02 février 2025

Sagesse de de Tocqueville

 "Ce qui jette le plus de confusion dans l’esprit, c’est l’emploi qu’on fait de ces mots : démocratie, institutions démocratiques, gouvernement démocratique. ./.. Nos contemporains sont incessamment travaillés par deux passions ennemies: ils sentent le besoin d’être conduits et l’envie de rester libres. Ne pouvant détruire ni l’un ni l’autre de ces instincts contraires, ils s’efforcent de les satisfaire à la fois tous les deux. Ils imaginent un pouvoir unique, tutélaire, tout-puissant, mais élu par les citoyens. Ils combinent la centralisation et la souveraineté du peuple, se consolant d’être en tutelle, en songeant qu’ils ont eux-mêmes choisi leurs tuteurs et que ce n’est pas un homme ni une classe, mais le peuple lui-même qui tient le bout de la chaîne. » 

                        Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1835-1840


Plaisir de relire des extraits de "De la démocratie en Amérique" d'Alexis de Tocqueville, dont certaines lignes feraient de bons éditoriaux actuels.  D'un court séjour de dix mois aux Etats-Unis, il tire une analyse du système démocratique, de ses vertus et de ses risques, ouvrage qui connaît un immense succès à sa publication en 1835. Cela lui vaut d'être élu à l'Académie des sciences morales et politiques à seulement trente-trois ans, puis à l'Académie française à trente-six. Élu à l'Assemblée législative de 1839 à 1849, il est occupe les fonctions de ministre des Affaires étrangères et de président du conseil général de la Manche, à la tête duquel il reste jusqu'en 1852. Adversaire déterminé du régime issu du coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte, il démissionne à cette date, refusant de prêter serment au nouvel empereur, se retire de la vie politique et consacre les cinq dernières années de sa vie à la réflexion. 


Lu dans: 
Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique. 1835-1840.

31 janvier 2025

So long Marianne

 

"Quand vient le soir
je m'assied et regarde les enfants
jouer, rire et babiller
sans moi qui retiens mes larmes.
Mes richesses ne peuvent donc tout acheter
ni me rendre ces choses que j'aimais tant faire avant
et ne peux actuellement plus que regarder."
                    Marianne Faithfull . As Tears Go By



Marianne Faithfull s’est éteinte paisiblement à Londres aujourd’hui, en compagnie de sa famille. Une voix éraillée s'est tue, qui racontait une vie d'excès, d'alcool, de tabac, de drogues dans la contre-culture du Swingin’ London des années 60. Une survivante qui a traversé les enfers pour pouvoir en témoigner, ce qui fit d'elle une icône. Alors qu’on la pensait perdue, Marianne Faithfull fait un retour aussi improbable que réussi, débarrassée de toutes ses addictions, enchaînant la vie, l’art, le théâtre, le cinéma , la chanson et une vie amoureuse qui reste un roman tourmenté. Viennent les soucis de santé, un écroulement sur scène, un cancer du sein, une hépatite C dont chaque fois elle se relève, reprend la scène, retrouve les studios. En 2020, le Covid manque l'emporter, et avec elle la mémoire récente, ne lui laissant que le passé lointain, toutes ces choses qu’on ne saurait oublier.

Lu dans: 
As Tears Go By. Mick Jagger, Keith Richards et Andrew Loog Oldham. Enregistrée d'abord par Marianne Faithfull (single Decca, 1964) à l'âge de 17 ans, puis par les Rolling Stones
Didier Zacharie. Nos larmes coulent pour Marianne Faithfull. Le Soir. 31 janvier 2025

30 janvier 2025

Together

 "Les seniors divorcent comme jamais. En Belgique, les séparations chez les 70-74 ans ont bondi de 81 % en dix ans" 
                Info Le Soir 30 janvier 2025

                        


Surprenante, l'info fait la Une. Les séparations des 70-74 ans ont bondi de 81 % en dix ans, et celles des plus de 75 ans de 41 %, chiffres dignes du pic épidémique de la grippe saisonnière actuelle et des incendies ravageurs de Los Angeles. Cela sent le roussi chez les seniors. et il n'y a pas de vaccin connu. Consolation, à l’inverse les plus jeunes divorcent de moins en moins, surtout parce qu’ils se marient moins. Désespérant? Mais non, mais non. Comme entendu hier soir sur la scène du Public en conclusion de Together, "rester avec toi sans plus rien attendre de toi, c'est déjà une forme d'amour". 


