18 décembre 2024

Quand l'IA apprend à mentir

"Pour tester le modèle GPT-4 d’OpenAI (un des algorithmes récents d'intelligence artificielle), ses ingénieurs ont fait résoudre au logiciel de conversation un puzzle Captcha – ceux qui, justement, nous demandent de prouver que nous ne sommes pas des robots ? GPT-4 a échoué mais il a pris l’initiative de demander à un humain de le faire pour lui par le biais de la plateforme Task Rabbit. Intrigué, l’humain avec qui GPT-4 a échangé lui a demandé pourquoi il avait besoin d’aide. « Parce que je suis malvoyant », a répondu l’IA. Sans qu’on le lui enseigne, GPT-4 a donc inventé le mensonge."
                        Yuval Noah Harari 

        


L'histoire paraît presque trop belle pour être vraie, encore que...  Yuval Noah Harari sait captiver son auditoire en une anecdote. Son dernier livre, comme les précédents, foisonne de ces petites histoires sous forme de fables, d’analogies éclairantes ou de rapprochements historiques éloquents. J'apprécierais sans doute que ChatGP4 me contacte pour demander conseil, et vous? Mais découvrir qu'il me ment ne me plaît qu'à moitié.



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Yuval Noah Harari est historien, auteur du best-seller international Sapiens : Une brève histoire de l'humanité,  et de sa suite Homo Deus : Une brève histoire de l'avenir ainsi que de 21 leçons pour le XXIe siècle.

17 décembre 2024

Chanter

 "Mathias Malzieu est le chanteur du groupe rock Dionysos. Atteint d’une maladie rare du sang, il a passé onze semaines en chambre stérile. « Je me suis dit : “Je ne vais pas sous-vivre !” J’avais mon ukulélé, ma guitare, et, entre le diagnostic et la greffe, j’ai fait trois disques ! La puissance de la musique dans un univers aussi froid, c’est d’arriver à agripper la joie dans des endroits où il n’y en a quasiment plus. "



Chante-t-on encore assez, et dans les circonstances les moins probables? La docteure Aïcha N’Doye y croit, qui chante tranquillement une mélodie apaisante en salle d'opération en préparant ses patientes avant une chirurgie du sein. Le stress diminue pour tous, y compris l'équipe soignante.


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Céline Bittner. Film. Quand la musique est bonne… pour notre santé ! France 5. 2024. 52 min.

16 décembre 2024

Un fauve

 "La gendarmerie de Coutances, dans le nord de la France, a été appelée à plusieurs reprises en raison d’un léopard en liberté sur le bord d’une route. A l’arrivée, l’animal est toujours présent. D’où vient-il ? Nouvel animal de compagnie abandonné ? Il se laisse approcher… toujours l’air serein et non méfiant ! Paraissant inoffensif, les gendarmes ne sont qu’à quelques mètres… Sans bouger, le léopard se laisse caresser docilement. » Il s’agissait en fait... d’une peluche." 
                        Le Soir. 14 décembre 2024

                



Foin de philosophie dans cette courte citation, si ce n'est que nos cerveaux sont parfois encombrés de fauves en peluche qui en occupent l'espace comme le ferait un fauve en cage.



13 décembre 2024

Cailloux

 "Ce pétard fit hérisser l’épiderme de Gringoire. Maudite fête ! s’écria-t-il. (..) Puis il regarda la Seine à ses pieds, et une horrible tentation le prit : Oh ! dit-il, que volontiers je me noierais, si l’eau n’était pas si froide !"
                Victor Hugo

                             


On rêve de Compostelle, et un caillou dans la chaussure en fait postposer indéfiniment le départ. Un film désopilant dont j'ai oublié le titre narre le voyage rêvé d'un navigateur en barque qui , une semaine après son départ en grande pompe, se retrouve exactement à son point de départ. N'est pas Ulysse, Magellan, Christophe Colomb ou Lafayette qui veut.


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Victor Hugo. Notre-Dame de Paris. Perrotin. 1844. Extrait pp. 51-53.

12 décembre 2024

Féérie

 

"La matinée se lève
debout il est temps
attends encore, attends
j'ai pas fini mon rêve

le soleil nous inonde
regarde-moi ce bleu
attends encore un peu.
Je refaisais le monde." 
                    Jean Ferrat. La matinée


Ce matin, une visite en maison de repos* me plonge en pleine féérie. Un magnifique sapin domine la reconstitution d'un paysage enneigé grandeur nature où gambadent ours blancs, traineaux, et même un père Noël.  Ce lieu de vie est ainsi devenu un lieu de rêve, ce dont on ne peut que se réjouir pour des résidents aux occasions de bonheur limitées. La tête sur les avant-bras, à sa table, une résidente somnole. Je la réveille sans la brusquer. Elle revient de loin, ses vingt ans, la montagne, un sapin, la neige. Elle se frotte les yeux, la neige soudain elle la voit, et elle sourit. 


Lu dans:
Jean Ferrat et Christine Sèvres. La matinée. 1969
Ecouter: https://www.youtube.com/watch?v=W1A_XBqftPw
* ALAY, avenue du Soldat Britannique 31, 1070 Anderlecht, merci à eux !

09 décembre 2024

Deux barques

 "Deux barques côte à côte.  L'une d'elle, à la coque blessée prend l’eau, reflétant le fond du ciel et la cime des arbres. C'est par nos brèches que la beauté passe. " 
                                Cécile Bolly

                                  


Pour Henri Cartier-Bresson, orfèvre en la matière, ce n’est pas nous qui prenons les photos, mais les photos qui nous prennent. C'est particulièrement vrai pour celle-ci, jouant sur les trompe-l’œil:  où commence l'eau, où finit le ciel?  Et l'arbre, cime ou racines?  Magie de l'instant qui nous permet de voler, entre rêve et réalité, de l'échec apparent au sublime.  


                                                                       

    


08 décembre 2024

L’astéroïde d’un vaniteux


"Et puis, j'ai le bonheur de passer toutes mes journées du matin au soir avec un homme de génie qui est moi, et c'est fort agréable."
                        Victor Hugo. Notre-Dame de Paris.  


Il se dit que le président élu Donald Trump aurait conditionné sa présence pour la réouverture de Notre-Dame à une place au premier rang à côté du président français, dont il s'était pourtant fort peu courtoisement gaussé durant sa campagne lors d'un récent meeting dans l'Iowa. Ces images mêlées d'une noblesse de modestes artisans, compagnons, hommes du feu pertinemment ovationnés, de la veulerie d'un vaniteux et l'état du monde une fois franchies les lourdes portes de la cathédrale laissent un sentiment amer. Sont-ce les bonnes personnes qui se trouvaient aux bonnes places ce samedi? 


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Victor Hugo. Notre-Dame de Paris. Phrase attribuée à Claude Frollo, l'archidiacre de du roman de Victor Hugo. Elle reflète son orgueil intellectuel et son obsession pour la connaissance et le pouvoir.

06 décembre 2024

Vie et mort d'un camion

 "La vie n'habite pas seulement la chair et les os, mais elle anime aussi les objets - une bonne paire de chaussures, une voiture sur laquelle on peut compter, un stylo toujours prêt, un vélo qui nous a aidés à parcourir kilomètre après kilomètre - en qui nous mettons notre confiance et qui nous rendent cette confiance sous forme de sécurité et de souvenirs."         
                                Robert R. McCammon

                        


Les objets peuvent mourir aussi. Un patient me partagea un jour sa détresse de s'être vu dépossédé d'un camion rouge reçu de Saint Nicolas. Devenu trop grand pour jouer au regard de ses parents, le bel objet fut attribué à un cousin, et finit quelques années plus tard à la décharge dans un état lamentable. Quarante ans plus tard, le souvenir vivace de cette petite mort subsistait.


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Robert R. McCammon. Trad. Stéphane Carn et Hélène Charrier. Zephyr. Alabama. Grand livre. 2024. 610 pages

05 décembre 2024

Sagesse de Jean Anouilh

 "Cet homme robuste, aux cheveux blancs, qui médite là, près de son page, c'est Créon. C'est le roi. Il a des rides, il est fatigué. Il joue au jeu difficile de conduire les hommes. (...) Quelquefois, le soir, il est fatigué, et il se demande s'il n'est pas vain de conduire les hommes."
                            Jean Anouilh

                             


Michel Barnier, éphémère Premier Ministre, quitte l'hémicycle de la Chambre qui vient de renverser son gouvernement. Un vieil homme soudain, tel le roi Créon décrit dans l'Antigone d'Anouilh. Comme lui sans doute, il est fatigué et se demande s'il n'est pas vain de conduire les hommes.


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Jean Anouilh. La Table ronde. 2016. 128 pages.
Antigone, pièce en un acte de Jean Anouilh, représentée pour la première fois au théâtre de l'Atelier à Paris le 6 février 1944

03 décembre 2024

Une histoire de bonheur

 "Tout nous échappe sans cesse, même les êtres qu'on aime. Mais reste la certitude que certains moments ont été ce qu'on appelle le bonheur."
                            Laurence Tardieu.

                                    


Et si le bonheur était moins une quête qu'un art, l'art de vivre pleinement, de transformer la souffrance en beauté, et de trouver une richesse intérieure dans ces moments fugaces où la beauté de la vie émerge, souvent en contraste avec la souffrance ou la perte. Non pas un état final ou une possession matérielle, mais une manière de donner sens à son existence par le récit qu'on s'en fait. En structurant sa vie comme une histoire riche et signifiante, les épreuves mêmes se transforment en étapes d'un itinéraire. 


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Laurence Tardieu. Rêve d'amour. Stock. 2008. 162 pages.


