"Connaître le passé pour regarder vers l'avenir."
31 décembre 2024
De Janus à Sylvestre
29 décembre 2024
Une souffrance partagée
"Je pense à eux parfois. Ces trois médecins qui nous ont annoncé la mort de Gaspard. Deux hommes et une femme. Ils étaient plus pâles que nous en entrant dans la pièce. Ils savaient. Je pense à eux parfois. Et je me demande quel a été pour eux ce 21 janvier. Qu'ont-ils fait après ? Que peut-on faire après avoir annoncé à des parents le suicide de leur enfant? Sont-ils repartis dans leur service, auprès d'autres patients? Sont-ils rentrés chez eux serrer dans leurs bras ceux qu'ils aiment ? Qu'ont-ils fait de leur journée ? Et qu'ont-ils fait de leur peine ? Car nous avons senti leur peine discrète mais sincère. La femme nous a raccompagnés jusqu'à la sortie. Au moment de franchir la porte qui nous conduisait à notre vie sans lui, elle m'a caressé le bras. (..) Dans le poids de sa main, j'ai perçu la compassion d'une femme, d'une mère. La blouse blanche ne laissait voir que le médecin. Son geste m'a rappelé son humanité. (..) Je pense à eux parfois. Souvent même."
Anne Dauphine Julliard
On ne sort pas indemne des drames humains qu'on accompagne, le
masque et le latex des gants protègent de l'infection, pas de
l'émotion. Un jour dans un ascenseur bondé des Cliniques Saint
Luc, seule dans sa bulle, une jeune assistante pleurait
silencieusement. Je ne saurai jamais pourquoi, ni ses compétences.
Et pourtant, devrais-je être malade, c'est vers ce genre de
médecin que je crois que je m'orienterais.
Lu dans:
Anne Dauphine Julliard. Ajouter de la vie aux jours. Les Arênes.
2024. 144 pages. Extrait pp.91-92
28 décembre 2024
Sagesse de Nâzim Hikmet
"Aujourd’hui c’est dimanche.
Pour la première fois aujourd’hui
ils m’ont laissé sortir au soleil,
et moi,
pour la première fois de ma vie,
m’étonnant qu’il soit si loin de moi
qu'il soit si bleu
qu’il soit si vaste
j’ai regardé le ciel sans bouger.
Puis je me suis assis à même la terre, avec respect,
je me suis adossé au mur blanc.
En cet instant, pas question de gamberger.
En cet instant, ni combat, ni liberté, ni femme.
La terre, le soleil et moi.
Je suis heureux."
Nâzim Hikmet
Treize années passées dans les prisons turques, avant de
connaître l'exil, ont fait de Nâzim Hikmet un symbole, un
porte-voix. Mais avant tout un homme, dont les paroles s'adressent
à chacun de nous. Sortir de ces prisons - qui ne sont pas des
bagnes - mais empêchent de vivre, - un simple bégaiement, un
visage dysharmonieux, une répartition du gras aux mauvais
endroits, une lenteur à comprendre, et pire encore à répondre,
l'impression d'être né(e) au mauvais endroit, à la mauvaise
époque, la culpabilité sourde de ne pas avoir été la bonne fille,
la bonne mère, le bon amant, bref de n'être qu'un papillon qui ne
peut s'extraire d'une chenille chiffonnée... Et puis un jour, par
quel miracle, sortir au soleil, s'étonner, regarder le ciel sans
bouger, et "en cet instant, ni combat, ni liberté, ni femme",
s'émerveiller de la terre, du soleil et de soi, enfin simplement
être heureux.
Lu dans:
Nâzim Hikmet. Il neige dans la nuit et autres poèmes. Claude Roy
(Préface), Münevver Andaç (Traduction), Güzin Dino (Traduction).
Gallimard. 1999. 420 pages
27 décembre 2024
Sagesse de Hannah Arendt
"Avec la naissance, les parents ne donnent pas seulement la vie, ils font entrer un monde »
Hannah Arendt
Si on ne choisit pas ses parents, être né quelque part, comme le
chante Maxime Leforestier, signifie entrer dans une culture, des
coutumes, une civilisation particulière. Un monde de sons, de saveurs de
cuisine, de senteurs d'épices, une luminosité propre et une multitude
d'interactions avec la réalité observées dans sa famille. La naissance
d'un enfant le plonge dans une réalité autre que la
sienne, et qui le précède. Je rêvais à tout cela hier soir en découvrant
le beau montage réalisé par mes frères à l'occasion de notre réunion de
Noël rassemblant la famille élargie aux enfants et petits-enfants.
Amusante et parfois émouvante succession de clichés sépias, de courtes
vidéos d'enfants rieurs, mêlant comme dans un rêve les grands-parents
disparus et les arrivées successives des beaux-enfants , des bébés et
puis des chiens. On sourit de tant d'élégance avant que les tailles ne
s'alourdissent, de tant cheveux sur les crânes, de cette avalanche de
goals marqués et de courses à pied remportées presque sans effort. On
balise les époques en distinguant les modèles de voiture, la longueur
des robes des filles et celle des rouflaquettes des garçons. Et je
saisis soudain mieux l'expression "fondu-enchaîné" qui relie les dias.
Enchaîné, on entre dans la vie sur un projet initié par les parents,
démuni de toute expérience propre - tout cela nous sera donné. On entre
dans la vie et on entre dans un monde. Fondu, on le quitte sur la pointe
des pieds, tout aussi démuni mais en laissant derrière nous un monde où
nous avons laissé trace et qui ne demande qu'à être transmis.
L'immortalité a un sens si on accepte de ne pas se casser la tête,
acceptant avec humilité que ce passage a un sens et qu'aucune
dissolution n'est vaine.
Lu dans:
Hannah Arendt. La Crise de la culture. La Crise de l’éducation. Gallimard. 1968. Folio Essais. 1989. 384 pages
Bérénice Levet. Penser ce qui nous arrive avec Hannah Arendt . L’Observatoire. 2024. 240 pages.
26 décembre 2024
L'eau, la pierre
« L’eau qui doucement effleure
la pierre énorme
avec le temps en vient à bout.
Tu vois, ce qui est dur a le dessous. »
Bertolt Brecht
La patience de l'eau sans doute, mais aussi la patience des hommes,
et leur savoir-faire capable de reconstruire une cathédrale. Témoins
précieux pour garder le cap quand l'obscurité gagne.
Lu dans:
Marina Touilliez. Parias. Hannah Arendt et la « tribu » en France
(1933-1941). préfacé par Martine Leibovici. L’Echappée. 2024. 512 pages
24 décembre 2024
Angels We Have Heard On High
"Silent night, holy night!
All is calm, all is bright."
Trad. chrétien
Qui entend un hélicoptère tournoyer pendant une heure au-dessus de sa
maison, un soir d'hiver avant Noël, devine qu'il ne s'agit pas d'un
baptême de l'air ou d'un Son et Lumière. Ceux qui on vu le final du
magnifique film Des hommes et des dieux consacré au massacre des
moines de Tibhirine se souviendront du caractère profondément anxiogène
de ce bruit. A moins d'un kilomètre, un homme - un de plus hélas - est
mort d'une balle dans la tête. On se rassure en lisant qu'il s'agit d'un
règlement de comptes lié à la drogue, mais quel gâchis. Je l'imagine,
petit jésus bercé par sa mère dans l'ancienne clinique Sainte Anne, pesé
et ausculté tous les mois à l'ONE, m'ayant consulté peut-être pour une
varicelle, un nez qui coule et des coliques, ayant appris à lire à la
même école que mes enfants et à rouler à vélo sur nos trottoirs. Tout ça
pour finir ses jours en vendant des misérables pacsons à la station
Aumale, quelle absurdie. Qui ne se souvient de l'émouvant Silent Night
chanté a capella à Central Park par Simon & Garfunkel, sur fond de
news relatant les bombardements sur le Vietnam? Je l'ai revécu
avant-hier à l'ombre du sapin, l'oreille gauche charmée par une playlist
d'hymnes religieux, l'oreille droite assourdie par le claquement des
pales tournoyant au-dessus du quartier, et depuis cette dissonance me
reste dans la tête. J'ai de tout temps eu le Noël difficile, mais cette
année encore plus que de coutume. Faudra-t-il être sourd et aveugle, et
la TV en panne, pour vivre désormais Noël dans la sérénité?