Lu dans: 
Together. Tragicomédie de Dennis Kelly. Théâtre Le Public.

29 janvier 2025

Des géants aux pieds d'argile

 "Au Caire , un égyptologue m'a décrit un de ses plus impressionnants souvenirs de fouilles. L'équipe qu'il dirigeait , ouvrant une tombe, découvrit que des pillards y avaient pénétré des années auparavant . Un glissement de terrain les avait enfermés sans espoir de se libérer. Quand l'air pénétra soudain dans la caverne, les momies et les offrandes restèrent intactes , mais les corps des deux pillards s'écroulèrent en poussière."   

                         


Quand un Petit Poucet crée la panique chez les géants, cela secoue, un véritable entartrage à grande échelle . DeepSeek contre ChatGPT actualise le récit de David contre Goliath. Et met les rieurs de son côté, trop heureux de voir dévisser en 48 heures les juteux marchés liés à l'IA. Les pillards de trésors restent donc vulnérables. Ayant testé sommairement l'outil, on s'interroge néanmoins. L'histoire est si belle, la similitude des écrans de recherche et les performances si semblables, les moyens mis en œuvre si éloignés qu'un doute surgit: et si la raison d'être de DeepSeek était essentiellement de donner un coup de pied dans la fourmilière pour révéler la fragilité des montages financiers de l'IA ?  Dans un monde où la rivalité entre grandes puissances s'exacerbe, la possibilité d'une mystification destinée à fissurer les marchés demeure une hypothèse.



28 janvier 2025

Beauté singulière

"Je me dis : c'est moi qui crée cette merveille, elle n'a jamais existé. Mais la rejoindre, c'est la réinventer. "
                        François Mauriac.



Par-delà La Trinité-sur-mer, là où finit la terre, se découvre un paysage superbe, façonné par le ciel, la mer et les rochers. Qui crée tant de beauté, si ce n'est l’œil qui la regarde, le cerveau qui la recompose au gré de sa propre histoire, de sa culture et de ses émotions? Cerveau qui peut aussi se la réapproprier quand il le souhaite, des années plus tard, image similaire et transformée à la fois par de nouveaux acquis, de nouvelles émotions: le même paysage ne se reproduit jamais à l'identique. Aucune baie, aussi belle soit-elle, ne se perçoit elle-même comme telle, mais la perception du Beau peut se partager. La beauté est ainsi une construction sociale: l'être humain est un atelier de beauté.


Lu dans: 
François Mauriac. Nouveaux mémoires intérieurs. Flammarion. 1993. 515 pages.

26 janvier 2025

Sagesse de François Cheng

 

"Flaque de lumière,
flaque d'eau, (..)
cette brève flamme chasse la lente grisaille
d'un après-midi.
Flaque de lumière,
flaque d'eau,
attirant quelques moineaux : leurs gazouillis
rappellent un instant le bonheur terrestre :
la soif étanchée."
                        François Cheng


Lu dans:
François Cheng. La vraie gloire est ici. NRF. Gallimard. 2013. 162 pages. Extrait p 61

25 janvier 2025

Merci au fruit

 "Tu ramasses le fruit,
le croques à belles dents.
le teint, la senteur,
le jus, la saveur,
dans ton palais
la métamorphose.

Plus que la jouissance,
la reconnaissance!
Merci donc au sol,
merci à la pluie,
Au soleil, au vent,
aux morts, aux vivants,
À tous ceux qui donnent."
                    François Cheng


Lu dans:
François Cheng. La vraie gloire est ici. NRF. Gallimard. 2013. 162 pages. Extrait p 27


23 janvier 2025

Le paysage intérieur


"Il comprit qu’il pouvait rester là
que le monde n’était rien d’autre
qu’un paysage reflété par ses yeux." 
                            Daniel Charneux


Devenu très vieux, il déposa le sac à dos avec lequel il avait pourchassé tant de paysages, recherché tant d'émerveillements. Découvrant sur le tard qu'il s'était surtout cherché lui-même, fermant les yeux il se surprit de s'être enfin trouvé. 