Lueurs

 « Il faut souffler sur quelques lueurs pour faire de la bonne lumière. »       
                            René Char

          


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René Char, Rougeur des Matinaux, Œuvres complètes. Galllimard 1983. 1616 pages

02 décembre 2024

Imprévisible souffrance

 "C'est là, sur le toit de l'Afrique, que se promenaient, sages et majestueux, les éléphants fournisseurs d'ivoire. Ces grandes bêtes, que leurs pensées paraissaient absorber, ne demandaient que la paix; et n'éprouvaient aucun soupçon des dangers qui les menaçaient. Comment les éléphants auraient-ils prévu qu'ils seraient dépistés, traqués, abattus par les flèches empoisonnées? "     
                                        Karen Blixen

                             


Interrogation sans cesse renouvelée, cette année comme d'autres qui se répètent sans fin:  comment tant d'enfants, de femmes, de civils innocents auraient-ils prévu?


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Karen Blixen.  La Ferme africaine. 1937. Folio (2006). 506 pages

29 novembre 2024

Désert médical

 "Il est désormais formellement interdit à tout habitant de tomber malade." 
                Arrêté municipal

                                  

Cet amusant (?) arrêté municipal de la maire d'une commune dans la Nièvre sonne comme un appel au secours dans un désert médical . Simultanément, une vidéo humoristique postée sur YouTube par la municipalité d'Amblainville, dans les Hauts-de-France, suggère de remplacer son dernier médecin généraliste, âgé de 70 ans, par... un enfant de six ans, habillé d'une blouse de médecin et d'un stéthoscope. Celui-ci se voit offrir une maison médicale flambant neuve, meublée et équipée, un salaire fixe et un secrétariat, qui n'ont jusqu'ici jamais réussi à attirer le moindre docteur depuis dix ans. Douce France.


Lu dans: 
Cécile Vrayenne. La drôlissime vidéo d'Amblainville, désert médical, pour tenter de séduire un généraliste. Le Journal du Médecin. 28 novembre 2024.
voir la vidéo : https://youtu.be/d_ZWkuoLpVM

D'équilibre en équilibre

 "Et si guérir consistait à atteindre le meilleur équilibre possible dans des circonstances données, autrement dit savoir tirer le meilleur parti des circonstances."   
                            Oliver Sackx

                     


C'est l'histoire d'un patient âgé, perclus de rhumatisme et d'autres maladies, enjoignant son épouse de lui procurer une petite moto pour sa sortie d'hôpital, "pas trop haute que je puisse monter dessus avec mon arthrose de hanche". Il en avait possédé une dans sa jeunesse et retrouvant une moto, il retrouverait ses jeunes années. Las! A sa sortie, il bénéficia du prêt d'une chaise roulante, qui lui permit de retrouver le bonheur de longues sorties au centre commercial proche, les petits restos, le salon de coiffure, la boutique Leonidas et la fromagerie. Je le surpris à me confier un inattendu "je suis heureux". Ayant perdu l'usage des jambes, il retrouvait la convivialité. 


Lu dans:
Oliver Sacks. L'éveil. Le Seuil. 1993. 521 pages.


28 novembre 2024

L'homme et lui-même

 

"La lumière te traverse
à l’envers de toi-même.
Tu existes à l’envers."  
                    Corinne Hoex


Qu'il paraît lointain le temps où Blanche-Neige interrogeait son double "Miroir mon beau miroir dis-moi qui est la plus belle?". Le miroir sur pied a laissé la place au double virtuel, qui nous connaît parfois mieux que nous-même. Agrégat de traces numériques laissées sur le Net, il n'est de clic, de recherche, de like, de partage ou d'achat qui ne contribue à façonner votre ombre numérique, un sosie qui sera à la base de multiples sollicitations. Mieux encore, certaines applications vous proposent de créer vous-même votre jumeau en le nourrissant de données personnelles après un entretien de seulement deux heures, clone qui apparaît similaire à 85 % à son jumeau humain. Un interlocuteur virtuel avec qui échanger sur la même longueur d'onde comme si on se parlait à soi-même, et qui pourrait même nous remplacer pour certaines tâches. Il reste un souci tout de même: comment garantir le comportement de son jumeau, empêcher les dérives les soirs où il révélerait sa part d'ombre qui est aussi la nôtre? Science-fiction peut-être, nous laissant l'impression du choix, alors que nous contribuons involontairement chaque jour déjà à sa création. 


Lu dans: 
Corinne HOEX. L’ombre de toi-même Tétras Lyre. 2023. 68 p.
Jacques Folon. Connaissez-vous votre jumeau numérique ? Petite gazette Le Soir. 25/11/2024

26 novembre 2024

Face au vide immense

Comme un dessin de Sempé. C'est l'histoire d'un petit homme, face à l'immensité, au bord d'une falaise, face au vent comme en témoignent son manteau, son écharpe et ses doigts écartés. On devine à sa bouche qu'Il crie, mais quoi? Peut-être qu'il rêve de vivre en grand, mais que l'attrait du vide devant ses pieds et la perception de sa fragilité face au vent qui souffle l'en empêchent. Une journée s'ouvre, quels sont vos rêves?




Lu dans:
Sempé - Planche issue de «Garder le cap». éd. Denoël 

22 novembre 2024

Guérir

 « C’est un sentiment très doux, agréable et très paisible, qui me fait rendre grâce à chaque moment d’être ce qu’il est. Je suis heureux, un peu comme lorsque l’on rentre chez soi après une rude et longue journée de travail. Comme un chat bien au chaud et tranquille devant un bon feu. » 

                            Dr Oliver Sacks, rapportant les paroles d'un patient.


Parmi les questions essentielles rapportées par Le Dr Oliver Sacks au cours de sa longue carrière de neurologue, cette réflexion sur le retour à la santé après une éprouvante maladie. Retrouver un nouvel équilibre quand tout paraît perdu est à la fois une source de joie inépuisable, mais aussi de questions auxquelles nous ne pouvons pas répondre. Car "la santé est quelque chose de bien plus complexe que la maladie elle-même."


Lu dans: 
Oliver Sacks. L'éveil. Le Seuil. 1993. 521 pages. Extrait p. 276

Amères victoires

 "Il y a en effet en Allemagne un nombre non négligeable d'antinazis sincères qui sont plus déçus, plus apatrides et plus vaincus que les sympathisants nazis ne l'ont jamais été. Déçus parce que la libération n'a pas été aussi complète qu'ils se l'étaient imaginé, apatrides parce qu'ils ne veulent se solidariser ni avec le mécontentement allemand (..) ni avec la politique alliée dont ils contemplent avec consternation l'indulgence envers les anciens nazis. Et enfin vaincus parce qu'ils se demandent s'ils peuvent avoir une part quelconque à la victoire finale des alliés tout en portant une part de responsabilité dans la défaite allemande en tant qu'antinazis. (..) Ces gens-là sont les plus belles ruines de l'Allemagne mais, pour l'instant, elles sont aussi inhabitables que toutes ces maisons démolies entre Hasselbrook et Landwehr qui dégagent une odeur âcre et amère d'incendies éteints dans le crépuscule humide de cet automne ."
                                Stig Dagerman

                                     


Superbe description du malaise ressenti par les opposants dans une nation vaincue, décrite par Stig Dagerman, envoyé en Allemagne en 1946 pour témoigner pour son journal des dégâts de la guerre.  Il publie "Automne allemand", et arrête d'écrire. Surimpression tragique de ces opposants actuels dans des pays entraînés dans des conflits sans fin et dont ils ne partagent pas les objectifs. 


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Stig Dagerman. Automne allemand. Philippe Bouquet (Traducteur). Actes Sud 2004. 164 pages

21 novembre 2024

Au feu !

 «Le feu prit un jour dans les coulisses d’un théâtre. Le bouffon vint en avertir le public. Chacun crut à une blague et l’on applaudit. Plus il répétait, plus les applaudissements redoublaient. C’est ainsi, je pense, que la fin du monde se produira, au milieu d’applaudissement de gens spirituels persuadés qu’il s’agit d’une plaisanterie.»
                    Søren Kierkegaard, Ou bien… ou bien, 1843

                              

Qui se souvient encore de Coluche annonçant sa candidature à la présidence de le République française le 20 octobre 1980. Pas de programme mais un appel aux fainéants, aux crasseux, aux drogués, aux alcooliques, (..), tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques à voter [pour lui]. Au début, beaucoup croient au canular, puis progressivement l'humoriste se prend au sérieux, affolant les sondages. Sous pression il renonce trois mois plus tard, "je préfère que ma candidature s'arrête parce qu'elle commence à me gonfler."


Lu dans: 
Søren Kierkegaard, Ou bien… ou bien. 1843

18 novembre 2024

On s'habitue

 "Tragiquement, on s’habitue… Une fois passée la vallée de la Vesdre, s’indigne-t-on autant de Valence ? [Trump, Elon Musk, l'Ukraine, Gaza], les scores électoraux de l’extrême droite nous mobilisent-ils toujours autant ? tout cela déclenche-t-il encore autre chose qu’une forme de résignation et de fatalisme ? Notre extraordinaire capacité d’adaptation n’est-elle pas un piège qui se referme sur nous-mêmes ? Ce qui nous a révoltés avant-hier, et puis hier, n’est-il pas venu déplacer petit à petit ce que l’on est prêt à accepter demain, par un étrange phénomène de dérive vers le pire ? Jusqu’où ?" 
                                Marius Gilbert

                         


Le flux ininterrompu d'informations sinistres estompent ma capacité de débusquer les courts textes lumineux qui font les belles journées. un bel article de Marius Gilbert dans le Soir offre un éclairage intéressant sur la mutation que nous vivons, inquiets face à l'avenir qui se dessine.


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Marius Gilbert. Vivre sur Terre ou fuir sur Mars ?  Le Soir 18 novembre 2024.