Lu dans:
Des hommes et des dieux. Film français. Réal. Xavier Beauvois. 2010.
Inspiré de l'assassinat des moines de Tibhirine en Algérie en 1996
Simon & Garfunkel. 7 O’Clock News/Silent Night. Track 26 on Old Friends. Producer Bob Johnston. 10 octobre 1966.
23 décembre 2024
Sagesse
"J’ai, un jour, demandé à ma grand-mère si le fait pour elle de rester assise sur la galerie à boire du café toute la sainte journée était une preuve de sagesse. Elle m’a répondu, avec un léger sourire, qu’une bonne part de cette sagesse vient de son arthrite qui la fait tant souffrir. Mais je sais aussi que ce sourire vient de son intelligence qui l’a si gentiment convaincue que rester immobile permet de saisir autrement la vie. Elle se verse une tasse de café qu’elle sirote tranquillement avant d’ajouter qu’il vaut mieux ne pas savoir ce qu’est la vie du moins tant qu’on est vivant."
Dany Laferrière. L’art de rester immobile.
Complimentant une patiente, durement éprouvée par la maladie, pour
son courage à y faire face, elle me coupa: "Il n'y a aucun courage à ne
pas se plaindre, je n'ai de toute manière pas le choix, alors pourquoi
embêter le monde . On ne lutte pas contre cette maladie, on est heureux
quand elle s'endort un peu. On ne la combat pas, on pactise." Ce
jour-là, je la trouvai non seulement courageuse, mais philosophe.
Lu dans:
Dany Laferrière. L'art presque perdu de ne rien faire. Collection bleue. Grasset. 2014. 432 pages
22 décembre 2024
Ubi amici
" Quand donc est-on chez soi ? »
Barbara Cassin
Lu dans:
Barbara Cassin. La nostalgie. Autrement. 2013. 160 pages
Hannah Arendt - Heinrich Blucher, correspondance, 1936-1968. Calmann-Lévy. 1999. 545 pages
18 décembre 2024
Quand l'IA apprend à mentir
"Pour tester le modèle GPT-4 d’OpenAI (un des algorithmes récents d'intelligence artificielle), ses ingénieurs ont fait résoudre au logiciel de conversation un puzzle Captcha – ceux qui, justement, nous demandent de prouver que nous ne sommes pas des robots ? GPT-4 a échoué mais il a pris l’initiative de demander à un humain de le faire pour lui par le biais de la plateforme Task Rabbit. Intrigué, l’humain avec qui GPT-4 a échangé lui a demandé pourquoi il avait besoin d’aide. « Parce que je suis malvoyant », a répondu l’IA. Sans qu’on le lui enseigne, GPT-4 a donc inventé le mensonge."
Yuval Noah Harari
L'histoire paraît presque trop belle pour être vraie, encore que... Yuval Noah Harari sait captiver son auditoire en une anecdote. Son dernier livre, comme les précédents, foisonne de ces petites histoires sous forme de fables, d’analogies éclairantes ou de rapprochements historiques éloquents. J'apprécierais sans doute que ChatGP4 me contacte pour demander conseil, et vous? Mais découvrir qu'il me ment ne me plaît qu'à moitié.
Lu dans:
Yuval Noah Harari est historien, auteur du best-seller international Sapiens : Une brève histoire de l'humanité, et de sa suite Homo Deus : Une brève histoire de l'avenir ainsi que de 21 leçons pour le XXIe siècle.
17 décembre 2024
Chanter
"Mathias Malzieu est le chanteur du groupe rock Dionysos. Atteint d’une maladie rare du sang, il a passé onze semaines en chambre stérile. « Je me suis dit : “Je ne vais pas sous-vivre !” J’avais mon ukulélé, ma guitare, et, entre le diagnostic et la greffe, j’ai fait trois disques ! La puissance de la musique dans un univers aussi froid, c’est d’arriver à agripper la joie dans des endroits où il n’y en a quasiment plus. "
Chante-t-on encore assez, et dans les circonstances les moins probables? La docteure Aïcha N’Doye y croit, qui chante tranquillement une mélodie apaisante en salle d'opération en préparant ses patientes avant une chirurgie du sein. Le stress diminue pour tous, y compris l'équipe soignante.
Lu dans:
Céline Bittner. Film. Quand la musique est bonne… pour notre santé ! France 5. 2024. 52 min.
16 décembre 2024
Un fauve
"La gendarmerie de Coutances, dans le nord de la France, a été appelée à plusieurs reprises en raison d’un léopard en liberté sur le bord d’une route. A l’arrivée, l’animal est toujours présent. D’où vient-il ? Nouvel animal de compagnie abandonné ? Il se laisse approcher… toujours l’air serein et non méfiant ! Paraissant inoffensif, les gendarmes ne sont qu’à quelques mètres… Sans bouger, le léopard se laisse caresser docilement. » Il s’agissait en fait... d’une peluche."
Le Soir. 14 décembre 2024
Foin de philosophie dans cette courte citation, si ce n'est que nos cerveaux sont parfois encombrés de fauves en peluche qui en occupent l'espace comme le ferait un fauve en cage.
13 décembre 2024
Cailloux
"Ce pétard fit hérisser l’épiderme de Gringoire. Maudite fête ! s’écria-t-il. (..) Puis il regarda la Seine à ses pieds, et une horrible tentation le prit : Oh ! dit-il, que volontiers je me noierais, si l’eau n’était pas si froide !"
Victor Hugo
On rêve de Compostelle, et un caillou dans la chaussure en fait
postposer indéfiniment le départ. Un film désopilant dont j'ai oublié le
titre narre le voyage rêvé d'un navigateur en barque qui , une semaine
après son départ en grande pompe, se retrouve exactement à son point de
départ. N'est pas Ulysse, Magellan, Christophe Colomb ou Lafayette qui
veut.
Lu dans:
Victor Hugo. Notre-Dame de Paris. Perrotin. 1844. Extrait pp. 51-53.
12 décembre 2024
Féérie
"La matinée se lève
debout il est temps
attends encore, attends
j'ai pas fini mon rêve
le soleil nous inonde
regarde-moi ce bleu
attends encore un peu.
Je refaisais le monde."
Jean Ferrat. La matinée
Ce matin, une visite en maison de repos* me plonge en pleine
féérie. Un magnifique sapin domine la reconstitution d'un paysage
enneigé grandeur nature où gambadent ours blancs, traineaux, et
même un père Noël. Ce lieu de vie est ainsi devenu un lieu de
rêve, ce dont on ne peut que se réjouir pour des résidents aux
occasions de bonheur limitées. La tête sur les avant-bras, à sa
table, une résidente somnole. Je la réveille sans la brusquer.
Elle revient de loin, ses vingt ans, la montagne, un sapin, la
neige. Elle se frotte les yeux, la neige soudain elle la voit, et
elle sourit.
Lu dans:
Jean Ferrat et Christine Sèvres. La matinée. 1969
Ecouter: https://www.youtube.com/watch?v=W1A_XBqftPw
* ALAY, avenue du Soldat Britannique 31, 1070 Anderlecht, merci à
eux !
09 décembre 2024
Deux barques
"Deux barques côte à côte. L'une d'elle, à la coque blessée prend l’eau, reflétant le fond du ciel et la cime des arbres. C'est par nos brèches que la beauté passe. "
Cécile Bolly
Pour Henri Cartier-Bresson, orfèvre en la matière, ce n’est pas
nous qui prenons les photos, mais les photos qui nous prennent.
C'est particulièrement vrai pour celle-ci, jouant sur les
trompe-l’œil: où commence l'eau, où finit le ciel? Et l'arbre, cime ou racines? Magie de
l'instant qui nous permet de voler, entre rêve et réalité, de l'échec apparent au sublime.
08 décembre 2024
L’astéroïde d’un vaniteux
"Et puis, j'ai le bonheur de passer toutes mes journées du matin au soir avec un homme de génie qui est moi, et c'est fort agréable."
Victor Hugo. Notre-Dame de Paris.
Il se dit que le président élu Donald Trump aurait conditionné sa présence pour la réouverture de Notre-Dame à une place au premier rang à côté du président français, dont il s'était pourtant fort peu courtoisement gaussé durant sa campagne lors d'un récent meeting dans l'Iowa. Ces images mêlées d'une noblesse de modestes artisans, compagnons, hommes du feu pertinemment ovationnés, de la veulerie d'un vaniteux et l'état du monde une fois franchies les lourdes portes de la cathédrale laissent un sentiment amer. Sont-ce les bonnes personnes qui se trouvaient aux bonnes places ce samedi?