Lu dans: 
Daniel Charneux. En bref. Bleu d’encre. 2024. 100 p.

22 janvier 2025

Chanter

 "Un oiseau chantait et le monde devenait plus beau."   
                Francis Grembert

                            


D'accord pour l'oiseau. Que dire alors quand un humain chante, plaisir un peu perdu on le concède. Me reviennent les récits de patients décrivant leur atelier où tous chantaient, ces vaisselles du vendredi soir en maison communautaire réjouies par Brassens, ou ces fins de cours à midi en classe de rhéto consacrées à entonner un enthousiaste Bella Ciao annonçant le cours d'Histoire de l'après-midi consacré à la Révolution française. Le chant est un souffle de vie.


Lu dans: 
Francis Grembert. Petit éloge de l'alouette. Arléa. 2023. 101 pages

21 janvier 2025

Gwarosa, la mort par surmenage

 


 « Si vous connaissez un homme seul de plus de 50 ans, prévenez votre mairie.(*) » 
                    

                      

C'est L’envers du miracle sud-coréen (Samsung, LG, Hyunsai, Daewoo), dont les responsables prônent la semaine de soixante-neuf heures et la retraite à 75 ans. Technologie de pointe, tubes de variété fredonnés sur tous les continents, séries à succès, cinéma mondialement reconnu : la Corée du Sud jouit d’une image particulièrement positive. Un peu comme si, dans bien des domaines, Séoul montrait la voie au reste du monde. Pourquoi dans ce cas avoir créé un mot pour décrire la mort par surmenage? Gwarosa.  L'âge de la retraite y est officiellement de 60 ans, mais les rémunérations des travailleurs les plus âgés y sont dégressives, au prétexte de favoriser l’emploi des jeunes. Ainsi les dernières années de travail — celles qui comptent pour le calcul de la retraite — sont-elles caractérisées par une fonte des salaires, parfois amputés d’un tiers. Alors que les personnes âgées de plus de 65 ans représentent la moitié de la population pauvre, la Corée du Sud affiche un taux de suicide vertigineux de 61,3 pour 100 000 chez les plus de 80 ans (contre 33,3 pour les personnes de 75 ans ou plus en France). En Belgique, une récente étude sur le bonheur des personnes âgées, menée par le professeur Stéphane Adam (ULiège), conclut sur une réconfortante note de 7,5 sur 10, supérieure au niveau de bonheur moyen de la population active (6,6 sur 10). Faut-il en conclure que "Gwarosa" n'est pas belge, et que vieillir n'y est pas une malédiction?



Lu dans:
Banderole sur la mairie de Seong-buk (Séoul), campagne de lutte contre le suicide des personnes âgées sans travail, particulièrement préoccupant chez les hommes.

20 janvier 2025

Sagesse amérindienne pour une intronisation


"Quand le dernier arbre sera abattu
la dernière rivière empoisonnée
le dernier poisson capturé
alors vous vous apercevrez
que l'argent ne se mange pas."
        Prophétie amérindienne


Moment choisi pour réviser ses classiques, on assistera ce lundi à la célébration de ce concept central dans la culture et la pensée grecque antique, l’ubris (ou hybris, en grec ancien : ὕβρις). Quand un petit groupe d'êtres aussi cupides que serviles, oublieux qu'un grand pouvoir donne de grandes responsabilités, s'installent dans la démesure, l'arrogance et la transgression des limites (l'ubris), le chaos et la révolte guettent (la némésis). Il est trop tôt pour discerner à ce stade la fin de l'histoire, mais le moment est opportun pour réorienter notre admiration vers ces innombrables modestes qui par le monde pratiquent la douceur, le choix de l'essentiel et des oubliés de la fortune, le souci pour le dernier arbre, la dernière rivière et le dernier poisson. 