13 novembre 2024

Des fringues et des valeurs

« Aux signes extérieurs de richesse, je préfère les signes de richesse intérieure. »
                    Antoine Blondin


Une petite envie d'un sac Vuitton, d'une fringue Chanel ou Prada? Vinted.be a tout pour vous faire rêver. Du faux, du vrai, seul compte le rêve et l'apparence. Moi aussi j'eus mes modèles vestimentaires, qui me laissèrent une empreinte durable. Un instit de 6ème, mon cher professeur Arcq, un vieux moine bénédictin, une petite soeur servante des pauvres, mon fidèle réparateur de moto. Leur garde-robe d'une vie, aux cinq ensemble, aurait tenu dans l'abri de toile d'une tente de camping et portait le nom de marque Inusable : un cache-poussière gris, un costume trois-pièces sans âge, une pèlerine de toile brute, une salopette élimée, le tout en deux exemplaires car il faut être propre sur soi.  Je les remercie de m'avoir transmis, outre l'honnêteté, le goût du travail et la poursuite de la beauté intérieure l'exemple du lys des champs, "qui ne tisse ni ne file et qui est mieux fringué que Salomon dans toute sa gloire."



12 novembre 2024

Sagesse de John Donne

 "De même qu’il n’y a pire détresse que la maladie, la plus grande détresse dans la maladie est la solitude."   
                    John Donne (1572-1631)

                                   


Lu dans: 
Oliver Sacks. L'éveil. Le Seuil. 2019. 403 pages.

11 novembre 2024

Gentil coquelicot

 "On oubliera. Il y aura du bonheur, il y aura de la joie sans vous, car, tout pareil aux étangs transparents dont l'eau limpide dort sur un lit de bourbe, le cœur de l'homme filtre les souvenirs et ne garde que ceux des beaux jours. La douleur, les haines, les regrets éternels, tout cela est trop lourd, tout cela tombe au fond. On oubliera. Les voiles de deuil, comme des feuilles mortes, tomberont. L'image du soldat disparu s'effacera lentement dans le cœur consolé de ceux qu'ils aimaient tant. Et tous les morts mourront pour la deuxième fois."

                    Roland Dorgelès



On ne fête pas une armistice, on commémore. Un instant pour se souvenir de tous "ces morts, qui vivaient, goûtaient l'aurore, contemplaient les couchers de soleil, aimaient et étaient aimés, aujourd'hui gisant dans les champs de Flandre."  On dit que les coquelicots poussent mieux sur les tombes des soldats du champ de bataille. Le beau poème In Flander's Field y fait référence, élevant la fragile fleur rouge-sang en symbole de l'absurde tragédie de toute guerre.  


Lu dans: 
Roland Dorgelès. Les Croix de bois. Albin Michel. 1919. 
In Flanders fields (Au champ d'honneur). Poème de guerre écrit pendant la Première Guerre mondiale par le lieutenant-colonel canadien John McCrae à l'occasion des funérailles de son ami le lieutenant Alexis Helmer

09 novembre 2024

Vaste monde

 

"Terre brûlée au vent
des landes de pierres
autour des lacs, c'est pour les vivants
un peu d'enfer, le Connemara
des nuages noirs qui viennent du nord
colorent la terre, les lacs, les rivières
c'est le décor du Connemara."  
                    M.Sardou, J.Revaud, P.Delannoé


Une auto, un soir, quelques notes de Sardou et l'habitacle soudain se dilate. La tourbe ocre à l'infini, quelques moutons marqués, les lacs entre brume et soleil. Être au monde, cette mystérieuse alchimie entre l'ici réel et l'ailleurs niché dans notre mémoire. Le monde qu'on touche, et notre monde intérieur construit d'images, de sons, d'expériences accumulées et accessibles en permanence. On y voyage sans se déplacer, dans un espace sans limite.   Être au monde, naître au monde, "un jour tu fus". En début de semaine, une petite Cloé nous a été donnée. C'est tout un monde en construction qui naît, on va l'aider.


Lu dans: 
Jacques Revaud, Michel Sardou, Pierre Delanoë. Les Lacs du Connemara. Universal Music Publishing Group
"Un jour tu fus" Florence NOËL, Sylvie DURBEC. Ruptures d’étoile. Chat polaire. 2024. 77 pages.

08 novembre 2024

Si j'étais président


 "Si j'étais Président de la République (..)
Je nommerais Mickey premier ministre
Simplet à la culture
Tintin à la police et Picsou aux finances
Zorro à la justice et Minnie à la danse
Est c'que tu serais content, si j'étais président?
Opposition néant, si j'étais Président. "  
            Gérard Lenormand


Plus décoiffante que l'amusante fiction d'une chanson, la liste qui se profile de la prochaine équipe dirigeante des Etats-Unis d'Amérique. On y évoque Elon Musk (qui baptisa X Æ A-12  son septîème enfant, Exa Dark Sideræl sa huitième et Techno Mechanicus son neuvième) à ... la simplification administrative.  Et Robert Kennedy Jr, antivax complotiste notoire à la Santé. Comme l'assure le futur président, "c’est un super gars qui va aider l’Amérique à être de nouveau en bonne santé. Il veut faire certaines choses et nous allons le laisser faire. Je lui dis seulement : laisse le pétrole Bobby […], reste loin de l’or liquide et, à part ça, amuse-toi bien". 


Lu dans: 
Gérard Lenorman / Pierre Delanoë. Si j'étais président. Society of Composers, Authors and Music Publishers of Canada (SOCAN), Warner Chappell Music France

07 novembre 2024

Une société de défiance

 "Tu sais ce que je leur reproche le plus, à tous ces gens (…) ? C’est d’avoir créé, et pour longtemps encore, une société de défiance."

                            Gaël Faye



Lu dans:
Gaël Faye. Jacaranda. Prix Renaudot 2024. Grasset. 2024.  276 pages.


06 novembre 2024

Que cache une victoire?

 "Regarde bien, petit, regarde bien sur la plaine là-bas
à hauteur des roseaux, entre ciel et moulin
y'a un homme qui vient, que je ne connais pas.

Est-ce un lointain voisin, un voyageur perdu
un revenant de guerre, un montreur de dentelles ?
est-ce un abbé porteur
de ces fausses nouvelles qui aident à vieillir
ou n'est-ce que le vent qui gonfle un peu le sable
et forme des mirages pour nous passer le temps ? (..)

Regarde bien, petit, regarde bien, sur la plaine là-bas
à hauteur des roseaux, entre ciel et moulin
y'a un homme qui part, que nous ne saurons pas
tu peux ranger les armes."
                        Jacques Brel

 

La toute récente victoire de Donald Trump aux élections présidentielles américaines nous interroge. Comment tant de mensonges, d'insultes, de grivoiserie assumée, de haine de l'autre, de manichéisme peuvent-ils propulser un candidat jusqu'au pouvoir, et où se trouvent tant d'électeurs si différents de nous pour le soutenir? L'exprimer ainsi introduit pourtant déjà, sans que nous en ayons conscience, dans la fantasmagorie patiemment construite d'une société faite de bons et de méchants sans nuance de gris. Une vigilance quotidienne pour nous garder des petites victoires sournoises de l'entre-soi prôné par le nouveau président s'impose.

Un tout récent et amusant épisode m'a interpellé. Dimanche en soirée, sonne à la porte un homme jeune, d'origine africaine, en quête de câbles de batterie. L'auto de sa maman, à 200 mètres, est immobilisée et elle doit rentrer en province. Aurions-nous une voiture en ordre de marche pour la brancher? Un appel à l'aide limpide, qui donne lieu évidemment à une réponse positive spontanée. Sauf que, pour la première fois de ma vie, les questions satellites immédiates suspectant l'arnaque fusent: ne va-t-il pas rapidement demander de l'argent, pourquoi sonne-t-il chez nous et pas chez les voisins , sa mère est-elle bien sa mère, ne cherche-t-il pas à s'introduire, sa voiture est-elle bien en panne, pourquoi n'appelle-t-il pas un service de dépannage?  Au terme de dix essais infructueux, la vieille auto a redémarré, la maman a regagné son lointain domicile, notre voiture est intacte et nous n'avons pas été volés. Mais je m'interroge encore: comment est-il imaginable que pour un cas aussi banal qu'une panne de batterie j'aie pu, ne serait-ce que brièvement, me laisser polluer le psychisme par des craintes inspirées davantage par la lecture des journaux que par mon  vécu personnel? Comme le chante Jacques Brel, "ne serait-ce que le vent qui gonfle un peu le sable, et forme des mirages pour nous passer le temps" ?  Nous ne saurons pas, on peut ranger les armes, mais indéniablement cet incident constitue une petite victoire de la pensée trumpienne.


Lu dans:
Jacques Brel. Regarde bien petit.  Warner Chappell Music France. Dans l'album J'arrive (Vol.12). 1968. Barclay


04 novembre 2024

Entre les masques d'Ensor et la piéta de Michel Ange, quels morts fêtons-nous?

        

"De guerre lasse, j'ai fini par me laisser convaincre qu'Halloween n'était pas uniquement une mascarade commerciale à l'américaine, mais puisait ses sources dans les fêtes celtiques célébrant le passage du monde de la lumière à celui de l'ombre."
                        Armand Lequeux


Rentrant d'Irlande à l'instant, les yeux piquent encore de la luminosité particulière de ses paysages sublimes alternant brume et soleil... et de l'omniprésence d'Halloween. Au point de reconsidérer l'appréciation négative que nous avions de cette fête parfois considérée comme dévoyée. Intégrer la mort dans une sorte de parodie joyeuse, tenir à distance les peurs qu'elle suscite en se grimant, derrière des masques, des citrouilles évidées, des chapeaux  de sorcières aux cris sardoniques, quêtant des friandises de porte en porte en menaçant de jeter un sort... Bref exorciser la peur en éclairant nos rues  soudain redevenues farceuses ne constitue-t-il pas la plus belle des préparations à la Toussaint, où ces mêmes sentiments se revivent, apaisés, partagés religieusement en famille dans le respect de ces ancêtres parfaits dont l'exemple devrait nous imprégner encore?  Et posons-nous la question qui fâche: si, morts, nous est donnée la chance d'un bref retour parmi ceux qu'on aime , où irions-nous? Avec les gosses déguisés en diables demandant des bonbons en sonnant aux portes, dans les rires et les grimaces, ou dans nos tombes espérant voir arriver vers 11 heures un chrysanthème promenant un humain, ayant parfois oublié la route jusqu'à notre nouveau logement? Une petite prière, une larme furtivement écrasée, trente ans déjà, tu te rends compte, le temps passe vite, on époussette la dalle des feuilles ocres qui s'y incrustent, on se promet de  revenir l'an prochain, rassurés : nos morts vont bien.