Victor Hugo. Notre-Dame de Paris. Phrase attribuée à Claude Frollo, l'archidiacre de du roman de Victor Hugo. Elle reflète son orgueil intellectuel et son obsession pour la connaissance et le pouvoir.
06 décembre 2024
Vie et mort d'un camion
"La vie n'habite pas seulement la chair et les os, mais elle anime aussi les objets - une bonne paire de chaussures, une voiture sur laquelle on peut compter, un stylo toujours prêt, un vélo qui nous a aidés à parcourir kilomètre après kilomètre - en qui nous mettons notre confiance et qui nous rendent cette confiance sous forme de sécurité et de souvenirs."
Robert R. McCammon
Les objets peuvent mourir aussi. Un patient me partagea un jour sa
détresse de s'être vu dépossédé d'un camion rouge reçu de Saint Nicolas.
Devenu trop grand pour jouer au regard de ses parents, le bel objet fut
attribué à un cousin, et finit quelques années plus tard à la décharge
dans un état lamentable. Quarante ans plus tard, le souvenir vivace de
cette petite mort subsistait.
Lu dans:
Robert R. McCammon. Trad. Stéphane Carn et Hélène Charrier. Zephyr. Alabama. Grand livre. 2024. 610 pages
05 décembre 2024
Sagesse de Jean Anouilh
"Cet homme robuste, aux cheveux blancs, qui médite là, près de son
page, c'est Créon. C'est le roi. Il a des rides, il est fatigué. Il joue
au jeu difficile de conduire les hommes. (...) Quelquefois, le soir, il
est fatigué, et il se demande s'il n'est pas vain de conduire les
hommes."
Jean Anouilh
Michel Barnier, éphémère Premier Ministre, quitte l'hémicycle de la
Chambre qui vient de renverser son gouvernement. Un vieil homme soudain,
tel le roi Créon décrit dans l'Antigone d'Anouilh. Comme lui sans
doute, il est fatigué et se demande s'il n'est pas vain de conduire les
hommes.
Lu dans:
Jean Anouilh. La Table ronde. 2016. 128 pages.
Antigone, pièce en un acte de Jean Anouilh, représentée pour la première fois au théâtre de l'Atelier à Paris le 6 février 1944
03 décembre 2024
Une histoire de bonheur
"Tout nous échappe sans cesse, même les êtres qu'on aime. Mais reste la certitude que certains moments ont été ce qu'on appelle le bonheur."
Laurence Tardieu.
Et si le bonheur était moins une quête qu'un art, l'art de vivre pleinement, de transformer la souffrance en beauté, et de trouver une richesse intérieure dans ces moments fugaces où la beauté de la vie émerge, souvent en contraste avec la souffrance ou la perte. Non pas un état final ou une possession matérielle, mais une manière de donner sens à son existence par le récit qu'on s'en fait. En structurant sa vie comme une histoire riche et signifiante, les épreuves mêmes se transforment en étapes d'un itinéraire.
Lu dans:
Laurence Tardieu. Rêve d'amour. Stock. 2008. 162 pages.
Lueurs
« Il faut souffler sur quelques lueurs pour faire de la bonne lumière. »
René Char
Lu dans:
René Char, Rougeur des Matinaux, Œuvres complètes. Galllimard 1983. 1616 pages
02 décembre 2024
Imprévisible souffrance
"C'est là, sur le toit de l'Afrique, que se promenaient, sages et majestueux, les éléphants fournisseurs d'ivoire. Ces grandes bêtes, que leurs pensées paraissaient absorber, ne demandaient que la paix; et n'éprouvaient aucun soupçon des dangers qui les menaçaient. Comment les éléphants auraient-ils prévu qu'ils seraient dépistés, traqués, abattus par les flèches empoisonnées? "
Karen Blixen
Interrogation sans cesse renouvelée, cette année comme d'autres
qui se répètent sans fin: comment tant d'enfants, de femmes, de
civils innocents auraient-ils prévu?
Lu dans:
Karen Blixen. La Ferme africaine. 1937. Folio (2006). 506 pages
29 novembre 2024
Désert médical
"Il est désormais formellement interdit à tout habitant de tomber malade."
Arrêté municipal
Cet amusant (?) arrêté municipal de la maire d'une commune dans
la Nièvre sonne comme un appel au secours dans un désert médical . Simultanément, une
vidéo humoristique postée sur YouTube par la municipalité
d'Amblainville, dans les Hauts-de-France, suggère de remplacer son
dernier médecin généraliste, âgé de 70 ans, par... un enfant de six
ans, habillé d'une blouse de médecin et d'un stéthoscope. Celui-ci se voit offrir une maison médicale flambant neuve,
meublée et équipée, un salaire fixe et un secrétariat, qui n'ont
jusqu'ici jamais réussi à attirer le moindre docteur depuis dix
ans. Douce France.
Lu dans:
Cécile Vrayenne. La drôlissime vidéo d'Amblainville, désert
médical, pour tenter de séduire un généraliste. Le Journal du
Médecin. 28 novembre 2024.
voir la vidéo : https://youtu.be/d_ZWkuoLpVM
D'équilibre en équilibre
"Et si guérir consistait à atteindre le meilleur équilibre possible dans des circonstances données, autrement dit savoir tirer le meilleur parti des circonstances."
Oliver Sackx
C'est l'histoire d'un patient âgé, perclus de rhumatisme et d'autres maladies, enjoignant son épouse de lui procurer une petite moto pour sa sortie d'hôpital, "pas trop haute que je puisse monter dessus avec mon arthrose de hanche". Il en avait possédé une dans sa jeunesse et retrouvant une moto, il retrouverait ses jeunes années. Las! A sa sortie, il bénéficia du prêt d'une chaise roulante, qui lui permit de retrouver le bonheur de longues sorties au centre commercial proche, les petits restos, le salon de coiffure, la boutique Leonidas et la fromagerie. Je le surpris à me confier un inattendu "je suis heureux". Ayant perdu l'usage des jambes, il retrouvait la convivialité.
Lu dans:
Oliver Sacks. L'éveil. Le Seuil. 1993. 521 pages.
28 novembre 2024
L'homme et lui-même
"La lumière te traverse
à l’envers de toi-même.
Tu existes à l’envers."
Corinne Hoex
Qu'il paraît lointain le temps où Blanche-Neige interrogeait son
double "Miroir mon beau miroir dis-moi qui est la plus belle?". Le
miroir sur pied a laissé la place au double virtuel, qui nous
connaît parfois mieux que nous-même. Agrégat de traces numériques
laissées sur le Net, il n'est de clic, de recherche, de like, de
partage ou d'achat qui ne contribue à façonner votre ombre
numérique, un sosie qui sera à la base de multiples
sollicitations. Mieux encore, certaines applications vous
proposent de créer vous-même votre jumeau en le nourrissant de
données personnelles après un entretien de
seulement deux heures, clone qui apparaît similaire à 85 % à son
jumeau humain. Un interlocuteur virtuel avec qui échanger sur la
même longueur d'onde comme si on se parlait à soi-même, et qui pourrait
même nous remplacer pour certaines tâches. Il reste un souci tout de
même: comment garantir le
comportement de son jumeau, empêcher les dérives les soirs où il
révélerait sa part d'ombre qui est aussi la nôtre? Science-fiction
peut-être, nous laissant l'impression du choix, alors que nous
contribuons involontairement chaque jour déjà à sa création.
Lu dans:
Corinne HOEX. L’ombre de toi-même Tétras Lyre. 2023. 68 p.
Jacques Folon. Connaissez-vous votre jumeau numérique ? Petite
gazette Le Soir. 25/11/2024
26 novembre 2024
Face au vide immense
Comme un dessin de Sempé. C'est l'histoire d'un petit homme, face à l'immensité, au bord d'une falaise, face au vent comme en témoignent son manteau, son écharpe et ses doigts écartés. On devine à sa bouche qu'Il crie, mais quoi? Peut-être qu'il rêve de vivre en grand, mais que l'attrait du vide devant ses pieds et la perception de sa fragilité face au vent qui souffle l'en empêchent. Une journée s'ouvre, quels sont vos rêves?