18 janvier 2025

Méditation dans un jardin de pierre et de sable

 "Les lignes du râteau peignent la terre, la rident comme une eau. (..) Des moines, en Extrême-Orient, ont créé des jardins de méditation à partir de ces lignes et de quelques pierres. Cela ne me surprend pas, car les dessins du râteau produisent une sorte d'apaisement intérieur, un sentiment de plénitude silencieuse. Pourquoi ? Ai-je coiffé la terre comme je coiffe encore quelquefois mon enfant, qui n'est plus une enfant ? Ce travail facile, ces gestes qui s'accommodent de la lenteur et de la distraction, brisent la mince écorce que la chaleur avait rendue imperméable, opaque ; on voit de nouveau la matière plus sombre, intime, vivante de la terre. Celle-ci s'est rouverte en même temps qu'elle s'est ordonnée. Ressemblerait-elle à ces persiennes qui laissent passer la lumière en la striant ? Je ne sais trop. Sans doute faut-il plutôt penser à des ondes, à la vibration d'une voix, à l'écriture d'un chant... On aurait fait apparaître un chant à la surface de ce sol qui nous porte et nous recevra ; une fois que c'est achevé, comme devant une surface de neige fraîche, on hésite à y marquer son pas." 
                            Philippe Jaccottet. 

                                   


Espaces de méditation où la nature se transforme en une œuvre d'art épurée, les jardins zen ("karesansui" dans la tradition japonaise) sont imprégnés de symbolisme et de spiritualité. L’acte de peigner la terre avec un râteau, geste simple et répétitif réalisé avec soin par les moines, n’est pas seulement une tâche esthétique, mais une méditation en soi, évoquant une quête d’ordre et d’harmonie. Les motifs ondulants symbolisent souvent l’eau, des vagues ou des courants, chaque coup de râteau est une manière de structurer le désordre apparent, métaphore qui s’applique également à l’esprit. Comme un jardin nécessite un entretien constant pour rester beau et ordonné, l’esprit humain doit être régulièrement "peigné" pour empêcher l’encombrement des pensées et des émotions négatives. Geste simple allégorique par ailleurs de l'impermanence, les motifs tracés dans le sable étant éphémères : un coup de vent, une pluie ou même un nouveau jour viendra les effacer. Loin d’être une source de frustration, cette impermanence est acceptée comme une vérité fondamentale de l’existence. L’effacement des motifs invite à lâcher prise sur l’attachement et à aimer le renouveau constant. Enfin, ces jardins rappellent l’humilité de l’homme face à la nature. Le gravier et les pierres ne sont pas modifiés dans leur essence, mais disposés avec respect pour révéler leur beauté inhérente. En peignant la terre, les moines ne dominent pas la nature, ils collaborent avec elle. Ce dialogue silencieux rappelle que l’homme est un gardien de la nature, non pas son maître.


Lu dans:
Philippe Jaccottet. À travers un verger - Les Cormorans - Beauregard. Gallimard. 1984. 112 pages.

15 janvier 2025

Amères victoires


"Et qui pourrait sans toi calmer mon inquiétude ?
Soulager ma fureur, ou finir mon ennui ?" 
                        Racine. Andromaque. Acte II, scène 1


Portée au théâtre Le Public par des acteurs fort investis, la très classique Andromaque de Racine réactive la mythique guerre de Troie, s'interrogeant sur les conséquences des guerres et les blessures, tant physiques que morales, qu'elles infligent. Question bien actuelle, le  mal des vétérans étant devenu une question de santé publique dans les pays occidentaux. Au cours des années 2000, pour 1 soldat mort au combat, on comptait 10 suicides de vétérans du Vietnam, guerre pourtant officiellement terminée 25 ans plus tôt. 1 892 drapeaux américains ont ainsi été plantés le 27 mars 2014 sur le Mall à Washington, en hommage aux vétérans qui s’étaient donné la mort depuis le 1er janvier de la même année, soit 22 par jour en moyenne. Aujourd’hui, le taux de suicide chez ces soldats US reste deux fois plus élevé que dans l’ensemble de la population. Plus interpellant encore, en 2008 une enquête de la BBC donnait le chiffre de 260 suicidés parmi les vétérans de la guerre des Malouines (1982), alors que les combats avaient fait 214 morts, et que l'Angleterre était sortie victorieuse de ce conflit. La facture humaine à payer, que l'on soit vainqueur ou vaincu, pour un conflit armé est souvent lourde et se décline dans le temps long.


