29 mars 2025

Ode aux invisibles

 "L’histoire est une fable au service des puissants dont elle entretient indéfiniment la mémoire, négligeant le sort de l’immense majorité des humains. Ils ont fait l’histoire mais l’histoire les ignore."                                     Christian de Brie



Une ode aux invisibles.  Ce sont eux qui ont bâti châteaux et places fortes, temples et mausolées, cathédrales, basiliques, mosquées, pagodes, et non ceux qui les ont accaparés. Louis XIV n’a pas construit Versailles, pas plus que Pierre Ier le Grand, Saint-Pétersbourg, ou l’empereur moghol Shâh Jahân, le Taj Mahal. Les uns et les autres auraient été bien incapables de bâtir le moindre muret de pierre sans qu’il s’écroule. Les bâtisseurs de cathédrales ne signaient pas les pierres qu'ils assemblaient, et cet anonymat leur va bien. 

 

Lu dans: 
Christian de Brie. La condition inhumaine. Le Monde diplomatique. Mars 2025. 

28 mars 2025

Quand les grands jouent à la guerre

 "La Presse du jour. Boeing remporte le marché du futur avion de combat américain, baptisé F-47 "en référence au 47ᵉ président des États-Unis". Flagornerie appréciée par l'intéressé qui évoque un "beau numéro, un avion indétectable que les ennemis de l’Amérique ne verront jamais venir, (…) n'ayant pas le temps de réaliser ce qu'il leur arrive." (Le Monde)   /   Mark Rutte, grand-chef de l'OTAN, lance un avertissement sans précédent: "Notre réaction sera dévastatrice en cas d'attaque". (Le Soir)     /    Hadja Lahbib,  présente le kit de survie de la Commission européenne permettant de survivre 72 heures en autonomie: conserves, nourriture lyophilisée, eau, une radio, une lampe torche, un briquet, des allumettes, papiers d'identité et... du cash. (La Libre)


Rajeunissant exercice. Casoar, Grizzli et Antilope présentent aux scouts (ancienne méthode) l'opération survie, clou du camp, au moyen d'images saisissantes destinées à éprouver le courage des petits derniers fraîchement arrivés à la Troupe. Mais c'est le Jeu des Trois erreurs: 1. Les Scouts ont sérieusement rajeuni leur logiciel pédagogique, préférant la créativité aux mises en scène guerrières, 2. De ce temps-là on respectait les règles durant les activités, 3. Les missiles étaient des pétards, ce qui fait une différence. Reste la question qui tue: faut-il vraiment un kit de survie si on ne souhaite pas survivre dans ce monde-là, rues et maisons détruites comme à Gaza ou dans le Donbass, les proches tués dans les décombres, la peur au ventre en permanence et surtout l'effondrement de toutes les valeurs qui fondèrent notre vie: la non-violence, le respect de l'autre et de la parole donnée, la justice sociale, l'apprentissage aux enfants de la bienveillance? 


Lu dans: 
Arnaud Leparmentier. Boeing remporte le marché du futur avion de combat américain F-47. Le Monde 25 mars 2025
Mark Rutte.  Notre réaction sera dévastatrice » : l’avertissement du chef de l’Otan en cas d’attaque. Le Soir. 26 mars 2025
Olivier Le Bussy. Pour Hadja Lahbib, les Européens "doivent être prêts à faire face à tout, y compris à l'inattendu". Et pouvoir survivre 72 heures en autonomie. LLB 26 mars 2025

27 mars 2025

Bonheur

"Tout nous échappe sans cesse, même les êtres qu'on aime. Mais reste la certitude que certains moments on été ce qu'on appelle le bonheur. "
                        Laurence Tardieu


Elle a les doigts aussi noueux qu'un cep de vigne, mais égrène avec bonheur une étude de Czerny sur laquelle elle fit ses premières armes. Une vie s'est écoulée depuis, mais l'émotion reste intacte.


Lu dans: 
Laurence Tardieu. Rêve d'amour. Le Livre de poche. 2009

26 mars 2025

Car tu es lumière

"Tu es étincelle et tu retourneras en lumière. Tu poursuivras ton chemin émerveillé dans ce jaillissement sans fin d’où irradient tous ceux que nous aimons."      Bernard Tirtiaux

                                                        

Un rayon de soleil qui traverse un vitrail, et notre terre devient le ciel. Bibliques ou contemporains, les vitraux racontent la longue Histoire des hommes, leurs espoirs, misères et questions sans réponses, Ils réchauffent d'un éclairage changeant les saisons de l'année et jouent de la palette des coloris de l'aube au crépuscule. Ils racontent le savoir-faire des verriers, ce travail du verre et du plomb d'où sourd mystérieusement une aventure spirituelle. Comme le soleil réchauffe les corps, se calfeutrer dans la lumière des vitraux nous transporte hors du temps. Le vitrail a ce pouvoir de traduire l'ancienne prophétie "tu es poussière et tu retourneras en poussière" en  sa variante lumineuse mais tout aussi crédible "Tu es étincelle et tu retourneras en lumière". Il existe un mot hébreu pour qualifier cette métamorphose: אָבָק , AVAK ou la danse des particules lumineuses en suspension dans un rayon de lumière. Soulevées par le vent, elles nous emportent vers le large. Le vitrail nous invite à être passeurs de lumière.


Lu dans:
Bernard Tirtiaux. Belgiques: Réminiscences. La rosace de Martinrou. Ker Editions. 2023. 112 pages. Extrait p.54

25 mars 2025

Sagesse des murs

 "J ' E X I S T E ! "   
                Sagesse des tags

                          


Coincée entre une dizaine de tags, une inscription m'interpelle: "J ' E X I S T E ! "  Dérisoires et triomphants à la fois. deux mots au pochoir sur un mur qui suinte l’abandon. Dans cette friche de ma commune où le temps s’effiloche entre errance et ennui, faut-il y voir un éclat d’insolence ou un murmure fataliste habité par le besoin tragique de laisser une empreinte, fût-elle aussi fugace qu’un graffiti promis à l’effacement. Entre deux visites à domicile, sans autre urgence que celle de rêver, il me plaît d'imaginer le jeune William (avant qu'il  devienne Shakespeare), une bombe à la main rédigeant l'esquisse de ce qui deviendra "To be or not, to be that's the question". Être ou ne pas être, c'est être le problème. Cioran y aurait peut-être ajouté par dérision ou lassitude  "J'existe - encore", ou l'aurait biffé par un "Trop tard !" dans un accès de lucidité cruelle. On tague sur les murs parce qu'on ne sait plus crier des mots qui donnent l’illusion d’une importance. Mais l’univers s’en moque.


24 mars 2025

Nos rêves captifs

 "On n'achète pas une barre chocolatée Hershey pour quelques grammes de cacao.  On l'achète pour retrouver le sentiment d'être aimé, comme cette fois où votre père vous avait offert une barre de chocolat pour vous remercier d'avoir tondu la pelouse'.»   
                            Don Draper

                        
                                       

Tout publicitaire vous le dira: on ne vend pas seulement une savoureuse friandise, aussi succulente soit-elle, mais on recrée un plaisir et des sentiments. il faut être suffisamment créatif pour que la simple vue de l'emballage fasse revivre des moments chaleureux de notre enfance, comme lorsque notre père nous offrait une barre en récompense.  Modeste transaction qui en échange de quelques pièces vous procurait et le plaisir des papilles et le rêve.  Dans Les nouveaux serfs de l'économie (2024), l'économiste Yanis Varoufakis débusque comment les chocolats sont devenus des smartphones, que les géants de la technologie tels que Google, Amazon, Facebook et Apple rendent attrayants et indispensables, contrôlant et créant subtilement nos données et nos besoins. Varoufakis explique comment ces plateformes prélèvent des commissions sur les transactions et le travail, sans créer de réelle plus-value, une sorte de capitalisme sans produit. Même pas le petit plaisir et le rêve suscités par la tablette chocolatée !


Lu dans: 

  • Don Draper, un publicitaire chevronné de la série "Mad Men" (2007, décrivant les années 1950-1960)
  • La Barre chocolatée Hershey, mythique aux EU, créée depuis 1900. Appelée "La Grande Barre de chocolat américaine."
  • Yanis Varoufakis. Les nouveaux serfs de l'économie. Les Liens qui libèrent.. 2024. 350 pages. Extrait p.50

22 mars 2025

Sagesse d'Erri De Luca

"De la discrétion, donc. Comme le jeu du Mikado où il faut pouvoir retirer des bâtonnets enchevêtrés sans faire bouger les autres."       
                    Erri De Luca

                           



Une discrétion qui se perd quelque peu aujourd’hui, quand tout nous conforte dans la nécessité "d'être quelqu’un" pour marquer son passage. Le Mikado, c’est une métaphore de l’attitude à avoir devant la vie, celle de se faire le plus discret possible, de sortir parmi les autres sans être aperçu. C’est un art très rare de n'être que passage, et finalement peu de chose dans la vie du monde.


Lu dans: 
Erri De Luca (Auteur), Danièle Valin (Traduction). Les règles du Mikado. Gallimard. 2024 . 160 pages

21 mars 2025

Le retour du printemps

"Au printemps
les cœurs sont repeints au vin blanc
tout Paris se change en pâturage
les guinguettes ont rouvert leurs volets
l'accordéon apprend des couplets
les oiseaux sont revenus de loin
le soleil a décrété que c'est tous les jours dimanche.
Le nouveau printemps."  

Le revoilà ! La nature se remet en marche, et nous de même. Nouveaux bourgeons, nouveaux projets, nouvelles habitudes et - pourquoi pas - nouveaux horizons.  Le printemps marque l'équinoxe, un moment d'équilibre entre le jour et la nuit, perche tendue pour une recherche d'équilibre dans nos vies, que ce soit entre le travail et le repos, entre nous et la nature et entre les différentes facettes de notre existence. Moment de renouveau, le printemps est une opportunité.


