un jour nous empêchera de penser, ou d'ordonner nos connaissances professionnelles? Une réflexion pédagogique sur l'acquisition du savoir paraît urgente, mais pas nécessairement admise. Au quotidien, l'accès permanent "à l'entièreté des connaissances de l'univers", triée avec toutes les apparences de l'objectivité - un leurre commercial mais laissons aux innocents leurs illusions - par Google, ne fait-il pas de nous des Funes en puissance?

Quant à la faculté d'oubli nécessaire pour surmonter les blessures d'enfance, les secrets de famille, les humiliations fondatrices, la vie de tous les jours nous en apporte suffisamment de preuves vivantes. D'aucuns soulignent volontiers avoir une mémoire d'éléphant pour les dols subis, on ne saurait les envier.

Lu dans:
Fabrice Humbert. L'origine de la violence. Le Passage éditions. Le Livre de Poche 31750. 345 pages. Extrait page 255.

12 décembre 2010

Demain je recommence

"Vieillir est une chose merveilleuse pour celui qui n'a pas désappris à débuter."
Martin Buber

Roger fait partie de ces patients hors d'âge qui donnent presqu'envie de devenir vieux. Il apprend depuis peu à confectionner des mouches d'appât pour la pêche en utilisant des plumes d'oiseaux, à la mode des trappeurs canadiens des siècles passés. Rien ne sert de sacrifier une mouche vivante quand on peut façonner un leurre, adapté de surcroît au type de poisson qu'on souhaite appâter. J'apprendrais que demain il se met à l'apprentissage de la flûte à bec que je n'en serais pas autrement surpris.

Lu dans:
Martin Buber, cité d'après Heinrich Schipperges, Sein alter Leben. Wege zu erfüIIten späten Jahren, Fribourg-en-Brisgau, 1986, p. 91.
Anselm Grün. L'art de bien vieillir. Albin Michel. 2008. 200 pages. Extrait p. 40.

10 décembre 2010

La roue

"Si je suis un point sur la circonférence de la roue quand elle tourne, j'ai le sentiment d'être entraîné dans un mouvement circulaire. Mais la voiture avance, et j'avance moi aussi, dans un mouvement rectiligne que le mouvement circulaire a pour fonction d'obtenir, il en est ainsi sans doute de nos mouvements d'êtres vivants. Ils servent d'autres mouvements que nous connaissons mal. "
Th. Maulnier

Lu dans
Thierry Maulnier. L'étrangeté d'être. NRF. Gallimard. 1982.325 pages. Extrait p.156 157

09 décembre 2010

Une liberté domestique

"Quoi de plus gai que la foi en un dieu domestique?"
F. Kafka
"Nos technologies vous permettent d'être heureux en voiture (publicité du GPS TomTom). "
"Nous sommes déterminés à contribuer à faire naître un monde dans lequel chacun aura plus de liberté pour se déplacer." Message de Harold Goddijn, CEO, TomTom.

Qu'on ne s'y méprenne pas : j'apprécie mon GPS. De là à projeter qu'il augmente mon bonheur en voiture, et mieux encore qu'il augmente ma liberté, Kafka a du génie.
Franz Kafka. Les aphorismes de Zürau. Arcades Gallimard. 2004. 146 pages. Extrait p.80

08 décembre 2010

Sauve qui peut

"Il est curieux que l'on dise de quelqu'un "il se sauve" quand il s'en va. On ne peut pas se sauver en restant?"
F. Beigbeder
L'expression est pourtant quotidienne, au terme d'une soirée agréable, d'une rencontre bienveillante: allez, je me sauve. Un doute désormais m'habite: de qui, ou de quoi se sauve-t-il? Etonnante langue française.

Lu dans:
Frédéric Beigberger. Un roman français. Le Livre de poche 31879. Grasset 2009. 250 pages. Extrait p.33

06 décembre 2010

Sagesse des bibliothèques

"Que d'autres se flattent des livres qu'ils ont écrits, moi je suis fier de ceux que j'ai lus."
J L Borges
Découvrir la personnalité de célébrités en parcourant leur bibliothèque est tendance, surtout quand il s'agit d'écrivains étant entendu que tous ont commencé par être, et demeurent avant tout, des lecteurs. Borges a ainsi offert un millier de livres lui ayant appartenu à la bibliothèque nationale de Buenos Aires, invitation à ses biographes à se plonger dans son imaginaire. Parfois, la collection personnelle a été détruite et les historiens sont amenés à la reconstituer à l'identique, comme ce fut le cas récemment pour le philosophe Walter Benjamin. Un de mes amis chers a reconstitué ainsi patiemment, précurseur de cette approche historique à la mode actuellement, la bibliothèque d'Edgar Allan Poe. Ce billet est une manière subtile d'envoyer à ce grand modeste un amical et admiratif bonjour.

Lu dans:
La bibliothèque ressuscitée de Walter Benjamin. Pierre Assouline. Le Mondes des Livres. Vendredi 3.12.10. p. 12
"Ne dit-on pas que, pour rendre fou un caméléon, il suffit de le placer sur un plaid écossais ?"



Alain Beuve-Méry.Romain Gary, l'homme aux multiples visages. Le Monde des livres 03.12.10

05 décembre 2010

Sagesse du bonhomme hiver

"Et pour se réchauffer,
S'assoit sur le poêle rouge,
Et d'un coup disparaît.
Ne laissant que sa pipe
Au milieu d'une flaque d'eau,
Ne laissant que sa pipe,
Et puis son vieux chapeau."

Jacques Prévert. Le bonhomme de neige. Chanson pour les enfants l'hiver
Quelques heures de pluie ont lavé un paysage de neige qu'on croyait installé pour longtemps. Notre pipe et notre vieux chapeau nous survivront à nous aussi

04 décembre 2010

Du chemin à prendre

"Voudriez-vous, je vous prie, me dire quel chemin je dois prendre pour m'en aller d'ici? Cela dépend en grande partie du lieu où vous voulez vous rendre, déclara le chat."

Lewis Carroll. Alice au Pays des Merveilles. 1865

02 décembre 2010

Des pas dans la neige

"Les pas d'un homme dans la neige
Qu'est-il allé chercher
Reviendra-t-il
par le même chemin"
Abbas Kiarostami

La neige trace nos pas. Rares sont les jours d'une année où nos actions laissent trace. Le détachement s'apprend progressivement.

Lu dans :
Abbas Kiarostami. Avec le vent. P.O.L Traduit du persan par Nahal Tajadod et Jean-Claude Carrière. 2002. 242 pages. Extrait p.9

01 décembre 2010

La neige au pouvoir

"La blancheur de l'oiseau
se perd dans les nuages blancs
un jour de neige."
Abbas Kiarostami
J'aime la neige comme le premier jour où je la vis. La magie de la métamorphose rapide de tout un paysage, gagné soudain par le silence, m'émerveille. Rien ne ressemble plus à rien: ainsi ma voiture dont j'ai dégagé patiemment le pare-brise et les lucarnes pour m'apercevoir, les mains gelées et le travail achevé qu'il s'agissait de celle du voisin. La neige peut faire sourire de grand matin.

Lu dans :
Abbas Kiarostami. Avec le vent. P.O.L Traduit du persan par Nahal Tajadod et Jean-Claude Carrière. 2002. 242 pages. Extrait p.12

30 novembre 2010

Lâcher prise

"Je cesse d'espérer et commence de vivre."
Corneille. Place Royale.
... autres mots pour décrire (en 1634) la voie étroite vers le bonheur qui passe par le lâcher-prise, la permission qu'on se donne un jour de ne pas tout prévoir, maîtriser, assumer. Le géant Atlas qui porte le monde cède la place au papillon, tout un programme: le papillon n'est-il rien d'autre qu'une chenille laborieuse (voir le ver à soie) parvenue à maturité.

Pierre Corneille. La place Royale. Gallimard 2003. 229 pages.

27 novembre 2010

"Il était révolté
il voulait tout changer
sauf lui."
A. Romanès
Lu dans :
Alexandre Romanès. Sur l'épaule de l'ange. NRF Gallimard. 2010. 90 pages. Extrait p 41
"La plupart des gens
ne disent pas ce qu'ils pensent.
Et c'est peut-être mieux comme ça."
A. Romanès

Lu dans
Alexandre Romanès. Sur l'épaule de l'ange. NRF Gallimard. 2010. 90 pages. Extrait p 46

22 novembre 2010

Une dernière fois

"Fascinant, le mystère du dernier jour, car il y a nécessairement un dernier jour. Le jour de la clôture des derniers Jeux à Olympie, le jour où pour la dernière fois, du haut des tours de Palenque, les prêtres Maya attendirent le soir pour calculer le chemin des étoiles, le jour du dernier sacrifice à Delphes ou à Machupicchu. Il y eut un jour où un acteur dit un dernier mot sur la scène d'Epidaure, et personne ne pouvait être certain que c'était vraiment le dernier mot, que le silence allait s'installer pour deux mille ans. Et pourtant l'assistance ne le pressentait pas."
T. Maulnier
Lu dans
Thierry Maulnier. L'étrangeté d'être. NRF. Gallimard. 1982.325 pages. Extrait p.149

21 novembre 2010

La langue qu'on aime

"J'aime beaucoup les langues
mais celle que je préfère
c'est la langue des enfants
entre un et cinq ans."
A. Romanès
Lu dans
Alexandre Romanès. Sur l'épaule de l'ange. NRF Gallimard. 2010. 90 pages. Extrait p 35

20 novembre 2010

"La marche est une succession de chutes évitées."
Lu dans
Thierry Delperdange. Le bonheur des uns fait le bonheur des autres. Eranthis. 2010. 180 pages. Extrait p. 98

19 novembre 2010

Etre aimé

"Le sucre n'est pas bon pour les chiens." - "Je men fous, je veux qu'il m'aime."
Lu dans:
Thierry Maulnier. L'étrangeté d'être. NRF. Gallimard. 1982.325 pages. Extrait p.231

18 novembre 2010

La force des groupes

"Le troupeau de bisons - des milliers, des dizaines de milliers de bisons - arrivait au bord d'une falaise. Le premier rang hésitant sans doute devant le vide, tentait de s'arrêter. Mais les autres, qui ne voyaient pas le précipice, continuaient stupidement d'avancer, droit devant eux et d'autres encore, dans le même mouvement aveugle, irrésistible, poussaient ceux qui poussaient et tombaient à leur tour, de sorte que le troupeau entier; solidaire et irresponsable, dans un grand nuage de , meuglements désespérés, de vains piétinements et de poussière allait former au pied de la falaise un grand cimetière de bisons. Tout le troupeau passait ainsi par-dessus bord, sans qu'aucun bison l'eût voulu. "

Sommes-nous certains que telles de nos catastrophes collectives ne ressemblent pas, à cet égard, à celle des bisons? Ceux qui croient mener le jeu poussés un peu plus loin qu'il ne fallait par ceux qui croient les suivre et qui n'obéissent plus en fin de compte qu'à leur propre masse en mouvement?