Insensiblement, je mesure que les temps changent à la modification que je me remarque moi-même. J'étais Toussaint, et je deviens progressivement Halloween, l'exubérance farceuse a remplacé la dignité du culte des morts, que je conserve néanmoins par atavisme familial. Mais L'expérience irlandaise, la joie réelle ressentie dans les rues et les hôtels, les fausses sorcières et les vrais morts m'ont fait comprendre enfin - Halloween et Toussaint confondus -  qu'il s'agit des mêmes  personnes chères réapparaissant dans nos vies un laps de temps court et tonique pour nous rappeler qu'aucune disparition n'est définitive.

Lu dans:
Armand Lequeux. Quand fleurissent nos cimetières. LLB. 31 octobre 2024.

21 octobre 2024

Vacances

 "Pour qui veut fréquenter modérément les êtres humains et connaître en même temps la beauté et la tranquillité, il ne reste plus beaucoup d'autres destinations à choisir que celles qui ont mauvaise réputation sur le plan climatique."     
                            Björn Larsson

                    


Clin d'œil pour qui pourrait s'inquiéter durant deux semaines de ne trouver ni journal, ni café, ni pensée. 


Lu dans: 
Björn Larsson. La Sagesse de la mer: Du cap de la colère au bout du monde. Poche. 2005. 256 pages. Extrait p.112

20 octobre 2024

Le verre, de souffle et de feu

 "Au commencement du verre est le sable, le feu et le souffle." 
                    Bernard Tirtiaux

               


Le sable dont on fait les puces informatiques, le feu qui nous réchauffe dans l'âtre, le souffle qui gonfle la voile des bateaux et fait chanter la flûte. Isolés, ils ont mille autres vies. Ensemble, ils font chanter la lumière qui traverse les vitraux. Associer les contraires révèle de nouvelles possibilités. Je découvre sur le tard le bel ouvrage d'un maître verrier philosophe et homme de théâtre à ses heures.


Lu dans: 
Bernard Tirtiaux. Le passeur de lumière : Nivard de Chassepierre maître verrier. Gallimard. 1995. 400 pages

18 octobre 2024

Les greniers

 

"Sous le manteau des toits s’étalaient les greniers
Larges, profonds, avec de géantes lignées
De solives en croix, de poutres, de sommiers,
D’où pendaient à ses fils un peuple d’araignées.
(..)
Au reste les souris toutes se tenaient coites,
Les museaux enfoncés dans leurs niches étroites,
Tandis que sur un van le grand chat blanc veillait."
            Emile Verhaeren


Bien sûr une maison peut se passer de grenier, et même de cave. Mais où range-t-on alors ces souvenirs désuets qui font une existence?

Lu dans:
Émile Verhaeren. Poèmes. Société du Mercure de France. 1895 . 283 pages

17 octobre 2024

Réenchanter la Une

 "Le monde a ses rois, ses dictateurs, mais il manque cruellement de princes, de poètes, d’innovateurs, de porteurs de flambeaux qui maintiennent sans forfanterie une torchère allumée au-dessus des enfants des hommes."   
    Bernard Tirtiaux

               


Le parcours de la Une du Monde, peu suspect de sensationnalisme, me donne l'envie de descendre du train de ma journée et de rejoindre un sentier buissonnier. Si ce n'est, tout en bas de la page un petit encart publicitaire qui incite à Réinventer la ville. Une étincelle dans la grisaille.

 

Lu dans :
Bernard Tirtiaux. Le puisatier des abîmes. Denoel. 1998. 286 pages

16 octobre 2024

C'est ma rue


 "Contente-toi d’aimer
les pavés las         les calmes maisons fatiguées
va, va     ne te fais pas une âme raffinée
contente-toi d’aimer les premiers réverbères
Va, va,      ne cherche pas à brimer ton bonheur."
                        Marcel Thiry


Cela mitraille à la station de métro voisine, et les bulles à verre débordent d'encombrants de toutes sortes. Comment expliquer qu'on puisse être attaché à une commune aussi compliquée, si ce n'est par sympathie profonde pour ses habitants et à la mémoire qu'on conserve d'une existence heureuse?


Lu dans: 
Marcel Thiry. Traversées 1924. Toi qui pâlis au nom de Vancouver. Seghers. 1975. 507 pages

15 octobre 2024

Les illusions qui amusent

 "Nous aimons l'illusion et les tours de passe-passe. Voir apparaître entre les mains du magicien la dame de cœur ou le roi de pique secrètement évoqués nous arrondit toujours les lèvres d'ébahissement. Nous cherchons à comprendre, et simultanément nous n'aimons rien tant que de ne pas comprendre : un tour déçoit souvent une fois expliqué. "   
                            Jean-Philippe Postel

                      

Rien ne nous amuse davantage lors d'une visite de ville que ces étranges formes humaines, statuaire immobile, au visage glabre, à la démarche mécanique, dardant sur les spectateurs un regard mort. Les plus surprenantes se mettent en lévitation une soixantaine de centimètres au-dessus du sol, bougeant parfois un peu la tête, entre vie et mort, allez savoir. Leur robe flotte dans la brise tandis qu'une main gantée en émerge et repose mollement sur le pommeau d'une grosse et longue canne, dont le bout se perd dans les plis d'une pièce de drap étendue sur le sol. Une casquette de velours retournée par terre contient quelques pièces de monnaie, suggérant que ce cadavre a besoin de se nourrir.


Lu dans:
Jean-Philippe Postel. L'Affaire Arnolfini: Enquête sur un tableau de Van Eyck. Actes Sud. 2016. 130 pages . Extrait p.13

13 octobre 2024

Plus haut, plus vite, plus loin

 « Ni le saut du cabri ni le lever du soleil ne sont des performances »
                    Stig Dagerman,

                               


Vivre dans la performance permanente donne-t-il du sens à nos existences? Comme nous le souffle le poète Guy Goffette, "Vivre est autre chose que (..) fendre la mer, fendre le ciel, la terre, tour à tour oiseau, poisson, taupe, brasser l’air, l’eau, les fruits, la poussière, (..) brûlant pour, marchant vers où, récoltant quoi?" Vivre prend du temps, de la patience et l'acception que certaines choses essentielles se produisent sans effort, si on les laisse mûrir. Le saut d'un cabri est instinctif, naturel, tout comme le lever du soleil. La beauté de l’ordinaire est simple.

Lu dans:
Stig Dagerman. Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. 1952. Actes Sud. 1993. 21 pages
Guy Goffette. "Je me disais aussi… » in La Vie promise. Collection Blanche. Gallimard. 1991. 128 pages.

11 octobre 2024

La course au chapeau en automne

 

"Tempête d'automne
un chapeau
suivi d'un homme."
                Dominique Chipot


Météo Anderlecht. Jeudi : sous un vent modéré ayant basculé vers le nord-ouest, régulières et actives averses.
Le vent nettoie les rues de ses feuilles mortes, la pluie  rince les vitres. Les passants se pressent de retrouver leur intérieur. 


Lu dans:
Dominique Chipot. Un chapeau suivi d’un homme. Haïkus publiés en français et bulgare. Sofia. LCR éditeur. 2005.

10 octobre 2024

L'avenir de la vache passe-t-il par nos assiettes

 "Alors quand je vois un tigre dépecer une antilope (j’aurais aimé pouvoir dire vice versa) et s’en aller en se dandinant les fesses, je me dis voilà un monde honnête. Un peu comme quand je me prépare un poulet frit ou un bœuf bourguignon sans me demander comment ce morceau de bœuf ou ces cuisses de poulet ont fait pour atterrir dans ma cuisine."
                    Dany Laferrière

                     


Le tigre peut avancer le mobile "que c'est dans sa nature", mais l'homme? Paradoxe: le jour où le bœuf Chateaubriand se verra remplacé définitivement dans nos assiettes par un contrefilet de viande de synthèse, et les produits laitiers par des équivalents à base de soja, d'amande, de coco, de riz ou de noisette, verra-t-on encore une seule vache dans nos vertes prairies? A édicter le bien-être animal sans nuance pour nos bovins, caprins, porcs et volaille ne programme-t-on par leur disparition définitive? La vache deviendra un animal de jardin zoologique aux côtés des éléphants et des singes.   


Lu dans: 
Dany Laferrière. Un certain art de vivre. Grasset. 2023. 140 pages.

09 octobre 2024

Le roi est nu

 "Ne pas toujours se fier à l’intelligence, car il arrive qu’un peu de bêtise nous aide à voir les choses sous un nouvel angle."
                        Dany Laferrière

                         


L’intelligence, en tant que capacité de raisonnement et de logique, est souvent vue comme la voie royale vers la vérité et la compréhension. Elle peut aussi être enfermée dans des schémas préétablis qui empêchent de voir au-delà des cadres traditionnels. Utile pour analyser, décomposer et résoudre des problèmes de manière systématique, face à des situations complexes, ambiguës ou absurdes, elle peut échouer à embrasser des aspects plus subtils de la réalité.  Dans le conte "Les habits neufs de l'empereur", Hans Christian Andersen raconte comment deux escrocs persuadent un roi vaniteux qu'ils lui confectionneront un habit si merveilleux qu’il sera invisible aux personnes stupides ou inaptes à leur fonction. Par crainte de paraître bêtes ou incapables, le roi et son entourage font semblant de voir ces habits inexistants jusqu’à ce qu’un enfant, avec sa franchise, s’écrie : « Mais le roi est nu ! ». Les enfants par leur "innocence" posent parfois des questions qui, malgré leur apparence de "bêtise", révèlent des vérités profondes.


Lu dans:
Dany Laferrière. Un certain art de vivre. Grasset. 2023. 140 pages.

