«(..) je ne puis comprendre qu'un monsieur puisse employer trente pages à décrire comment il se tourne et se retourne dans son lit avant de trouver le sommeil.»
« Au bout des sept cent douze pages de ce manuscrit, après d'infinies désolations d'être noyé dans d'insondables développements et de crispantes impatiences de ne pouvoir jamais remonter à la surface, on n'a aucune notion de ce dont il s'agit. Qu'est-ce que tout cela vient faire? Qu'est-ce que tout cela signifie? Où tout cela veut-il mener? Impossible d'en rien savoir ! Impossible d'en pouvoir rien dire! "
Ces commentaires peu acerbes témoignent de l'accueil mitigé unanime  réservé par les éditeurs  à Proust après lecture de A la recherchedu  temps perdu, ce qui l'amena à publier son premier livre à compte  d'auteur. Sept ans plus tard, son oeuvre était acclamée de partout. Un  an après la naissance de Proust, Claude Monet exposa une toile intitulée  Impression, soleil levant. Elle représentait le port du Havre à l'aube,  et laissait distinguer, à travers un épais brouillard matinal et une  forêt de coups de pinceau d'une rare violence, les contours d'un  littoral industriel encombré de grues, de cheminées d'usines et de  bâtiments. Pour la plupart de ceux qui la virent, la toile était un  fouillis indescriptible. Elle irrita en particulier les critiques de  l'époque, qui collèrent au peintre et au groupe hétéroclite auquel il  appartenait l'étiquette péjorative d'« impressionnistes», insinuant que  Monet maîtrisait si mal les aspects techniques de la peinture que tout  ce qu'il avait été capable de produire était un gribouillis enfantin,  qui n'avait pas grand-chose de commun avec l'aspect réel de l'aube au  Havre. Le contraste avec le jugement du monde de l'art, quelques années  plus tard, aurait difficilement pu être plus grand. Il semblait non  seulement que les impressionnistes fussent, après tout, capables de  tenir un pinceau, mais aussi que leur technique fît merveille pour  capter une dimension de réalité visuelle négligée par leurs  contemporains moins doués.
Notre notion de la réalité est souvent décalée  par rapport à la réalité elle-même, car trop souvent préformée de  conceptions inadéquates et trompeuses, à la différence des artistes qui  se sont libérés des représentations traditionnelles antérieures pour  s'intéresser au plus près à leurs seules propres impressions.
Lu dans:
Alain de Botton. Comment Proust peut changer votre vie. Flammarion 2010. J'ai lu. N° 9399. 220 pages. Extraits pp. 112-114
 
 
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