Lu dans:
Thierry Maulnier. L'étrangeté d'être. NRF. Gallimard. 1982.325 pages. Extrait p.248

12 novembre 2010

Du monstre à la joie universelle

"Les distinctions de genres - romans et histoire, prose et poésie, fiction et essai - sont conventionnelles et n'existent que pour la commodité des bibliothécaires."
S. Leys
C'est ainsi que la lecture des annuaires était une des lectures favorites de Siménon. J'ai pour ma part redécouvert ce soir le récit le plus court et le plus évocateur du retour de Napoléon de l'île d'Elbe, en mars 1814, en parcourant les seuls titres du Moniteur français - journal officiel des pouvoirs publics, alors aux mains de la monarchie française récemment restaurée - :

  • 9 mars : Le monstre s'est évadé de son lieu d'exil.
  • 10 mars : L'ogre corse a abordé au cap Juan.
  • 11 mars : Le tigre s'est montré à Gap. Les troupes avancent de tous côtés pour arrêter sa marche. Il achèvera sa misérable aventure en fugitif dans la montagne.
  • 12 mars Le monstre s'est vraiment avancé jusqu'à Grenoble.
  • 13 mars Le tyran est maintenant à Lyon. La terreur a saisi tout le monde à son apparition.
  • 18 mars: L'usurpateur s'est risqué à approcher à soixante heures de marche de la capitale.
  • 19 mars: Bonaparte avance à marches forcées, mais il est impossible qu'il atteigne Paris.
  • 20 mars : Napoléon arrivera demain sous les murs de Paris.
  • 21 mars : L'Empereur Napoléon est à Fontainebleau.
  • 22 mars : Hier soir, S. M. l'Empereur a fait son entrée publique , il est arrivé aux Tuileries. Rien ne peut dépasser la joie universelle.
Lu dans:
Simon Leys. Le Bonheur des petits poissons. Lettres des Antipodes. JC Lattès. 2008. 212 pages. Extrait p.38
Clément Rosset. Le réel. Traité de l'idiotie. Les Editions de Minuit. 1997/2004. 157 pages. Extrait pp. 96 et 101

De la précarité

"La bonne santé est un état précaire qui ne présage rien de bon."
Louis Hubert Farabeuf

Lu dans:
Simon Leys. Le Bonheur des petits poissons. Lettres des Antipodes. JC Lattès. 2008. 212 pages. Extrait p.38

Armistice

"Je suis. Comment se peut-il que je sois?"
Sans doute y eut-il un effet du vent dans les feuilles ce 11 novembre, l'émotion de fêter l'anniversaire d'une de nos petites-filles, les arômes subtils d'un Margaux et d'un Aloxe-Corton montés d'une cave amie pour améliorer la qualité de conversations qui très vite touchèrent aux essentiels d'une existence: le décès d'un conjoint cher, la maladie, l'affection, le plaisir d'être au monde. Une pensée fugace pour ce grand-père inconnu, revenu gazé des tranchées en 18 et mort bien avant ma naissance m'a traversé l'esprit. On lui avait promis que sa guerre serait la dernière, on ne le croit plus guère. Il est des jours ainsi où on peine à saisir le sens des choses.

Lu dans.
Thierry Maulnier. L'étrangeté d'être. NRF. Gallimard. 1982.325 pages. Extrait p.16

09 novembre 2010

Le Prince

"Il n'est donc pas nécessaire à un prince d'avoir toutes les vertus (..);
ce qu'il faut c'est qu'il paraisse les avoir."
Machiavel, Le prince
Lu dans:
Machiavel, Le prince
En exergue de Qu'est-ce qu'avoir du pouvoir? Charles Pépin. DDB. 2010. 68 pages.

07 novembre 2010

De l'abaissement volontaire

"Les tyrans ne sont grands
que parce que nous sommes à genoux."
La Boétie (1530-1563)

La Boétie. Discours sur la servitude volontaire.
En exergue de Qu'est-ce qu'avoir du pouvoir? Charles Pépin. DDB. 2010. 68 pages.

06 novembre 2010

Le réel et sa représentation

«(..) je ne puis comprendre qu'un monsieur puisse employer trente pages à décrire comment il se tourne et se retourne dans son lit avant de trouver le sommeil.»
« Au bout des sept cent douze pages de ce manuscrit, après d'infinies désolations d'être noyé dans d'insondables développements et de crispantes impatiences de ne pouvoir jamais remonter à la surface, on n'a aucune notion de ce dont il s'agit. Qu'est-ce que tout cela vient faire? Qu'est-ce que tout cela signifie? Où tout cela veut-il mener? Impossible d'en rien savoir ! Impossible d'en pouvoir rien dire! "


Ces commentaires peu acerbes témoignent de l'accueil mitigé unanime réservé par les éditeurs à Proust après lecture de A la recherchedu temps perdu, ce qui l'amena à publier son premier livre à compte d'auteur. Sept ans plus tard, son oeuvre était acclamée de partout. Un an après la naissance de Proust, Claude Monet exposa une toile intitulée Impression, soleil levant. Elle représentait le port du Havre à l'aube, et laissait distinguer, à travers un épais brouillard matinal et une forêt de coups de pinceau d'une rare violence, les contours d'un littoral industriel encombré de grues, de cheminées d'usines et de bâtiments. Pour la plupart de ceux qui la virent, la toile était un fouillis indescriptible. Elle irrita en particulier les critiques de l'époque, qui collèrent au peintre et au groupe hétéroclite auquel il appartenait l'étiquette péjorative d'« impressionnistes», insinuant que Monet maîtrisait si mal les aspects techniques de la peinture que tout ce qu'il avait été capable de produire était un gribouillis enfantin, qui n'avait pas grand-chose de commun avec l'aspect réel de l'aube au Havre. Le contraste avec le jugement du monde de l'art, quelques années plus tard, aurait difficilement pu être plus grand. Il semblait non seulement que les impressionnistes fussent, après tout, capables de tenir un pinceau, mais aussi que leur technique fît merveille pour capter une dimension de réalité visuelle négligée par leurs contemporains moins doués.
Notre notion de la réalité est souvent décalée par rapport à la réalité elle-même, car trop souvent préformée de conceptions inadéquates et trompeuses, à la différence des artistes qui se sont libérés des représentations traditionnelles antérieures pour s'intéresser au plus près à leurs seules propres impressions.

Lu dans:
Alain de Botton. Comment Proust peut changer votre vie. Flammarion 2010. J'ai lu. N° 9399. 220 pages. Extraits pp. 112-114

Les transporteurs de vie

Au fond la vie ne meurt jamais, elle se poursuit ; ce sont les "transporteurs" de vie qui cèdent leur place.
Jacques Mercier
On pourrait ajouter que le choix de ces derniers se fait par loterie... et pourtant on y tient. Thierry Maulnier ajoute que "je suis et n'y suis pour rien. Pour me prêter cette vie que je crois imprudemment être mienne, et pour me la reprendre, on ne m'a pas offert le choix" , même s'il nous reste une (petite) possibilité de choix de ce qu'on peut placer entre ces deux balises.

05 novembre 2010

Le coeur en mire

"Photographier c'est mettre sur la même ligne de mire la tête, l'œil et le cœur."
Henri Cartier-Bresson
Figure mythique de la photographie du xxe siècle, que sa longévité lui permit de traverser, Henri Cartier-Besson a porté son regard sur les évènements majeurs qui ont jalonné son histoire. D'un de ses biographes (Pierre Assouline) on retiendra la jolie expression qu'il fut « l'œil du siècle ».

03 novembre 2010

Rêveillé

"Ceux qui rêvent éveillés ont conscience
de mille choses qui échappent à ceux
qui ne rêvent qu'endormis."
Edgar Poe
Lu dans
Edgar Allan Poe. Eléonora . Histoires grotesques et sérieuses. Folio. Gallimard 1978. 339 pages

02 novembre 2010

Une identité nationale en négatif

"Le fait de ne pas se sentir belge est très belge."
E. Mortier
Lu dans
Erwin Mortier et le destin flamand. Guy Duplat. Découvertes. LLB. 30 octobre 2010. pp 54-55

01 novembre 2010

Jour des morts

"Les morts ne demandent pas d'être pleurés, mais d'être continués."
François Mitterrand

Entre Toussaint et armistice

"Mon père venait du nord
Ma mère vient du sud
Je suis né dans un pays
Grand comme un confetti
Les dunes, un soleil rare
C'est Marijk, on nous sépare
On ne voulait pas que l'on s'aime
Le chagrin d'un belge

De la Venise du nord
Aux corons du sud
J'ai aimé bien des gens
Leurs différences leurs accents
Mais Marijk dans ce pays
En Flandre, en Wallonie
Certains, n'aiment pas que l'on s'aime
Le chagrin d'un belge
(..)
Des fois j'pense à mon vieux
Qu'il soit plus là c'est mieux
Il aurait trouvé la bière
Trop sombre, trop amère ."

Pierre Rapsat. Un dimanche en automne.
Les Toussaints de mon enfance m'apparaissent en quelques semaines devenues aussi irréelles que les deux tours jumelles fumantes du 11 septembre: le partage traditionnel des gauffres légères et chaudes, saupoudrées de sucre impalpable, auquel se voyait ce jour-là convié le curé; la Brabançonne et le drapeau belge honorés à la fin de la messe des morts, cette courte accalmie de recueillement patriotique se terminant le 11 novembre. Images tremblotantes dans le brouillard, devenues tellement évanescentes qu'on a peine à croire qu'elles aient pu exister. Mes petits-enfants fêtent joyeusement Halloween, le Brico Plan-it est ouvert tout le weekend et propose des "soldes à tomber mort". On suppute paisiblement à table les avantages comparés d'un rattachement de la région wallonne à la France ou à l'Allemagne. Le primat de Belgique est sommé par ses ouailles et ses conseillers de se taire jusqu'à Noël, pétition interne et commission d'enquête à la Chambre à l'appui. Eh ben mon vieux, comme dit Rapsat, vaut mieux que tu ne voies pas tout cela...

31 octobre 2010

Entre ciel et terre

"C' est un citoyen de la terre en liberté et en sûreté car il est attaché par une chaîne assez longue pour lui donner libre accès à tous les espaces terrestres, mais assez courte pour que rien ne puisse l'entraîner au-delà des limites de la terre. Dans le même temps, c'est aussi un citoyen du ciel en liberté et en sûreté car il est aussi attaché par une chaîne calculée de même à partir du ciel. Se dirige-t-il vers la terre, le collier du ciel l'étrangle, se dirige-t-il vers le ciel et c'est celui de la terre. Et pourtant toutes les possibilités lui sont ouvertes, il le sent, et même, il refuse d'imputer cette situation à une erreur lors de l'arrimage initial. "
Kafka
Les termes "ciel" et "terre" ont pris un délicieux parfum d'ancien, mais l'ambivalence de nos comportements et aspirations est bien actuelle.

Lu dans:
Les aphorismes de Zurau. Franz Kafka. Gallimard. 2010. 142 pages. Extrait p.78

30 octobre 2010

L'immortalité des ailes

" Soyez comme l'oiseau, posé pour un instant
Sur des rameaux trop frêles,
Qui sent ployer la branche et qui chante pourtant,
Sachant qu'il a des ailes »
V. Hugo
Ce soir ces mots m'emplissent d'une infinie mélancolie. René, l'ami de toujours, à la discrétion légendaire, le confident qu'on aurait cru avant même qu'il parle, s'est éteint. Dans le silence de mon bureau entouré par la nuit je le revois avec Odette il y a quarante ans nous confier leur fils aîné pour une première réunion louveteau. Ou vingt ans d'amitié plus tard, deux jours après Noël, au retour du film "Le mari de la coiffeuse", sonner à ma porte car il resssentait une douleur bizarre dans la poitrine. Les années passent vite au peigne de l'amitié, entrecoupées de réunions, de promenades, de pots de bière à la mousse fraîche, de rires fous et de danses des canards, images aux tons pastels devenus soudain sépia. Petits bonheurs sans prix, entrecoupés de quelques misères, sans lesquelles un ami médecin perd sa raison d'être, que tout cela a passé vite.

Une voix a capella rompt ce silence et ma rêverie. Graëme Allwright égrène "une belle journée quand cette vie s'achève / J'm'envolerai / Vers un merveilleux pays de rêve / J'm'envolerai volerai. J'm'envolerai tout là haut / J'm'envolerai comme un oiseau / Quand je meurs, alléluia tout à l'heure / J'm'envolerai volerai."
Ciao René, la vie est belle.

