22 septembre 2010

Rites et routines

"Konrad Lorenz, qui passe pour être le fondateur de l'éthologie, observe qu'une colonie d'animaux dont le gîte se situe en un lieu précis et qui a pris l'habitude de rejoindre un point d'eau vital en empruntant un certain trajet - parfois très long et sinueux alors que cette source se trouve presque contiguë à leur gîte - ne modifiera pourtant ce trajet ritualisé qu'au cas où l'un des représentants du groupe, glissant accidentellement le long d'une traînée boueuse, par exemple, et réalisant la proximité du lieu, ouvre pour la communauté ce chemin plus direct. Cependant, la colonie, contrariée dans son rituel, connaît alors une sorte de malaise existentiel et il n'est pas rare qu'après l'avoir adoptée pour un temps, elle abandonne cette commodité pour retourner à ses anciennes habitudes.
(..)
Or on raconte que le professeur Lorenz - qui avait pris l'habitude, marchant à pied depuis son domicile, d'emprunter un certain trajet, assez tortueux, passant par des lieux consacrés qu'il affectionnait, arrivait régulièrement avec quelques minutes de retard à ses cours de l'Institut Max Planck à Munich. Ses étudiants lui suggérèrent un jour un trajet plus direct et plus rationnel qu'il essaya d'adopter jusqu'à ce
que ceux-ci, prenant conscience que le maître devenait de plus en plus maussade et irritable, le persuadent de revenir à son chemin antérieur. Ce sur quoi le professeur recouvra sa bonne humeur coutumière. "
L'histoire est presque trop belle et paraît tirée des douze contes merveilleux de la Reine Fabiola. Il n'empêche qu'elle repose la question des comportements rituels et de nos routines intellectuelles qui, elles, ne prêtent pas toujours à sourire.

Lu dans :
Denis Grozdanovitch. L'art difficile de ne presque rien faire. Denoël 2009. Folio 5112. 355 pages. Extrait pp.143-145

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