"Elle tendit les bras, voulut le retenir, mais il s’échappait déjà, happé par la nuit et la ville indifférente. Alors, elle s’effondra sur le seuil, les sanglots étranglant sa poitrine."
Émile Zola. L'Assommoir
Comme tous ces endroits de rêve qui parsèment notre monde, il ne faut pas se forcer pour tomber sous le charme de Marrakech, qui d'une simple oasis a su faire ce "Paradis du désert", chanté par tant d'artistes, hommes de pouvoir et industriels ayant colonisé les Riads ombragés, les Palais et les hôtels de luxe. Marrakech est devenu un livre de photos dont chaque page vend son rêve avec brio. Nous voici tour-à-tour Sindbad le marin, Lawrence d'Arabie, Homère attiré par les Sirènes, et tant d'autres.
Jusqu'à ce que... notre petit taxi jaune soit bloqué par un fourgon cellulaire quittant le commissariat de police pour la prison. Deux femmes voilées, une mère et sa fille, s'y accrochent, tambourinent les fenêtre grillagées, tentent en vain de le ralentir pour que leur fils les voie une dernière fois, qu'il entende qu'elles l'aiment. Elles hurlent et pleurent leur détresse, leur honte, l'incrédulité de ce qu'elles vivent. Derrière tout criminel on oublie que s'effondre une maman. Ému, je me retourne vers nos petiots "Je viens d'assister à quelque chose de triste" - et ils me coupent "nous aussi" : la douleur d'être maman, d'être mère comme toutes ces mères qui tentent de transmettre le meilleur tout en sachant qu'elles donneront peut-être aussi le pire, la douleur de voir s'éloigner celui qui reste avant tout leur fils, la honte aussi d'entendre les cris de condamnation dans la bouche de ceux qui ne connaissent rien des mots prononcés dans l'enfance, ni l'incertitude de l'avenir. Paradoxe insolite: nous emmenions nos deux têtes blondes pour un rêve éveillé et nous découvrons soudain avec eux que la vie, c'est la vie, quel que soit le pays, que l'on soit en vacances ou au travail. Les plus beaux albums photos contiennent dans leurs pages des feuilles mortes des quatre saisons de la vie, et l'histoire du bonheur intimement mêlée au malheur. En les amenant au théâtre, soudain s'était proposée une découverte des coulisses, qui se révèle au final un malentendu inespéré.
La fin de l'histoire racontée par Zola se termine pour autant mieux qu'imaginée. Dans L'Assommoir, Gervaise Macquart incarne une femme courageuse, broyée par ce moment déchirant où elle voit son fils, Étienne Lantier, emporté par la police. Elle le perd définitivement, emporté autant par la ville impitoyable que par le crime qu'il porte en lui. Il réapparaîtra plus tard dans Germinal, ouvrier engagé dans la lutte sociale des mineurs. La scène de L’Assommoir qui marque le désespoir de Gervaise est aussi le début du destin d’Étienne en tant que futur militant, entamant sa véritable existence. Mêler Zola et une balade en calèche à Marrakech, décidément rien n'est impossible pour saisir le suc et le sens de l'existence.
Lu dans:
Emile Zola. L'Assommoir. 1877
Emile Zola. Germinal. 1885
Delphine de Vigan. Rien ne s’oppose à la nuit. Jean-Claude Lattès. 2011. "Être mère, c'est tenter de transmettre le meilleur tout en sachant qu'on donnera aussi le pire."