Lu dans :
Victor Hugo. Les Chants du crépuscule. cité dans Bertrand Leclair. Petit éloge de la paternité. Folio 5126. Gallimard 2010. 112 pages. Extrait p.68.
Graeme Allwright. J'envolerai. Ecouter: http://www.deezer.com/listen-7125286

29 octobre 2010

Re-naissance

"Si elle est dite maternelle, la langue, ce n'est pas parce qu'elle est transmise par la mère (..) , mais parce qu'elle nous met une deuxième fois au monde."
B. Leclair
Lu dans
Bertrand Leclair. Petit éloge de la paternité. Folio 5126. Gallimard 2010. 112 pages. Extrait p.83.

28 octobre 2010

La Reine des lectrices

"On n'écrit pas pour rapporter sa vie dans ses livres, mais pour la découvrir."
A Bennett
Il faut imaginer la reine d'Angleterre coucher cette phrase dans le journal qu'elle tient depuis qu'elle a découvert le plaisir de la lecture. Il faut imaginer les immenses territoires de rêve, d'aventures, de regrets qu'elle parcourt avec une passion attisée par la vie qui avance à grands pas. Il faut imaginer la reine abdiquer pour avoir davantage de temps pour vivre.
Une savoureuse fiction découverte hier, courte et dense, qui pose à chacun de bonnes questions sur sa propre existence.

Lu dans: Alan Bennett. La Reine des lectrices. Folio 5072. Denoël 2009. 125 pages. Extrait p.103

27 octobre 2010

Sagesse de l'escalier

"Du point de vue même de l'escalier, une marche que les pas n'ont pas profondément creusée n'est qu'un méchant assemblage de bois."
F. Kafka
A quoi sert une marche? Un enfant de trois ans répondra à cette question: à être usée. A celle de savoir à quoi sert un homme, la réponse est déjà moins évidente. Mais l'aphorisme de Kafka nous fera contempler d'un oeil différent nos rides, nos poches et la fatigue de notre visage dans le miroir le matin au lever.

Lu dans:
Les aphorismes de Zurau. Franz Kafka. Gallimard. 2010. 142 pages. Extrait p.72

25 octobre 2010

A table

"Le moment de la dégustation est exactement un rêve dans la nuit de la bouche.
Et dans le moment de la saveur, il n'y a plus ni vieux ni jeune, ni adulte ni enfant, ni grand ni petit, ni premier ni dernier, ni rien qui sépare ni rien qui divise.".
G Polet
Il m'a été dit ce weekend que la table de Talleyrand est devenue célèbre au cours des négociations du Congrès de Vienne qui ont suivi la chute de Napoléon. Une table raffinée au service de défis diplomatiques complexes, à base de produits de saison, sauces simplifiées avec peu d'ingrédients, herbes et légumes frais mitonnés par le chef Marie-Antoine Carême (!) . Talleyrand vaincu aux côtés de Napoléon y préserva l'unité de la France et emmena la table des repas en trophée dans sa propriété de Valençay.

Lu dans:
Grégoire Polet. Petit éloge de la gourmandise. Folio 5128. Gallimard 2010. 104 pages . Extrait p. 92

24 octobre 2010

Mon alter ego

"Enigme : Je suis son maître et il est le mien, il est objet dont je suis le sujet, il est moi et il est autre, se prêtant à ma vie et vivant d'une vie indépendante, il ne voit que par mes yeux et je ne vois que par les siens, il est ma propriété et ma prison. Il est mon propre corps. Qui de nous deux appartient à l'autre?"
Thierry Maulnier. Le dieu masqué. NRF. Gallimard. 1985. 340 p; extrait p. 51

23 octobre 2010

Le fauve, le roux et la sanguine

"Couleurs de l'automne: le roux, le fauve, le feu, le grège, l'or, la sanguine, l'auburn, le caramel, la garance, l'alezan, la châtaigne, le havane et l'amarante, couleurs languides (*) qu'elle aimait tant."
J Garcin
Recettes pour apprécier l'arrière-saison: énumérer toutes ses couleurs et les différencier en parcourant le Littré (auburn: châtain ou brun avec des reflets de roux, en parlant de cheveux; garance: plante dont les racines pulvérisées fournissent une belle couleur rouge; alezan: en parlant d'un cheval, rouge teinté de brun plus ou moins foncé). Faire la paix dans la pièce où l'on se réchauffe, dans nos paysages familiers, dans sa vie. Poser son regard sur un visage aimé, une haie de bouleaux, des crinières au vent, un album de photos jaunies. Tendre l'oreille quand le disque se termine et que le silence est rendu au vent qui siffle et la flambée qui crépite, écouter Barbara nous parler de nous : si mi la ré sol do fa..

Lu dans:
* Languide : se dit d'un paysage animé par le vent. "Plantes, arbres géants, atmosphères languides,/Cieux d'opale et toi,mer, de ton mystère avide,/Que mon âme, de vous, pourra-t-elle s'emplir." Jeanne Boujassy. Méditation devant la mer La Parenthèse n°3 du 15 décembre 1930
Jérôme Garcin. Barbara, claire de nuit. Folio. 3653. La Martinière 1999. Gallimard 2002. 170 pages. Extrait page 14

22 octobre 2010

Une lueur dans les ténèbres

"... la couleur des ténèbres à la lueur d'une flamme"
Tanizaki Junichiro
La couleur de l'obscurité? Une couleur que découvre un jour le poète et romancier japonais Tanizaki Junichiro qui a construit dans la solitude une œuvre rare en hommage à la beauté du noir. "J'ai aperçu, une seule fois, certaine obscurité dont je ne puis oublier la qualité. C'était dans une vaste salle qu'on appelait, je crois, la "Salle des pins", détruite depuis par un incendie; les ténèbres qui régnaient dans cette pièce immense, à peine éclairée par la flamme d'une unique chandelle, avaient une densité d'une tout autre nature que celles qui peuvent régner dans un petit salon. (..) Retombait, comme suspendue au plafond, une obscurité haute, dense et de couleur uniforme, sur laquelle la lueur indécise de la chandelle, incapable d'en entamer l'épaisseur, rebondissait comme sur un mur noir: (..) la couleur des ténèbres à la lueur d'une flamme"? Elles sont faites d'une matière autre que celle des ténèbres de la nuit sur une route, et si je puis risquer une comparaison, elles paraissent faites de corpuscules comme d'une cendre ténue, dont chaque parcelle resplendirait de toutes les couleurs de I'arc-en-ciel."

Superbes lignes, reprises par Gabriel Ringlet et que j'aimerais faire miennes ce soir, si j'en avais le talent. Les métiers d'accompagnement, et le mien en est un, souffrent d'une modestie de moyens qui peut aisément mener à une forme de désespérance: tant d'énergie déployée, tant d'espoirs en permanence anihilés par la déchéance et la mort à terme, "tout ça pour ça..". A moins de se raccrocher à l'image de cette humble mèche dont la lueur rebondit sur les murs, danse dans l'obscurité et en éclaire jusqu'aux dernières particules. Chaque ténèbre est unique, et en une seule journée j'en aurai croisé au moins une dizaine, morales, physiques, spirituelles, d'abandonnement, de vide ou de trop-plein, tout est souffrance quand se perd le sens d'une existence. A moins que... La description de la couleur des ténèbres à la lueur d'une seule modeste flamme me permet d'imaginer Sisyphe heureux.

Lu dans :
Tanizaki Junichiro, Éloge de l'ombre, Paris, Publications orientalistes de France, 1993, pp. 86-87.
Gabriel Ringlet. Ceci est ton corps. Albin Michel. 2008. 235 pages. Extrait p.214.

21 octobre 2010

"Une cage s'en fut chercher un oiseau"
F. Kafka

Lu dans
Les aphorismes de Zurau. Franz Kafka. Gallimard. 2010. 142 pages

20 octobre 2010

Un soir un train

"Un train s'arrête puis, laconique, ce message tombe: "Incident de personne."
E. Pessan
On peut imaginer que pour une personne au moins, l'instant est critique. Tout fascine dans cette courte phrase: le souci de ne pas "heurter les sensibilités" par l'utilisation de termes neutres (incident versus accident, personne - terme générique entre tous, pouvant même aller jusqu'à nier une existence réelle si on retient sa signification finale "personne-rien"), sa brièveté, la capacité d'anticipation de ce qui peut se passer ensuite. On évoque aussitôt le film magistral "Un soir un train" de Delvaux et son train mystérieux stoppant la nuit en pleine campagne, ou le tout récent livre d'Eric Pessan. Un TGV freine inopinément, l'obscurité tombe progressivement, plongeant ses occupants dans un huis clos entre chien et loup que les langues vont délier, cousu de récits de vies d'autant plus intimes qu'une sourde angoisse empreint les usagers. La frontière entre le drame individuel, sa traduction aseptisée pour la société qui y assiste (La chute d'Icare de Breughel peignant une seule main surnageant des flots alors que le laboureur poursuit sa tâche inlassablement ne dit rien d'autre) et la brèche que cet accident inattendu ouvre dans nos existences demeure un étonnant sujet de réflexion pour les artistes.

Lu dans
Incident de personne. Eric Pessan. Albin Michel. 192 p

18 octobre 2010

La prison du moi

"Lear, apprends à mieux voir."
W. Shakespeare.
C'est l'histoire d'un père qui rentre de la guerre où il a passé de longues années. Quand il revient chez lui, il trouve ses enfants à la maison qui n'ont cessé de l'attendre, sont fous de bonheur et lui font fête. Mais la mère n'est pas là. Le prisonnier parvient à se convaincre qu'elle lui a été infidèle. Il reprend le chemin de la gare, suivi de ses enfants en pleurs qui lui jurent que leur mère travaillait pour subvenir à leurs besoins, et qu'elle a, elle aussi, passé toutes ces années à pleurer et à l'attendre. Le train arrive en gare. Il monte, et les petits courent en pleurant après le train qui s'en va. Le soldat ne peut plus quitter sa prison intérieure. La loyauté, l'amour, la chaleur d'un foyer lui sont interdits après les violences de la guerre. Au retour impossible à la liberté et à la vie antérieure, il préfère le retour au malheur de la solitude et de l'enfermement.

Fiction? La nouvelle de Platonov (Le Retour) est sans doute plus réelle que les récits de survivants qui souvent se sont tus sur ces drames vécus. L'enfermement parfois était facilité par une réalité plus évidente que dans le récit de Platonov. Un de mes patients revint de captivité le coeur plein de craintes et de joie. Sonnant chez lui, il entrevit que dans son fauteuil était assis son meilleur ami. Il fit demi-tour sans même entrer et s'en souvenait encore après un demi-siècle d'errance. Ce matin même, une patiente octogénaire me confiait qu'il est aujourd'hui difficile d'imaginer tout ce qui put se passer durant les quelques semaines qui suivirent la libération et le retour des camps, période troublée où tous les critères moraux volèrent en éclat, ouvrant la boîte de Pandore des passions humaines soudain déchaînées. Elle-même "s'enfuit", me dit-elle, au bras d'un bel Italien avec qui elle vécut huit ans de vie conjugale sans histoire ... pour l'abandonner sans raison valable aussi soudainement qu'elle l'avait suivi. Cinquante ans plus tard, elle ne comprend toujours pas.

Lu dans :
Thérèse Delpech. L'appel de l'ombre. Grasset. 174 pages. Extrait p 151

17 octobre 2010

L'ombre de soi

"Je ne serai jamais ni l'ombre d'un homme
Ni le pâle reflet d'un autre que moi
Je suis toutes mes failles mes blessures et mes fautes
Je suis ce que tu vois

Je ne serai jamais le héros de tes fables
Ni ce beau chevalier dont tu rêves parfois
Si je dresse mes bras en murs infranchissables
Tu vois je ne suis, je ne suis que moi (..)