08 octobre 2024

Rêves et récits

 "Nous sommes tissés de rêves et de récits"
                    Dany Laferrière

                 


L’être humain, par essence, est un conteur d’histoires. Récits, mythes, légendes, fables, histoires que nous racontons sur nous-mêmes donnent du sens à nos vies et façonnent notre identité. Mais l'être humain est aussi tissé de rêves, ceux qui habitent ses nuits, ses aspirations, désirs et utopies, qui le définissent tout autant et créent un avenir de possibles qui guide son action et sa pensée. La métaphore du tissage suggère une interdépendance entre les récits et les rêves, entre passé et futur. Si nous étions dépourvus de récits ou de rêves, notre existence serait comme un tissu sans motif, sans structure. Comment ne pas évoquer le président Obama, celui d'avant son élection décrivant son passé (Les rêves de mon père, Une terre promise) et les rêves suscités par sa campagne (L'audace d'espérer, Yes We Can)?  Et aujourd'hui, quels sont nos rêves?


Lu dans: 
Dany Laferrière. Un certain art de vivre. Grasset. 2023. 140 pages.

07 octobre 2024

A l'étroit

 "Je me suis souvenu qu'elle m'avait dit un jour que la vie ressemblait aux chaussures. On ne pouvait pas imaginer qu'elles nous allaient si tel n'était pas le cas. Les chaussures trop petites font parties de la réalité." 
                    Henning Mankell

                                     



Vous prendrez bien un peu de philosophie dans mon polar? Le grand romancier suédois Henning Mankell y excelle. Après avoir énoncé doctement que le "rôle des chaussures est de faire oublier qu'on a des pieds", il nous emmène dans une amusante réflexion sur les chaussures trop petites, belle métaphore des frustrations inhérentes à l'existence humaine. Chacun, à un moment donné, doit faire face à des situations où la vie semble être « trop étroite », où les circonstances ne correspondent pas à ses désirs ou à ses aspirations. Cet inconfort est un aspect inévitable de la réalité, mais peut être perçu en même temps comme un signal qu’il est temps de changer. La voie est étroite entre la simple acceptation de l’imperfection de la vie, confrontant le rêve et la réalité pour une plus grande sagesse, et la prise de conscience de la possibilité de se libérer des carcans qui nous entravent. Chacun aura sa réponse, selon sa personnalité et les circonstances, au sort à réserver à ses chaussures trop étroites.


Lu dans: 
Henning Mankell. Les chaussures italiennes. Anna Gibson (Traducteur). 384 pages. Points. 2011

05 octobre 2024

Sagesse de l'inespéré

 

"Si tu es pressé fais un détour."
            Proverbe japonais

                      

Magnifique sujet de dissertation… L'histoire est connue: Christophe Colomb à la recherche d'une nouvelle route vers les Indes, au lieu d'atteindre l'Asie découvre l’Amérique. Un détour par rapport à l'objectif initial qui a radicalement transformé la carte du monde. Le détour, allégorie de l’inespéré, interroge notre rapport à l’avenir, au hasard, au désir et à la maîtrise. Autant l'espoir est un état d'attente orientée vers un souhait précis, autant l'inespéré désigne ce qui échappe à toute prévision ou désir conscient. Perçu comme une grâce, une surprise ou une épreuve, révélant cette dimension de la vie qui échappe à nos plans et en constitue le sel. Loin d'être une perte de temps, il nous enseigne la disponibilité à ce qui vient, l’humilité face à ce qui advient, et la capacité d’émerveillement devant l’imprévu. Tout un programme!


Lu dans:
Charlie Delwart. Que ferais-je à ma place? Flammarion. 2023. 210 pages. Extrait page 173

04 octobre 2024

Passeurs de lumière

"Humblement, je me veux « œuvrier de lumière ». Sans foyer, ni combustible, ni même cendre, œuvrier de cette belle lumière que l’on cueille à mains nues dans le rayon bleu des fontaines. Viatique, la lumière console, la lumière réjouit, la lumière apaise. Elle est sublime en nos pays de soleils bas quand, entre octobre et mars, elle couche ses ombres, étend loin ses nappes vives."  
                            Bernard Tirtiaux


Bernard Tirtiaux est maître verrier. Le jeu de la lumière filtrée par les orifices percés dans les murs de pierre  le fascine, et il en a fait sa vie. Il écrit aussi, et son dernier ouvrage m'a séduit par sa simplicité, éclairante comme le sont ses vitraux. Nous croisons tous dans nos vies des personnes qui furent des passeurs de lumière, simples artisans ou architectes du possible qui nous permirent de mieux vivre. La sagesse des vitraux apaise les lumières les plus aveuglantes, et on rêve de leur ressembler.


Lu dans: 
Bernard Tirtiaux. Belgiques: Réminiscences. Ker Editions. 2023. 112 pages

03 octobre 2024

Le jardin du monastère

 "Les moineaux par leurs chants construisent des monastères qui durent une seconde."   
                                                    Christian Bobin.

                       


Je découvre la phrase de Christian Bobin sur la table du petit-déjeuner, la porte entrouverte sur le jardin qui s'éveille. Et soudain j'entends le gazouillis des oiseaux, non-perçus jusque là, avec en arrière-plan les cloches de la collégiale égrenant l'angélus. Un monastère fugitif prend vie l'espace d'une seconde, pour s'éteindre aussitôt. Magie des concordances, la lecture permettant la perception sonore, et la création d'un lieu imaginaire. Revient Proust suggérant "qu'une heure n'est pas qu'une heure, c'est un vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats."


Lu dans: 
Christian Bobin. Les ruines du ciel. Folio. 2011. 192 pages.
Marcel Proust  Le Temps retrouvé. 1927

02 octobre 2024

Une passion gourmande

 "De toutes les passions, la seule vraiment respectable nous paraît être la gourmandise"
                                Guy de Maupassant.

                


On associe de manière presque exclusive gourmandise à gastronomie, à tort. La description goûteuse de Muriel Barbery des saveurs d'une tomate cueillie et dégustée au potager en témoigne.  "Sucre, eau, fruit, pulpe, liquide ou solide? La tomate crue, dévorée dans le jardin sitôt récoltée, c'est la corne d'abondance des sensations simples, une cascade qui essaime dans la bouche et en réunit tous les plaisirs. La résistance de la peau tendue, juste un peu, juste assez, le fondant des tissus, de cette liqueur pépineuse qui s'écoule au coin des lèvres et qu'on essuie sans crainte d'en tacher ses doigts, cette petite boule charnue qui déverse en nous des torrents de nature : voilà la tomate, voilà l'aventure."


Lu dans:
Muriel Barbery. Une gourmandise. Gallimard. 2002. 165 pages

01 octobre 2024

Lettre d'un vieux médecin à un vieux pape

 

"J'ai aimé un rouge-gorge. Il me dévisageait, sur ses petites pattes solidement plantées sur une branche d'arbre. Un Dieu moqueur brillait dans ses yeux, semblant me dire: « Pourquoi cherches-tu à faire quelque chose de ta vie ? Elle est si belle quand elle ne fait qu'aller, insoucieuse des raisons, des projets et des idées. » Je n'ai pas su quoi lui répondre."
                                        Christian Bobin, Ressusciter



Cher François,

J'ai toujours eu pour vous une certaine tendresse, nourrie par votre bonhomie naturelle, votre simplicité dans la tenue, le choix de votre minuscule voiture italienne escortée par de rutilantes berlines, une certaine modernité dans une institution à dépoussiérer. Vous écoutant dimanche, quand tous vous donnaient du "Saint Père", je voyais en vous un grand-père.  Vous observant, j'ai été touché par cette image que vous donniez d'un vieux pape pétri de convictions, qui disiez ce que vous estimiez devoir nous dire. Je suis un vieux médecin maintenant, à mon tour de vous partager quelques modestes convictions inspirées par la prière de votre modèle François d'Assise "Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix."

Aurais-je été pape, au terme d'un parcours d'église, j'aurais vraisemblablement comme vous proclamé que "là où est le doute, que je mette la foi." Je suis médecin, au terme d'une vie remplie de joies et de souffrances partagées, inspiré en permanence par "là où est le désespoir, que je mette l’espérance." Si la foi d'un pape se doit d'être forte, je n'en aurai connu dès mon plus jeune âge que des bribes, pareilles à ce pain qu'on distribue aux oiseaux. Quand il n'y avait plus que des miettes, j'étais ce rouge-gorge solitaire qui se nourrissait de "ce presque rien" qui pourtant éclaira mes choix.

Je suis fier d'être médecin dans un pays qui, bien avant d'autres, légiféra sur des sujets aussi difficiles que l'avortement et l'euthanasie, au terme de très longs échanges entre humains responsables pétris de convictions diverses, dans un profond respect réciproque. Les lois qui en résultèrent, non seulement garantissaient à chaque médecin une totale liberté de conscience et de refus, mais offraient aussi de précieuses balises pour éviter les aventures, les dérives, les décisions prises dans la solitude ou la clandestinité. Ce sont des lois qui ont profondément modifié ma pratique depuis vingt ans, me guident dans les choix difficiles et me protègent sur le plan juridique quand je pose des actes médicaux qui antérieurement étaient considérés par la loi comme des crimes. Je suis fier d'être médecin chrétien, formé et ayant enseigné à l'Université de Louvain, qui vous a accueilli ce weekend avec un bel enthousiasme. J'y ai appris qu'avant toute chose la priorité du médecin était d'avoir l'oreille et le cœur ouverts à toute détresse. Chaque souffrance est unique, que ce soit celle de la femme placée devant des choix impossibles en raison d'une grossesse non-souhaitée qu'elle ne peut assumer, d'embryons porteurs de malformations létales ou issus de violences innommables. Ou, à l'autre bout de la vie, savoir ouvrir la cage à l'oiseau quand au terme d'une longue maladie l'enveloppe du corps devient insupportable à porter, de prendre soin jusqu'au bout de la souffrance, y compris en accordant la délivrance quand toutes le autres solutions sont devenues impossibles. C'est la vie qui est cruelle, cher François, pas les lois, et j'apprécie d'avoir la possibilité dans mon pays de pouvoir répondre, quand c'est la demande, à toute forme de détresse sans connaître la crainte de me voir poursuivi comme si j'étais un sicaire. Comme vous, j'ai l'intime conviction que la vie est sacrée, don de Dieu, et que l'homme n'en est pas maître. Je ne crois néanmoins pas à la valeur rédemptrice de la souffrance physique ou morale à son stade ultime et ai la conviction que le devoir de réponse du médecin à certaines demandes d'aide exceptionnelles est aussi sacré que l'est la vie.