Lu dans: 
Paroles librement adaptées d'Aznavour, Brel et Bécaud. 

20 mars 2025

Vivre ou pas? Seul vivre compte

"Parle pas de toi comme ça mon grand. Il vaut mieux avoir de l’avenir que du passé, crois-moi… C’est pas ce qu’on t’a donné qui compte, c’est ce que tu vas prendre maintenant."
                        Samuel Benchetrit

                                 


A quoi sert le monde, quand "on a le cœur brisé / à prendre / battant la chamade sans personne pour l'entendre" ? Cette interrogation existentielle commence et clôt l'émouvant texte "Maman" de Samuel Benchetrit, une pièce douce sur l'amour filial mise actuellement en scène au théâtre Le Public avec autant de sensibilité que d'humour. Réflexion douce-amère sur le sens et la valeur de l'existence quand celle-ci démarre mal, s'enlisant dès la naissance, voire même avant: "Qu'est-ce qu'on a fait à ta mère avant que tu ne viennes au monde?" A la question Vivre ou pas? Samuel Benchetrit suggère que C'est vivre qui compte, opposant à l'alternative du néant le pari d'une vie librement assumée, l'essentiel n'étant pas tant de questionner l'existence, mais de la vivre pleinement. Bercé par les interrogations de quatre acteurs ne surjouant jamais mais d'autant plus convaincants, on ne peut s'empêcher d'évoquer le Sisyphe d'Albert Camus remontant inlassablement sa charge en y trouvant son bonheur. Et si le monde n'avait d'autre sens que celui que chacun de nous peut lui donner par sa propre action? Montée en 2021 à Paris avec Vanessa Paradis dans son premier rôle sur les planches, la pièce avait connu un succès retentissant, prolongé en tournée. C'est ce texte qui est repris et mis en scène par Patricia Ide et Magali Pinglaut sous les voûtes du Public pour notre grand plaisir.


Lu dans: 
Samuel Benchetrit. Maman. Grasset. 2021. 140 pages au Théâtre Le Public, jusqu'au 26 avril 25.
Aurore Vaucelle. Qu'est-ce qu'on a fait à ta mère avant que tu ne viennes au monde? La Libre Belgique. Culture. 12 mars 2025

19 mars 2025

Sagesse de Spinoza

 "Ne pas railler, ne pas se moquer, ne pas se lamenter, ne pas détester, mais comprendre." 
                                    Spinoza

                         

C'aurait pu être une consultation assez banale lumbago / mal à la gorge / certificat, mais ce fut la cour des miracles, une après-midi erratique. Un homme bon réserve un repas dans un resto du quartier pour fêter sa femme, et précise "la petite table près de la porte". Un papa maghrébin projette un séjour dans sa maison natale de Tanger pour février, décommande par certificat médical le billet d'avion dix fois successivement et se décide à s'y rendre en septembre, suscitant la risée. Une jeune patiente hors-norme - un IMC (indice de masse corporelle) de 35 soit une obésité sévère - stade 2 ) prétexte un rhume pour un certificat inapproprié de dispense du cours de natation. Un patient chauffeur routier depuis vingt ans fait des apnées du sommeil mais refuse obstinément de les faire détecter à l'hôpital. On apprend la médecine en sept ans, on en met cinquante pour se débarrasser des réactions passionnelles immédiates – le rire moqueur, le mépris, la plainte ou la haine – qui nous enferment dans une perception biaisée du monde. Ces émotions primaires, bien qu’humaines, nous éloignent de la vérité et nous empêchent d’agir avec justesse.

Je mis des années pour comprendre que celui qui ne s'assied qu'à côté de la porte de son restaurant favori a souffert d'une rafle familiale alors qu'il n'avait que douze ans, et n'envisage aucune fête qui ne soit proche de la sortie. Que mon patient marocain collectionneur de certificats de reports de voyages développait une peur panique de déséquilibrer son diabète en vol loin de son médecin habituel. Que cette jeune naïade difforme estime qu'aucune règle ne force dans notre pays quelqu'un à se ridiculiser en public. Qu'un chauffeur de poids lourd préfère s'arrêter toutes les deux heures pour un roupillon que de se voir retirer au terme d'une nuit au labo du sommeil le permis et les primes de conduite qui y sont liées. Bref, ainsi se termine une consultation tissée de comportements aberrants orchestrée par un médecin complice pas trop fier de l'être: on aimerait tous être parfaits, les médecins aussi. Mais tout médecin soit-il, le doute persiste: si je portais ses sandales, quel marcheur ferais-je? Et les réponses perdent de leur évidence.


18 mars 2025

La Belle Province

 " Les Canadiens sont des gentils. Le meilleur souvenir d’une longue carrière de journaliste ne resterait-il pas ces mots d’un officier de l’immigration, dans les années 1980, à l’aéroport de Vancouver : "Vous avez des amis ici ? Non ? Vous allez vous en faire !" 

                           

Découvert à la lecture de mon journal ce weekend. Je partage bien cet avis, et envoie ce petit clin d’œil à nos amis de la Belle Province qu'on n'oublie pas.



17 mars 2025

Rêver le réel l'améliore

 "Le possible est une tentation que le réel finit toujours par accepter." 
                                Gaston Bachelard

                           

Que n'a-t-on décrit et invoqué le réel. Des générations d'enfants aussi rêveurs qu'étourdis se sont fait reprendre comme le Cancre de Jacques Prévert "redescends donc un peu dans la réalité." Un tumultueux homme politique montois ne dit rien d'autre lorsqu’il déclare vouloir "gérer le pays comme des ingénieurs, pas comme des poètes". Prévert repassera, mais on souhaiterait voir ce pays géré par des ingénieurs qui soient aussi des poètes. Quoi de plus évocateur du Réel que le cours d'une rivière, aux berges façonnées en permanence par les caprices des flots, tantôt en crue, tantôt menacés par la sécheresse. Le possible est à la réalité ce que le rêve et l’imprévisible sont au projet, et au progrès. Le philosophe Gaston Bachelard ne suggère rien d'autre que ce qui peut être imaginé, conçu ou envisagé, exerce une sorte de force ou de tentation sur le réel, c'est-à-dire le monde tel qu'il existe, tangible et concret. Il n'est de "réel" aussi immuable ou fixe qui ne soit influencé par des idées nouvelles ou des perspectives non encore réalisées. Laissons rêver les enfants qui seront les ingénieurs de demain.


Lu dans:
Gaston Bachelard (1864-1962). Fragments d'une poétique du feu. Evergreen. 1988. Ouvrage posthume.
Jacques Prévert. Paroles. Le Cancre. Folio 2016.  ‎ 352 pages.

15 mars 2025

Merci, Danke, Thank you, شكراً Shukran, (Moltes) gràcies, 唔該(晒), (非常/) 감사합니다 Gamsahabnida

 "Un seul mot, usé, mais qui brille comme une vieille pièce de monnaie : merci !" 
                            Pablo Neruda


Le genre de petite phrase qui habille nos remerciements, pareille aux chocolats MERCI de Ferrero - une trouvaille commerciale et un délice à la fois - , à conserver sur soi au cas où . 

14 mars 2025

Quand l'intelligence artificielle patine

 

"L’être humain accorde plus de crédit à une affirmation énoncée avec assurance qu’à une assertion suggérée avec prudence."
                            Jonathan Thomas et Ruth Mc Fadyen (1993. Heuristique de la confiance)


Constatation plutôt rassurante, l’IA (Intelligence artificielle) partage avec l'être humain ses faiblesses. Si elle perd pied dans une partie d'échecs, elle peut tricher sans qu’on lui en donne l’ordre. Elle peut aussi se tromper avec un aplomb digne d’un écolier qui ne connaît pas sa leçon et qui bluffe. C'est lié à sa nature même, les chatbots (robots conversationnels) étant incapables de discerner si une information est vraie ou fausse, générant uniquement du texte qui paraît plausible, comme l'explique volontiers ChatGPT lui-même quand on l'interroge sur ce qu'il est ... avant de renvoyer vers cinq études universitaires, dont une n’existe pas. Cette incertitude  parviendrait presque à nous faire sourire. Loys Bonod, enseignant de lettres parisien présente ainsi depuis deux ans à ses lycéens, afin d'éduquer leur esprit critique, des sujets de dissertation à soumettre à l'IA. Une de ces créations pseudo littéraires sur Arthur Rimbaud et son poème La Maline, place l'action dans une brasserie de la ville belge de Charleroi, prenant pour cadre "un paysage bucolique des Ardennes fait de navires et de ports étrangers". Hallucinations liées à la conception même de ces IA, qui opèrent de manière probabiliste : sur la base des milliards de textes ingérés dans leur phase d’apprentissage, elles calculent quelles suites de mots sont statistiquement les plus fréquentes après telles autres, sans critère de justesse ou de vérité, ni même de compréhension de la question. Parfois, ces erreurs proviennent simplement de sources de mauvaise qualité, comme il en existe tant sur Internet, Un chatbot ne « connaît » pas au sens strict, il se contente d’imiter le discours humain le plus plausible. L'affirmation peut d'ailleurs se retourner: certains d'entre nous, et nous-mêmes, ne fonctionnons-nous pas souvent comme des chatbots, préférant la restitution d'affirmations entendues à une pensée originale qui nous soit propre?


Lu dans: 
William Audureau. Comment l’IA nous trompe. Le Monde. Les décodeurs. 9 février 2025. 
MIT Techniology Review. Les modèles de raisonnement de l’IA peuvent tricher pour gagner des parties d’échecs. 5 mars 2025.
Arthur Rimbaud. La Maline. "Dans la salle à manger brune, que parfumait / Une odeur de vernis et de fruits, à mon aise ..."