Mais je pourrais ma belle si tu le demandais
Décrocher les étoiles, te couvrir de soie
Faire enfin de mes bras le plus beau des palais
Mais je ne serai jamais, jamais que moi"

Je vous souhaite une bonne semaine
CV.

Patrick Fiori. Je ne serai jamais.


Les frontières de l'ombre

« Enfants d'Eve, contentez-vous de c'est ainsi.»
Dante
Octobre, mois des Nobel, me confronte annuellement à mon ignorance des avancées des connaissances. Dans leurs domaines d'attribution respectifs, chaque prix, et les découvertes scientifiques récompensées, étendent les frontières de mon incompréhension. Il me reste la possibilité de glaner à cette occasion des pistes nourrissant davantage ma rêverie de l'univers invisible que mon intelligence. La constatation désabusée de Dante dans Le Purgatoire rejoint celle de Richard Feynman, théoricien de la mécanique quantique et prix Nobel de physique en 1965, qui note: "Si vous admettez simplement que la nature peut se conduire ainsi, vous trouverez qu'elle est une chose merveilleuse. Mais ne vous demandez pas: "comment peut-il en être ainsi ?", parce que vous vous engagerez dans une allée sombre dont personne n'est jamais revenu.»

Dante. Le Purgatoire.
Thérèse Delpech. L'appel de l'ombre. Grasset. 174 pages. Extraits p 157, 158.

15 octobre 2010

Eclats de vérité

« La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé.
Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve »
Djalâl ad-Dîn Rûmî (1207-1273)
Cité par Jamel Balhi, Les routes de la foi, Le Cherche-Midi Éditeur, 1999, p. 292

Les échéances

"Mort : échéance de fin de moi."
Sagesse des mots croisés

13 octobre 2010

Sagesse du lâcher prise

"Je ne me suis pas lassée
de ce que je n'ai pas atteint."
Louise de Vilmorin. Plus jamais.
Jour de grisaille, rien ne tourne vraiment rond dès le lever. Je découvre quotidiennement que nos frustrations sont une chance, ces "bouts de nuit dans le jour", "ce bruit dans le silence", agaçants, détrompant avec malice notre souhait de tout gérer, prévoir, codifier, maîtriser. L'apprentissage du lâcher prise est une voie de sagesse.

Lu dans :
Le grand large du soir. Julen Green. Flammarion. 2006. 398 p. extrait p.224

Les mains dans le cambouis

"Ce qui fait un bon électricien, c'est la différence entre la lumière et l'obscurité."
M.B. Crawford

A lire si vous vous posez des questions sur le sens de votre activité professionnelle, le récit de récit de l'étonnante reconversion professionnelle de Matthew B. Crawford. Universitaire, employé dans un think tank à Washington, il démissionne au bout de quelques mois pour ouvrir un atelier de réparation de motos et nous livre une réflexion fine sur le sens et la valeur du travail. Le travail intellectuel, isolé de la réalité, est-il susceptible d'apporter le bonheur ou au contraire déresponsabilise-t-il ceux qui y consacrent le meilleur de leurs journées? De manière très fine, l'auteur restitue l'expérience de ceux qui, comme lui, s'emploient à fabriquer ou réparer des objets - ce qu'on ne fait plus guère dans un monde où l'on ne sait plus rien faire d'autre qu'acheter, jeter et remplacer. Il montre que le travail manuel peut même se révéler beaucoup plus captivant d'un point de vue intellectuel que tous les nouveaux emplois de l'« économie du savoir ».

Lu dans:
Matthew B. Crawford. Eloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail. La Découverte. 2009. 250 pages. Extrait page 238.

10 octobre 2010

Heureux en automne

"C’est en automne qu’on fait le printemps. "
Il se cache dans certains jours d'automne une tiédeur, une complicité avec la nature et une intensité des couleurs qui réconcilient avec la vie. Le jardin panse ses plaies causées par la sécheresse ou les pluies diluviennes et se laisse gâter par cette douceur ambiante qui gagne. La saison est pleine de promesses pour autant qu'on redonne un coup de tonte, de bèche et de binette: l’année commence vraiment en ce moment et non au printemps. C'est l'heure des rêves et des projets d'embelllissement, d'essais de nouvelles espèces, de nouveaux emplacements.

D'où vient-il dans cette splendeur, qui s'inscrit avec tant de force dans le temps circulaire, que l'automne suscite parfois en nous une sourde mélancolie? Comme le suggère Eric de Bellefroid, la saison est souvent ressentie comme le temps de toutes les ruptures, des pourritures et moisissures nécessaires, en vue des reviviscences d’un nouvel avril. Si le grain ne meurt ... Sans doute, mais si ces deuils annoncent une renaissance, qui s'en souciera? L'identification séculaire entre l'été indien et les saisons de notre propre passage sur terre - croissance, maturité, sénescence, mort - apparaît comme une explication autrement plausible à l'anxiété diffuse qu'il inspire. A la différence de l'automne météorologique, celui de notre vie ne débouche sur aucun printemps, et nous confronte au doute: se pourrait-il que cette splendeur mordorée des feuilles qui tombent ne reverdisse plus...

Le plus bel automne peut nous rendre heureux, mais pas vraiment joyeux. Il faut se nommer Verlaine pour relever que " le soir tombait, un soir équivoque d’automne / les belles, se pendant rêveuses à nos bras, / dirent alors des mots si spécieux, tout bas, / que notre âme, depuis ce temps, tremble et s’étonne."

Lu dans :
Plaisirs d’automne. Marie Noëlle Cruysmans et Marie Pascale Vasseur. Momento. La Libre Belgique. 9.10.10. p.8
Rendez-vous avec les soleils couchants. Eric de Bellefroid. Momento. La Libre Belgique. 9.10.10. p.3
Paul Verlaine. Fêtes galantes. L. Vanier, 1896 - 60 pages

09 octobre 2010

Te voilà mon amie

"Te voilà mon amie
si belle
te voilà si belle
derrière ton voile
tes yeux oh des colombes."
L'Ecclésiaste
Si votre compte Facebook vous accueille , comme il m'est arrivé , par un invariable "Carl Vanwelde n'a pas d'amis", il existe désormais une alternative: louer un ami pour la soirée. Rentafriend.com propose un concept simple: la location d'ami(e)s, à l'heure, à la journée, à la soirée. Le site, américain d'origine, étend progressivement ses activités au monde entier. Comme le répète inlassablement un de mes vieux patients, ce dont la location d'un appartement vous protège, ce sont les tracas liés à son entretien, les frais cachés et la contrainte. Sûr que sa démonstration en convaincra plus d'un en ce qui concerne l'amitié.

Le Poème, traduction du Cantique des cantiques par Olivier Cadiot et Michel Berder. La Bible Bayard. 2002. 78 pages. Extrait p.30
www.rentafriend.com

08 octobre 2010

L'essentiel et l'accessoire

"J'ai claqué l'essentiel de mon fric dans les femmes, l'alcool et les bagnoles. Le reste, je l'ai gaspillé."
George Best.

07 octobre 2010

Comme une chambre mal rangée

"L'histoire humaine (..) un récit raconté par un idiot, plein de bruit et de fureur et qui ne signifie rien."
W. Shakespeare
La réflexion du vieux William fait sourire quand on parcourt les nouvelles de Belgique et du monde, entre café et journal. Elle fait écho à une carte blanche de Gunzig et aux confidences d'un proche de M. De Wever qui ne peuvent se résoudre à l’existence d'un grand complot, qu'il soit mondial ou belge, d’une grande manipulation savamment orchestrée par des réseaux qui nous dépassent. "Quand je regarde le monde, je ne vois qu’un grand bordel, la chambre mal rangée d’un enfant perturbé. Que je me retourne sur l’Histoire, je n’y vois qu’une accumulation de braquages ratés, de rêves, d’ambitions, de fantasmes, de désirs entrant en collision les uns avec les autres et au final, s’annulant à plus ou moins long terme. (..) Cela dit, ça ne me fiche pas moins la trouille qu’un grand complot. Bien au contraire. "

Lu dans:
Thomas Gunzig. L’ordre et le chaos. Le Soir du mercredi 6 octobre 2010.

06 octobre 2010

Une belle fin d'été

"Colchiques dans les prés
fleurissent fleurissent
Colchiques dans les prés
C’est la fin de l’été."
Une petite fleur d'automne nous est née chez Laurence et Pascal. On l'appelle Prielle, qui signifie joliment "don de l'amour" ou "don de Dieu" selon les sources: bien vu, être nommé "don de.." ne nuit jamais. Assister à cette éclosion laisse rêveur, car à la différence du destin de la colchique, tout reste ici à écrire: tant de personnes à aimer, tant de mots à dire, de choses à découvrir jour après jour. Quelle place occupera-t-elle dans notre existence, bonheur et malheur confondus? L'incertitude d'une naissance demeure un des grands mystères de ce monde.

Je vous souhaite une bonne semaine
CV.

Lu dans:
Colchiques dans les prés, paroles et musique de Francine COCKENPOT (modeste Guide de France à l'époque), puis chantée par Francis Cabrel en 1977

05 octobre 2010

Souriez vous êtes heureux

«Autrefois les hommes chantaient en coeur autour d’une table ; maintenant c’est un seul homme qui chante, pour la raison absurde qu’il chante mieux. Si la civilisation l’emporte, bientôt un seul homme rira, parce qu’il rira mieux que les autres.»
Gilbert Keith Chesterton
Ceci dit, il importe aussi de lutter contre la tyrannie du rire convenu. On peut être heureux et concentré sur sa tâche, le rire n'est qu'une expression de la joie parmi d'autres, culturellement la mieux admise. D'où la scène finale du film La 25e heure où la presse intime à Anthony Quinn et Virna Lis, réunis après dix années de séparation et de camps : "montrez que vous êtes heureux, souriez, souriez". Clap générique final. Soufflant souvenir qui me revient soudain, avec l'envie de revoir le film.

Souriez vous êtes heureux

«Autrefois les hommes chantaient en coeur autour d’une table ; maintenant c’est un seul homme qui chante, pour la raison absurde qu’il chante mieux. Si la civilisation l’emporte, bientôt un seul homme rira, parce qu’il rira mieux que les autres.»
Gilbert Keith Chesterton
Ceci dit, il importe aussi de lutter contre la tyrannie du rire convenu. On peut être heureux et concentré sur sa tâche, le rire n'est qu'une expression de la joie parmi d'autres, culturellement la mieux admise. D'où la scène finale du film La 25e heure où la presse intime à Anthony Quinn et Virna Lis, réunis après dix années de séparation et de camps : "montrez que vous êtes heureux, souriez, souriez". Clap générique final. Soufflant souvenir qui me revient soudain, avec l'envie de revoir le film.

