"L'oubli, c'est ce qu'on a trouvé de mieux pour les secrets. Ce n'est pas de la lâcheté, c'est juste la voix de la vie. Ecoute-moi bien parce que je vais te donner le vrai secret: la mémoire est pour les morts ou les mourants, l'oubli est pour les vivants. C'est valable pour les peuples comme pour les individus."
Fabrice Humbert
Etrange réflexion, que l'auteur d'un superbe roman prolonge en distinguant l'oubli de l'ignorance "tout savoir pour oublier, parce que la vie est dans l'oubli et pas le ressassement." Comment ne pas évoquer Irénée Funes (de Borges) qui, suite à un accident de cheval, a perdu la capacité d’oublier. Il retient tout, sans tri, sans filtre, « j’ai à moi seul plus de souvenirs que n’en peuvent avoir eu tous les hommes depuis que le monde est monde » mais désordonnée, « ma mémoire, monsieur, est comme un tas d’ordures ». Prisonnier de sa propre mémoire, Funes absorbe tout et retient tout sans pouvoir ordonner cette fantastique accumulation. Arrivé à un certain point, il décide de ne retenir que l’essentiel et d’essayer de réduire ce qu’il retient, de prioriser. Mais cette tâche s’avère impossible : « Il décida de réduire chacune de ses journées passées à quelques soixante-dix mille souvenirs, qu’il définirait ensuite par des chiffres. Il en fut dissuadé par deux considérations : la conscience que la besogne était interminable, la conscience qu’elle était inutile. Il pensa qu’à l’heure de sa mort il n’aurait pas fini de classer tous ses souvenirs d’enfance ».
Ne sommes-nous pas entrés insensiblement dans un processus pathologique du même ordre qui un jour nous empêchera de penser, ou d'ordonner nos connaissances professionnelles? Une réflexion pédagogique sur l'acquisition du savoir paraît urgente, mais pas nécessairement admise. Au quotidien, l'accès permanent "à l'entièreté des connaissances de l'univers", triée avec toutes les apparences de l'objectivité - un leurre commercial mais laissons aux innocents leurs illusions - par Google, ne fait-il pas de nous des Funes en puissance?
Quant à la faculté d'oubli nécessaire pour surmonter les blessures d'enfance, les secrets de famille, les humiliations fondatrices, la vie de tous les jours nous en apporte suffisamment de preuves vivantes. D'aucuns soulignent volontiers avoir une mémoire d'éléphant pour les dols subis, on ne saurait les envier.
Lu dans:
Fabrice Humbert. L'origine de la violence. Le Passage éditions. Le Livre de Poche 31750. 345 pages. Extrait page 255.
Fabrice Humbert. L'origine de la violence. Le Passage éditions. Le Livre de Poche 31750. 345 pages. Extrait page 255.
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