10 septembre 2024

Sagesse douce amère du grand âge

 "L’époque vieillit mal. Dès qu’on commence à se plaindre que le son est trop fort dans les discothèques, que les policiers sont trop jeunes et qu’ils nous font rire sous cape quand ils prennent cette allure de faux cow-boys, que les voitures roulent trop vite, que les gens ne respectent plus les règles de la circulation et que plus personne ne sait à quoi sert le feu jaune, que la politesse est devenue une forme de flatterie publique, que les femmes qu’on a connues rajeunissent à si folle allure qu’on a l’impression de les croiser en remontant le temps, que les médecins sont devenus insensibles aux états d’âme de patients eux-mêmes survoltés, qu’on n’arrive pas à comprendre ce que disent ces animateurs de la télé qui n’articulent pas et parlent décidément trop vite, dès qu’on se plaint que des gens qu’on connaît à peine vous téléphonent tôt le dimanche matin, qu’il n’y a plus de bons écrivains comme du temps de Malraux et Miller, que le cinéma italien a connu son âge d’or dans les années 60 et que cet effritement s’est fait à notre insu, enfin dès qu’on évoque à tout bout de champ son enfance, comme je le fais, c’est qu’on a vieilli." 

                            Dany Laferrière.


Féroce mais si vrai. De tous les vieux, les pires étant ceux qui proclament en permanence être restés jeunes.


Lu dans: 
Dany Laferrière. L'art presque perdu de ne rien faire. Grasset. Collection bleue. 2014. 432 pages

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