03 octobre 2010

C'est pour du rire

"Reprenant mon vélo, hier soir, et longeant les grilles de Roland-Garros, je parvins à la partie des jardins où demeurent des courts de location municipaux et mon attention fut attirée par les éclats de rire et les exclamations joyeuses de deux jeunes joueurs en train de se renvoyer la balle assez maladroitement. Je pris conscience que cela faisait plusieurs heures que je n'avais entendu ni entrevu quiconque rire sur un court de tennis ! "
Denis Grozdanovitch
Denis Grozdanovitch, ancien joueur de tennis professionnel lui-même (champion de France junior en 1963) aurait-il la nostalgie de cette "insoutenable légèreté de l'être" (du roman éponyme de Kundera) qui se perdrait avec l'âge et les enjeux? Enfants, nous en avions déjà bien saisi la portée quand nous édictions doctement "cette fois, c'est pour du rire" avant les parties où nous voulions vraiment nous éclater, annonçant un définitif "maintenant c'est pour de bon" quand nous estimions qu'il était temps d'en découdre. Depuis, c'est souvent "pour de bon", à Roland-Garros comme ailleurs.
Lu dans:
Denis Grozdanovitch. L'art difficile de ne presque rien faire. Denoël 2009. Folio 5112. 355 pages. Extrait p.278

02 octobre 2010

Le pardon et l'oubli

"Aussi étroit soit le chemin,
Nombreux les châtiments infâmes,
Je suis maître de mon destin,
Je suis le capitaine de mon âme."
William Ernest Henley
La dernière ligne du poème Invictus de l'écrivain William Ernest Henley, poème préféré de Nelson Mandela et qui donna son titre au film de Clint Eastwood que nous avons (enfin) découvert ce soir. Ni documentaire, ni film historique, c’est plutôt une sorte de conte de fée mais qui se laisse voir sans tourment un samedi soir. Trop beau pour être tout-à-fait crédible sans doute, mais l'homme n'a-t-il pas besoin de rêver parfois? A l'heure où un autre conte de fée se termine au Brésil avec le départ de Lula, on se dit que l'Histoire se chargera bien de replacer tout ceci dans sa véritable perspective. J'y ajouterai pour ma part en surimpression la phrase de Vladimir Jankélévitch commentant sobrement le génocide "Le pardon est là précisément pour pardonner ce que nul ne saurait excuser".

01 octobre 2010

Sweet home

"Tous les grands voyageurs reviennent au havre, au port d'attache après les quarantièmes rugissants, les péripéties planétaires, les équipées sauvages et périlleuses. Quand les Vikings découvrent l'Amérique - bien avant Christophe Colomb - ils quittent les côtes scandinaves, traversent l'Atlantique, abordent l'Amérique du Nord, restent quelque temps, puis repartent en direction de leur terre natale. Le lieu quitté puis retrouvé donne l'axe sur lequel oscille l'aiguille de la boussole. Sans lui, pas de points cardinaux, pas de rose des vents, pas de possibilité de se déplacer et d'organiser son quadrillage sur les cartes du monde."
M. Onfray
Lu dans:
Michel Onfray. Théorie du voyage. Librairie générale française 2007. Le Livre de Poche, 4417. 127 pages. Extrait p.97

29 septembre 2010

De l'instruction et de la connaissance

"Mais quand la science ferait par effet ce qu'ils disent, d'émousser et rabattre l'aigreur des infortunes qui nous suivent, que fait-elle que ce que fait beaucoup plus purement l'ignorance? "
Montaigne
Soucieux d'être bien compris, Michel de Montaigne complète son récit par le philosophe Pyrrhon, affrontant une mer déchaînée, qui donnait en exemple à ses compagnons d'infortune un pourceau qui voyageait avec eux, regardant cette tempête sans effroi.

"L'enseignement ne donne que l'instruction; la vie donne la connaissance. L'instruction a au moins cet avantage d'être de la connaissance généralisée, sublimée, et pouvant contenir, sous un petit volume, une grande quantité de notions; mais dans la plupart des esprits, cette nourriture trop condensée reste neutre et ne fermente pas. Ce que l'on appelle la culture générale n'est le plus souvent qu'un ensemble d'acquisitions mnémoniques, purement abstraites et dont l'intelligence est incapable de faire la projection sur le plan de la réalité. Sans une imagination très vivante et active dans tous les sens, les notions confiées à la mémoire se dessèchent dans un sol inerte; l'eau qui les amollit et le soleil qui les mûrit sont nécessaires à la germination des graines. Il vaut mieux ignorer que de savoir mal, ou peu."


Lu dans :
Michel de Montaigne. Essais. Volume 8. Livre 2. Chapitre XII. p.67.
Diogène Laërce. Vie de Pyrrhon. Livre IV. Segment 69
Remy de Gourmont. Le Chemin de velours "La valeur de l'instruction », Paris. Editions du Sandre. 2008. p. 65

24 septembre 2010

Des oiseaux et des mots

"Les miettes de ta jeunesse, qu'en faire ? Les jeter
aux oiseaux ?
Tu peux les jeter aux oiseaux, tu peux les glisser
dans les mots.
Ils s'envoleront joyeux puis reviendront de nouveau
Ailés de la même espérance, les oiseaux et les mots
reviendront.
Et que leur diras-tu alors? Qu'il ne t'en reste
plus rien ?
Cette vérité cruelle, ils ne la croiront pas.
Tard la nuit
Ils attendront à ta fenêtre, frappant le carreau
de leurs ailes,
Jusqu'à ce qu'ils tombent, fidèles. Les oiseaux,
les mots, c'est tout un. "
JULIAN TUWIM (1894-1953)


Poésie douce-amère, que l'on saisit mieux à la lecture de la biographie de son auteur. Tuwin, poète et philosophe polonais, a 45 ans le jour où l'Allemagne nazie envahit la Pologne. Il émigre d'abord, par la Roumanie, en France puis après le capitulation de la France, au Brésil par voie du Portugal et finalement aux Etats-Unis où il s'installe en 1942. Il écrit "Kwiaty polskie" (Les Fleurs polonaises), un poème épique exceptionnel dans lequel il se souvient avec la nostalgie, de sa première enfance dans Ł ó d ź. Tuwim revient en Pologne après la guerre, en 1946. Comme l'écrit joliment Paul Valéry, "le vent se levait et il fallait tenter de vivre".

Eloge modéré du progrès

"Ce que nous appelons progrès n'est que le remplacement d'un inconvénient par un autre."
Havelock Ellis
Plutôt sujet de dissertation qu'opinion partagée, je vous jette ceci à confronter au vécu de votre journée. Il vous restera à cocher ce soir la case 'j'approuve' ou à la nuancer. L'auteur, psychanalyste et ami de Freud, meurt en 39 ce qui n'incitait pas nécessairement à l'optimisme.

Lu dans :
Denis Grozdanovitch. L'art difficile de ne presque rien faire. Denoël 2009. Folio 5112. 355 pages. Extrait pp.106

23 septembre 2010

Les grand tout et le petit rien

"Il existe plusieurs sortes d'actualités: celle du grand temps, des journaux et de l'histoire, qui vocifère à travers la planète et couvre la voix des humains. Et celle d'une espèce de petit temps, qui est le tissu même de nos journées. Il y a le grand temps qui fait des tourbillons; et le petit qui parle à voix basse et marche sur la pointe des pieds; qui est toujours rempli des mêmes choses, habillé d'une étoffe usée. On le prendrait pour une miette du temps qui serait tombée d'une autre époque. Ce qu'on appelle l'inactuel, c'est l'actuel de toujours. Il semble à l'homme que ces deux temps n'aient ni le même grain, ni la même qualité, la même matière, la même couleur, la même époque. Et que le petit temps soit inactuel parce qu'il est l'actuel de la veille. Mais il sera l'actualité de demain."
Alexandre Vialatte
Une de mes patientes décède paisiblement en fin d'après-midi, dans la même maison de repos que celle où s'éteignait Marie il y a deux semaines. Je refais ainsi - quasi à la même heure - à moto le même trajet pour aller accomplir la même besogne, modeste à l'échelle du monde, essentielle à l'échelle d'une cellule familiale éprouvée. Consultations, visites, vaccins, certificats, le tissu même de tous les jours, étranger au calendrier des nations, parfaitement extérieur à la chronologie des journaux télévisés. C'est de l'actualité en vacances, sans début ni fin, faite de tout ce qui se passe quand il ne se passe rien. Rien vraiment? Quand Marie ou Léontine s'éteignent, au terme d'une existence longue de près d'un siècle, quelle accumulation de tendresse, de peurs, d'espoirs elles emportent. La même semaine a vu la naissance de Julien chez des amis chers, l'entrée à la crèche de Jeanne, l'embauche d'une proche pour une fonction inespérée, des projets de vacances et de naissance chez les enfants. Comme le dirait Raymond Devos "trois fois rien, c'est déjà quelque chose", et ce quelque chose suffit à notre bonheur.

Lu dans :
Alexandre Vialatte. Chroniques de la Montagne. Paris Editions Laffont. coll. Bouquins. 2000. 1085 pages

22 septembre 2010

Rites et routines

"Konrad Lorenz, qui passe pour être le fondateur de l'éthologie, observe qu'une colonie d'animaux dont le gîte se situe en un lieu précis et qui a pris l'habitude de rejoindre un point d'eau vital en empruntant un certain trajet - parfois très long et sinueux alors que cette source se trouve presque contiguë à leur gîte - ne modifiera pourtant ce trajet ritualisé qu'au cas où l'un des représentants du groupe, glissant accidentellement le long d'une traînée boueuse, par exemple, et réalisant la proximité du lieu, ouvre pour la communauté ce chemin plus direct. Cependant, la colonie, contrariée dans son rituel, connaît alors une sorte de malaise existentiel et il n'est pas rare qu'après l'avoir adoptée pour un temps, elle abandonne cette commodité pour retourner à ses anciennes habitudes.
(..)
Or on raconte que le professeur Lorenz - qui avait pris l'habitude, marchant à pied depuis son domicile, d'emprunter un certain trajet, assez tortueux, passant par des lieux consacrés qu'il affectionnait, arrivait régulièrement avec quelques minutes de retard à ses cours de l'Institut Max Planck à Munich. Ses étudiants lui suggérèrent un jour un trajet plus direct et plus rationnel qu'il essaya d'adopter jusqu'à ce
que ceux-ci, prenant conscience que le maître devenait de plus en plus maussade et irritable, le persuadent de revenir à son chemin antérieur. Ce sur quoi le professeur recouvra sa bonne humeur coutumière. "
L'histoire est presque trop belle et paraît tirée des douze contes merveilleux de la Reine Fabiola. Il n'empêche qu'elle repose la question des comportements rituels et de nos routines intellectuelles qui, elles, ne prêtent pas toujours à sourire.

Lu dans :
Denis Grozdanovitch. L'art difficile de ne presque rien faire. Denoël 2009. Folio 5112. 355 pages. Extrait pp.143-145

21 septembre 2010

Créer n'est pas trouver

"Il existe trois types de trouvailles: la création (..), l'invention (..) et la découverte. La découverte fait apparaître ce qui était: l'ADN, l'épave du Titanic. L'invention produit ce qui va être (la machine à vapeur, la photocopieuse). et procède parfois par association : celle de la nourriture et du feu a produit la cuisine. La création produit ce qui peut être: Tintin, la Messe en Si de Bach. "

L'invention est protégée par le brevet, la création par le droit d'auteur, mais la découverte? Elle ne devrait appartenir à personne, selon Luc de Brabandere, ne révélant qu'un patrimoine commun mis à jour. On peut vivre sans la Vème Symphonie de Beethoven, penser sans avoir admiré le Penseur de Rodin, qui auraient pu ne jamais voir le jour, alors que le génome humain existe qu'on l'ait décrypté ou non. Mais on peut admirer de la même manière les chercheurs, inventeurs et créateurs de génie.