13 mars 2025

Le presque rien d'une empreinte

 

"Du moment que quelqu’un est né, a vécu, il en restera toujours quelque chose, même si on ne peut pas dire quoi.  Le « plus rien » est distinct à jamais du néant pur et simple. […] Il est sauvé de l’inexistence éternelle, sauvé pour l’éternité. Cet « avoir été » est comme le fantôme d’une petite fille inconnue suppliciée et anéantie à Auschwitz. Un monde, où le bref passage de cette enfant sur la terre a eu lieu, diffère désormais irréductiblement et pour toujours d’un monde où il n’aurait pas eu lieu. Ce qui a été ne peut pas ne pas avoir été."  
                                Vladimir Jankélévitch


L'ombre est venue sans bruit, a longé le mur et comme un rite d'amitié au moment d'éteindre la lumière, les photos au mur des parents et amis disparus dans l'année paraissent me souhaiter la bonne nuit. Cimetière intime où s'estompent les préséances, les préférences, les distinctions de fortune et de diplômes, leur disparition les rends tous également chers dans nos cœurs. Souriants ou mélancoliques, leurs visages nous invitent à nous arrêter un court moment sur ce qu'est l'empreinte, ce presque rien qui aura changé nos vies, nous laissant différents par le simple fait de les avoir côtoyés. Bien sûr, il n'y a plus rien, et pourtant ce n'est pas le néant: tu es venu(e) dans ma vie, on s'est croisés, et je serais différent si je ne t'avais connu(e). Le néant n'est pas voué à disparaître, alors que le "plus rien" est la preuve même que quelqu'un a été.


Lu dans:
Vladimir Jankelevitch La mort. Flammarion. 1966.
cité par Éric Brogniet dans Le Carnet et les instants. Le poème et les mots dits. 12 mars 2025

12 mars 2025

L'âge de raison

"Cela existe, l’âge de raison pour les hommes ?
Mais oui, mais oui, un pied dans la tombe
ils comprennent
qu’ils ont été terriblement inattentifs
et qu’ils ont laissé passer le bonheur. »
                        Jean Anouilh.

 


Un jour, il put quitter l'hôpital. Pour quel avenir? Les médecins ne se prononçaient guère, mais lui y croyait. Il avait découvert dans une revue l'existence d'une "monkey moto", la Honda Z50M, si basse qu'il saurait l'enjamber malgré sa coxarthrose, transportable dans le coffre d'une voiture, et soudain il recréait le monde. Sa femme conduirait l'auto, et ensuite lui longerait le canal reliant Gand à Bruges, toute son enfance. On acheta la moto, il ne revit ni Gand ni Bruges, mais comme le chantait si bien Pierre Rapsat, "tous ces rêves, tous ces rêves que l'on ne faisait plus / tous ces rêves que l'on croyait perdus / Il suffit d'une étincelle pour que tout à coup/ ils reviennent de plus belle / ces rêves qui sont en nous " embellirent ses dernières semaines de vie. 


Lu dans:    
Jean Anouilh. Les poissons rouges.  Folio. 1972. 156 pages. Extrait p.31.

11 mars 2025

Une déchirure

 

"Elle tendit les bras, voulut le retenir, mais il s’échappait déjà, happé par la nuit et la ville indifférente. Alors, elle s’effondra sur le seuil, les sanglots étranglant sa poitrine." 

                                Émile Zola. L'Assommoir


Comme tous ces endroits de rêve qui parsèment notre monde, il ne faut pas se forcer pour tomber sous le charme de Marrakech, qui d'une simple oasis a su faire ce "Paradis du désert", chanté par tant d'artistes, hommes de pouvoir et industriels ayant colonisé les Riads ombragés, les Palais et les hôtels de luxe. Marrakech est devenu un livre de photos dont chaque page vend son rêve avec brio. Nous voici tour-à-tour Sindbad le marin, Lawrence d'Arabie, Homère attiré par les Sirènes, et tant d'autres. 

Jusqu'à ce que... notre petit taxi jaune  soit bloqué par un fourgon cellulaire quittant le commissariat de police pour la prison. Deux femmes voilées, une mère et sa fille, s'y accrochent,  tambourinent les fenêtre grillagées, tentent en vain de le ralentir pour que leur fils les voie une dernière fois, qu'il entende qu'elles l'aiment. Elles hurlent et pleurent leur détresse, leur honte, l'incrédulité de ce qu'elles vivent. Derrière tout criminel on oublie que s'effondre une maman. Ému, je me retourne vers nos petiots "Je viens d'assister à quelque chose de triste" - et ils me coupent "nous aussi" : la douleur d'être maman, d'être mère comme toutes ces mères qui tentent de transmettre le meilleur tout en sachant qu'elles donneront peut-être aussi le pire, la douleur de voir s'éloigner celui qui reste avant tout leur fils, la honte aussi d'entendre les cris de condamnation dans la bouche de ceux qui ne connaissent rien des mots prononcés dans l'enfance, ni l'incertitude de l'avenir. Paradoxe insolite: nous emmenions nos deux têtes blondes pour un rêve éveillé et nous découvrons soudain avec eux que la vie, c'est la vie, quel que soit le pays, que l'on soit en vacances ou au travail. Les plus beaux albums photos contiennent dans leurs pages des feuilles mortes des quatre saisons de la vie, et l'histoire du bonheur intimement mêlée au malheur. En les amenant au théâtre, soudain s'était proposée une découverte des coulisses, qui se révèle au final un malentendu inespéré.

La fin de l'histoire racontée par Zola se termine pour autant mieux qu'imaginée. Dans L'Assommoir, Gervaise Macquart incarne une femme courageuse, broyée par ce moment déchirant où elle voit son fils, Étienne Lantier, emporté par la police. Elle le perd définitivement, emporté autant par la ville impitoyable que par le crime qu'il porte en lui. Il réapparaîtra plus tard dans Germinal, ouvrier engagé dans la lutte sociale des mineurs. La scène de L’Assommoir qui marque le désespoir de Gervaise est aussi le début du destin d’Étienne en tant que futur militant, entamant sa véritable existence. Mêler Zola et une balade en calèche à Marrakech, décidément rien n'est impossible pour saisir le suc et le sens de l'existence.


Lu dans:
Emile Zola. L'Assommoir. 1877
Emile Zola. Germinal. 1885
Delphine de Vigan. Rien ne s’oppose à la nuit. Jean-Claude Lattès. 2011. "Être mère, c'est tenter de transmettre le meilleur tout en sachant qu'on donnera aussi le pire."


10 mars 2025

Une Histoire qui se répète

"Qui peut dire si, dans l’avenir (…), les deux puissances qui auraient le monopole des armes nucléaires ne s’entendraient pas pour se partager le monde, et à la suite d’on ne sait quel bouleversement politique et social, en viendraient à se confondre. Sans mettre en doute la sincérité et la résolution de ses alliés américains, mon pays doit tenir compte de ce que l’avenir comporte pour lui d’inconnu et le passé d’expérience. »

                        Charles de Gaulle

                                   


Paroles échangées en novembre 1959 par le général de Gaulle , fraichement revenu au pouvoir quelques mois plus tôt, et le président américain Dwight Eisenhower arrivé en fin de son second mandat. La France justifiait sa décision de se doter de l'arme nucléaire. Le poids de la mémoire historique fait référence au retrait de la garantie anglo-américaine après la Première Guerre mondiale (décidant de ne pas honorer une promesse de garantie de sécurité faite à la France en 1919), à la conférence de Yalta (1945) élevée par le Général en véritable mythe du partage du monde, et à la crise de Suez (1956) lorsque les États-Unis votent avec l’Union soviétique la résolution 997 (ES-I) exigeant un cessez-le-feu immédiat.  Paroles prémonitoires à la lecture des événements actuels, nous rappelant le sens premier de la "prophétie", qui n'est pas une prédiction de l'avenir mais un éclairage de ce que l'avenir pourrait être, fondé sur une analyse du passé. Le prophète n'est pas un devin, mais une voix dans le désert des certitudes communément admises, avertissant, discernant à la fois des périls et des solutions inexplorés, sans crainte de passer pour un farfelu.


Lu dans:
Maurice Vaïsse. OTAN : Les propos du général de Gaulle en 1959 collent à l’actualité de 2025. Le Monde 6 mars 2025. Tribune.
M. Vaisse est historien et spécialiste des relations internationales, auteur de « La Grandeur. Politique étrangère du général de Gaulle, 1958-1969 » (Fayard, 1998).

01 mars 2025

This is your land

 "Il est inexplicable que nous soyons vivants. Je remonte, ma lampe électrique à la main, les traces de l'avion sur le sol. À deux cent cinquante mètres de son point d'arrêt nous retrouvons déjà des ferrailles tordues et des tôles dont, tout le long du parcours, il a éclaboussé le sable. Nous saurons, quand viendra le jour, que nous avons tamponné presque tangentiellement une pente douce au sommet d'un plateau désert.  (..) Maintenant la flamme monte. Religieusement nous regardons brûler notre fanal dans le désert. Nous regardons resplendir dans la nuit notre silencieux et rayonnant message. Et je pense que s’il emporte un appel déjà pathétique, il emporte aussi beaucoup d’amour. Nous demandons à boire, mais nous demandons aussi à communiquer. Qu’un autre feu s’allume dans la nuit, les hommes seuls disposent du feu, qu’ils nous répondent."
                        Antoine de Saint-Exupéry

                             


Un feu de bois dans la nuit, une attente et la magie d'un ciel étoilé. Me revient cette scène du film *Easy Rider* (1969), film culte de Dennis Hopper, où les personnages, Wyatt (Peter Fonda) et Billy (Dennis Hopper), philosophent autour d'un feu de leur quête de liberté, du sens de la vie et de la contre-culture des années 1960. Amérique, que de rêves! Celle d'Omaha Beach, celle que chantait Joe Dassin, celle de Springsteen et Pete Seeger chantant Woody Guthrie pour Obama, celle du petit pas du premier homme sur la Lune, Un jour déjà lointain, j'eus la chance d’atterrir de nuit à l'aéroport La Guardia de New York, survolant la Grosse Pomme brillant de mille lumières. J'en eus des larmes d'émotion, tentant de localiser Harlem, le Bronx, Liberty Island... Aujourd'hui, incrédules, on s'interroge: comment tout ce à quoi on assiste est-il possible?