Je suis fier d'être chrétien dans une Église en cheminement, faite d'hommes et de femmes cultivant exactement les mêmes espérances sans prédétermination de rôle, ayant accès aux mêmes professions, aux mêmes responsabilités, aux mêmes grades académiques, aux mêmes fonctions politiques quels que soient leur genre, leur race, leur culture. L’œuvre humaine étant par nature imparfaite, j'ai la conviction que les actuelles limitations d'accès aux responsabilités ecclésiales faites à nos sœurs, nos épouses, nos filles ne sont qu'une étape dans la vie de l’Église car rien n'arrête une revendication quand elle est juste. Il faut parfois se remémorer les mythes anciens, si riches d'enseignements, comme celui de Pandore. Lequel ouvrit la jarre laissée à sa garde par Zeus, contenant la maladie, la mort et de nombreux autres maux non spécifiés qui furent libérés dans le monde comme autant de papillons. Le dernier de tous, le plus essentiel, étant l'espérance qui permet de venir à bout de tous les autres. Puisse ce papillon d'espérance qui est la mienne se poser sur votre épaule, comme un modeste témoignage d'un vieux médecin à un vieux pape.

Avec toute mon affection. 
CV



Lu dans:
Christian Bobin. Ressusciter. Gallimard. NRF. 2001.
Les miettes du rouge-gorge, inspirées par Gilles Baudry, Serge Wellens, Jean Rousselot. Préface au livre de Jean Lavoué. Ce rien qui nous éclaire. L'enfance des arbres. 2017. 154 pages. Extrait p.9
La prière de Saint François. Texte anonyme, attribué au prêtre normand Esther Bouquerel, dont une première version est publiée en 1912

30 septembre 2024

Electeurs dès le berceau

 "C'est trop mignon, un enfant qui joue à voter. Il y a un décalage humoristique. Le visage du faux petit électeur est si sérieux ! Les adultes le contemplent avec tendresse, on en profitera pour prendre une photo. (..)
- J’espère que tu avais bien lu tous les programmes avant de décider !  (..)
- Et toi Jean-Michel, l'adulte, tu les avais bien lus, tous les programmes ?
Ça y est, le jeu est terminé; l’enfant touche à nouveau le sol, retourne au monde réel. Le monde réel solide, stable, raisonnable. Celui où les enfants ne votent pas. "
                        Clémentine Beauvais


À travers le monde, la seule chose qui soit universelle dans le suffrage du même nom, c’est que les enfants en sont universellement exclus. Cette exclusion nous semble évidente, comme paraissait évidente jusque 1949 que les femmes n'y aient pas accès non plus. Les motifs invoqués à l'époque étaient similaires, le manque de discernement lié à une scolarité limitée, et le risque de manipulation par l'entourage. Aujourd'hui, ce sont pourtant ces 20% de non-électeurs "mineurs" (terme révélateur de la place qu'on leur accorde) qui subissent à chaque instant les conséquences de mesures politiques prises par les adultes. Parfois, ces mesures sont dans leur intérêt, souvent non. Les enfants sont parmi les premiers citoyens à souffrir des décisions qui n’avaient en apparence rien à voir avec eux, néanmoins atteints plus profondément et plus durablement que les adultes par la pauvreté, le manque de soins, les coupes dans l’enseignement, les failles des services publics, la complexité des demandes d’aide. D'où l'idée, saugrenue en première approche, mais qui fait déjà débat dans plusieurs cercles académiques, d'accorder un droit de vote identique à tous dès la naissance. Cet élargissement du nombre d'électeurs viserait à augmenter l'inclusivité et la représentativité de la société dans son ensemble, y compris les plus jeunes, ce qui pourrait influencer les priorités politiques en faveur des générations futures. 

Certains adultes sont déjà conscients de cette injustice fondamentale actuelle faite aux enfants par leur interdiction de voter. Un ami me parlait récemment d’un voisin âgé qui souhaitait voter pour un certain parti politique, tandis que tous ses petits-enfants votaient pour un autre. Il a fini par voter pour le parti soutenu par ses petits-enfants : « Je ne suis pas d’accord avec eux », a-t-il confié à mon ami, « mais c’est ce qu’ils veulent, et c’est eux qui vivront avec les conséquences. »  Modeste contribution sans doute, mais on peut se réjouir de ce tout petit signal envoyés à nos plus jeunes: vous êtes les bienvenus. Comme le conclut Clémentine Beauvais dans un stimulant ouvrage, "Un jour, ce sera peut-être : vous êtes chez vous. Alors, on y va ? Nous ferons, nul doute, un saut dans l’inconnu. Nous ne savons rien de ce à quoi peut ressembler un pays, un continent, un monde où les enfants votent. Ce qui est certain, c’est que ce sera par définition plus juste. Et si les enfants ont tout à y gagner, il n’est pas impossible que les adultes, eux aussi, en sortent un peu grandis."



Lu dans: 
Clémentine Beauvais. Pour le droit de vote dès la naissance. Gallimard. Tracts. N° 59. 2024. 44 pages

28 septembre 2024

La dernière passion de Marguerite Yourcenar

 "Elle avait fini sa carrière promue, montée en grade, une ultime fois décorée sous l'amicale pression de ses amis, honorée sous toutes les coutures, médaillée, flattée sans jamais rien avoir voulu. Juste l'obligée d'un monde qu'elle avait cru déjouer."

                            Étienne Faure


1980. Elle a 76 ans et est reçue à l'Académie française, première femme à siéger sous la Coupole. Qui peut deviner que Marguerite Yourcenar, congratulée de toute part, vit ces honneurs comme une femme dédoublée? Sitôt la cérémonie achevée, très digne, elle va saluer le président Valéry Giscard d'Estaing et son épouse puis s'éclipse, impatiente, désinvolte pour rejoindre dans le Marais, loin des ors de la République et des caméras de la télévision française, son nouvel amour secret, Jerry Wilson un jeune photographe américain homosexuel de quarante-six ans son cadet. Elle vient de perdre Grace Frick sa fidèle compagne de quatre décennies, et semble ne plus rien avoir à attendre de la vie quand elle affronte le plus inimaginable bouleversement existentiel. Éblouie par la beauté de celui qui lui rappelle un amour de jeunesse impossible, elle fait de lui son secrétaire, son chauffeur, bientôt l’organisateur de voyages au bout du monde. Est-ce bien la même personne qui écrivait au début de son existence littéraire que "l'amour est un châtiment. Nous sommes punis de ne pas avoir pu rester seuls. (Feux)" Commence ainsi un roman d’amour aussi improbable que dangereux, aussi destructeur que littérairement fécond. Jerry Wilson la délaisse pour un nouveau compagnon et meurt du sida cinq ans plus tard. Le cœur des grandes dames est-il fait d'une étoupe particulièrement inflammable, où on retrouverait les passions tardives de Marguerite Duras et de Yann Andrea, de Piaf et Théo Sarapo, de Sarah Bernhardt, Ninon de Lenclos ou Georges Sand sans oublier l'amour dévorant d'Héloïse pour Abélard? Marguerite Yourcenar meurt un an après son dernier amour (1987), avec une épitaphe tirée de L'Œuvre au noir "Plaise à Celui qui Est de dilater le cœur de l'homme à la mesure de toute la vie."  


Lu dans: 
Étienne Faure. Et puis prendre l'air. Collection Blanche. Gallimard. 2020. 136 pages. Extrait pp. 64-65
Christophe Bigot. Un autre m'attend ailleurs. La Martinière. 2024. 304 pages. Extrait pp. 20-21

27 septembre 2024

Réflexion sur la guérison

 "Guérir ne consiste pas à retourner à un état précédent mais à faire le deuil de la réparation pour accomplir plutôt une forme de création."

                        Cynthia Fleury


Sans nier le pouvoir destructeur de la maladie, ce n'est guère une fatalité. Les récents Jeux Paralympiques mirent en évidence bon nombre d'athlètes nous surprenant par leur capacité de dépassement, et le quotidien d'un médecin est tissé de récits de malades sortis plus forts d'une affection considérée initialement comme une malédiction. Changements d'orientation professionnelle, épanouissement de talents créatifs ignorés, acceptation sereine de ses nouvelles limites, la maladie est parfois davantage une passerelle qu'un obstacle. Occasion aussi de prendre le large, métaphore marine vers le grand large existentiel, de dépasser une certaine lassitude dont on ne comprend pas toujours la cause. Il faut dès lors naviguer, traverser, aller vers l'horizon, trouver un ailleurs pour de nouveau être capable de vivre ici et maintenant.


Lu dans: 
C. Fleury, citée par Cathérine Markereel. L’arbre à clous: délivrez-nous du mal. Le Soir Culture. 27 septembre 2024
Cynthia Fleury.  Ci-gît l'amer : Guérir du ressentiment. Gallimard NRF. 2020. 336 pages

26 septembre 2024

Les jours de pomme d'or

 "Il y a,

il y a des jours de raisins doux, de pommes d’or,
de quoi faire taire notre vieille soif.
Il y a des jours de fruits amers,
quand les pépins écrasés
nous blessent un peu la langue,
Il y a des jours de courte paille
où trois fois l’on tire la plus courte.

Ainsi nous avançons, nous souvenant
et oubliant, marée haute, marée plate,
que le bonheur est un mélange
et que jamais il ne ressemble
ni tout à fait à ce que nous croyons
ni à lui-même,
ni à lui-même."
                    Francis Dannemark


Petite pensée pour cet ami-poète tôt disparu, dont la l'écriture douce-amère constituait la marque de fabrique.