Lu dans :
Luc de Brabandere, Petite philosophie des grandes trouvailles. Eyrolles. 136 pages.
Jacques Franck. Le mystère des trouvailles. LLB Supplément Lire. 20 septembre 2010. p.4

20 septembre 2010

Sagesse du pêcheur

"Vois-tu fiston, nous sommes la plupart du temps bien plus heureux que nous ne le croyons."
D. Grozdanovitch.
Belle conclusion au terme d'une journée de pêche réunissant un père et son fils, le philosophe et ancien joueur de tennis professionnel Denis Grozdanovitch. Les croissants chauds partagés au lever du jour, la pose des hameçons, les prises heureuses et malheureuses, la friture dégustée du menu fretin sont décrites en quatre courtes pages d'anthologie dont la conclusion m'a fait sourire.
Lu dans :
Denis Grozdanovitch. L'art difficile de ne presque rien faire. Denoël 2009. Folio 5112. 355 pages. Extrait p.21

19 septembre 2010

18 septembre 2010

Le futur du passé

"Dès l'instant où une utopie se voit prise en considération, elle cesse d’être une utopie pour devenir réalité."
E.Bloch
Un dimanche sans voiture.Encore une fois dormir, et le silence reprendra ses droits pour quelques heures, habité par les seuls tintements de sonnettes de vélo et des conversations de citadins redevenus promeneurs. L'avenir balbutie, empli d’incertitudes que le passé n’est pas à la veille d’éclairer. Cette incertitude est rassurante, aucun passé n'ayant ressemblé au nôtre, il n'existe pas de fatalité du futur.
Lu dans :
E. Bloch, Le Principe espérance, Gallimard, 1976

17 septembre 2010

16 septembre 2010

Coupable errance

« Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s’étaient établis à Rouen. Voilà la troisième fois que j’en vois. Et toujours avec un nouveau plaisir. L’admirable, c’est qu’ils excitaient la Haine des bourgeois, bien qu’inoffensifs comme des moutons. Je me suis fait très mal voir de la foule en leur donnant quelques sols. Et j’ai entendu de jolis mots à la Prudhomme. Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de complexe. On la retrouve chez tous les gens d’ordre. C’est la haine qu’on porte au Bédouin, à l’Hérétique, au Philosophe, au solitaire, au poète. Et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m’exaspère. Du jour où je ne serai plus indigné, je tomberai à plat, comme une poupée à qui on retire son bâton. »
Lettre de Gustave Flaubert du 12 juin 1867 à George Sand


Comme le note Michel Onfray, les gens du voyage s'inscrivent dans une histoire imaginée aussi vieille que l'humanité: Adam et Eve condamnée à l'errance après avoir croqué la pomme, Caïn après le meurtre de son frère, voué pour l'éternité à cheminer, maudit, aux côtés du Juif Errant et de tant d'autres lépreux de la terre bannis de tout domicile fixe en raison de fautes supposées. "Le paysan fratricide, - toujours Onfray - et le Juif égocentrique rappellent que la condamnation au défaut de domicile fixe accompagne la faute, le péché et l'erreur. Depuis, on associe le voyage sans retour à la volonté punitive de Dieu. L'absence de maison, de terre, de sol suppose, en amont, un geste déplacé, une peine causée à Dieu. Le schéma imprègne l'âme des hommes depuis des siècles: les Juifs, les Tsiganes, les Romanichels, les Gitans, les Bohémiens, les Zingaros et tous les gens du voyage le savent qu'on a tous, un jour ou l'autre, voulu contraindre à la sédentarité, quand on ne leur a pas dénié le droit même à exister. Le voyageur déplaît au Dieu des chrétiens, il indispose tout autant les princes et les rois."

Lu dans :
Lettre de Gustave Flaubert du 12 juin 1867 à George Sand
Michel Onfray. Théorie du voyage. Librairie Générale Française 2007. Le Livre de Poche 4417. 126 pages. Extrait p.13

15 septembre 2010

La force des fêtes

"Le vent d'automne souffle
nous sommes en vie
et nous pouvons
nous regarder l'un l'autre
vous et moi."
Shiki (XVIIIème siècle)


Hier encore, je les laissais comme morts, au fauteuil, au lit, scotchés à leur aérosol. Ce matin, c'est tout un petit monde d'âges divers qui descend notre boulevard vers les rues du centre encombrées de bétail, de bateleurs et de chalands. Appuyés sur leur canne, en chaise roulante, ou en couples amarrés l'un à l'autre, le plus voyant soudé au plus faible, c'est toute une humanité qu'on n'aperçoit jamais au grand jour qui tout-à-coup réapparaît pour une pleine journée. Ils font des rêves de bière à grand collet de mousse, de tartes à la frangipane, de boudin noir et de beignets. Ce jour sera un jour de négation totale des régimes, du bénécol et du bécel, la vie est ainsi: un jour de gras, vingt jours de maigre au diable la médecine. Tout ce qui marche à deux ou quatre jambes, qui rampe, qui avance en se racrapotant forme comme une espèce de longue chenille que rien ne paraît pouvoir arrêter ce mardi de braderie à Anderlecht. Demain il sera encore temps de retrouver les bouillottes et les coussins chauffants.
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14 septembre 2010

Une dictature douce

Dans "De la démocratie en Amérique", Alexis de Tocqueville (180(-1859) décrit cet autoritarisme «plus étendu et plus doux», qui « dégraderait les hommes sans les tourmenter ». Ce nouveau pouvoir, pour lequel, dit-il, « les anciens mots de despotisme et de tyrannie ne conviennent pas », transforme les citoyens qui se sont battus pour la liberté en « une foule innombrable d'hommes semblables (, .. ) qui tournent sans repos pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, ( ... ) où chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée des autres ». Isolés, tout à leur distraction, concentrés sur leurs intérêts immédiats, incapables de s'associer pour résister, ces hommes remettent alors leur destinée à « un pouvoir immense et tutélaire qui se charge d'assurer leur jouissance (. .. ) et ne cherche qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance. Ce pouvoir aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il pourvoit à leur sécurité, facilite leurs plaisirs. Il ne brise pas les volontés mais il les amollit, il éteint, il hébète.» C'était une sorte de prophétie, mais nous y sommes aujourd'hui, même si l'évocation du "pouvoir immense et tutélaire" fait sourire, une analyse actuelle mettant en évidence que ces mécanismes de pouvoirs sont plus complexes et moins manichéens, - ou pire - qu'au contraire plus aucun pouvoir ne contrôle plus rien.

Lu dans :
Pourquoi l'Europe vire à droite. Raffaele Simone. Le Monstre doux. Le MOnde Magazine. 11 septembre 2010. p.20

12 septembre 2010

La quintessence du rire

"L'homme ne s'amuse jamais autant que de lui-même - c'est-à-dire des autres. Plutôt que le définir comme « un animal qui rit », il serait tout aussi juste de le décrire comme « un animal dont on rit »."
Bergson

Le rire a cessé depuis longtemps d'être le propre de notre espèce. Les chimpanzés, orangs-outans et autres grands singes émettent bel et bien des « grognements de rire ». même si les chemins divergent entre nous quant aux circonstances de leur apparition. Chez les singes, ce comportement apparaît surtout lorsque les jeunes jouent à se pourchasser, à s'attraper et se mordiller - bref: à se battre "pour rire". Il survient aussi lorsqu'on les chatouille, comme une expression d'excitation et de plaisir mêlés ... Mais il ne semble pas que les singes soient moqueurs, ni qu'ils aient recours à l'arme sociale du comique pour affaiblir et manipuler leurs semblables. Chez eux comme chez le (très) petit enfant, le rire, simple et honnête, se passe encore du ridicule. Le rire a somme toute avec l'homme acquis ses lettres de noblesse.


Lu dans:
Se poiler comme un singe. Cathérine Vincent. Le Monde Magazine. 11 septembre 2010. p.14

11 septembre 2010

Nos images reconstruites

"Rien n'est plus vivant qu'un souvenir."
Federico Garcia Lorca
Curieux tout de même d'imaginer qu'avant 2001, penser 11-septembre évoquait les marrons qui jonchaient le sol du Parc Astrid, le marché annuel d'Anderlecht et son concours de bétail envahissant les rues et les placettes. Dans nos fossés et sur nos talus on brûlait des herbages, répandant leur âcre odeur de mousse et de ronces consumées. Les yeux piquaient et pleuraient l'été fini, ainsi qu'une certaine innocence. Une odeur de gravats et de mort y est maintenant associée à jamais, et on brûle des exemplaires du Coran.

09 septembre 2010

La lueur du jour

"Je ne crois à rien
autant
qu'à la fin de la nuit
et à celle du jour."
Abbas Kiarostami.
Marie est morte durant sa sieste. Elle y aspirait, le chemin était parcouru. Elle l'a fait à pied, parfois sur les genoux, maintenant elle peut enfin voler.

Lu dans:
Abbas Kiarostami. Avec le vent. P.O.L. 2002. 248 pages. Extrait p.225.

08 septembre 2010

Des femmes et des chiens

"Mais les chiens
C'est beau comme des chiens
Et ça reste là
A nous voir pleurer
Les chiens
Ça ne nous dit rien
C'est peut-être pour ça
Qu'on croit les aimer."
J. Brel . Les filles et les chiens
A prendre au second degré (voire au troisième) sans doute, mais l'opinion de cet André m'a fait sourire dans l'auto ce matin. Il fait partie de ces célibataires de plus de 50 ans qui préfèrent définitivement (?) les chiens aux femmes car en ce qui concerne ces premiers:
  1. plus vous rentrez tard, mieux ils vous accueillent
  2. ils ne s'inquiètent pas si vous les appelez parfois par un autre nom
  3. ils aiment quand vous laissez traîner plein de choses par terre autour du lit
  4. les parents du chien ne viennent jamais en visite
  5. trouvent normal que vous haussiez la voix pour vous faire comprendre
  6. ne vous font jamais attendre, mais sont prêts 24 heures sur 24
  7. vous trouvent drôle quand vous êtes saoul
  8. aiment la chasse et la pêche
  9. ne vous réveillent pas la nuit en vous demandant "si je meurs, est-ce que tu vas prendre un autre chien?"
  10. s'ils ont des bébés on peut mettre une annonce dans le journal et les donner
  11. se laisseront docilement mettre un collier à clous au cou sans vous traiter de pervers
  12. ne s'offusquent pas s'ils reniflent sur vous l'odeur d'un autre chien mais trouvent cela intéressant
  13. s'ils vous quittent un jour n'emportent pas avec eux la moitié de votre ménage
Oufti. En voilà un qui semble parler d'expérience.

Entendu sur "Tout autre chose", La Première, 8.9.10 (10-11h), Le célibat après 50 ans

07 septembre 2010

Sagesse des mythes

"Rien n'est humain qui n'aspire à l'imaginaire."
Romain Gary

Une nuit de mai 82, Romy Schneider meurt dans son appartement parisien, par accident ou par suicide. Elle a 43 ans. Le juge d'instruction décide de ne pas demander d'autopsie, "ne pouvant se résoudre à envoyer Sissi à l'Institut médico-légaL" Ce qui en d'autres circonstances passerait pour une faute professionnelle, lui est pardonné tant est puissante la force des mythes.

Lu dans:
Nancy Huston. L'Espèce fabularice. Babel. 2008. 198 pages. Exergue.

06 septembre 2010

Sagesse de l'errance

"J'avance (..)
Mes chaussures sont ma patrie."
A Jodorowsky

Lu dans :
Pierres du Chemin. Alejandro Jodorowski. Le Veilleur & Maelström. 2004. 140 pages. Extrait p.19

02 septembre 2010

L'immense beauté du monde

"Il est plus de merveilles en ce monde que n'en peuvent contenir tous nos rêves."
S. Tesson citant Shakespeare
Si l'année a repris, les images de vacances ne sont jamais loin. Comme celle d'Izumi Tateno, le pianiste japonais et ses cinquante années de carrière, jouant à Saint Félix-Lauragais devant un public conquis dans un vieux cellier aménagé pour la circonstance. Victime en scène à la fin d'un récital d'une attaque cérébrale qui le laisse paralysé du côté droit, il a repris sa tournée en jouant seulement avec sa main valide. Un nombre de nouvelles œuvres ont été écrites pour lui par des compositeurs japonais, finlandais, argentin, contemporains qui ont été touchés par son énergie. Moment magique d'une rencontre entre un vieil homme ému et son public fidèle pour lequel il a traversé l'océan, partageant sa musique tard dans la nuit.