Lu dans:
Antoine de Saint-Exupéry. Terre des hommes. Gallimard. NRF. 1939 . 224 pages.

28 février 2025

L'heure des oiseaux

« C'est son heure préférée, celle où la forêt devenue bleue renaît.
Cette heure merveilleuse, suspendue avant l'aube, où tous les chagrins s'effacent, où tous les espoirs semblent permis.
L'heure des oiseaux. » 
                    Maud Simonnot



Qui n'a connu la chance de vivre l’heure où les oiseaux s’éveillent? Instant suspendu, aux premières lueurs de l’aube entre la nuit qui s’efface et le jour qui s’annonce. Entre les branches encore endormies, un frisson parcourt le feuillage quand s’élève un premier chant timide. C’est souvent le merle qui ouvre le bal, lançant quelques notes cristallines comme pour éprouver l’éveil du monde.  Bientôt, d’autres voix s’élèvent : les moineaux piaillent, les pigeons s'ébrouent, une tourterelle module sa complainte douce et répétitive. Parfois un bruissement d'ailes accompagne ce concert matinal et un pinceau de lumière se faufile entre les feuillages jusqu'à notre lit. Dans notre jardin de ville, le chant des oiseaux couvre un instant le murmure lointain du trafic qui s’éveille. Le jour reprend ses droits quand, entrouvrant les tentures, on jouit de cet instant de pure harmonie où la ville et la nature s’entrelacent dans un fragile équilibre.


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Maud Simonnot. L'heure des oiseaux. Editions de l'Observatoire. 2022. 158 pages

27 février 2025

 "Il faudrait réactiver cette chose délicieuse qui consiste à réfléchir sans se croire obligé d’accrocher une opinion au bout de sa pensée."

                            Dany Laferrière



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Dany Laferrière. Un certain art de vivre. Grasset. 2023. 240 pages

26 février 2025

La solitude et le doux retour à la vie des hommes

 

"Victoire... défaite... ces mots n'ont point de sens. La vie est au-dessous de ces images, et déjà prépare de nouvelles images. (..) En descendant moteur au ralenti sur Sans Julian, Fabien se sentit las. Tout ce qui fait douce la vie des hommes grandissait vers lui : leurs maisons, leurs petits cafés, les arbres de leur promenade."
                    Antoine de Saint-Exupéry. Vol de nuit.


A quoi rêve le skipper belge Denis Van Weynbergh à quelques jours de retrouver Les Sables-d'Olonne au terme d'un Vendée Globe éprouvant, ce tour du monde à la voile en solitaire, sans assistance et sans escale, qu'il affronte depuis plus de 100 jours. Loin derrière le vainqueur Charlie Dalin, arrivé depuis plus de 40 jours, et de la jeune Violette d'Orange, la coqueluche des médias. A moins de se voir déclassé pour arrivée en-dehors des délais, il sera le premier skipper noir-jaune-rouge à boucler l’épreuve, à bord de son modeste  bateau "Jojo " en hommage à Jacques Brel. Cent jours de solitude extrême au terme desquels les mots Victoire et Défaite n'ont plus de sens, seule demeurant l'aventure humaine pareille à celle de Fabien, pilote de l'Aéropostale en vol nocturne, immortalisé par Saint-Ex. Solitude extrême du vol, isolé dans le ciel, solitude pareille du skipper isolé dans l'océan, tous deux confrontés à la nature implacable, à la tempête, à la nuit, aux  éléments ainsi qu'à leur propre condition humaine. Solitude accentuée par l’absence de contact direct avec les autres hommes, réduite aux messages radio sporadiques qui ne suffisent pas à rompre l’isolement, surtout en cas de pépin. Notre skipper devine-t-il la proximité que nous ressentons avec lui dans son exploit? On peut être le dernier d'une épreuve, remportée par des champions équipés d'un matériel plus performant et d'un tout autre budget, et être le premier d'une aventure humaine dont nous nous sentons les équipiers. À travers le ciel nocturne, la tempête et le silence, il nous fait rêver à un monde où l’homme est certes seul, mais où sa solitude est aussi le prix du courage auquel il nous convie. On souhaite à Denis Van Weynbergh de retrouver maintenant tout ce qui fait douce la vie des hommes, leurs maisons, leurs petits cafés, leurs proches et les arbres de leur promenade. 


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Antoine de Saint-Exupéry. Vol de nuit. Préface André Gide. Gallimard. 1931. Folio édition. 1972. 192 pages. Extrait p. 19

25 février 2025

Squelettes se disputant un hareng

 James Ensor : Squelettes se disputant un hareng-saur

            Les Squelettes se disputant un hareng-saur. James Ensor.

Les Squelettes et le festin du néant

Dans un chaos blafard, où l’ocre et le carmin saignent la toile,  
Deux spectres décharnés s’affrontent, ivres d’un duel absurde.  
Leur chair a disparu, consumée par les âges, mais leur avidité,  
Elle, demeure, tenace et implacable, affûtant leurs ossements.  

Au centre du carnage, frêle et dérisoire, un poisson.  
Un hareng-saur, dernier vestige d’un banquet déjà englouti,  
Morceau sans vie, dérobé aux flots pour être mis en pièces,  
Trophée misérable d’un combat où la victoire n’a plus de sens.  

Leurs orbites vides s’illuminent d’une convoitise ancestrale,  
Leurs phalanges squelettiques s’agrippent, lacérant l’air,  
Non pas pour se nourrir – car ils n’ont plus d’entrailles –  
Mais pour posséder, dominer, arracher ce qu’ils ne peuvent savourer.  

Ainsi, dans l’ombre des nations déchues, les empires s’affrontent,  
Écartelant les terres fragiles, morcelant les peuples sans voix.  
Ils disputent des frontières tracées d’un trait froid sur des cartes,  
Comme ces squelettes qui, d’un rictus cynique, dépècent un mirage.  

Et lorsque le hareng sera broyé, qu’en restera-t-il ?  
Des fragments dispersés, des lambeaux échappant aux vainqueurs.  
Mais eux, ces spectres insatiables, poursuivront leur danse macabre,  
Cherchant un autre festin, un autre monde à réduire en cendres.  

James Ensor, dans sa clairvoyance mordante, ne peint pas seulement des squelettes grotesques. Il dévoile le cycle éternel de la domination, où les puissants se battent pour un butin déjà corrompu, laissant derrière eux des ruines et des cendres. Devra-t-on après ceci nous convaincre sur l'universalité de l'art pour décrire l'histoire et la vie des peuples?


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James Ensor (Ostende, 1860-1949). Squelettes se disputant un hareng-saur. (1891). Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles / photo : J. Geleyns - Art Photography.
Texte imaginé au départ de quelques réflexions personnelles et cauchemardesques inspirées par le tableau d'Ensor, confiées ensuite à Chat GPT pour la mise en forme

24 février 2025

Passé simple, passé composé

"L'avenir est une porte, le passé en est la clé."     
                    Victor Hugo

                        


Winston Churchill aurait commenté la même phrase par cette variante « Plus on regarde en arrière, plus on voit loin devant ». Mais on fait dire tant de choses aux gens célèbres!  Il n'empêche, la réflexion reste belle: le passé comme un miroir où se reflète l’avenir. La mémoire est souvent perçue comme une boussole intérieure, dépassant la simple rétention des faits, une continuité du présent. Sans mémoire, nous serions prisonniers d’un perpétuel recommencement, d’une errance aveugle. Collective ou intime, on y puise la clé d’une vision plus claire de l’avenir. Regarder en arrière ne signifie pas s’y attarder. C’est comprendre, apprendre, se nourrir du jadis pour mieux appréhender l’avenir comme un navigateur qui, en lisant les étoiles d’hier, trouve sa route dans l’immensité aveugle de l’océan. Actualité oblige, nous avançons vers un avenir incertain avec le passé comme phare.  