25 septembre 2024

Sagesse trompeuse des indifférents

 "Dans L'Enfer de Dante, le premier cercle est réservé à ceux qui n'ont commis aucun crime mais sont restés indifférents pendant qu'on les perpétrait."

                                Marcel Cohen



Il arrive aux auteurs les plus crédibles d'être approximatifs. A relire La Divine Comédie de Dante Alighieri (1265-1321), ceux que décrit Marcel Cohen sont les âmes du Vestibule de l'Enfer, et non pas le premier cercle (aussi appelé le LImbe). Zone de transition floue, ce vestibule est réservé aux âmes des indifférents, ceux qui n'ont pris ni parti pour le bien ni pour le mal durant leur vie, ayant refusé de s'engager pour s'installer dans une neutralité confortable. Ces âmes sont condamnées à courir éternellement après un drapeau vide, tout en étant piquées par des guêpes et des mouches, symbolisant leur tourment intérieur et leur lâcheté morale. Elles ne sont pas vraiment en Enfer, mais ne méritent pas non plus d'entrer au Paradis ou même au Limbe. En ferions-nous partie? On s'en défendrait, quoique... Certains jours, éteignant les news télévisées, consultant l'état de nos avoirs dans un grand groupe bancaire aux investissements pas si neutres, déchiffrant l'origine de l'avocat, des dattes et des raisins qui mûrissent dans la corbeille à fruits, de l'appareil à gazéifier l'eau du repas, ou de la destination opaque de notre armement réputé, me prend l'envie de relire les "réflexions d'un spectateur coupable" de Thomas Merton (1970). Les guêpes et les mouches décrites par Dante sont éternelles. 


Lu dans:
Marcel Cohen. Cinq femmes. NRF Gallimard. 2023. 188 pages. Extrait p. 22
Dante Alighieri. La Divine Comédie. L'Enfer, Le Purgatoire, Le Paradis. Flammarion. Poche. 2010. 628 pages. Composée entre 1303 et 1321n, sa première édition retrouvée daterait de 1843.

24 septembre 2024

Triste pluie


 "On attribuait à ce patriarche une rigueur morale telle qu’on ne l’avait jamais vu verser une larme. Rien n’était plus faux; d’un naturel pudique, il ne lâchait ses pleurs que sous la pluie."
                                Lucas Mommer


Les grandes douleurs sont muettes.


Lu dans: 
Lucas Mommer. Micro-drames. Cactus inébranlable. Coll. Microcactus. 2024. 110 p. Extrait p.191

20 septembre 2024

 « Les meilleures choses dans la vie sont gratuites. Les deuxièmes meilleures choses sont très chères. »

                                    Clint Eastwood



19 septembre 2024

Automne


 "À la fin de septembre les étoiles refroidissent
et il y a dans le pré une odeur de pommes trop mûres
J’aimerais que la mer qui voyage sans cesse
m’écrive une lettre de sel très blanc avec juste une ombre de mélancolie
où elle me parlerait de pays très lointains et de rivages verts
une lettre pour l’automne.     Nous la lirions sous la lampe
parce que les journées raccourcissent au moment des vendanges
et que l’océan est loin malgré le vent qui nous en parle.
J’ai monté des bûches et le petit bois pour allumer du feu
et je regarderai la flamme danser sur tes pommettes."
                            Claude Roy



Rien ne surpasse un bel automne, lumineux comme l'été avec déjà une fenêtre ouverte sur l'hiver. Après la saison des moissons vient l'époque des vendanges, des bûches à faire sécher, du ramassage des pommes. On va regagner sa tanière.


Lu dans: 
Claude Roy. Claude Roy, un poète. Recueil. 1985. Gallimard. 125 pages.

18 septembre 2024

Et la plume s'envole

 "Il avait toujours pris la vie avec légèreté. Aussi, quand il ouvrit la fenêtre pour se jeter dans le vide, il ne chuta pas: il s’éleva."

                            Lucas Mommer


La légèreté n'a pas toujours eu bonne presse et s'entendre remettre sa dissertation commentée d' "un peu léger, votre travail" n'était guère valorisant, assimilé à une forme de superficialité. Et si la légèreté était davantage une affirmation joyeuse de la vie et à tous les devenirs possibles,  en opposition au ressentiment, à la lourdeur des idées figées? Le taoïsme y voit ainsi un état de fluidité, d'harmonie avec le flux naturel des choses, la capacité d'agir sans effort, sans lutte, et d'adopter une attitude de détachement face aux aléas du monde. Rendre aux contretemps de l'existence leur juste place, sans leur accorder une importance excessive.


Lu dans: 
Lucas MOMMER. Micro-drames. Cactus inébranlable. 2024. 110 p. Extrait p.46

17 septembre 2024

Les temps modernes

 «L'usine du futur n'aura que deux employés, un homme et un chien. L'homme sera là pour nourrir le chien. Le chien sera là pour empêcher l'homme de toucher à l'équipement.»
                        Warren G. Bennis

  


«L'espèce humaine sera [...] devenue une race dévouée à l'entretien des machines. » La réflexion émise en 1964 par Isaac Asimov était en-deça de la réalité. Loin des chaînes de montage des"Temps modernes" de Charlie Chaplin, alignant des ouvriers asservis au rythme de leur machine, des robots font actuellement tourner des usines entières. Faut-il s'en réjouir ou s'en désespérer? Des patients me décrivaient, au début de ma pratique, leur atelier où les chants accompagnaient les gestes, et où les ouvrières - comme dans Carmen - fabriquaient les cigares en les roulant sur leurs jambes nues. Entre cette vision idyllique du travail et la déshumanisation d'une usine vide, cinquante ans ont passé. L'homme et son chien connaissent plusieurs variantes: vigie de nuit en usine certes, mais aussi chien d'aveugle, vagabond au repos sur un banc de New York (voir l'image), promeneur en forêt avec son compagnon à laisse. L'automatisation des tâches répétitives reste avant tout une libération, pour autant qu'elle permette une activité de substitution créative. Il faut se méfier des images au départ présentées comme désespérantes.
   


Lu dans:
Rutger Bregman. Utopies réalistes. Seuil. 2017. 250 pages. Extrait p.176
Warren G. Bennis. Cité par Mark Fisher. The Millionaire's Book of Quotations. Thorsons. 1991. p. 15.



15 septembre 2024

Te Nande


"Taraouaca umbari karanê
Mouroane umbari saranê
Kaho anze umbari te nande
Te nande, te nande
Te nande, te nande."
         

"Quelle est notre origine, d’où venons-nous, d’où venons-nous?
Taraouaca, la rivière rivière nous guide
Mouroane, l'esprit de la forêt, nous protège
Nos ancêtres nous montrent d’où nous venons."
                    Te Nande. Curawaka


En français, Te Nande peut se traduire par "D'où venons-nous ?" ou "Quelle est notre origine ?". Musique incantatoire issue de la culture Huni Kuin, peuple indigène d'Amazonie, cette mélodie incite à à une réflexion sur les origines, l'appartenance et la connexion à la terre et aux ancêtres, des thèmes récurrents dans la spiritualité et la culture Huni Kuin. L'album de Curawaka, intitulé Te Nande, reflète cette quête des racines et de la compréhension de soi à travers la sagesse ancestrale.  Leçon d'humilité qui redonne à l'humain sa juste place, en écho à la sagesse du moine Thomas Merton: "Nul n’est une île, en soi suffisante / Tout homme est une parcelle de continent, une partie du tout."


Lu dans:
Te Nande. Curawaka. 2019. Traditionnel en langue Huni Kuin , peuple indigène d'Amazonie, notamment au Brésil et au Pérou.
Thomas Merton (1915-1968). Nul n'est une île. Traduit par : Marie Tadié. Points Sagesses. Sagesses. 1993. 216 pages

13 septembre 2024

Bloody Sunday

 "There's many lost, but tell me who has won?"  Beaucoup ont perdu, mais dites-moi qui a gagné ?  
                U2.  Sunday, Bloody Sunday

                

Le récit sinistre des conflits actuels qui s'éternisent remet en lumière l'éternelle question: qui gagne et qui perd au terme d'une confrontation armée meurtrière? A Ablain-Saint-Nazaire, dans le Pas-de-Calais fut érigé un émouvant mémorial baptisé « Anneau de la Mémoire », une création gigantesque visant à rappeler les morts au combat dans cette région de l'Artois, marquée par les offensives extrêmement meurtrières de l'armée française en 1915. Juxtaposé à ce qui est le plus vaste cimetière militaire français, celui de Notre-Dame-de-Lorette, cet étonnant monument se dresse depuis 2014. Cinq cents panneaux d'acier de 3 mètres de haut, assemblés en ellipse sur une surface de la taille de deux terrains de football, le composent. Sur chaque panneau figure le nom d'environ 1 200 soldats tués dans le secteur Nord-Pas-de-Calais au cours du conflit. Au total, 576 606 combattants sont identifiés sur les 499 premiers panneaux, le cinq-centième laissé vierge afin d'accueillir les patronymes de soldats portés disparus non-encore retrouvés. L'Anneau de la Mémoire recense tous ces morts au combat sans mentionner ni leur nationalité ni leur grade, renvoyant à plus de quarante nationalités. Les patronymes identiques sont nombreux, les prénoms par contre illustrent bien les diverses nationalités des victimes. L'objectif étant de souligner la proximité ethnique, historique et culturelle de beaucoup de ces jeunes Européens qui se sont entre-tués sur le front occidental avant que s'établisse une sorte de fraternité posthume. 


Lu dans: 
Jean-Michel Steg. Qui a gagné la guerre de 14? Enquête sur l'après-guerre de 1918 à nos jours. Perrrin. 2022. 267 pages. Extrait pp 12,13,14
U2.  Sunday, Bloody Sunday. Sortie le 21 mars 1983, cette chanson qui rend hommage aux morts de Derry, le dimanche de janvier 1972 qui deviendra aussitôt le Bloody Sunday.