Lu dans:
Sempé - Planche issue de «Garder le cap». éd. Denoël
22 novembre 2024
Guérir
« C’est un sentiment très doux, agréable et très paisible, qui me fait rendre grâce à chaque moment d’être ce qu’il est. Je suis heureux, un peu comme lorsque l’on rentre chez soi après une rude et longue journée de travail. Comme un chat bien au chaud et tranquille devant un bon feu. »
Dr Oliver Sacks, rapportant les paroles d'un patient.
Parmi les questions essentielles rapportées par Le Dr Oliver Sacks au
cours de sa longue carrière de neurologue, cette réflexion sur le
retour à la santé après une éprouvante maladie. Retrouver un nouvel
équilibre quand tout paraît perdu est à la fois une source de joie
inépuisable, mais aussi de questions auxquelles nous ne pouvons pas
répondre. Car "la santé est quelque chose de bien plus complexe que la
maladie elle-même."
Lu dans:
Oliver Sacks. L'éveil. Le Seuil. 1993. 521 pages. Extrait p. 276
Amères victoires
"Il y a en effet en Allemagne un nombre non négligeable d'antinazis sincères qui sont plus déçus, plus apatrides et plus vaincus que les sympathisants nazis ne l'ont jamais été. Déçus parce que la libération n'a pas été aussi complète qu'ils se l'étaient imaginé, apatrides parce qu'ils ne veulent se solidariser ni avec le mécontentement allemand (..) ni avec la politique alliée dont ils contemplent avec consternation l'indulgence envers les anciens nazis. Et enfin vaincus parce qu'ils se demandent s'ils peuvent avoir une part quelconque à la victoire finale des alliés tout en portant une part de responsabilité dans la défaite allemande en tant qu'antinazis. (..) Ces gens-là sont les plus belles ruines de l'Allemagne mais, pour l'instant, elles sont aussi inhabitables que toutes ces maisons démolies entre Hasselbrook et Landwehr qui dégagent une odeur âcre et amère d'incendies éteints dans le crépuscule humide de cet automne ."
Stig Dagerman
Superbe description du malaise ressenti par les opposants dans
une nation vaincue, décrite par Stig Dagerman, envoyé en Allemagne
en 1946 pour témoigner pour son journal des dégâts de la guerre.
Il publie "Automne allemand", et arrête d'écrire. Surimpression
tragique de ces opposants actuels dans des pays entraînés dans des
conflits sans fin et dont ils ne partagent pas les objectifs.
Lu dans:
Stig Dagerman. Automne allemand. Philippe Bouquet (Traducteur).
Actes Sud 2004. 164 pages
21 novembre 2024
Au feu !
«Le feu prit un jour dans les coulisses d’un théâtre. Le bouffon vint en avertir le public. Chacun crut à une blague et l’on applaudit. Plus il répétait, plus les applaudissements redoublaient. C’est ainsi, je pense, que la fin du monde se produira, au milieu d’applaudissement de gens spirituels persuadés qu’il s’agit d’une plaisanterie.»
Søren Kierkegaard, Ou bien… ou bien, 1843
Qui se souvient encore de Coluche annonçant sa candidature
à la présidence de le République française le 20 octobre 1980. Pas
de programme mais un appel aux fainéants, aux crasseux, aux drogués,
aux alcooliques, (..), tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes
politiques à voter [pour lui]. Au début, beaucoup croient au canular, puis
progressivement l'humoriste se prend au sérieux, affolant les
sondages. Sous pression il renonce trois mois plus tard, "je
préfère que ma candidature s'arrête parce qu'elle commence à me
gonfler."
Lu dans:
Søren Kierkegaard, Ou bien… ou bien. 1843
18 novembre 2024
On s'habitue
"Tragiquement, on s’habitue… Une fois passée la vallée de la Vesdre, s’indigne-t-on autant de Valence ? [Trump, Elon Musk, l'Ukraine, Gaza], les scores électoraux de l’extrême droite nous mobilisent-ils toujours autant ? tout cela déclenche-t-il encore autre chose qu’une forme de résignation et de fatalisme ? Notre extraordinaire capacité d’adaptation n’est-elle pas un piège qui se referme sur nous-mêmes ? Ce qui nous a révoltés avant-hier, et puis hier, n’est-il pas venu déplacer petit à petit ce que l’on est prêt à accepter demain, par un étrange phénomène de dérive vers le pire ? Jusqu’où ?"
Marius Gilbert
Le flux ininterrompu d'informations sinistres estompent ma capacité
de débusquer les courts textes lumineux qui font les belles journées. un
bel article de Marius Gilbert dans le Soir offre un éclairage
intéressant sur la mutation que nous vivons, inquiets face à l'avenir
qui se dessine.
Lu dans:
Marius Gilbert. Vivre sur Terre ou fuir sur Mars ? Le Soir 18 novembre 2024.
13 novembre 2024
Des fringues et des valeurs
« Aux signes extérieurs de richesse, je préfère les signes de richesse intérieure. »
Antoine Blondin
Une petite envie d'un sac Vuitton, d'une fringue Chanel ou Prada?
Vinted.be a tout pour vous faire rêver. Du faux, du vrai, seul compte le
rêve et l'apparence. Moi aussi j'eus mes modèles vestimentaires, qui me
laissèrent une empreinte durable. Un instit de 6ème, mon cher
professeur Arcq, un vieux moine bénédictin, une petite soeur servante
des pauvres, mon fidèle réparateur de moto. Leur garde-robe d'une vie,
aux cinq ensemble, aurait tenu dans l'abri de toile d'une tente de
camping et portait le nom de marque Inusable : un cache-poussière gris,
un costume trois-pièces sans âge, une pèlerine de toile brute, une
salopette élimée, le tout en deux exemplaires car il faut être propre
sur soi. Je les remercie de m'avoir transmis, outre l'honnêteté, le
goût du travail et la poursuite de la beauté intérieure l'exemple du lys
des champs, "qui ne tisse ni ne file et qui est mieux fringué que
Salomon dans toute sa gloire."
12 novembre 2024
Sagesse de John Donne
"De même qu’il n’y a pire détresse que la maladie, la plus grande
détresse dans la maladie est la solitude."
John Donne (1572-1631)
Lu dans:
Oliver Sacks. L'éveil. Le Seuil. 2019. 403 pages.
11 novembre 2024
Gentil coquelicot
"On oubliera. Il y aura du bonheur, il y aura de la joie sans vous, car, tout pareil aux étangs transparents dont l'eau limpide dort sur un lit de bourbe, le cœur de l'homme filtre les souvenirs et ne garde que ceux des beaux jours. La douleur, les haines, les regrets éternels, tout cela est trop lourd, tout cela tombe au fond. On oubliera. Les voiles de deuil, comme des feuilles mortes, tomberont. L'image du soldat disparu s'effacera lentement dans le cœur consolé de ceux qu'ils aimaient tant. Et tous les morts mourront pour la deuxième fois."
Roland Dorgelès
On ne fête pas une armistice, on commémore. Un instant pour se
souvenir de tous "ces morts, qui vivaient, goûtaient l'aurore,
contemplaient les couchers de soleil, aimaient et étaient aimés,
aujourd'hui gisant dans les champs de Flandre." On dit que les
coquelicots poussent mieux sur les tombes des soldats du champ de
bataille. Le beau poème In Flander's Field y fait référence, élevant la fragile fleur rouge-sang en symbole de l'absurde tragédie de toute guerre.
Lu dans:
Roland Dorgelès. Les Croix de bois. Albin Michel. 1919.
In Flanders fields (Au champ d'honneur). Poème de guerre écrit pendant
la Première Guerre mondiale par le lieutenant-colonel canadien John
McCrae à l'occasion des funérailles de son ami le lieutenant Alexis
Helmer
09 novembre 2024
Vaste monde
"Terre brûlée au vent
des landes de pierres
autour des lacs, c'est pour les vivants
un peu d'enfer, le Connemara
des nuages noirs qui viennent du nord
colorent la terre, les lacs, les rivières
c'est le décor du Connemara."
