04 novembre 2024

Entre les masques d'Ensor et la piéta de Michel Ange, quels morts fêtons-nous?

        

"De guerre lasse, j'ai fini par me laisser convaincre qu'Halloween n'était pas uniquement une mascarade commerciale à l'américaine, mais puisait ses sources dans les fêtes celtiques célébrant le passage du monde de la lumière à celui de l'ombre."
                        Armand Lequeux


Rentrant d'Irlande à l'instant, les yeux piquent encore de la luminosité particulière de ses paysages sublimes alternant brume et soleil... et de l'omniprésence d'Halloween. Au point de reconsidérer l'appréciation négative que nous avions de cette fête parfois considérée comme dévoyée. Intégrer la mort dans une sorte de parodie joyeuse, tenir à distance les peurs qu'elle suscite en se grimant, derrière des masques, des citrouilles évidées, des chapeaux  de sorcières aux cris sardoniques, quêtant des friandises de porte en porte en menaçant de jeter un sort... Bref exorciser la peur en éclairant nos rues  soudain redevenues farceuses ne constitue-t-il pas la plus belle des préparations à la Toussaint, où ces mêmes sentiments se revivent, apaisés, partagés religieusement en famille dans le respect de ces ancêtres parfaits dont l'exemple devrait nous imprégner encore?  Et posons-nous la question qui fâche: si, morts, nous est donnée la chance d'un bref retour parmi ceux qu'on aime , où irions-nous? Avec les gosses déguisés en diables demandant des bonbons en sonnant aux portes, dans les rires et les grimaces, ou dans nos tombes espérant voir arriver vers 11 heures un chrysanthème promenant un humain, ayant parfois oublié la route jusqu'à notre nouveau logement? Une petite prière, une larme furtivement écrasée, trente ans déjà, tu te rends compte, le temps passe vite, on époussette la dalle des feuilles ocres qui s'y incrustent, on se promet de  revenir l'an prochain, rassurés : nos morts vont bien.

Insensiblement, je mesure que les temps changent à la modification que je me remarque moi-même. J'étais Toussaint, et je deviens progressivement Halloween, l'exubérance farceuse a remplacé la dignité du culte des morts, que je conserve néanmoins par atavisme familial. Mais L'expérience irlandaise, la joie réelle ressentie dans les rues et les hôtels, les fausses sorcières et les vrais morts m'ont fait comprendre enfin - Halloween et Toussaint confondus -  qu'il s'agit des mêmes  personnes chères réapparaissant dans nos vies un laps de temps court et tonique pour nous rappeler qu'aucune disparition n'est définitive.

Lu dans:
Armand Lequeux. Quand fleurissent nos cimetières. LLB. 31 octobre 2024.

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