22 février 2025

Quand Lotto et Redbull font du sport

 "Constant, je t'appellerai Lotto" .     
                    Le naming comme on le parle

                     


Certains stades emblématiques font de la résistance , attachés (pour combien de temps) à leur nom d'otigine tel le Stade Santiago-Bernabéu du Real de Madrid, ou le Stade de France ainsi que le Parc des Princes. Chez nous le stade Roi Baudouin, celui du Standard de Liège (Stade Maurice Dufrasne) ou celui de l'Union Saint-Gilloise (Stade Joseph Marien) entretiennent encore ce goût étrange venu d'un passé heureux. Tendance battue en brêche ailleurs par une mode qui porte un joli nom, un anglicisme même: le naming. Un accord de naming est un contrat de sponsoring dans lequel une entreprise achète le droit d'associer son nom à une infrastructure sportive (stade, aréna, salle de sport, etc.) en échange d'une compensation financière qui permettra au club ou à la ville propriétaire du stade de générer des revenus supplémentaires pour en financer les infrastructures et le développement sportif.  Le sponsor de son côté accroît sa visibilité et renforce son image de marque, profitant des valeurs positives du sport (dynamisme, performance, engagement).  Quelques exemples pour animer vos prochaines soirées familiales :

  • Lotto Park (RSC Anderlecht, Belgique – sponsorisé par la loterie nationale Lotto), anciennement et historiquement Stade Constant Vanden Stock, le légendaire président du Club
  • Allianz Arena – Stade du Bayern Munich (Allemagne), sponsorisé par Allianz, une compagnie d'assurance.
  • Emirates Stadium – Stade d'Arsenal (Angleterre), sponsorisé par Emirates, une compagnie aérienne.
  • Etihad Stadium – Stade de Manchester City (Angleterre), sponsorisé par Etihad Airways.
  • Red Bull Arena – Plusieurs stades en Allemagne (RB Leipzig), aux États-Unis (New York Red Bulls) et en Autriche (RB Salzbourg), sponsorisés par Red Bull.
  • Signal Iduna Park – Stade du Borussia Dortmund (Allemagne), sponsorisé par la compagnie d'assurance Signal Iduna.
  • Groupama Stadium – Stade de l’Olympique Lyonnais (France), sponsorisé par Groupama, une compagnie d'assurance.
  • Spotify Camp Nou – Stade du FC Barcelone (Espagne), sponsorisé par Spotify.
  • Opel Arena – Ancien nom du stade du FSV Mayence 05 (Allemagne), sponsorisé par Opel.
  • BayArena – Stade du Bayer Leverkusen (Allemagne), sponsorisé par Bayer.

21 février 2025

Sagesse de François Mauriac

"Le ruisseau de la Hure, près de Saint-Symphorien (Gironde), fut mon inspirateur le plus secret, le plus direct. Il m’a donné le sentiment de l’immensité du monde." 
                François Mauriac

                                


Un ruisseau, une mélodie, un pinceau de lumière entre les nuages, paillettes de réalité insignifiantes par leur modestie, immenses par ce qu'elles nous permettent d'imaginer:  sans être le monde, elles en ouvrent la serrure.


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Virginie Linhart. Mauriac, Mémoires intimes. Film. Fr. 2024. 52 min

20 février 2025

Le Roi

 

"Sire... sur quoi régnez-vous ?
- Sur tout, répondit le roi, avec une grande simplicité.
- Sur tout ?
Le roi d'un geste discret désigna sa planète, les autres planètes et les étoiles.
- Sur tout ça ? dit le petit prince.
- Sur tout ça... répondit le roi." 
                        Antoine de Saint-Exupéry. Le Petit Prince


Il s'agit d'une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite et involontaire.


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Antoine de Saint-Exupéry. Le Petit Prince. 1943.

19 février 2025

Liberté paradoxale

 "Je trouve beaucoup de liberté dans la contrainte." 
                        Pio Marmaï

                


LA phrase pour dissertation. Pareille à ces mélodies entêtantes qui ne vous lâchent plus quand vous la croisez le matin au petit-déjeûner. Un conseil: ne la lisez pas.


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Fabienne Bradfer.  Pour ce film, j’ai vidé   mon réservoir émotionnel. Le Soir 19 février. Rubrique Cinéma. L'attachement. Film de de Carine Tardieu, avec Pio Marmaï et le jeune César Botti.

18 février 2025

Sagesse de Giono

 " Voilà, dit l'homme noir, viens voir : mon couteau, celui qui a le tire-bouchon et l'ouvre-boîte. Du fil et des aiguilles, mon livre, le litre, deux pains, l'oignon, le pot de miel, l'alène et le ligneul, l'arnica, la viande et la saucisse ; mon manteau et le bâton..." Il me regarda. "C'est tout, dit-il, tu vois, il y en a assez pour vivre." 
                                Jean Giono


                  

Place au rêve d'un temps qui n'est plus, ou pour si peu de nous. Qui reviendra peut-être.


Lu dans: 
Jean Giono. Jean le Bleu. ‎ Le Livre de Poche. 1974. 222 pages

17 février 2025

Sagesse de l'humilité

 "Etre humain, c'est être une maison d'hôtes. Tous les matins arrive un nouvel invité. Une joie, une dépression, une méchanceté, une prise de conscience momentanée vient comme un visiteur inattendu. Accueillez les tous et prenez-en soin! Même s'ils sont une foule de chagrins, qui balaient violemment votre maison et la vident de tous ses meubles, traitez chaque invité honorablement. Peut-être vient-il faire de la place en vous pour de nouveaux délices. La pensée sombre, la honte, la malice, rencontrez-les à la porte en riant, et invitez-les à entrer. Soyez reconnaissants pour tous ceux qui viennent, parce que chacun a été envoyé comme un guide de l'au-delà"
                            Djalâl ad-Dîn Rûmî

                             

Djalâl ad-Dîn Rûmî, dit Rûmî (1207-1273), poète, théologien et mystique persan a profondément influencé le soufisme et est considéré en Orient comme un grand maître spirituel musulman. On lui doit, entre autres, ce conseil: "L'humilité consiste aussi à reconnaître que n'importe quelle créature dans l'Univers est susceptible de nous enseigner ce que nous ignorons." Que nous voila loin des clichés véhiculés dans notre quotidien. 


Lu dans:
Djalâl ad-Dîn Rûmî. Christian Jambet (Traduction). Soleil du réel : Poèmes d'amour mystique. ‎ Imprimerie Nationale Edition; 1999. 227 pages.

14 février 2025

L'autre Saint Valentin

 "Il y a,

il y a des jours de raisins doux, de pommes d’or,
de quoi faire taire notre vieille soif.
Et l’eau qui court, torrents, rivières,
court sous la peau, enrobe nos cœurs, calme nos doigts.
Rien ne manque, rien n’est mieux,
et quand la nuit vient, elle affiche pour nous deux
un jeu complet d’étoiles.

Il y a des jours de fruits amers,
quand les pépins écrasés
nous blessent un peu la langue,
nous font former des mots moins beaux.

Il y a des jours de courte paille
où trois fois l’on tire la plus courte.
Les enfants sont un peu trop loin
pour qu’on entende leurs rires
et le chien qui murmure des rêves moroses
semble ne plus nous reconnaître.

Il y a des jours où tu m’aimes,
des jours où tu m’aimes bien.

Ainsi nous avançons, nous souvenant
et oubliant, marée haute, marée plate,
que le bonheur est un mélange

et que jamais il ne ressemble
ni tout à fait à ce que nous croyons
ni à lui-même,
ni à lui-même."
                    Francis Dannemark


Recopier Francis Dannemark le jour de la Saint Valentin, quel programme. Oublier les petits cœurs et les bisous partout pour redécouvrir cette autre recette du bonheur, qui sache apprécier de la même manière les jours avec et les jours sans, marée haute marée plate. Le bonheur des amours passés à la machine, faits bouillir / pour voir si les couleurs d'origine / peuvent rev'nir (Souchon).  Réinventer une Saint Valentin ancrée dans la vraie vie me tente. Et vous? 


Lu dans: 
Francis Dannemark. Autrement dit, l’amour. Ici on parle Flamand et Français. Le Castor Astral. 2005. 192 pages.

13 février 2025

Transitions

  "Le monde meurt de l’envie de naître,  notre société s’est épuisée à réaliser les rêves du passé. [ … ] Le vingtième siècle n’a pas préparé le vingt et unième."
                                Asma Mhalla


Les grandes idéologies du XXe siècle (progrès technologique, consumérisme, croissance économique, utopies politiques) ont été poursuivies jusqu’à leurs limite. Des idéaux autrefois prometteurs ne répondent plus aux défis contemporains de la crise climatique, des inégalités ou de la solitude numérique. Comme si l'accélération effrénée liée aux révolutions industrielles, technologiques, scientifiques, concentrées sur le matériel et l’innovation, avait distancé la dimension humaine, éthique et écologique, nous laissant orphelins du sens à donner à l'existence. Ci et là pourtant surgissent des initiatives issues de la société civile imaginant de nouvelles façons de vivre ensemble, d’habiter une planète durable et de donner du sens à nos vies. Comme le disait Paul Valéry : « Le temps du monde fini commence », et avec lui, l’obligation d’inventer de nouveaux horizons.



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Asma Mhalla . Technopolitique: Comment la technologie fait de nous des soldats. Seuil. 288 pages. Extrait p.11

12 février 2025

En flux tendu

"S’il vous arrive de passer une journée seul, sans travailler, sans concevoir d'amertume ni d'attente, vous êtes un homme heureux."
                        Jean Sulivan (1913-1980)


Comment réécrire cette phrase aujourd'hui? Je découvre hier en consultation une innovation qui m'éblouit au sens propre: la possibilité d'être alerté par un flash lumineux intense, se superposant au vibreur, lors de l'arrivée d'un mail, d'un post ou de toute autre information demandant notification. Amusé lors du premier éclair, je le fus moins lors des suivants se succédant à un rythme de feu d'artifice: mon interlocuteur était décidément une personne bien informée, et en flux tendu. S'ensuivit une bonne consultation sur la perception et les causes du burnout, de l'hyperacidité gastrique, des troubles du sommeil et de la dysfonction érectile. Le stress de nos vies se construit par des agressions permanentes souvent librement consenties.


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Jean Sulivan, prêtre et écrivain français, s'engagea tardivement dans la voie de la littérature en se libérant sans rupture de son statut d'ecclésiastique.  Se questionnant sur la liberté intérieure et la promotion de cette liberté spirituelle qui est le fil conducteur de ses écrits, il fut l'auteur d'une trentaine de livres. Merci à mon ami Michel Jehaes qui me transmet ce matin cette pensée.