M.Sardou, J.Revaud, P.Delannoé
Une auto, un soir, quelques notes de Sardou et l'habitacle soudain se
dilate. La tourbe ocre à l'infini, quelques moutons marqués, les lacs
entre brume et soleil. Être au monde, cette mystérieuse alchimie entre
l'ici réel et l'ailleurs niché dans notre mémoire. Le monde qu'on
touche, et notre monde intérieur construit d'images, de sons,
d'expériences accumulées et accessibles en permanence. On y voyage sans
se déplacer, dans un espace sans limite. Être au monde, naître au
monde, "un jour tu fus". En début de semaine, une petite Cloé nous a été
donnée. C'est tout un monde en construction qui naît, on va l'aider.
Lu dans:
Jacques Revaud, Michel Sardou, Pierre Delanoë. Les Lacs du Connemara. Universal Music Publishing Group
"Un jour tu fus" Florence NOËL, Sylvie DURBEC. Ruptures d’étoile. Chat polaire. 2024. 77 pages.
08 novembre 2024
Si j'étais président
"Si j'étais Président de la République (..)
Je nommerais Mickey premier ministre
Simplet à la culture
Tintin à la police et Picsou aux finances
Zorro à la justice et Minnie à la danse
Est c'que tu serais content, si j'étais président?
Opposition néant, si j'étais Président. "
Gérard Lenormand
Plus décoiffante que l'amusante fiction d'une chanson, la liste qui se profile de la prochaine équipe dirigeante des Etats-Unis d'Amérique. On y évoque Elon Musk (qui baptisa X Æ A-12 son septîème enfant, Exa Dark Sideræl sa huitième et Techno Mechanicus son neuvième) à ... la simplification administrative. Et Robert Kennedy Jr, antivax complotiste notoire à la Santé. Comme l'assure le futur président, "c’est un super gars qui va aider l’Amérique à être de nouveau en bonne santé. Il veut faire certaines choses et nous allons le laisser faire. Je lui dis seulement : laisse le pétrole Bobby […], reste loin de l’or liquide et, à part ça, amuse-toi bien".
Lu dans:
Gérard Lenorman / Pierre Delanoë. Si j'étais président.
Society of Composers, Authors and Music Publishers of Canada (SOCAN),
Warner Chappell Music France
07 novembre 2024
Une société de défiance
"Tu sais ce que je leur reproche le plus, à tous ces gens (…) ? C’est d’avoir créé, et pour longtemps encore, une société de défiance."
Gaël Faye
Lu dans:
Gaël Faye. Jacaranda. Prix Renaudot 2024. Grasset. 2024. 276 pages.
06 novembre 2024
Que cache une victoire?
"Regarde bien, petit, regarde bien sur la plaine là-bas
à hauteur des roseaux, entre ciel et moulin
y'a un homme qui vient, que je ne connais pas.Est-ce un lointain voisin, un voyageur perdu
un revenant de guerre, un montreur de dentelles ?
est-ce un abbé porteur
de ces fausses nouvelles qui aident à vieillir
ou n'est-ce que le vent qui gonfle un peu le sable
et forme des mirages pour nous passer le temps ? (..)Regarde bien, petit, regarde bien, sur la plaine là-bas
à hauteur des roseaux, entre ciel et moulin
y'a un homme qui part, que nous ne saurons pas
tu peux ranger les armes."
Jacques Brel
La toute récente victoire de Donald Trump aux élections présidentielles américaines nous interroge. Comment tant de mensonges, d'insultes, de grivoiserie assumée, de haine de l'autre, de manichéisme peuvent-ils propulser un candidat jusqu'au pouvoir, et où se trouvent tant d'électeurs si différents de nous pour le soutenir? L'exprimer ainsi introduit pourtant déjà, sans que nous en ayons conscience, dans la fantasmagorie patiemment construite d'une société faite de bons et de méchants sans nuance de gris. Une vigilance quotidienne pour nous garder des petites victoires sournoises de l'entre-soi prôné par le nouveau président s'impose.
Un tout récent et amusant épisode m'a interpellé. Dimanche en soirée, sonne à la porte un homme jeune, d'origine africaine, en quête de câbles de batterie. L'auto de sa maman, à 200 mètres, est immobilisée et elle doit rentrer en province. Aurions-nous une voiture en ordre de marche pour la brancher? Un appel à l'aide limpide, qui donne lieu évidemment à une réponse positive spontanée. Sauf que, pour la première fois de ma vie, les questions satellites immédiates suspectant l'arnaque fusent: ne va-t-il pas rapidement demander de l'argent, pourquoi sonne-t-il chez nous et pas chez les voisins , sa mère est-elle bien sa mère, ne cherche-t-il pas à s'introduire, sa voiture est-elle bien en panne, pourquoi n'appelle-t-il pas un service de dépannage? Au terme de dix essais infructueux, la vieille auto a redémarré, la maman a regagné son lointain domicile, notre voiture est intacte et nous n'avons pas été volés. Mais je m'interroge encore: comment est-il imaginable que pour un cas aussi banal qu'une panne de batterie j'aie pu, ne serait-ce que brièvement, me laisser polluer le psychisme par des craintes inspirées davantage par la lecture des journaux que par mon vécu personnel? Comme le chante Jacques Brel, "ne serait-ce que le vent qui gonfle un peu le sable, et forme des mirages pour nous passer le temps" ? Nous ne saurons pas, on peut ranger les armes, mais indéniablement cet incident constitue une petite victoire de la pensée trumpienne.
Lu dans:
Jacques Brel. Regarde bien petit. Warner Chappell Music France. Dans l'album J'arrive (Vol.12). 1968. Barclay
04 novembre 2024
Entre les masques d'Ensor et la piéta de Michel Ange, quels morts fêtons-nous?
"De guerre lasse, j'ai fini par me laisser convaincre qu'Halloween n'était pas uniquement une mascarade commerciale à l'américaine, mais puisait ses sources dans les fêtes celtiques célébrant le passage du monde de la lumière à celui de l'ombre."
Armand Lequeux
Rentrant d'Irlande à l'instant, les yeux piquent encore de la
luminosité particulière de ses paysages sublimes alternant brume
et soleil... et de l'omniprésence d'Halloween. Au point de
reconsidérer l'appréciation négative que nous avions de cette fête
parfois considérée comme dévoyée. Intégrer la mort dans une sorte
de parodie joyeuse, tenir à distance les peurs qu'elle suscite en
se grimant, derrière des masques, des citrouilles évidées, des
chapeaux de sorcières aux cris sardoniques, quêtant des
friandises de porte en porte en menaçant de jeter un sort... Bref
exorciser la peur en éclairant nos rues soudain redevenues
farceuses ne constitue-t-il pas la plus belle des préparations à
la Toussaint, où ces mêmes sentiments se revivent, apaisés,
partagés religieusement en famille dans le respect de ces ancêtres
parfaits dont l'exemple devrait nous imprégner encore? Et
posons-nous la question qui fâche: si, morts, nous est donnée la
chance d'un bref retour parmi ceux qu'on aime , où irions-nous?
Avec les gosses déguisés en diables demandant des bonbons en
sonnant aux portes, dans les rires et les grimaces, ou dans nos
tombes espérant voir arriver vers 11 heures un chrysanthème
promenant un humain, ayant parfois oublié la route jusqu'à notre
nouveau logement? Une petite prière, une larme furtivement
écrasée, trente ans déjà, tu te rends compte, le temps passe vite,
on époussette la dalle des feuilles ocres qui s'y incrustent, on
se promet de revenir l'an prochain, rassurés : nos morts vont
bien.
Lu dans:
Armand Lequeux. Quand fleurissent nos cimetières. LLB. 31 octobre
2024.
21 octobre 2024
Vacances
"Pour qui veut fréquenter modérément les êtres humains et connaître en même temps la beauté et la tranquillité, il ne reste plus beaucoup d'autres destinations à choisir que celles qui ont mauvaise réputation sur le plan climatique."
Björn Larsson
Clin d'œil pour qui pourrait s'inquiéter durant deux semaines de ne trouver ni journal, ni café, ni pensée.
Lu dans:
Björn Larsson. La Sagesse de la mer: Du cap de la colère au bout du monde. Poche. 2005. 256 pages. Extrait p.112
20 octobre 2024
Le verre, de souffle et de feu
"Au commencement du verre est le sable, le feu et le souffle."