Lu dans:
Pierre Conesa . Un cinéma post-traumatique. Le Monde diplomatique. Janvier 2025. Extrait page 28
Patrick Clervoy, Lendemains de victoires, amertume du vétéran, dans Victoire ! La fabrique des héros. Victoire ! la fabrique des héros. Sylvie Leluc, Christophe Pommier, Collectif. In Fine. 2023

Sources:
Robert Bossarte et Janet Kemp. Suicide data report, 2012
Department of Veterans Affairs. Jada F. Smith. Using flags to focus on veteran suicides.
The New York Times. 27 mars 2014. National veteran suicide prevention annual report
Department of Veterans Affairs. Office of Mental Health and Suicide Prevention. septembre 2022

Sagesse de Marguerite Yourcenar

 " Vous êtes médecin, dit le capitaine. – Oui, dit Zénon. Entre autres choses. – Vous êtes médecin, reprit le Flamand têtu. Je m’imagine qu’on se lasse de recoudre les hommes comme on se lasse d’en découdre. N’êtes-vous pas fatigué de vous relever la nuit pour soigner cette pauvre engeance ? – Sutor, ne ultra… repartit Zénon. Je tâtais des pouls, j’examinais des langues, j’étudiais des urines et non pas des âmes… Ce n’est pas à moi de décider si cet avare atteint de la colique mérite de durer dix ans de plus, et s’il est bon que ce tyran meure. Le pire ou le plus sot de nos patients nous instruisent encore, et leurs sanies ne sont pas plus infectes que celles d’un habile homme ou d’un juste. Chaque nuit passée au chevet d’un quidam malade me replaçait en face de questions laissées sans réponse : la douleur et ses fins, la bénignité de la nature ou son indifférence, et si l’âme survit au naufrage du corps."
                        Marguerite Yourcenar.

                                 


Chaque rencontre apporte son lot de confidences, elles-mêmes révélatrices de notre part d'ombre et de lumière. Les entendre sans porter de jugement s'apprend.


Lu dans:  
Marguerite Yourcenar. L’Œuvre au noir, citée par ...
... Sarah Chiche. Les Alchimies. Seuil. 2023. 240 pages.

13 janvier 2025

Succès trompeurs

 "Je suis célèbre au Japon pour un livre que je n’ai pas écrit, et je ne sais pas combien de lecteurs font semblant de l’avoir lu."   
                        Dany Laferrière

                            


Réflexion sur l’illusion et la réalité d'un succès, effet d'image rencontrant une attente ponctuelle d'un public soucieux de s'enthousiasmer. Succès parfois destructeur, brûlant les ailes de ces artistes s'étant approchés trop rapidement, ou trop jeunes, d'un soleil aussi grisant que toxique.


Lu dans:
Dany Laferrière. Un certain art de vivre. Grasset. 2023. 140 pages

11 janvier 2025

L'année qui va, l'année qui vient

"À la fac, un professeur nous avait dit, l'index levé et l'air docte : «N'oubliez jamais, derrière tout grand médecin se cache un grand cimetière. » 
                            Baptiste Beaulieu

                                 

L'auteur, médecin généraliste, citant son professeur de fac, ne devait pas être au top ce jour-là!  Je me prends pourtant au jeu et ouvre mon logiciel médical pour l'an 2024 en optant pour la mention "décédés": une rangée de cimetière au moins, sans compter les crémations. Je quitte le lieu au plus vite pour en revenir à la mention "actif(ve)s", une arborescence de visages de tous âges et de toutes cultures, souriants ou graves, qui me font envisager l'année 2025 avec infiniment plus d'optimisme. 


Lu dans:
Baptiste Beaulieu. Où vont les larmes quand elles sèchent? L'Iconoclaste. Proche. 2023. 230 pages. Extrait p.153

10 janvier 2025

Silence, il neige

 

"Quand il neige à plein temps
C'est comme du silence qui tombe."
                                Félix Leclerc



Le grand vent angoisse, la neige évoque la sérénité, le mystère et le recueillement. La neige devient une matière intangible, presque spirituelle, qui recouvre le monde de son voile feutré. Le temps paraît ralenti, le paysage devient une toile vierge où tout semble possible. Le silence est palpable, non pas comme une absence de son, mais comme une présence douce et enveloppante prêtant à l'introspection. Moment de pause dans nos vies trépidantes, qui nous plonge dans nos images d'enfants et dans ce monde simple où tout redevient possible. Beauté éphémère et intemporelle, ce qui ajoute à son charme.



