18 octobre 2010

La prison du moi

"Lear, apprends à mieux voir."
W. Shakespeare.
C'est l'histoire d'un père qui rentre de la guerre où il a passé de longues années. Quand il revient chez lui, il trouve ses enfants à la maison qui n'ont cessé de l'attendre, sont fous de bonheur et lui font fête. Mais la mère n'est pas là. Le prisonnier parvient à se convaincre qu'elle lui a été infidèle. Il reprend le chemin de la gare, suivi de ses enfants en pleurs qui lui jurent que leur mère travaillait pour subvenir à leurs besoins, et qu'elle a, elle aussi, passé toutes ces années à pleurer et à l'attendre. Le train arrive en gare. Il monte, et les petits courent en pleurant après le train qui s'en va. Le soldat ne peut plus quitter sa prison intérieure. La loyauté, l'amour, la chaleur d'un foyer lui sont interdits après les violences de la guerre. Au retour impossible à la liberté et à la vie antérieure, il préfère le retour au malheur de la solitude et de l'enfermement.

Fiction? La nouvelle de Platonov (Le Retour) est sans doute plus réelle que les récits de survivants qui souvent se sont tus sur ces drames vécus. L'enfermement parfois était facilité par une réalité plus évidente que dans le récit de Platonov. Un de mes patients revint de captivité le coeur plein de craintes et de joie. Sonnant chez lui, il entrevit que dans son fauteuil était assis son meilleur ami. Il fit demi-tour sans même entrer et s'en souvenait encore après un demi-siècle d'errance. Ce matin même, une patiente octogénaire me confiait qu'il est aujourd'hui difficile d'imaginer tout ce qui put se passer durant les quelques semaines qui suivirent la libération et le retour des camps, période troublée où tous les critères moraux volèrent en éclat, ouvrant la boîte de Pandore des passions humaines soudain déchaînées. Elle-même "s'enfuit", me dit-elle, au bras d'un bel Italien avec qui elle vécut huit ans de vie conjugale sans histoire ... pour l'abandonner sans raison valable aussi soudainement qu'elle l'avait suivi. Cinquante ans plus tard, elle ne comprend toujours pas.

Lu dans :
Thérèse Delpech. L'appel de l'ombre. Grasset. 174 pages. Extrait p 151

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