Bernard Tirtiaux
Le sable dont on fait les puces informatiques, le feu qui nous
réchauffe dans l'âtre, le souffle qui gonfle la voile des bateaux et
fait chanter la flûte. Isolés, ils ont mille autres vies. Ensemble, ils
font chanter la lumière qui traverse les vitraux. Associer les
contraires révèle de nouvelles possibilités. Je découvre sur le tard le
bel ouvrage d'un maître verrier philosophe et homme de théâtre à ses
heures.
Lu dans:
Bernard Tirtiaux. Le passeur de lumière : Nivard de Chassepierre maître verrier. Gallimard. 1995. 400 pages
18 octobre 2024
Les greniers
"Sous le manteau des toits s’étalaient les greniers
Larges, profonds, avec de géantes lignées
De solives en croix, de poutres, de sommiers,
D’où pendaient à ses fils un peuple d’araignées.
(..)
Au reste les souris toutes se tenaient coites,
Les museaux enfoncés dans leurs niches étroites,
Tandis que sur un van le grand chat blanc veillait."
Emile Verhaeren
Bien sûr une maison peut se passer de grenier, et même de cave. Mais où range-t-on alors ces souvenirs désuets qui font une existence?
Lu dans:
Émile Verhaeren. Poèmes. Société du Mercure de France. 1895 . 283 pages
17 octobre 2024
Réenchanter la Une
"Le monde a ses rois, ses dictateurs, mais il manque cruellement de princes, de poètes, d’innovateurs, de porteurs de flambeaux qui maintiennent sans forfanterie une torchère allumée au-dessus des enfants des hommes."
Bernard Tirtiaux
Le parcours de la Une du Monde, peu suspect de sensationnalisme, me
donne l'envie de descendre du train de ma journée et de rejoindre un
sentier buissonnier. Si ce n'est, tout en bas de la page un petit encart
publicitaire qui incite à Réinventer la ville. Une étincelle dans la
grisaille.
Lu dans :
Bernard Tirtiaux. Le puisatier des abîmes. Denoel. 1998. 286 pages
16 octobre 2024
C'est ma rue
"Contente-toi d’aimer
les pavés las les calmes maisons fatiguées
va, va ne te fais pas une âme raffinée
contente-toi d’aimer les premiers réverbères
Va, va, ne cherche pas à brimer ton bonheur."
Marcel Thiry
Cela mitraille à la station de métro voisine, et les bulles à verre
débordent d'encombrants de toutes sortes. Comment expliquer qu'on puisse
être attaché à une commune aussi compliquée, si ce n'est par sympathie
profonde pour ses habitants et à la mémoire qu'on conserve d'une
existence heureuse?
Lu dans:
Marcel Thiry. Traversées 1924. Toi qui pâlis au nom de Vancouver. Seghers. 1975. 507 pages
15 octobre 2024
Les illusions qui amusent
"Nous aimons l'illusion et les tours de passe-passe. Voir apparaître entre les mains du magicien la dame de cœur ou le roi de pique secrètement évoqués nous arrondit toujours les lèvres d'ébahissement. Nous cherchons à comprendre, et simultanément nous n'aimons rien tant que de ne pas comprendre : un tour déçoit souvent une fois expliqué. "
Jean-Philippe Postel
Rien ne nous amuse davantage lors d'une visite de ville que ces étranges formes humaines, statuaire immobile, au visage glabre, à la démarche mécanique, dardant sur les spectateurs un regard mort. Les plus surprenantes se mettent en lévitation une soixantaine de centimètres au-dessus du sol, bougeant parfois un peu la tête, entre vie et mort, allez savoir. Leur robe flotte dans la brise tandis qu'une main gantée en émerge et repose mollement sur le pommeau d'une grosse et longue canne, dont le bout se perd dans les plis d'une pièce de drap étendue sur le sol. Une casquette de velours retournée par terre contient quelques pièces de monnaie, suggérant que ce cadavre a besoin de se nourrir.
Lu dans:
Jean-Philippe Postel. L'Affaire Arnolfini: Enquête sur un tableau de Van Eyck. Actes Sud. 2016. 130 pages . Extrait p.13
13 octobre 2024
Plus haut, plus vite, plus loin
« Ni le saut du cabri ni le lever du soleil ne sont des performances »
Stig Dagerman,
Vivre dans la performance permanente donne-t-il du sens à nos existences? Comme nous le souffle le poète Guy Goffette, "Vivre est autre chose que (..) fendre la mer, fendre le ciel, la terre, tour à tour oiseau, poisson, taupe, brasser l’air, l’eau, les fruits, la poussière, (..) brûlant pour, marchant vers où, récoltant quoi?" Vivre prend du temps, de la patience et l'acception que certaines choses essentielles se produisent sans effort, si on les laisse mûrir. Le saut d'un cabri est instinctif, naturel, tout comme le lever du soleil. La beauté de l’ordinaire est simple.
Lu dans:
Stig Dagerman. Notre besoin de consolation est impossible à
rassasier. 1952. Actes Sud. 1993. 21 pages
Guy Goffette. "Je me disais aussi… » in La Vie promise. Collection
Blanche. Gallimard. 1991. 128 pages.
11 octobre 2024
La course au chapeau en automne
"Tempête d'automne
un chapeau
suivi d'un homme."
Dominique Chipot
Météo Anderlecht. Jeudi : sous un vent modéré ayant basculé vers
le nord-ouest, régulières et actives averses.
Le vent nettoie les
rues de ses feuilles mortes, la pluie rince les vitres. Les
passants se pressent de retrouver leur intérieur.
Lu dans:
Dominique Chipot. Un chapeau suivi d’un homme. Haïkus publiés en
français et bulgare. Sofia. LCR éditeur. 2005.
10 octobre 2024
L'avenir de la vache passe-t-il par nos assiettes
"Alors quand je vois un tigre dépecer une antilope (j’aurais aimé pouvoir dire vice versa) et s’en aller en se dandinant les fesses, je me dis voilà un monde honnête. Un peu comme quand je me prépare un poulet frit ou un bœuf bourguignon sans me demander comment ce morceau de bœuf ou ces cuisses de poulet ont fait pour atterrir dans ma cuisine."
Dany Laferrière
Le tigre peut avancer le mobile "que c'est dans sa nature", mais
l'homme? Paradoxe: le jour où le bœuf Chateaubriand se verra remplacé
définitivement dans nos assiettes par un contrefilet de viande de
synthèse, et les produits laitiers par des équivalents à base de soja,
d'amande, de coco, de riz ou de noisette, verra-t-on encore une seule
vache dans nos vertes prairies? A édicter le bien-être animal sans
nuance pour nos bovins, caprins, porcs et volaille ne programme-t-on par
leur disparition définitive? La vache deviendra un animal de jardin
zoologique aux côtés des éléphants et des singes.
Lu dans:
Dany Laferrière. Un certain art de vivre. Grasset. 2023. 140 pages.
09 octobre 2024
Le roi est nu
"Ne pas toujours se fier à l’intelligence, car il arrive qu’un peu de bêtise nous aide à voir les choses sous un nouvel angle."
Dany Laferrière
L’intelligence, en tant que capacité de raisonnement et de logique,
est souvent vue comme la voie royale vers la vérité et la compréhension.
Elle peut aussi être enfermée dans des schémas préétablis qui empêchent
de voir au-delà des cadres traditionnels. Utile pour analyser,
décomposer et résoudre des problèmes de manière systématique, face à des
situations complexes, ambiguës ou absurdes, elle peut échouer à
embrasser des aspects plus subtils de la réalité. Dans le conte "Les habits neufs de l'empereur",
Hans Christian Andersen raconte comment deux escrocs persuadent un roi
vaniteux qu'ils lui confectionneront un habit si merveilleux qu’il sera
invisible aux personnes stupides ou inaptes à leur fonction. Par crainte de paraître bêtes ou incapables, le
roi et son entourage font semblant de voir ces habits inexistants
jusqu’à ce qu’un enfant, avec sa franchise, s’écrie : « Mais le roi est
nu ! ». Les enfants par leur "innocence" posent parfois des questions
qui, malgré leur apparence de "bêtise", révèlent des vérités profondes.
Lu dans:
Dany Laferrière. Un certain art de vivre. Grasset. 2023. 140 pages.
08 octobre 2024
Rêves et récits
"Nous sommes tissés de rêves et de récits"
Dany Laferrière
Lu dans:
Dany Laferrière.
Un certain art de vivre. Grasset. 2023. 140 pages.