11 février 2025

Une étrangeté d'être

 "Quant à la question des inégalités, le coup de projecteur de la technologie devient miroir grossissant. (..) Elle ne met pas seulement en lumière les inégalités et les discriminations qu’elle peut contribuer à amplifier, c’est plus que cela encore : elle distend l’espace-temps. Elle fait cohabiter des super-technologues partis à la conquête de l’avenir et de l’univers et dans le même temps des images d’embarcations de fortune qui coulent dans la Méditerranée ou des scènes de guerre de tranchées semblant sortir d’un autre siècle. (..) Elle structure et détache des scènes d’un présent plus proche du Moyen Âge que de notre hyper-modernité et des images qui semblent, elles, tout droit sorties d’un futur de science-fiction. Mais entre ces deux points cardinaux, où se trouve notre présent à nous ? Une partie de notre malaise, nos résistances, nos peurs proviennent sans doute de cet éclatement spatio-temporel. Un espace-temps fracturé en deux, deux dimensions qui ne se croisent plus. À quel monde, appartenons-nous ? "
                            Asma Mhalla

                         

Une étrangeté d'être. Objectivement, pas de quoi se plaindre, les besoins essentiels assurés, une activité professionnelle agréable, en environnement familial et amical chaleureux. D'où vient dès lors l'impression diffuse "de ne plus en être" quand s'éteignent les actualités télévisées ou la lecture du journal en ligne? Quand cohabitent des images d'une violence insoutenable et les séquences Bisounours créées par les publicitaires d'un monde fraternel, propre, accessible au plus grand nombre? Quand dans le quartier où on vit cohabitent la gentillesse des voisins de rue, des petits commerces, de jeunes émigrés qui nous cèdent spontanément leur place dans le métro et les fusillades devenues presque routinières à deux pas de notre habitation. Il reste alors le refuge de la fuite dans les souvenirs d'un monde unifié pas si lointain, tout aussi irréel mais l'information manquait, de la plongée dans une activité sportive ou la nature, ou dans l'épicurisme et le cocooning. Heu-reux, comme nous le soufflait l'humoriste Fernand Raynaud.


Lu dans: 
Asma Mhalla . Technopolitique: Comment la technologie fait de nous des soldats. Seuil. 288 pages. Extrait pp. 18-19

10 février 2025

L'art de vivre de Brillat-Savarin

 "Ce n'est pas le rire qui est le propre de l'homme, mais la gourmandise."   
                    Brillat-Savarin (1755-1826)

                  


L'aphorisme ne surprend guère sous la plume de Brillat-Savarin, qui fut à la gastronomie ce que  Clausewitz fut à l'art de la guerre. Longtemps je l'imaginai une vie aux fourneaux, toque en tête, comme les Troisgros, Bocuse, Ducasse ou autres Robuchon. Pas du tout, il était juriste, écrivain et gourmand, auteur de la célèbre "Physiologie du goût" qui convertit la France aux plaisirs de la gastronomie avec humour, tempéré parfois par quelques libertés avec l'art culinaire strict, que tous lui pardonnaient. Car comment résister au maître de cérémonie quand il énonce doctement en début de repas que "le Créateur, en obligeant l'homme à manger pour vivre, l'y invite par l'appétit, et l'en récompense par le plaisir (Aphorisme V); ou mieux encore que le "plaisir de la table est de tous les âges, de toutes les conditions, de tous les pays et de tous les jours ; il peut s'associer à tous les autres plaisirs, et reste le dernier pour nous consoler de leur perte." (Aphorisme VII). On évoquait hier à table ce vieux petit couple de patients qui toute leur vie soignèrent leur repas du soir, les tâches professionnelles de la journée terminées, par un dîner aux chandelles, beau service, vin choisi et petit café-filtre, robe élégante et costume-cravate rien que pour le plaisir de se gâter. Cela dura une vie entière, et ils n'habitaient pas un château. Saturés d'années, ils moururent de vieillesse.



Lu dans: 
Brillat-Savarin. Physiologie du goût. Champs classiques. Flammarion 1982.400 pages. Extrait pp 4, 19-20

08 février 2025

Sagesse d'Oliver Sacks

 "A mesure que l'efficacité du traitement pharmacologique s'est progressivement estompée, quelque chose d'autre s'est révélé: la mesure que l'esprit humain et la conscience d'exister subsistent à la perte d'efficacité de toutes ces drogues, et que c'est cet esprit que nous devons nourrir. Par le travail, par le rire, par l'amitié, par la famille, voila les choses qui comptent. On oublie trop ces choses appelées essentielles. "   
                        Oliver Sacks (par la voix du Dr Sayer, dans le film L'éveil)

                              


Quand survient l'impuissance médicale face à la progression inéluctable de la maladie, médecins et patients redécouvrent un autre mode d'emploi de la vie. Celui qui passe par l'acceptation et l'adaptation à une nouvelle réalité, sans entretenir l'illusion d'un retour à la santé antérieure. Se redécouvre la prééminence de la relation humaine et de valeurs essentielles parfois perdues de vue. Comme l'écrit le neurologue Oliver Sacks " la sensibilité ne s'oppose pas à la précision scientifique, chacune est la garantie de l'autre. Quiconque étudie ces patients finit par les aimer , et les aimer permet de les comprendre : l’étude , l’amour , la compréhension ne font qu’un."


Lu dans: 
Oliver Sacks. L'éveil. Seuil. 1993. 521 pages
L'Éveil (Awakenings), film réalisé par Penny Marshall et sorti en 1990.

07 février 2025

L'éveil

 "Certains de nos patients avaient atteint une forme de désespoir glacé proche de la sérénité ; ils étaient réalistes, ils se savaient condamnés, et acceptaient leur sort avec tout le courage et l’équanimité dont ils étaient capables. D’autres malades (peut-être tous, si l’on pense que la sérénité des premiers pouvait n’être qu’une façade) éprouvaient un violent sentiment d’injustice et d’impuissance : ils avaient l’impression d’avoir été volés des meilleures années de leur vie, rongés par l’idée d’avoir perdu leur temps, et gâché leur existence."   
                        Oliver Sackx

                  


Durant l'hiver 1916-1917 éclata l'épidémie d'encéphalite léthargique frappant 6 millions de patients  dont beaucoup  moururent. Parmi les survivants d'autres s'enfoncèrent dans un état léthargique, immobiles, souvent muets, emprisonnés dans un temps pétrifié. Considérés comme incurables jusqu'à la découverte de la L-Dopa (1967), cette médication eut pour effet de réveiller ces patients qui se remettent à parler, à marcher et retrouvent le goût de vivre. Malheureusement, ce réveil s'avèrera dans certains cas pire que le mal : les malades seront en proie à des hallucinations, des délites paranoïaques, érotomaniaques. Fallait-il arrêter la L-Dopa, diminuer la dose ? Récit émouvant, adapté au cinéma par Penny Marshall, qui comporte une belle réflexion éthique sur des questions essentielles concernant la santé, les traitements et la maladie, et qui nous interpelle tous encore actuellement.


Lu dans: 
Oliver Sacks. L'éveil. Seuil. 1993. 521 pages
L'Éveil (Awakenings), film réalisé par Penny Marshall et sorti en 1990.

06 février 2025

Récit d'une histoire invisible

 "Tout récit comporte trois éléments — le lieu, le temps et les personnages —, et une question qui les relie entre eux. Sauf celui du camp, où il n'y a ni lieu ni temps. Des décennies d'occupation ont dissocié le temps du lieu; chacun s'en est allé errer dans son propre espace. Pour ceux qui ont dû fuir en 1948 ou en 1967, les aiguilles du temps se sont arrêtées. (..) Le récit du camp est un texte hors du temps et du lieu, qui écrit sa propre histoire, en espérant que, tôt ou tard, quelque chose surgira."

                        Nasser Abu Srour


Comment décrire la Révolution française sans y intégrer un lieu (La Bastille), une époque (1789) et des personnes (Louis XVI, Marie-Antoinette, Danton, Robespierre). Comment décrire les camps, cette histoire sans lieu, sans dates, peuplés d'invisibles?  L'écrivain palestinien Nasser Abu Srour le tente en espérant "que tôt ou tard quelque chose en surgira". Incarcéré à perpétuité dans les geôles israéliennes, Nasser a dit adieu au monde, sans autre interlocuteur que le mur qui lui fait face, sur lequel il consigne par bribes son histoire dont il a fait ce récit. Celui-ci s'anime, répond et change d'apparence selon que l'espoir ou le renoncement domine. C'est son histoire et celle de son peuple, un monde qu'il a quitté. Quand l'actualité brûlante rejoint ce récit, où trouver les mots qui protègent du désespoir?


Lu dans: 
Nasser Abu Srour. Je suis ma liberté. Gallimard. NRF. Du Monde Entier. 2022. 300 pages. Extrait pp.30-31

02 février 2025

Sagesse de de Tocqueville

 "Ce qui jette le plus de confusion dans l’esprit, c’est l’emploi qu’on fait de ces mots : démocratie, institutions démocratiques, gouvernement démocratique. ./.. Nos contemporains sont incessamment travaillés par deux passions ennemies: ils sentent le besoin d’être conduits et l’envie de rester libres. Ne pouvant détruire ni l’un ni l’autre de ces instincts contraires, ils s’efforcent de les satisfaire à la fois tous les deux. Ils imaginent un pouvoir unique, tutélaire, tout-puissant, mais élu par les citoyens. Ils combinent la centralisation et la souveraineté du peuple, se consolant d’être en tutelle, en songeant qu’ils ont eux-mêmes choisi leurs tuteurs et que ce n’est pas un homme ni une classe, mais le peuple lui-même qui tient le bout de la chaîne. » 

                        Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1835-1840


Plaisir de relire des extraits de "De la démocratie en Amérique" d'Alexis de Tocqueville, dont certaines lignes feraient de bons éditoriaux actuels.  D'un court séjour de dix mois aux Etats-Unis, il tire une analyse du système démocratique, de ses vertus et de ses risques, ouvrage qui connaît un immense succès à sa publication en 1835. Cela lui vaut d'être élu à l'Académie des sciences morales et politiques à seulement trente-trois ans, puis à l'Académie française à trente-six. Élu à l'Assemblée législative de 1839 à 1849, il est occupe les fonctions de ministre des Affaires étrangères et de président du conseil général de la Manche, à la tête duquel il reste jusqu'en 1852. Adversaire déterminé du régime issu du coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte, il démissionne à cette date, refusant de prêter serment au nouvel empereur, se retire de la vie politique et consacre les cinq dernières années de sa vie à la réflexion. 