09 janvier 2025

S'émerveiller

 "Le paysage bucolique, c’est celui qu’on croise sur le chemin du travail et qu’on prend la peine de regarder un certain temps, il peut donner cette sensation de bonheur serein. Le paysage sublime est celui que l’on recherche durant ses vacances. Il a une fonction plus écrasante, c’est davantage l’idée d’un bonheur intense. L’être humain a surtout besoin de sérénité pour le moment."
                                Bruno Humbeeck

                             


Le paysage sublime se prépare, se choisit, laisse une empreinte. Le paysage bucolique, ce peut être aujourd'hui, inattendu. La neige et son silence, tous bruits assourdis, sa capacité de créer un paysage en noir et blanc, d'iriser la lumière d'un soleil frisant. Sublime ou bucolique, l'un n'exclut pas l'autre, La faculté d'émerveillement, de ne pas être blasé, est un cadeau de la vie.


Lu dans:
Bruno Humbeeck. Éduquer à l’émerveillement. Racine. 2024. 196 pages.

07 janvier 2025

Au fil de l'eau et de soi-même

 "Mon plaisir est encore d'accompagner le ruisseau, de marcher le long des berges, dans le bon sens, dans le sens de l'eau qui coule, de l'eau qui mène la vie ailleurs."
                Gaston Bachelard

                             


Se laisser guider par le fil de l'eau, dans sa pente naturelle, "qui mène la vie ailleurs" est une rêverie sur l'avenir. D'autres, comme Jean-Paul Kauffmann ont fait le choix de remonter la Marne. Autre démarche, remonter le temps et dans le cas de ma Marne, remonter l'Histoire d'une région snobée, d'une guerre meurtrière, d'un auteur (ancien otage à Beyrouth) plongeant dans les souvenirs de son histoire personnelle. 


Lu dans:
Gaston Bachelard. La Poétique de la rêverie. PUF. 1978. 192 pages.
Jean-Paul Kauffmann. Remonter la Marne. Fayard. 2013. 264 pages

05 janvier 2025

L'ombre de ton ombre

 "Imaginez un objet sans ombre : il paraîtrait irréel. L’ombre est donc un double très particulier, qui ne remplace pas, mais au contraire atteste la réalité des choses. Ombre portée, reflet ou écho, prolongements du réel qui font corps avec lui. "
            Yves Tanguy, Clément Rosset


                             

Et voila que s'inversent les choses: l'ombre serait ce qui atteste de la réalité d'un objet, ou d'un être, au lieu de n'être que son double accidentel, un caprice de la lumière. Ou avec Brel, le privilège de "n'être que l'ombre de ton ombre, l'ombre de ta main, l'ombre de ton chien."  L'ombre devient ce qu'on a de plus proche.


Lu dans:
Yves Tanguy, Clément Rosset. Ombres au tableau. Récit Barbara BohacDans Philosophie Expresso. L'œil et l'esprit. Publié le 29 août 2012

04 janvier 2025

Du pain pour les oiseaux et pour la vie

 "En approchant, je ralentis toujours le pas. À peine, mais je ralentis. Instinctivement. Et j'inspire à pleins poumons. Je ferme les yeux parfois, une seconde, pour concentrer mes sens sur l'odorat. Même si je n'entre pas, je ralentis. Et je respire. La bonne odeur du pain chaud.

La boulangerie au coin de la rue propose des fournées plusieurs fois par jour. Je connais les horaires. Il m'arrive de faire un détour pour humer ce parfum inimitable. Je me poste discrètement devant la bouche d'aération, là où sortent les effluves tièdes. Et je respire. Plus qu'une satisfaction gourmande, j'y trouve un apaisement. Certains se ressourcent à l'air pur de la campagne ou de la montagne, dans les embruns salés de l'océan. Moi, c'est devant une boulangerie que je reprends pied. Le pain exprime la chaleur du four, le travail de l'homme, les épis dans les champs, la générosité de la terre, la nourriture de toujours. Ça sent le réconfort, l'inaltérable. Sur cette odeur, je peux m'appuyer. Elles convoquent les tartines beurrées, trempées dans le café, les quarts de baguette garnis de carrés de chocolat, les tranches épaisses avec le fromage et le vin, les canapés toastés les jours de fête. Et le pain rassis émietté pour les oiseaux sur le rebord de la fenêtre." 
                                    Anne-Dauphine Julliard


Un beau texte qui nous offre pour ce début de weekend une madeleine de Proust actualisée. A La Panne par exemple, premières vacances "à la mer", je marche à peine mais l'odeur entêtante des baguettes chaudes m'est restée. 