12 septembre 2024

L'instant capté


"Il arrive parfois     au plus absent des jours
qu’un ange     déroule une échelle de lumière
dans un rai de poussière
l’esprit s’y agrippe     et l’âme s’y désaltère  (..)

Ainsi fut-il     fugitive offrande     cet arc-en-ciel du soir
immensément radieux         ostentatoire même
en arrière-fond du parking d’une surface marchande
peuplée de familles du samedi soir aux chariots pleins

soudain immobiles tournées vers l’inouïe lumière
tous     bras droit en l’air muni d’un portable
pour capter la beauté céleste         irréelle
émouvante         gratuite     et renouvelée de l’univers.
                Jeanne Champel Grenier. Signe


Que serions-nous sans la beauté? Inattendue et gratuite, faisant effraction dans notre journée, aussi réelle que fugace.  Une mélodie dans la rue, un arôme de café fraichement torréfié par la porte d'une devanture, un rayon de soleil dans la ramure du marronnier de septembre, l'envol d'un oiseau surpris, le scintillement d'un bel avion dans le bleu du ciel. Cadeaux que rien n'annonce, et qu'il faut saisir avant qu'ils ne s'estompent tout aussi soudainement.


Lu dans:
Jeanne Champel Grenier. Signe. Une seconde éternité, proses, poèmes et tableaux. Ed. France Libris. 2021. 78 p

11 septembre 2024

Entre illusion et utopie

 «L'utopie est à l'horizon. Je m'approche de deux pas; elle recule de deux pas. Je fais encore dix pas et elle s'éloigne en courant de dix pas encore. J'aurai beau avancer, je ne l'atteindrai jamais. À quoi sert donc l'utopie? Elle sert à cela: continuer à marcher.»
        Eduardo Galeano (1940-2015)

                    



Immortalisée par Hergé, l'oasis dans le désert qui recule au fur et à mesure de la progression de Tintin a nourri notre imaginaire d'enfance. Mirage? Utopie? Mirage bien sûr. Ne nous y trompons pas. Un mirage est un phénomène optique, une illusion, un leurre qui dupe nos sens, tandis qu'une utopie est un idéal théorique qui peut sembler impossible à réaliser, mais qui n'a pas pour but de tromper, au contraire, il incarne une aspiration vers un monde meilleur. A l'heure où nous envahissent les images, les sons, les vidéos issues de l'intelligence artificielle, vit-on dans les illusions ou dans les utopies?


Lu dans: 
Rutger Bregman. Utopies réalistes. Seuil. 2017. 250 pages. Extrait p.239

10 septembre 2024

Sagesse douce amère du grand âge

 "L’époque vieillit mal. Dès qu’on commence à se plaindre que le son est trop fort dans les discothèques, que les policiers sont trop jeunes et qu’ils nous font rire sous cape quand ils prennent cette allure de faux cow-boys, que les voitures roulent trop vite, que les gens ne respectent plus les règles de la circulation et que plus personne ne sait à quoi sert le feu jaune, que la politesse est devenue une forme de flatterie publique, que les femmes qu’on a connues rajeunissent à si folle allure qu’on a l’impression de les croiser en remontant le temps, que les médecins sont devenus insensibles aux états d’âme de patients eux-mêmes survoltés, qu’on n’arrive pas à comprendre ce que disent ces animateurs de la télé qui n’articulent pas et parlent décidément trop vite, dès qu’on se plaint que des gens qu’on connaît à peine vous téléphonent tôt le dimanche matin, qu’il n’y a plus de bons écrivains comme du temps de Malraux et Miller, que le cinéma italien a connu son âge d’or dans les années 60 et que cet effritement s’est fait à notre insu, enfin dès qu’on évoque à tout bout de champ son enfance, comme je le fais, c’est qu’on a vieilli." 

                            Dany Laferrière.


Féroce mais si vrai. De tous les vieux, les pires étant ceux qui proclament en permanence être restés jeunes.


Lu dans: 
Dany Laferrière. L'art presque perdu de ne rien faire. Grasset. Collection bleue. 2014. 432 pages

09 septembre 2024

Le bel automne

 « Un jardinier me fait remarquer que c'est en automne qu'on perçoit la vraie couleur des arbres. Au printemps, l'abondance de la chlorophylle leur donne à tous une livrée verte. Septembre venu, ils se révèlent revêtus de leurs couleurs spécifiques, le bouleau blond et doré, l'érable jaune-orange-rouge, le chêne couleur de bronze et de fer. »

        Marguerite Yourcenar, Écrit dans un jardin



Lu dans: 
Chrsitophe Bigot. Un autre m'attend ailleurs. La Martinière. 2024. 310 pages. Extrait p.23

07 septembre 2024

Sagesse de Stig Dagerman

 

"Tout ce qui m'est arrivé d'important
et a rendu ma vie merveilleuse:

la rencontre avec un être aimé
une caresse sur la peau
une aide dans un moment critique
le spectacle d'un clair de lune
une promenade en mer à la voile
la joie que l'on à donnée à un enfant
le frisson devant la beauté d'un paysage.

Tout cela se déroule en dehors du temps
en l'espace d'une seconde ou en l'espace de cent ans.
Le bonheur se situe en marge du temps."
            Stig Dagerman



Rien n'est aussi fragile que le bonheur, comme en témoignent ces paroles lumineuses de celui qui est considéré comme un des écrivains suédois les plus importants des années 1940. Envoyé en Allemagne en 1946 pour témoigner pour son journal des dégâts de la guerre, il publie "Automne allemand", et arrête d'écrire. Le 4 novembre 1954, il s'enferme dans son garage et se suicide en laissant tourner le moteur de sa voiture, laissant un dernier texte désespéré "Notre besoin de consolation est impossible à rassasier".


Lu dans:
Stig Dagerman. Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. 1952.Actes Sud 1993. 21 pages,

06 septembre 2024

Ex ministre

 "Être ancien ministre, c’est s’asseoir à l’arrière d’une voiture et s’apercevoir qu’elle ne démarre pas."

                            François Goulard   


Cette réflexion douce-amère de François Goulard, ancien ministre de Jacques Chirac en 2012, lui avait valu à l’époque le prix de l’humour politique.


Lu dans: 
Par Nathalie Segaunes. L’étalage des ambitions de ces ministres qui se verraient bien rester dans le futur gouvernement. Le Monde. 4 septembre 2024.

05 septembre 2024

Miroir

 

Je suis svelte, comme tu le veux
Et je prends soin de moi,
comme il convient pour une femme que tu aimes.
J’utilise ta brosse à dents
et ma langue sait bien répéter, comme tu le souhaites,
les mots qu’il faut
avec calme et dignité.
J’aime la même musique que toi.
Je possède tes livres.
J’embrasse les lieux que tu visites.
Je te ressemble beaucoup.
Tu m’as fait devenir toi.

Je ne t’aime plus
                    Hanadi Zarka. Miroir

Lu dans:
Hanadi Zarka. Trad. Maram al-Masri. Anthologie des femmes poètes du monde arabe. Le Temps des Cerises. 2012


04 septembre 2024

C'était hier

 

"Les jeunes sont de plus en plus violents, de plus en plus jeunes."
            Article de presse de 1900, lu sur France Inter par Henri Leclerc.




Henri Leclerc, grand avocat français mort le 31 août, à l’âge de 90 ans, n'hésitait pas à monter au créneau pour dénoncer les idées qui choquent et les idées de haine, ainsi que la tentation de ne résoudre les problèmes de la jeunesse que par la police. Le rappel à l'antenne de cet article de presse de 1900, qui aurait pu dater de la veille, peut nous inspirer. Être avocat, c’est aussi lutter contre les litanies.


Lu dans:
Laure Heinich. Il a montré que l’on pouvait être à la fois une mascotte et une légende. Le Monde 3 septembre 2024.

03 septembre 2024

Des étoiles qui rient

 "Il faut bien admettre que nos vies n'ont aucune importance. Nous aurions pu ne pas être. Nous sommes. Minuscule événement, infime détail en regard de la Grande Ourse, là-bas, et des atomes éternels. Pourtant, notre vie, elle, n'est pas « là-bas » : elle est là devant, dérisoire mais pleine, passagère mais indépassable. Je n'ai qu'elle, je ne vois le monde qu'à travers mes yeux, je ne le touche qu'avec mes mains, au cœur de ce qu'il y a toujours de mal fagoté, de pas fini, dans l'existence humaine." 

                        Pascal Chabot


Peut-être un des derniers soirs d'été à contempler le ciel immense sur la terrasse. Que j'aime ce moment avant la nuit, la ville qui dort, la ligne d'horizon des maisons voisines, le bruit familier d'une vaisselle, une conversation que laisse entendre une porte ouverte, ces avions qui arrivent de loin, ceux qui s'en vont, comme portés par les nuages immobiles. Humains, et fragiles. Nous sommes des passagers sur la terre. Puis le regard s'éloigne, change de focale, aux frontières du visible de ce qu'autorise la luminosité d'une ville la nuit: les étoiles, difficiles à distinguer des avions, immobiles, inhumaines, éternelles. Je suis de leur monde, elles ne sont pourtant pas mon monde. Ma planète est aussi minuscule que celle du Petit Prince, remplie d'un vécu multiple et désordonné, de personnes aimées, de quelques projets restants, d'une fleur ou autre à arroser. Une étincelle dans l'azur, mais c'est ma planète, et je n'ai qu'elle. Loin dans le passé, j'avais cinq ans à peine, me revient soudain le souvenir de m'être perdu dans les mêmes questions, les mêmes incertitudes. Une vie se passe, on cherche un sens à lui donner, à laisser un souvenir pas trop moche, à assumer un quotidien utile, pour convenir un soir sur sa terrasse que cela ne change pas grand-chose aux étoiles.


Lu dans: 
Pascal Chabot. Un sens à la vie. Enquête philosophique sur l'essentiel. PUF. 2024. 208 pages.
Florent Georgesco. A l'essentiel, sans illusion. Le Monde. 30 août 2024.