"Au nord, c'étaient les corons
La terre c'était le charbon
Le ciel c'était l'horizon
Les hommes des mineurs de fond.
Nos fenêtres donnaient sur des fenêtres semblables
Et la pluie mouillait mon cartable
Mais mon père en rentrant avait les yeux si bleus
Que je croyais voir le ciel bleu
J'apprenais mes leçons, la joue contre son bras
Je crois qu'il était fier de moi
Il était généreux comme ceux du pays
Et je lui dois ce que je suis.
Pierre Bachelet. Les Corons
De toutes les régions de France, c'est le Nord que je préfère. Celui des Chtis, remontant du Sud vers Paris, et puis Amiens, et puis Lille, et puis Roubaix pour arriver à Lens, terre paumée aux yeux des riches, et si riche pourtant. Venant d'Anderlecht, j'ai l'impression de partir en vacances chez une tante, ou en weekend chez des amis. Depuis le décès du chanteur Pierre Bachelet en 2005, sa chanson emblématique Les Corons est chantée inlassablement par les supporters du club du Racing Club de Lens à la mi-temps de chaque match au Stade Bollaert-Delelis, devenant son deuxième hymne. Au loin, intégré dans le paysage laborieux des anciennes mines de charbon qui en ont façonné la ligne d'horizon, se devine le superbe musée du Louvre-Lens et sa Galerie du Temps, une magie. Entrée gratuite, public mêlé d'enfants, d'esthètes chics et de têtes grises, mais aussi de gens simples assoiffés de beauté et dont le silence attentionné interpelle. On se prend à rêver à une société où le Beau redeviendrait matière non-marchande. A quelques kilomètres, prévoir un arrêt roubaisien dans la superbe Villa Cavrois, maison rénovée au fil des ans par le budget public, patiemment, laborieusement comme le travail dans la mine, bling-bling ici n'est pas ta terre.
Cette balade dans le Nord est illustrative. Pour qui veut survivre au chaos instauré par un président
narcissique et sa cour de Néron, il nous faut quotidiennement user
d'antidotes, ces substances capables d'empêcher un corps d'exercer
ses effets toxiques en redécouvrant ce qui fait l'essence de la
vraie vie. Celle des Chtis des Hauts-de-France, celle de ma
commune si décriée où chaque jour apporte ses perles. Hier une
patiente volontaire et affaiblie se fait un défi de venir à pied à
la consultation, elle chute en rue, et se voit accompagnée par
trois jeunes voilées qui la portent littéralement jusque chez moi,
après l'avoir fournie en bouteilles d'eau minérale et de gâteries
au Carrefour Express du coin. Suite à un moment d'inattention, ma
moto se retrouve couchée dans un jardinet, trop lourde à soulever
seul. Du bas de la rue accourt spontanément un robuste passant
d'origine turque qui la relève comme on le ferait d'un vélo, ah la
jeunesse! Des clés oubliées sur un cadenas ou sur la serrure
extérieure d'une porte se voient rapportées dans les minutes qui
suivent. Quoi qu'on tente de nous faire croire, la société n'est
ni Trump ni MAGA mais composée d'un réseau de personnes pour qui
le lien, la solidarité, l'entraide au quotidien ne sont pas de
vains mots. Il est bon de le redire parfois.
Lu dans:
Pierre Bachelet. Les Corons. Paroles de Jean-Pierre Lang. 1982.
Polydor. Connaît un énorme succès, restant n°1 des ventes pendant
4 semaines en juillet 1982, puis devenant disque de platine avec
plus d'un million d'exemplaires vendus.