Lu dans: 
Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique. 1835-1840.

31 janvier 2025

So long Marianne

 

"Quand vient le soir
je m'assied et regarde les enfants
jouer, rire et babiller
sans moi qui retiens mes larmes.
Mes richesses ne peuvent donc tout acheter
ni me rendre ces choses que j'aimais tant faire avant
et ne peux actuellement plus que regarder."
                    Marianne Faithfull . As Tears Go By



Marianne Faithfull s’est éteinte paisiblement à Londres aujourd’hui, en compagnie de sa famille. Une voix éraillée s'est tue, qui racontait une vie d'excès, d'alcool, de tabac, de drogues dans la contre-culture du Swingin’ London des années 60. Une survivante qui a traversé les enfers pour pouvoir en témoigner, ce qui fit d'elle une icône. Alors qu’on la pensait perdue, Marianne Faithfull fait un retour aussi improbable que réussi, débarrassée de toutes ses addictions, enchaînant la vie, l’art, le théâtre, le cinéma , la chanson et une vie amoureuse qui reste un roman tourmenté. Viennent les soucis de santé, un écroulement sur scène, un cancer du sein, une hépatite C dont chaque fois elle se relève, reprend la scène, retrouve les studios. En 2020, le Covid manque l'emporter, et avec elle la mémoire récente, ne lui laissant que le passé lointain, toutes ces choses qu’on ne saurait oublier.

Lu dans: 
As Tears Go By. Mick Jagger, Keith Richards et Andrew Loog Oldham. Enregistrée d'abord par Marianne Faithfull (single Decca, 1964) à l'âge de 17 ans, puis par les Rolling Stones
Didier Zacharie. Nos larmes coulent pour Marianne Faithfull. Le Soir. 31 janvier 2025

30 janvier 2025

Together

 "Les seniors divorcent comme jamais. En Belgique, les séparations chez les 70-74 ans ont bondi de 81 % en dix ans" 
                Info Le Soir 30 janvier 2025

                        


Surprenante, l'info fait la Une. Les séparations des 70-74 ans ont bondi de 81 % en dix ans, et celles des plus de 75 ans de 41 %, chiffres dignes du pic épidémique de la grippe saisonnière actuelle et des incendies ravageurs de Los Angeles. Cela sent le roussi chez les seniors. et il n'y a pas de vaccin connu. Consolation, à l’inverse les plus jeunes divorcent de moins en moins, surtout parce qu’ils se marient moins. Désespérant? Mais non, mais non. Comme entendu hier soir sur la scène du Public en conclusion de Together, "rester avec toi sans plus rien attendre de toi, c'est déjà une forme d'amour". 


Lu dans: 
Together. Tragicomédie de Dennis Kelly. Théâtre Le Public.

29 janvier 2025

Des géants aux pieds d'argile

 "Au Caire , un égyptologue m'a décrit un de ses plus impressionnants souvenirs de fouilles. L'équipe qu'il dirigeait , ouvrant une tombe, découvrit que des pillards y avaient pénétré des années auparavant . Un glissement de terrain les avait enfermés sans espoir de se libérer. Quand l'air pénétra soudain dans la caverne, les momies et les offrandes restèrent intactes , mais les corps des deux pillards s'écroulèrent en poussière."   

                         


Quand un Petit Poucet crée la panique chez les géants, cela secoue, un véritable entartrage à grande échelle . DeepSeek contre ChatGPT actualise le récit de David contre Goliath. Et met les rieurs de son côté, trop heureux de voir dévisser en 48 heures les juteux marchés liés à l'IA. Les pillards de trésors restent donc vulnérables. Ayant testé sommairement l'outil, on s'interroge néanmoins. L'histoire est si belle, la similitude des écrans de recherche et les performances si semblables, les moyens mis en œuvre si éloignés qu'un doute surgit: et si la raison d'être de DeepSeek était essentiellement de donner un coup de pied dans la fourmilière pour révéler la fragilité des montages financiers de l'IA ?  Dans un monde où la rivalité entre grandes puissances s'exacerbe, la possibilité d'une mystification destinée à fissurer les marchés demeure une hypothèse.



28 janvier 2025

Beauté singulière

"Je me dis : c'est moi qui crée cette merveille, elle n'a jamais existé. Mais la rejoindre, c'est la réinventer. "
                        François Mauriac.



Par-delà La Trinité-sur-mer, là où finit la terre, se découvre un paysage superbe, façonné par le ciel, la mer et les rochers. Qui crée tant de beauté, si ce n'est l’œil qui la regarde, le cerveau qui la recompose au gré de sa propre histoire, de sa culture et de ses émotions? Cerveau qui peut aussi se la réapproprier quand il le souhaite, des années plus tard, image similaire et transformée à la fois par de nouveaux acquis, de nouvelles émotions: le même paysage ne se reproduit jamais à l'identique. Aucune baie, aussi belle soit-elle, ne se perçoit elle-même comme telle, mais la perception du Beau peut se partager. La beauté est ainsi une construction sociale: l'être humain est un atelier de beauté.


Lu dans: 
François Mauriac. Nouveaux mémoires intérieurs. Flammarion. 1993. 515 pages.

26 janvier 2025

Sagesse de François Cheng

 

"Flaque de lumière,
flaque d'eau, (..)
cette brève flamme chasse la lente grisaille
d'un après-midi.
Flaque de lumière,
flaque d'eau,
attirant quelques moineaux : leurs gazouillis
rappellent un instant le bonheur terrestre :
la soif étanchée."
                        François Cheng


Lu dans:
François Cheng. La vraie gloire est ici. NRF. Gallimard. 2013. 162 pages. Extrait p 61

25 janvier 2025

Merci au fruit

 "Tu ramasses le fruit,
le croques à belles dents.
le teint, la senteur,
le jus, la saveur,
dans ton palais
la métamorphose.

Plus que la jouissance,
la reconnaissance!
Merci donc au sol,
merci à la pluie,
Au soleil, au vent,
aux morts, aux vivants,
À tous ceux qui donnent."
                    François Cheng


Lu dans:
François Cheng. La vraie gloire est ici. NRF. Gallimard. 2013. 162 pages. Extrait p 27


23 janvier 2025

Le paysage intérieur


"Il comprit qu’il pouvait rester là
que le monde n’était rien d’autre
qu’un paysage reflété par ses yeux." 
                            Daniel Charneux


Devenu très vieux, il déposa le sac à dos avec lequel il avait pourchassé tant de paysages, recherché tant d'émerveillements. Découvrant sur le tard qu'il s'était surtout cherché lui-même, fermant les yeux il se surprit de s'être enfin trouvé. 


Lu dans: 
Daniel Charneux. En bref. Bleu d’encre. 2024. 100 p.

22 janvier 2025

Chanter

 "Un oiseau chantait et le monde devenait plus beau."   
                Francis Grembert

                            


D'accord pour l'oiseau. Que dire alors quand un humain chante, plaisir un peu perdu on le concède. Me reviennent les récits de patients décrivant leur atelier où tous chantaient, ces vaisselles du vendredi soir en maison communautaire réjouies par Brassens, ou ces fins de cours à midi en classe de rhéto consacrées à entonner un enthousiaste Bella Ciao annonçant le cours d'Histoire de l'après-midi consacré à la Révolution française. Le chant est un souffle de vie.


Lu dans: 
Francis Grembert. Petit éloge de l'alouette. Arléa. 2023. 101 pages

21 janvier 2025

Gwarosa, la mort par surmenage

 


 « Si vous connaissez un homme seul de plus de 50 ans, prévenez votre mairie.(*) » 
                    

                      

C'est L’envers du miracle sud-coréen (Samsung, LG, Hyunsai, Daewoo), dont les responsables prônent la semaine de soixante-neuf heures et la retraite à 75 ans. Technologie de pointe, tubes de variété fredonnés sur tous les continents, séries à succès, cinéma mondialement reconnu : la Corée du Sud jouit d’une image particulièrement positive. Un peu comme si, dans bien des domaines, Séoul montrait la voie au reste du monde. Pourquoi dans ce cas avoir créé un mot pour décrire la mort par surmenage? Gwarosa.  L'âge de la retraite y est officiellement de 60 ans, mais les rémunérations des travailleurs les plus âgés y sont dégressives, au prétexte de favoriser l’emploi des jeunes. Ainsi les dernières années de travail — celles qui comptent pour le calcul de la retraite — sont-elles caractérisées par une fonte des salaires, parfois amputés d’un tiers. Alors que les personnes âgées de plus de 65 ans représentent la moitié de la population pauvre, la Corée du Sud affiche un taux de suicide vertigineux de 61,3 pour 100 000 chez les plus de 80 ans (contre 33,3 pour les personnes de 75 ans ou plus en France). En Belgique, une récente étude sur le bonheur des personnes âgées, menée par le professeur Stéphane Adam (ULiège), conclut sur une réconfortante note de 7,5 sur 10, supérieure au niveau de bonheur moyen de la population active (6,6 sur 10). Faut-il en conclure que "Gwarosa" n'est pas belge, et que vieillir n'y est pas une malédiction?