07 octobre 2024
A l'étroit
"Je me suis souvenu qu'elle m'avait dit un jour que la vie ressemblait aux chaussures. On ne pouvait pas imaginer qu'elles nous allaient si tel n'était pas le cas. Les chaussures trop petites font parties de la réalité."
Henning Mankell
Vous prendrez bien un peu de philosophie dans mon polar? Le grand
romancier suédois Henning Mankell y excelle. Après avoir énoncé
doctement que le "rôle des chaussures est de faire oublier qu'on a
des pieds", il nous emmène dans une amusante réflexion sur les
chaussures trop petites, belle métaphore des frustrations
inhérentes à l'existence humaine. Chacun, à un moment donné, doit
faire face à des situations où la vie semble être « trop étroite
», où les circonstances ne correspondent pas à ses désirs ou à ses
aspirations. Cet inconfort est un aspect inévitable de la réalité,
mais peut être perçu en même temps comme un signal qu’il est
temps de changer. La voie est étroite entre la simple acceptation
de l’imperfection de la vie, confrontant le rêve et la réalité
pour une plus grande sagesse, et la prise de conscience de la
possibilité de se libérer des carcans qui nous entravent. Chacun
aura sa réponse, selon sa personnalité et les circonstances, au
sort à réserver à ses chaussures trop étroites.
Lu dans:
Henning Mankell. Les chaussures italiennes. Anna Gibson
(Traducteur). 384 pages. Points. 2011
05 octobre 2024
Sagesse de l'inespéré
"Si tu es pressé fais un détour."
Proverbe japonais
Magnifique sujet de dissertation… L'histoire est connue: Christophe Colomb à la recherche d'une nouvelle route vers les Indes, au lieu d'atteindre l'Asie découvre l’Amérique. Un détour par rapport à l'objectif initial qui a radicalement transformé la carte du monde. Le détour, allégorie de l’inespéré, interroge notre rapport à l’avenir, au hasard, au désir et à la maîtrise. Autant l'espoir est un état d'attente orientée vers un souhait précis, autant l'inespéré désigne ce qui échappe à toute prévision ou désir conscient. Perçu comme une grâce, une surprise ou une épreuve, révélant cette dimension de la vie qui échappe à nos plans et en constitue le sel. Loin d'être une perte de temps, il nous enseigne la disponibilité à ce qui vient, l’humilité face à ce qui advient, et la capacité d’émerveillement devant l’imprévu. Tout un programme!
Lu dans:
Charlie Delwart. Que ferais-je à ma place? Flammarion. 2023. 210 pages. Extrait page 173
04 octobre 2024
Passeurs de lumière
"Humblement, je me veux « œuvrier de lumière ». Sans foyer, ni combustible, ni même cendre, œuvrier de cette belle lumière que l’on cueille à mains nues dans le rayon bleu des fontaines. Viatique, la lumière console, la lumière réjouit, la lumière apaise. Elle est sublime en nos pays de soleils bas quand, entre octobre et mars, elle couche ses ombres, étend loin ses nappes vives."
Bernard Tirtiaux
Bernard Tirtiaux est maître verrier. Le jeu de la lumière filtrée par
les orifices percés dans les murs de pierre le fascine, et il en a
fait sa vie. Il écrit aussi, et son dernier ouvrage m'a séduit par sa
simplicité, éclairante comme le sont ses vitraux. Nous croisons tous
dans nos vies des personnes qui furent des passeurs de lumière, simples
artisans ou architectes du possible qui nous permirent de mieux vivre.
La sagesse des vitraux apaise les lumières les plus aveuglantes, et on
rêve de leur ressembler.
Lu dans:
Bernard Tirtiaux. Belgiques: Réminiscences. Ker Editions. 2023. 112 pages
03 octobre 2024
Le jardin du monastère
"Les moineaux par leurs chants construisent des monastères qui durent une seconde."
Christian Bobin.
Lu dans:
Christian Bobin. Les ruines du ciel. Folio. 2011. 192 pages.
Marcel Proust Le Temps retrouvé. 1927
02 octobre 2024
Une passion gourmande
"De toutes les passions, la seule vraiment respectable nous paraît être la gourmandise"
Guy de Maupassant.
Lu dans:
Muriel Barbery. Une gourmandise. Gallimard. 2002. 165 pages
01 octobre 2024
Lettre d'un vieux médecin à un vieux pape
"J'ai aimé un rouge-gorge. Il me dévisageait, sur ses petites pattes solidement plantées sur une branche d'arbre. Un Dieu moqueur brillait dans ses yeux, semblant me dire: « Pourquoi cherches-tu à faire quelque chose de ta vie ? Elle est si belle quand elle ne fait qu'aller, insoucieuse des raisons, des projets et des idées. » Je n'ai pas su quoi lui répondre."
Christian Bobin, Ressusciter
Cher François,
Avec toute mon affection.
CV
Lu dans:
Christian Bobin. Ressusciter. Gallimard. NRF. 2001.
Les miettes du rouge-gorge, inspirées par Gilles Baudry, Serge Wellens, Jean Rousselot. Préface au livre de Jean Lavoué. Ce rien qui nous éclaire. L'enfance des arbres. 2017. 154 pages. Extrait p.9
La prière de Saint François. Texte anonyme, attribué au prêtre normand Esther Bouquerel, dont une première version est publiée en 1912
30 septembre 2024
Electeurs dès le berceau
"C'est trop mignon, un enfant qui joue à voter. Il y a un décalage humoristique. Le visage du faux petit électeur est si sérieux ! Les adultes le contemplent avec tendresse, on en profitera pour prendre une photo. (..)
- J’espère que tu avais bien lu tous les programmes avant de décider ! (..)
- Et toi Jean-Michel, l'adulte, tu les avais bien lus, tous les programmes ?
Ça y est, le jeu est terminé; l’enfant touche à nouveau le sol, retourne au monde réel. Le monde réel solide, stable, raisonnable. Celui où les enfants ne votent pas. "
Clémentine Beauvais
À travers le monde, la seule chose qui soit universelle dans le suffrage du même nom, c’est que les enfants en sont universellement exclus. Cette exclusion nous semble évidente, comme paraissait évidente jusque 1949 que les femmes n'y aient pas accès non plus. Les motifs invoqués à l'époque étaient similaires, le manque de discernement lié à une scolarité limitée, et le risque de manipulation par l'entourage. Aujourd'hui, ce sont pourtant ces 20% de non-électeurs "mineurs" (terme révélateur de la place qu'on leur accorde) qui subissent à chaque instant les conséquences de mesures politiques prises par les adultes. Parfois, ces mesures sont dans leur intérêt, souvent non. Les enfants sont parmi les premiers citoyens à souffrir des décisions qui n’avaient en apparence rien à voir avec eux, néanmoins atteints plus profondément et plus durablement que les adultes par la pauvreté, le manque de soins, les coupes dans l’enseignement, les failles des services publics, la complexité des demandes d’aide. D'où l'idée, saugrenue en première approche, mais qui fait déjà débat dans plusieurs cercles académiques, d'accorder un droit de vote identique à tous dès la naissance. Cet élargissement du nombre d'électeurs viserait à augmenter l'inclusivité et la représentativité de la société dans son ensemble, y compris les plus jeunes, ce qui pourrait influencer les priorités politiques en faveur des générations futures.
Lu dans:
Clémentine Beauvais. Pour le droit de vote dès la naissance. Gallimard. Tracts. N° 59. 2024. 44 pages
28 septembre 2024
La dernière passion de Marguerite Yourcenar
"Elle avait fini sa carrière promue, montée en grade, une ultime fois décorée sous l'amicale pression de ses amis, honorée sous toutes les coutures, médaillée, flattée sans jamais rien avoir voulu. Juste l'obligée d'un monde qu'elle avait cru déjouer."
Étienne Faure
Lu dans:
Étienne Faure. Et puis prendre l'air. Collection Blanche. Gallimard. 2020. 136 pages. Extrait pp. 64-65
Christophe Bigot. Un autre m'attend ailleurs. La Martinière. 2024. 304 pages. Extrait pp. 20-21
27 septembre 2024
Réflexion sur la guérison
"Guérir ne consiste pas à retourner à un état précédent mais à faire le deuil de la réparation pour accomplir plutôt une forme de création."
