30 septembre 2024

Electeurs dès le berceau

 "C'est trop mignon, un enfant qui joue à voter. Il y a un décalage humoristique. Le visage du faux petit électeur est si sérieux ! Les adultes le contemplent avec tendresse, on en profitera pour prendre une photo. (..)
- J’espère que tu avais bien lu tous les programmes avant de décider !  (..)
- Et toi Jean-Michel, l'adulte, tu les avais bien lus, tous les programmes ?
Ça y est, le jeu est terminé; l’enfant touche à nouveau le sol, retourne au monde réel. Le monde réel solide, stable, raisonnable. Celui où les enfants ne votent pas. "
                        Clémentine Beauvais


À travers le monde, la seule chose qui soit universelle dans le suffrage du même nom, c’est que les enfants en sont universellement exclus. Cette exclusion nous semble évidente, comme paraissait évidente jusque 1949 que les femmes n'y aient pas accès non plus. Les motifs invoqués à l'époque étaient similaires, le manque de discernement lié à une scolarité limitée, et le risque de manipulation par l'entourage. Aujourd'hui, ce sont pourtant ces 20% de non-électeurs "mineurs" (terme révélateur de la place qu'on leur accorde) qui subissent à chaque instant les conséquences de mesures politiques prises par les adultes. Parfois, ces mesures sont dans leur intérêt, souvent non. Les enfants sont parmi les premiers citoyens à souffrir des décisions qui n’avaient en apparence rien à voir avec eux, néanmoins atteints plus profondément et plus durablement que les adultes par la pauvreté, le manque de soins, les coupes dans l’enseignement, les failles des services publics, la complexité des demandes d’aide. D'où l'idée, saugrenue en première approche, mais qui fait déjà débat dans plusieurs cercles académiques, d'accorder un droit de vote identique à tous dès la naissance. Cet élargissement du nombre d'électeurs viserait à augmenter l'inclusivité et la représentativité de la société dans son ensemble, y compris les plus jeunes, ce qui pourrait influencer les priorités politiques en faveur des générations futures. 

Certains adultes sont déjà conscients de cette injustice fondamentale actuelle faite aux enfants par leur interdiction de voter. Un ami me parlait récemment d’un voisin âgé qui souhaitait voter pour un certain parti politique, tandis que tous ses petits-enfants votaient pour un autre. Il a fini par voter pour le parti soutenu par ses petits-enfants : « Je ne suis pas d’accord avec eux », a-t-il confié à mon ami, « mais c’est ce qu’ils veulent, et c’est eux qui vivront avec les conséquences. »  Modeste contribution sans doute, mais on peut se réjouir de ce tout petit signal envoyés à nos plus jeunes: vous êtes les bienvenus. Comme le conclut Clémentine Beauvais dans un stimulant ouvrage, "Un jour, ce sera peut-être : vous êtes chez vous. Alors, on y va ? Nous ferons, nul doute, un saut dans l’inconnu. Nous ne savons rien de ce à quoi peut ressembler un pays, un continent, un monde où les enfants votent. Ce qui est certain, c’est que ce sera par définition plus juste. Et si les enfants ont tout à y gagner, il n’est pas impossible que les adultes, eux aussi, en sortent un peu grandis."



Lu dans: 
Clémentine Beauvais. Pour le droit de vote dès la naissance. Gallimard. Tracts. N° 59. 2024. 44 pages

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