"Je pense à eux parfois. Ces trois médecins qui nous ont annoncé la mort de Gaspard. Deux hommes et une femme. Ils étaient plus pâles que nous en entrant dans la pièce. Ils savaient. Je pense à eux parfois. Et je me demande quel a été pour eux ce 21 janvier. Qu'ont-ils fait après ? Que peut-on faire après avoir annoncé à des parents le suicide de leur enfant? Sont-ils repartis dans leur service, auprès d'autres patients? Sont-ils rentrés chez eux serrer dans leurs bras ceux qu'ils aiment ? Qu'ont-ils fait de leur journée ? Et qu'ont-ils fait de leur peine ? Car nous avons senti leur peine discrète mais sincère. La femme nous a raccompagnés jusqu'à la sortie. Au moment de franchir la porte qui nous conduisait à notre vie sans lui, elle m'a caressé le bras. (..) Dans le poids de sa main, j'ai perçu la compassion d'une femme, d'une mère. La blouse blanche ne laissait voir que le médecin. Son geste m'a rappelé son humanité. (..) Je pense à eux parfois. Souvent même."
Anne Dauphine Julliard
On ne sort pas indemne des drames humains qu'on accompagne, le
masque et le latex des gants protègent de l'infection, pas de
l'émotion. Un jour dans un ascenseur bondé des Cliniques Saint
Luc, seule dans sa bulle, une jeune assistante pleurait
silencieusement. Je ne saurai jamais pourquoi, ni ses compétences.
Et pourtant, devrais-je être malade, c'est vers ce genre de
médecin que je crois que je m'orienterais.
Lu dans:
Anne Dauphine Julliard. Ajouter de la vie aux jours. Les Arênes.
2024. 144 pages. Extrait pp.91-92
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