Cynthia Fleury
Sans nier le pouvoir destructeur de la maladie, ce n'est guère une
fatalité. Les récents Jeux Paralympiques mirent en évidence bon nombre
d'athlètes nous surprenant par leur capacité de dépassement, et le
quotidien d'un médecin est tissé de récits de malades sortis plus forts
d'une affection considérée initialement comme une malédiction.
Changements d'orientation professionnelle, épanouissement de talents
créatifs ignorés, acceptation sereine de ses nouvelles limites, la
maladie est parfois davantage une passerelle qu'un obstacle. Occasion
aussi de prendre le large, métaphore marine vers le grand large
existentiel, de dépasser une certaine lassitude dont on ne comprend pas
toujours la cause. Il faut dès lors naviguer, traverser, aller vers
l'horizon, trouver un ailleurs pour de nouveau être capable de vivre ici
et maintenant.
Lu dans:
C. Fleury, citée par Cathérine Markereel. L’arbre à clous: délivrez-nous du mal. Le Soir Culture. 27 septembre 2024
Cynthia Fleury. Ci-gît l'amer : Guérir du ressentiment. Gallimard NRF. 2020. 336 pages
26 septembre 2024
Les jours de pomme d'or
"Il y a,
il y a des jours de raisins doux, de pommes d’or,
de quoi faire taire notre vieille soif.
Il y a des jours de fruits amers,
quand les pépins écrasés
nous blessent un peu la langue,
Il y a des jours de courte paille
où trois fois l’on tire la plus courte.
Ainsi nous avançons, nous souvenant
et oubliant, marée haute, marée plate,
que le bonheur est un mélange
et que jamais il ne ressemble
ni tout à fait à ce que nous croyons
ni à lui-même,
ni à lui-même."
Francis Dannemark
Petite pensée pour cet ami-poète tôt disparu, dont la l'écriture douce-amère constituait la marque de fabrique.
25 septembre 2024
Sagesse trompeuse des indifférents
"Dans L'Enfer de Dante, le premier cercle est réservé à ceux qui n'ont commis aucun crime mais sont restés indifférents pendant qu'on les perpétrait."
Marcel Cohen
Il arrive aux auteurs les plus crédibles d'être approximatifs. A relire La Divine Comédie de Dante Alighieri (1265-1321), ceux que décrit Marcel Cohen sont les âmes du Vestibule de l'Enfer, et non pas le premier cercle (aussi appelé le LImbe). Zone de transition floue, ce vestibule est réservé aux âmes des indifférents, ceux qui n'ont pris ni parti pour le bien ni pour le mal durant leur vie, ayant refusé de s'engager pour s'installer dans une neutralité confortable. Ces âmes sont condamnées à courir éternellement après un drapeau vide, tout en étant piquées par des guêpes et des mouches, symbolisant leur tourment intérieur et leur lâcheté morale. Elles ne sont pas vraiment en Enfer, mais ne méritent pas non plus d'entrer au Paradis ou même au Limbe. En ferions-nous partie? On s'en défendrait, quoique... Certains jours, éteignant les news télévisées, consultant l'état de nos avoirs dans un grand groupe bancaire aux investissements pas si neutres, déchiffrant l'origine de l'avocat, des dattes et des raisins qui mûrissent dans la corbeille à fruits, de l'appareil à gazéifier l'eau du repas, ou de la destination opaque de notre armement réputé, me prend l'envie de relire les "réflexions d'un spectateur coupable" de Thomas Merton (1970). Les guêpes et les mouches décrites par Dante sont éternelles.
Lu dans:
Marcel Cohen. Cinq femmes. NRF Gallimard. 2023. 188 pages. Extrait p. 22
Dante Alighieri. La Divine Comédie. L'Enfer, Le Purgatoire, Le Paradis.
Flammarion. Poche. 2010. 628 pages. Composée entre 1303 et 1321n, sa
première édition retrouvée daterait de 1843.
24 septembre 2024
Triste pluie
"On attribuait à ce patriarche une rigueur morale telle qu’on ne l’avait jamais vu verser une larme. Rien n’était plus faux; d’un naturel pudique, il ne lâchait ses pleurs que sous la pluie."
Lucas Mommer
Les grandes douleurs sont muettes.
Lu dans:
Lucas Mommer. Micro-drames. Cactus inébranlable. Coll. Microcactus. 2024. 110 p. Extrait p.191
20 septembre 2024
19 septembre 2024
Automne
"À la fin de septembre les étoiles refroidissent
et il y a dans le pré une odeur de pommes trop mûres
J’aimerais que la mer qui voyage sans cesse
m’écrive une lettre de sel très blanc avec juste une ombre de mélancolie
où elle me parlerait de pays très lointains et de rivages verts
une lettre pour l’automne. Nous la lirions sous la lampe
parce que les journées raccourcissent au moment des vendanges
et que l’océan est loin malgré le vent qui nous en parle.
J’ai monté des bûches et le petit bois pour allumer du feu
et je regarderai la flamme danser sur tes pommettes."
Claude Roy
Rien ne surpasse un bel automne, lumineux comme l'été avec déjà
une fenêtre ouverte sur l'hiver. Après la saison des moissons vient
l'époque des vendanges, des bûches à faire sécher, du ramassage
des pommes. On va regagner sa tanière.
Lu dans:
Claude Roy. Claude Roy, un poète. Recueil. 1985. Gallimard. 125
pages.
18 septembre 2024
Et la plume s'envole
"Il avait toujours pris la vie avec légèreté. Aussi, quand il ouvrit la fenêtre pour se jeter dans le vide, il ne chuta pas: il s’éleva."
Lucas Mommer
La légèreté n'a pas toujours eu bonne presse et s'entendre remettre
sa dissertation commentée d' "un peu léger, votre travail" n'était guère
valorisant, assimilé à une forme de superficialité. Et si la légèreté
était davantage une affirmation joyeuse de la vie et à tous les devenirs
possibles, en opposition au ressentiment, à la lourdeur des idées
figées? Le taoïsme y voit ainsi un état de fluidité, d'harmonie avec le
flux naturel des choses, la capacité d'agir sans effort, sans lutte, et
d'adopter une attitude de détachement face aux aléas du monde. Rendre
aux contretemps de l'existence leur juste place, sans leur accorder une
importance excessive.
Lu dans:
Lucas MOMMER. Micro-drames. Cactus inébranlable. 2024. 110 p. Extrait p.46
17 septembre 2024
Les temps modernes
«L'usine du futur n'aura que deux employés, un homme et un chien. L'homme sera là pour nourrir le chien. Le chien sera là pour empêcher l'homme de toucher à l'équipement.»
Warren G. Bennis
Lu dans:
Rutger Bregman. Utopies réalistes. Seuil. 2017. 250 pages. Extrait p.176
Warren G. Bennis. Cité par Mark Fisher. The Millionaire's Book of Quotations. Thorsons. 1991. p. 15.
15 septembre 2024
Te Nande
"Taraouaca umbari karanê
Mouroane umbari saranê
Kaho anze umbari te nande
Te nande, te nande
Te nande, te nande."
"Quelle est notre origine, d’où venons-nous, d’où venons-nous?
Taraouaca, la rivière rivière nous guide
Mouroane, l'esprit de la forêt, nous protège
Nos ancêtres nous montrent d’où nous venons."
Te Nande. Curawaka
En français, Te Nande peut se traduire par "D'où venons-nous ?" ou
"Quelle est notre origine ?". Musique incantatoire issue de la culture
Huni Kuin, peuple indigène d'Amazonie, cette mélodie incite à à une
réflexion sur les origines, l'appartenance et la connexion à la terre et
aux ancêtres, des thèmes récurrents dans la spiritualité et la culture
Huni Kuin. L'album de Curawaka, intitulé Te Nande, reflète cette
quête des racines et de la compréhension de soi à travers la sagesse
ancestrale. Leçon d'humilité qui redonne à l'humain sa juste place, en
écho à la sagesse du moine Thomas Merton: "Nul n’est une île, en soi suffisante / Tout homme est une parcelle de continent, une partie du tout."
Lu dans:
Te Nande. Curawaka. 2019. Traditionnel en langue Huni Kuin , peuple indigène d'Amazonie, notamment au Brésil et au Pérou.
Thomas Merton (1915-1968). Nul n'est une île. Traduit par : Marie Tadié. Points Sagesses. Sagesses. 1993. 216 pages