28 septembre 2024

La dernière passion de Marguerite Yourcenar

 "Elle avait fini sa carrière promue, montée en grade, une ultime fois décorée sous l'amicale pression de ses amis, honorée sous toutes les coutures, médaillée, flattée sans jamais rien avoir voulu. Juste l'obligée d'un monde qu'elle avait cru déjouer."

                            Étienne Faure


1980. Elle a 76 ans et est reçue à l'Académie française, première femme à siéger sous la Coupole. Qui peut deviner que Marguerite Yourcenar, congratulée de toute part, vit ces honneurs comme une femme dédoublée? Sitôt la cérémonie achevée, très digne, elle va saluer le président Valéry Giscard d'Estaing et son épouse puis s'éclipse, impatiente, désinvolte pour rejoindre dans le Marais, loin des ors de la République et des caméras de la télévision française, son nouvel amour secret, Jerry Wilson un jeune photographe américain homosexuel de quarante-six ans son cadet. Elle vient de perdre Grace Frick sa fidèle compagne de quatre décennies, et semble ne plus rien avoir à attendre de la vie quand elle affronte le plus inimaginable bouleversement existentiel. Éblouie par la beauté de celui qui lui rappelle un amour de jeunesse impossible, elle fait de lui son secrétaire, son chauffeur, bientôt l’organisateur de voyages au bout du monde. Est-ce bien la même personne qui écrivait au début de son existence littéraire que "l'amour est un châtiment. Nous sommes punis de ne pas avoir pu rester seuls. (Feux)" Commence ainsi un roman d’amour aussi improbable que dangereux, aussi destructeur que littérairement fécond. Jerry Wilson la délaisse pour un nouveau compagnon et meurt du sida cinq ans plus tard. Le cœur des grandes dames est-il fait d'une étoupe particulièrement inflammable, où on retrouverait les passions tardives de Marguerite Duras et de Yann Andrea, de Piaf et Théo Sarapo, de Sarah Bernhardt, Ninon de Lenclos ou Georges Sand sans oublier l'amour dévorant d'Héloïse pour Abélard? Marguerite Yourcenar meurt un an après son dernier amour (1987), avec une épitaphe tirée de L'Œuvre au noir "Plaise à Celui qui Est de dilater le cœur de l'homme à la mesure de toute la vie."  


Lu dans: 
Étienne Faure. Et puis prendre l'air. Collection Blanche. Gallimard. 2020. 136 pages. Extrait pp. 64-65
Christophe Bigot. Un autre m'attend ailleurs. La Martinière. 2024. 304 pages. Extrait pp. 20-21

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