Autre jour, autre émotion. Recevoir comme un cadeau le jeu intimiste de l'organiste Fernande Desplats, titulaire de l’orgue de Saint Félix (1781, restauré en profondeur il y une vingtaine d'années) sur lequel elle veille avec un soin jaloux. Elle nous a concocté une visite privée, gratuite sur une simple demande, de l'instrument endormi dont l'histoire raconte celle de la France. Un monceau de partitions d'époque débordent négligemment d'une banale armoire en bois vermoulu, n'intéressant personne. Se trouver seuls face à tant de beauté fait frissonner, tout comme l'interprétation qui nous sera faite ensuite de la cantate BWV 147 - Jésus que ma joie demeure de JS Bach. Elle propose de descendre dans la collégiale, de nous placer à un endroit précis devant le choeur et de laisser parler en nous le silence. Jamais silence ne fut rompu par une beauté si intense, interprétée par une âme pure et passionnée qui miraculeusement a croisé notre route.

Ce soir je relis Sylvain Tesson décrivant ces nomades "sans tarentelle ni transhumance, qui ne conduisent pas de troupeaux et n'appartiennent à aucun groupe mais qui se contentent de voyager silencieusement, pour eux-mêmes et parfois en eux-mêmes. On les croise sur les chemins du monde. Ils vont seuls avec lenteur sans autre but que celui d'avancer dans le sillon de leur passion". Quelle merveille que d'en rencontrer.

Lu dans:
Sylvain Tesson. Petit traité sur l'immensité du monde. Editions des Equateurs 2005. 170 pages. Extrait pp 14 et 100

Beau au crépuscule

"Dans son fameux jardin blanc, Vita Sackville-West se promenait le plus souvent au crépuscule ou sous la lune.
Ce mélange de fleurs blanches et de feuilles argentées paraît, en effet, plus grandiose encore sous la lune que sous le soleil."

Les crépuscules de la vie recèleraient eux aussi bien des merveilles. J'ai vu ce matin une patiente, alitée depuis une semaine par un méchant mal au dos, pleurer de bonheur en évoquant les soins que lui prodiguait son mari. Soixante-huit ans de mariage, non exempts de coquineries et de sensualité évoquées sans honte, ont rendu les gestes les plus anodins lourds d'une tendresse infinie. J'ai posé ma trousse sur le lit, écouté plus longuement que de coutume et pris une solide leçon de vie.

Lu dans:
Le chant des couleurs. Momento La Libre 28 août 2010. page 7.

Le meilleur de septembre

"Déjà plus d'une feuille sèche
Parsème les gazons jaunis;
Soir et matin, la brise est fraîche,
Hélas les beaux jours sont finis !"
Théophile Gauthier, Emaux et camées, 1852.
Une âcre odeur de broussailles brûlées réveille soudain en moi une moisson d'images de premier septembre. Hier matin les brumes au sol dans le Brabant flamand m'ont dessiné le plus beau des levers de soleil qu'il m'ait été donné d'admirer ces deux derniers mois. Une cloche sonne la fin des vacances, j'ai à nouveau cinq ans et demi et découvre ébahi une cour concentrationnaire: mon collège pour douze ans. L'aurai-je aimé? Je ne puis toujours le dire un demi-siècle plus tard, mais ce premier septembre signera à jamais la fin d'une insouciance. Bon anniversaire de 50 ans à ma soeur Anne, dont notre papa nous apprit la naissance au retour du premier septembre 1960: cette année scolaire-là ne serait pas comme les autres, et c'est sans doute ce jour-là que j'associai définitivement le parfum des herbes mortes se consumant à l'image du bonheur.

28 juin 2010

un peu de craie dans l'encrier

"Il était quatre heures et quart
Et l'on tournait les pages
Et puis tout s'effaçait
Comme s'il y avait un peu de craie
Dans l'encrier"
Cathérine Lara
La grande transhumance a commencé. Que restera-t-il dans 48 heures de tous ces mots écrits à la craie une année durant, si ce n'est une cote laconique sur un document officiel? Sans doute un ou deux visages de prof ou de copain se détachant du lot, deux ou trois paroles inscrites pour la vie, l'un ou l'autre souvenir d'ambiance, ou de punition. L'année scolaire nous imprime son rythme à tous, nous raccrochant à des souvenirs d'enfance heureux ou malheureux, jamais insignifiants. M'est revenu hier le souvenir d'un arrêt de bus dans une allée bordée de cerisiers du Japon, mon cahier de version latine sous le bras. Nous avions matinée de handball interclasses ce jour-là, ce que je détestais. L'année scolaire avait connu un début, des épreuves et se dirigeait vers sa fin. Elle nous permettait à chacun de nous construire une histoire, heureuse ou malheureuse, à laquelle nous nous référons encore.

Vacances scolaires aussi pour ces modestes pensées entre café et journal. On va lire, rêver, faire du vélo, faire la pause. Effacer la craie de l'écran de nos PC et le remplacer par la fenêtre ouverte sur le jardin. Bonnes vacances.

CV.

27 juin 2010

Des racines et de l'eau

"Parler de la pluie et du beau temps n'a pas la même signification pour le jardinier que pour le commun des mortels."

"Habituer les plantes à se débrouiller toutes seules le plus vite possible est une vraie bonne idée. Il suffit de ne pas arroser trop souvent, cela les oblige à former des racines plus profondes. Un arrosage superficiel et répétitif privilégie un développement des racines en surface ce qui les rend plus sensibles à la sécheresse." Ce qui serait une autre vraie bonne idée: organiser une session de jardinage sur terrain réel pour les futurs parents et grand-parents en attente de naissance. On a tant à apprendre des plantes.

Lu dans:
Marie Noelle Cruysmans et Marie Pascale Vasseur. Histoire d'eau. Momento La Libre samedi 26 juin 2010. page 8.

25 juin 2010

Heureux comme le borgne

"Je tenais à vous remercier: suite à votre intervention, je suis reconnue pathologie lourde jusqu'en 2013."


Médecin, accessoirement avocat pour trouver la faille juridique imparable dans les règlements qui attribuent les statuts maladifs. Cette patiente aura droit à un remboursement préférentiel de sa kiné, activité qu'elle déteste au demeurant, mais comme il s'agit d'un droit acquis, elle ne s'en privera pas. "Heureux comme un malade, lourd de surcroît": nos critères de bonheur se sont décidément fort déplacés au tableau de bord de nos existences. La "sécurité sociale" constitue sans aucun doute un des acquis majeur des dernières décennies, mais peut parfois ralentir la guérison, allez comprendre.

24 juin 2010

Le royaume de l'autre

"Chacun s'invente l'autre et le garde dans son royaume."
Philippe Delerm

Lu dans:
Philippe Delerm. La cinquième saison. Rocher Littérature. 1983. 123 pages. extrait p. 100

Faire son miel du presque rien

"Il faut d'abord mouiller la feuille. Après seulement tu peux commencer le dessin."
Philippe Delerm


Pour réussir une aquarelle, l'eau est essentielle que ce soit sur le papier ou les larmes dans les yeux. Audition douce-amère ce matin, à la faculté. De jeunes médecins candidats en spécialité, refusés au concours de leur choix, viennent plaider leur dossier pour être repris en médecine générale. Pour d'aucuns, une véritable punition: rêvant depuis des années de guérir les yeux, les cordes vocales ou les artères coronaires, ils se voient réduits à ne soigner que le reste. En France, certains en arrivent à recommencer une année entière en espérant mieux se classer et échapper à ce qui leur apparaît comme un envoi vers l'Hadès. Comme me le résume un ex-candidat en médecine physique: "J'ai tenté ma chance car qui ne risque rien n'a rien." Il a raté, entre les lignes on comprend qu'à ses propres yeux "il n'a rien" ... si ce n'est la perspective de pratiquer le métier de généraliste toute sa vie. Deux ou trois fondent en larmes en tendant leur lettre de motivation, et je me remémore le dessin féroce de Plantu à la Une du Monde croquant le retour d'un jeune généraliste avec sa trousse chez ses parents en pleurs : "tu as vu l'état dans lequel tu as mis ta mère en choisissant la générale." Meurtris, ils tentent tant bien que mal de s'insérer dans le groupe des futurs médecins généralistes ayant fait ce choix librement parfois depuis plusieurs années, et s'étant préparés durant toutes leurs études à ce qui constitue leur premier choix. De l'importance de réaliser ses rêves...

Au retour, je retrouve avec bonheur mon cabinet inondé de soleil, son désordre, son odeur d'encaustique mêlée de sueur et les patients qui se sont installés familièrement dans la salle d'attente. Quatre heures et dix consultations plus tard, paisibles, chaleureuses, rires et larmes, maux et guérisons, je m'accorde un moment de méditation bercé par l'angélus de Saint Guidon tout proche: la soirée peut commencer, ma tâche est finie pour ajourd'hui. Une fois de plus, il m'aura fallu me contenter comme me l'ont rappelé avec une cruauté involontaire mes étudiants ce matin d'être celui "qui ne connaît presque rien sur tout", même si comme le suggérait Raymond Devos "presque rien c'est déjà quelque chose". Le bonheur que m'aura apporté ce presque rien durant tant d'années est difficile à partager, et pourquoi d'ailleurs convaincre? Le bonheur est une expérience intime.

Lu dans:
Philippe Delerm. La cinquième saison. Rocher Littérature. 1983. 123 pages. extrait p. 122

23 juin 2010

Sagesse d'une météo bienveillante

".. un ciel serein, quelques voiles nuageux élevés, d'agréables périodes ensoleillées alternant avec des passages nuageux inoffensifs, un vent faible basculant au nord avec des maxima de 20 à 27 degrés. La nuit prochaine, les nuages se dissiperont au courant de la soirée et seuls quelques voiles élevés se maintiendront. En deuxième partie de nuit, des nuages inoffensifs gagneront le pays par le littoral."
Sagesse de la météo ce 23 juin 2010

Cela devrait aller ! Il reste à voir ce que nous pourrons en faire.


22 juin 2010

S'émerveiller de l'ordinaire

"Maintenant on applaudit l'avion."


Baptême de l'air pour l'aîné de nos petits ce weekend. Applaudissements nourris à l'aller pour saluer un atterrissage en douceur après une descente chahutée. Au retour, descente banale et posage banal sur le tarmac , rien à saluer en somme jusqu'à ce que d'une voix inattendue il intime: "et maintenant on applaudit l'avion", aussitôt suivi de vivats unanimes. S'émerveiller est un don.

20 juin 2010

Le solstice d'été

"La solidité de la corde qui relie et sécurise des alpinistes ne dépend pas de la qualité des relations qu'ils vivent entre eux."
A. Lequeux
Je lis ce matin que la relation n'est pas le lien, ces deux termes n'étant en rien synonymes. Quand bien même deux alpinistes encordés se détesteraient, la corde entre eux apportera toujours une sécurité bien supérieure à toute entente cordiale non encordée. Le lien serait l'élément stable alors que la relation fluctue. I1 en est ainsi pour la filiation comme pour le couple, ou du moins ce l'était jusqu'à une époque récente où la qualité de la relation semble avoir résolument pris l'ascendant sur la stabilité du lien: la corde oui, mais avec un mou suffisant pour que l'encordé effectue les rétablissements périlleux sans aide ni contrainte.La primauté du lien sur la relation est un mouvement pendulaire.