Lu dans:
Anne-Dauphine Julliard. Ajouter de la vie aux jours. Les Arènes 2024. 140 pages. Extrait p 110

03 janvier 2025

Eteules

   "Les éteules sont ces chaumes qui restent dans les champs après qu’on les a moissonnés. Elles forment un vaste tapis, un paillasson plutôt, qui s’étend, jaune cuivré, jusqu’aux lointaines limites de la parcelle. Un territoire sans fin à hauteur d’enfant, où les gamins, justement, peuvent courir à perdre haleine. Comme ces bords de mer irrésistibles qui donnent envie de se précipiter vers le grand horizon où les lignes se mêlent."
                                Francis Grembert


Magie des mots, "éteules" par exemple que je ne connaissais guère, et la description qu'en donne Francis Grembert. On lit et on replonge en enfance. Souvenirs des grands espaces vierges invitant à courir vers un horizon qu'on imagine. Un jour j'interrogeais un de mes fils, la veille d'un très long périple tentes/vélos avec sa nombreuse famille, sur les motivations de pareille aventure. "Pour connaître une fois encore l'ivresse du départ le premier jour, calé sur sa selle, la longue route s'ouvrant devant nous sans pouvoir imaginer ce qu'on va découvrir jour après jour."  Qui ne rêve de connaître pareille ivresse dans un quotidien morne?


Lu dans :
Francis Grembert. Les Deux Tilleuls. Arléa. 2025. 112 p

02 janvier 2025

La boulangerie normande

 "Je croise ce matin un enfant qui portait sous le bras une baguette fraîche. Il s'est arrêté à ma hauteur pour déchirer le croûton et mordre à pleines dents la croûte craquante. J'ai souri. De ce geste immémorial. De cette tradition ancestrale. Combien de pains arrivent à destination privés de leur tête ? Quand Gaspard était allé acheter le pain tout seul pour la première fois et qu'il était rentré avec un air contrit et une baguette copieusement entamée, j'avais jubilé sans rien dire. La coutume perdure. L'instinct des petits bonheurs l'emporte, les joies simples se transmettent. Dans le croustillant du quignon et le moelleux de la mie."

                            Anne-Dauphine Julliard


La boulangerie normande a fermé ses portes. Les clients s'y pressaient en file sur le trottoir le dimanche, insensibles à son cadre vieillot et au temps d'attente. On s'habitue progressivement aux volets baissés, mais le matin on guette encore l'odeur du pain frais. Ce qui fait le bonheur d'une journée est imperceptible, mais on ne s'en aperçoit que lorsqu'il disparaît.


Lu dans:
Anne-Dauphine Julliard. Ajouter de la vie aux jours. Les Arènes. 2024. 140 pages. Extrait p 112

01 janvier 2025

Première page

 

"Le plus beau des océans
est celui que l’on n’a pas encore traversé.
Le plus beau des enfants
n’a pas encore grandi.
Les plus beaux de nos jours
sont ceux que nous n’avons pas encore vécus.
Et les plus beaux des poèmes que je veux te dire
sont ceux que je ne t’ai pas encore dits."
                                Nâzim Hikmet


Première heure du premier jour, quel calme dans la rue, toute pétarade et feux de bengale éteints. Interdits, il n'y en eut jamais autant, le plaisir de transgresser crée une impression d'aventure à celui qui n'a rien à vivre. Il reste comme un fond de migraine,  tenace, une mauvaise ivresse sans avoir bu. Première page d'un nouveau cahier, Qu'y écrirons-nous?  


Lu dans:
Nâzim Hikmet. Il neige dans la nuit et autres poèmes. 1945