Qu'en de mots clairs ces choses sont dites, démenties parfois par les récits de vie. De très vieux couples que je rencontrai dans ma pratique de médecin m'ont confié "si vous saviez comme on s'attache l'un à l'autre en vieillissant". La confusion des termes est dans ce cas totale, car ce qui s'exprime ici est bien l'approfondissement des sentiments, et non le lien légal qui unit les vieux amants, alors que paradoxalement la mélopée fétiche des couples libres post 68 portait le joli nom "je t'aime moi non plus". D'un côté attachement est le mot le plus juste trouvé pour décrire la relation amoureuse, de l'autre le préalable de liberté ne suggère pour autant pas une affection sans borne.

Tout se dit donc, tout s'écrit et son contraire. Au solstice d'été (nous y sommes, pour les distraits), la Terre dans l’hémisphère Nord se trouve au plus loin du Soleil. Deux de nos enfants son nés à ce moment, dont Benoît le 21 juin (bon anniversaire Ben!). Le soleil était dans nos coeurs, plus proche de nous que cela tu meurs. Bien des saisons ont coulé sous les ponts de nos vies, et je peux écrire aujourd'hui que si les saisons ont tout à voir avec la distance entre le Soleil et la Terre, elles n'ont rien à voir avec sa chaleur, ni avec le mystère du bonheur. Nos enfants, nés l'hiver, nés l'été, nous ont appris que la qualité d'une course en montagne dépend autant de la qualité du lien que de la relation qui unit les encordés: si le senti-ment souvent le raisonnable-ment aussi.

Lu dans :
Armand Lequeux. La relation n'est pas le lien. La Libre Belgique. Supplément Momento du 19 juin 2010. page 3

Je nous connais

Nul ne peut dire à autrui: "Je te connais."
Il convient de dire: "Nous nous connaissons. La connaissance est réciproque ou elle n'est pas."
Proverbe peul.

Placé en exergue du superbe ouvrage de F. Neyt "Fleuve Congo", ce proverbe résume admirablement la démarche de l'exposition du même nom qui s'ouvre ce lundi 21 au musée du Quai Branly à Paris (du 22 juin au 3 octobre 2010). Sans aucun doute un des plus beaux ouvrages, tant sur le plan iconographique que du contenu, que j'ai eu l'occasion d'avoir entre les mains et de parcourir. La simple beauté des masques africains a été une découverte.
François Neyt. Fleuve Congo. Ed. Musée du Quai Branly. Fonds Mercator. 2010. 410 pages

16 juin 2010

Des bateaux et des rêves

"D’ordinaire, on ne retient des voyages que leur destination, alors qu’ils ont, d’abord, des sources. Ce sont elles que je veux dire. [...] Les bateaux ne partent pas que des ports, Jérôme, ils s’en vont poussés par un rêve."
E. Orsenna.


Me revient l'image de ce jeune patient qui rêvait de devenir Américain et pilote de long-courrier. Il devint l'un et l'autre. Il rêvait aussi des femmes, qui le ruinèrent et parvinrent à anéantir ses deux premières passions, mais ceci est une autre histoire. Cette nuit, faites de beaux rêves.

Lu dans:
L'Entreprise des Indes. Erik Orsenna. Stock et Fayard. 2010, 391 pages.

14 juin 2010

Des fleurs

"En automne, je récoltai toutes mes peines et les enterrai dans mon jardin. Lorsque avril refleurit et que la terre et le printemps célébrèrent leurs noces, mon jardin fut jonché de fleurs splendides et exceptionnelles."
Khalil Gibran. Le Sable et l'écume

On peut imaginer un monde sans fleurs, sans papillons, sans marchés de Provence. Mais y serons-nous mieux? Je lis ce matin que quelque part dans le Maryland se pratiquent de curieuses expériences. Quand trois personnes se présentent à la porte d'un ascenseur, on donne à l'une un bouquet, à l'autre un stylo de marque, rien à la troisième. Celle qui reçoit les fleurs est d'humeur joyeuse pour faire le trajet vers les étages et n'arrête de parler, les deux autres ne voient pas leur comportement habituel modifié. Fleurissez une pièce, et jetez-y à y à terre un papier de caramel mou. Il se verra aussitôt ramassé, au contraire de la pièce voisine non-fleurie où quelqu'un parviendra peut-être bien à cracher le caramel lui-même par-dessus. Soumettez un auditoire à une session d'exercices de maths difficiles et mesurez les paramètres de stress des candidats (moiteur des mains, chaleur des extrémités, tics). Faites de même en ajoutant aux exercices la projection de mains réalisant inlassablement un bouquet: les indices de stress diminuent. J'aime imaginer, par-delà la beauté et l'arôme des fleurs utilisées, que des équipes sérieuses de chercheurs puissent se concerter pour imaginer d'aussi agréables expériences.

13 juin 2010

Le chêne ou le sapin

"Toute vie est une affaire de choix. Cela commence par: la tétine ou le téton. Et cela s'achève par : le chêne ou le sapin?"
Pierre Desproges.
Petite sagesse pour un matin d'élections. Poésie des rues réinvesties par des badauds endimanchés dès l'aube, du brassage des classes sociales dans le préau de la grande école communale, des voisins qui se reconnaissent et se congratulent, de connaissances perdues de vue depuis vingt ans, du bureau de vote présidé par une équipe de cinq femmes (si si), de patients qui avec un clin d'oeil me suggèrent pour qui voter, de la policière débonnaire en faction à l'entrée du bâtiment. Si le scrutin n'existait pas, à coup sûr il faudrait l'inventer: même imparfait, cela demeure un superbe exercice de démocratie pour accéder au pouvoir.

Je vous souhaite un bon dimanche

CV
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11 juin 2010

Sagesse d'une vie

"Le bonheur repose sur le malheur, le malheur couve sous le bonheur. Qui connaît leur apogée respective ?"
Lao Tseu
Sagesse millénaire. Ce soir devait être inoubliable pour Nelson Mandela qui avait projeté d'assister au match d'ouverture de la Coupe du monde de football. Son arrière petite-fille, 13 ans, a trouvé la mort hier dans un accident de voiture après avoir assisté au concert célébrant le début du Mondial. La jeune fille venait de célébrer son anniversaire deux jours auparavant et était reconduite par un parent sous l'emprise de la boisson qui a été arrêté pour homicide. Double peine, à la perte de l'enfant s'ajoute la culpabilité implicite de compter le responsable parmi ses proches. Vu de loin que les choses s'écrivent simplement, même s'il faut ne jamais avoir vécu un événement historique de l'intérieur pour juger aussi rapidement d'une situation aussi banale. Il nous reste à méditer Claude Roy, lequel conseillait de ne jamais juger du bonheur d'une existence sans en avoir connu la fin.

10 juin 2010

De la chenille au papillon

"Je rêve ! Nous voulons dire au monde que cette chenille laide, si laide, que nous étions, est devenue ce papillon si joli, si joli ! »
Desmond Tutu, ancien archevêque anglican du Cap et prix Nobel de la Paix, venu manifester sa joie à Soweto de voir l’Afrique du Sud accueillir le Mondial, le premier jamais organisé sur le continent.africain.

Comment ne pas vous partager l'émotion ressentie à la vue de ces images de la nation arc-en-ciel, où Aline, Benoît et leur petite Jeanne née sur-place, viennent de passer deux années (à Jo'burg). Pays qu'ils ont sillonné dans tous les sens, apprécié à sa juste mesure et qu'ils nous ont fait aimer lors d'un voyage sur-place. Ils plient maintenant peu à peu leurs bagages en vue du retour au pays natal. Un dernier hymne, de nouveaux vivats, des images en surimpression de Nelson Mandela, une chorégraphie multicolore à donner le tournis me laissent sur une impression de bonheur tranquille. Les infos radio de Vivacité en fin de soirée fêtent l'événement par un astucieux fondu enchaîné musical débouchant sur un simple "Ici Aline Gonçalvez, qui vous parle du stade de Soheto". La voix chère modulée par les caprices d'une tranmission en direct me parvient dans la cuisine. Je n'en crois pas mes oreilles. Inattendue, inentendue à la radio depuis deux ans pour permettre à notre fils de poursuivre un vieux rêve professionnel et donner vie à une petite fille, Aline est de retour et de quelle manière: j'en ai eu la chair de poule. Chaque jour peut nous réserver son moment inattendu de bonheur, je viens de le connaître.

Je vous souhaite une bonne semaine
CV.

De la création et mille autres choses

"Comment faire bien quelque chose qui n'a jamais été fait?"
W. Forsythe


Quand ai-je fait quelque chose qui n'ait jamais été fait, dit ou pensé mille fois auparavant par d'autres, reproduisant à l'infini des concepts pensés pour moi? Qu'est-ce qui m'appartient vraiment dans mon discours quotidien qui n'ait été formaté au préalable par les infos, la presse, le discours politique ambiant et que je ne fais que reproduire comme un singe savant? Insensiblement, mon existence est devenue un couper/coller dans lequel ma capacité de créer s'émousse, et dans tous les domaines: ce que je mange, ce que je bois, ce que je dis, ce que j'enseigne, ce que je prescris, ce que je j'écris, ce que je pense. Mon agenda est écrit par d'autres. Or gît en nous une infime part d'inédit, de créable, d'inventable qui ne veut pas mourir et qui demande à être arrosée jour après jour. Aujourd'hui j'invente quelque chose. Beau défi pour les enseignants qui entament la période d'évaluation des connaissances de leurs étudiants, et de leur capacité à recréer le monde de main.



Lu dans:
Wylliam Forsythe est chorégraphe, Lion d'Or de la Biennale de Venise 2010
Un cygne venu d'Australie. Jean Marie Wynants. Le Soir du 10 juin 2010. p.39

09 juin 2010

Bruxellles ville tragique

«Varkens die kakken in de bak waarin ze eten »
Bart De Wever, évoquant les intellectuels flamands critiques vis-à-vis de leur région
Propos polémiques: comme le souligne Jacques De Decker, qu'en termes élégants ces choses-là sont dites. Sans ses auteurs, il n'y aurait pas eu de Flandre, à l'instar d'Hendrik Conscience, Jan-Frans Willems, August Vermeylen ou Hugo Claus qui ont fait et décrit la Flandre qu'on aime tout en demeurant sa conscience malheureuse et devenant parfois ses premiers imprécateurs. La récente polémique est suscitée par un article du Morgen dans lequel Erwin Mortier (auteur de Godenslaap, lauréat du prisé Akoprijs) affirme que «la Flandre est très exercée dans le refoulement de tabous historiques », déplorant le manque de contrepoids à la rhétorique nationaliste et voyant en Bruxelles « une ville tragique, enfermée par la fureur territoriale des Flamands où l'on peut se représenter à quoi Babel ressemblait après l'effondrement de la tour."

Une semaine plus tard, Tom Lanoye, autre auteur flamand talentueux (dans un entretien avec Yves Desmet) confie dans le même journal que «nous sommes en train de chipoter dans notre réformisme d'Etat nombriliste, et il y en a qui sont littéralement convaincus que la réponse à la crise mondiale d'un système se résume à la proclamation d'une république flamande. » Il dénonce par ailleurs le crédit prêté au sein de la N-VA aux idées de Théodore Calrymple, fils spirituel de Mme Thatcher, qui professe que « les pauvres n'ont qu'à s'en prendre à eux mêmes", et que « les allocations les privent de leurs propres responsabilités ».

Samedi soir, nous écoutions avec émotion Scala, la chorale féminine d’Aarschot interpréter Pierre Rapsaet en français au Concertgebouw de Bruges. Flandre pas si homogène qu'on imagine, Belgique pays compliqué quand même, multiple, de lecture difficile à quatre jours d'élections surréalistes.


Lu dans:
Cochons d'écrivains. Jacques De Decker. Supplément Les Livres. Le Soir du vendredi 4 juin 2010. page 41.