Lu dans:
Banderole sur la mairie de Seong-buk (Séoul), campagne de lutte contre le suicide des personnes âgées sans travail, particulièrement préoccupant chez les hommes.

20 janvier 2025

Sagesse amérindienne pour une intronisation


"Quand le dernier arbre sera abattu
la dernière rivière empoisonnée
le dernier poisson capturé
alors vous vous apercevrez
que l'argent ne se mange pas."
        Prophétie amérindienne


Moment choisi pour réviser ses classiques, on assistera ce lundi à la célébration de ce concept central dans la culture et la pensée grecque antique, l’ubris (ou hybris, en grec ancien : ὕβρις). Quand un petit groupe d'êtres aussi cupides que serviles, oublieux qu'un grand pouvoir donne de grandes responsabilités, s'installent dans la démesure, l'arrogance et la transgression des limites (l'ubris), le chaos et la révolte guettent (la némésis). Il est trop tôt pour discerner à ce stade la fin de l'histoire, mais le moment est opportun pour réorienter notre admiration vers ces innombrables modestes qui par le monde pratiquent la douceur, le choix de l'essentiel et des oubliés de la fortune, le souci pour le dernier arbre, la dernière rivière et le dernier poisson. 


18 janvier 2025

Méditation dans un jardin de pierre et de sable

 "Les lignes du râteau peignent la terre, la rident comme une eau. (..) Des moines, en Extrême-Orient, ont créé des jardins de méditation à partir de ces lignes et de quelques pierres. Cela ne me surprend pas, car les dessins du râteau produisent une sorte d'apaisement intérieur, un sentiment de plénitude silencieuse. Pourquoi ? Ai-je coiffé la terre comme je coiffe encore quelquefois mon enfant, qui n'est plus une enfant ? Ce travail facile, ces gestes qui s'accommodent de la lenteur et de la distraction, brisent la mince écorce que la chaleur avait rendue imperméable, opaque ; on voit de nouveau la matière plus sombre, intime, vivante de la terre. Celle-ci s'est rouverte en même temps qu'elle s'est ordonnée. Ressemblerait-elle à ces persiennes qui laissent passer la lumière en la striant ? Je ne sais trop. Sans doute faut-il plutôt penser à des ondes, à la vibration d'une voix, à l'écriture d'un chant... On aurait fait apparaître un chant à la surface de ce sol qui nous porte et nous recevra ; une fois que c'est achevé, comme devant une surface de neige fraîche, on hésite à y marquer son pas." 
                            Philippe Jaccottet. 

                                   


Espaces de méditation où la nature se transforme en une œuvre d'art épurée, les jardins zen ("karesansui" dans la tradition japonaise) sont imprégnés de symbolisme et de spiritualité. L’acte de peigner la terre avec un râteau, geste simple et répétitif réalisé avec soin par les moines, n’est pas seulement une tâche esthétique, mais une méditation en soi, évoquant une quête d’ordre et d’harmonie. Les motifs ondulants symbolisent souvent l’eau, des vagues ou des courants, chaque coup de râteau est une manière de structurer le désordre apparent, métaphore qui s’applique également à l’esprit. Comme un jardin nécessite un entretien constant pour rester beau et ordonné, l’esprit humain doit être régulièrement "peigné" pour empêcher l’encombrement des pensées et des émotions négatives. Geste simple allégorique par ailleurs de l'impermanence, les motifs tracés dans le sable étant éphémères : un coup de vent, une pluie ou même un nouveau jour viendra les effacer. Loin d’être une source de frustration, cette impermanence est acceptée comme une vérité fondamentale de l’existence. L’effacement des motifs invite à lâcher prise sur l’attachement et à aimer le renouveau constant. Enfin, ces jardins rappellent l’humilité de l’homme face à la nature. Le gravier et les pierres ne sont pas modifiés dans leur essence, mais disposés avec respect pour révéler leur beauté inhérente. En peignant la terre, les moines ne dominent pas la nature, ils collaborent avec elle. Ce dialogue silencieux rappelle que l’homme est un gardien de la nature, non pas son maître.


Lu dans:
Philippe Jaccottet. À travers un verger - Les Cormorans - Beauregard. Gallimard. 1984. 112 pages.

15 janvier 2025

Amères victoires


"Et qui pourrait sans toi calmer mon inquiétude ?
Soulager ma fureur, ou finir mon ennui ?" 
                        Racine. Andromaque. Acte II, scène 1


Portée au théâtre Le Public par des acteurs fort investis, la très classique Andromaque de Racine réactive la mythique guerre de Troie, s'interrogeant sur les conséquences des guerres et les blessures, tant physiques que morales, qu'elles infligent. Question bien actuelle, le  mal des vétérans étant devenu une question de santé publique dans les pays occidentaux. Au cours des années 2000, pour 1 soldat mort au combat, on comptait 10 suicides de vétérans du Vietnam, guerre pourtant officiellement terminée 25 ans plus tôt. 1 892 drapeaux américains ont ainsi été plantés le 27 mars 2014 sur le Mall à Washington, en hommage aux vétérans qui s’étaient donné la mort depuis le 1er janvier de la même année, soit 22 par jour en moyenne. Aujourd’hui, le taux de suicide chez ces soldats US reste deux fois plus élevé que dans l’ensemble de la population. Plus interpellant encore, en 2008 une enquête de la BBC donnait le chiffre de 260 suicidés parmi les vétérans de la guerre des Malouines (1982), alors que les combats avaient fait 214 morts, et que l'Angleterre était sortie victorieuse de ce conflit. La facture humaine à payer, que l'on soit vainqueur ou vaincu, pour un conflit armé est souvent lourde et se décline dans le temps long.


Lu dans:
Pierre Conesa . Un cinéma post-traumatique. Le Monde diplomatique. Janvier 2025. Extrait page 28
Patrick Clervoy, Lendemains de victoires, amertume du vétéran, dans Victoire ! La fabrique des héros. Victoire ! la fabrique des héros. Sylvie Leluc, Christophe Pommier, Collectif. In Fine. 2023

Sources:
Robert Bossarte et Janet Kemp. Suicide data report, 2012
Department of Veterans Affairs. Jada F. Smith. Using flags to focus on veteran suicides.
The New York Times. 27 mars 2014. National veteran suicide prevention annual report
Department of Veterans Affairs. Office of Mental Health and Suicide Prevention. septembre 2022

Sagesse de Marguerite Yourcenar

 " Vous êtes médecin, dit le capitaine. – Oui, dit Zénon. Entre autres choses. – Vous êtes médecin, reprit le Flamand têtu. Je m’imagine qu’on se lasse de recoudre les hommes comme on se lasse d’en découdre. N’êtes-vous pas fatigué de vous relever la nuit pour soigner cette pauvre engeance ? – Sutor, ne ultra… repartit Zénon. Je tâtais des pouls, j’examinais des langues, j’étudiais des urines et non pas des âmes… Ce n’est pas à moi de décider si cet avare atteint de la colique mérite de durer dix ans de plus, et s’il est bon que ce tyran meure. Le pire ou le plus sot de nos patients nous instruisent encore, et leurs sanies ne sont pas plus infectes que celles d’un habile homme ou d’un juste. Chaque nuit passée au chevet d’un quidam malade me replaçait en face de questions laissées sans réponse : la douleur et ses fins, la bénignité de la nature ou son indifférence, et si l’âme survit au naufrage du corps."
                        Marguerite Yourcenar.

                                 


Chaque rencontre apporte son lot de confidences, elles-mêmes révélatrices de notre part d'ombre et de lumière. Les entendre sans porter de jugement s'apprend.


Lu dans:  
Marguerite Yourcenar. L’Œuvre au noir, citée par ...
... Sarah Chiche. Les Alchimies. Seuil. 2023. 240 pages.

13 janvier 2025

Succès trompeurs

 "Je suis célèbre au Japon pour un livre que je n’ai pas écrit, et je ne sais pas combien de lecteurs font semblant de l’avoir lu."   
                        Dany Laferrière

                            


Réflexion sur l’illusion et la réalité d'un succès, effet d'image rencontrant une attente ponctuelle d'un public soucieux de s'enthousiasmer. Succès parfois destructeur, brûlant les ailes de ces artistes s'étant approchés trop rapidement, ou trop jeunes, d'un soleil aussi grisant que toxique.


Lu dans:
Dany Laferrière. Un certain art de vivre. Grasset. 2023. 140 pages

11 janvier 2025

L'année qui va, l'année qui vient

"À la fac, un professeur nous avait dit, l'index levé et l'air docte : «N'oubliez jamais, derrière tout grand médecin se cache un grand cimetière. » 
                            Baptiste Beaulieu

                                 

L'auteur, médecin généraliste, citant son professeur de fac, ne devait pas être au top ce jour-là!  Je me prends pourtant au jeu et ouvre mon logiciel médical pour l'an 2024 en optant pour la mention "décédés": une rangée de cimetière au moins, sans compter les crémations. Je quitte le lieu au plus vite pour en revenir à la mention "actif(ve)s", une arborescence de visages de tous âges et de toutes cultures, souriants ou graves, qui me font envisager l'année 2025 avec infiniment plus d'optimisme. 


Lu dans:
Baptiste Beaulieu. Où vont les larmes quand elles sèchent? L'Iconoclaste. Proche. 2023. 230 pages. Extrait p.153

10 janvier 2025

Silence, il neige

 

"Quand il neige à plein temps
C'est comme du silence qui tombe."
                                Félix Leclerc



Le grand vent angoisse, la neige évoque la sérénité, le mystère et le recueillement. La neige devient une matière intangible, presque spirituelle, qui recouvre le monde de son voile feutré. Le temps paraît ralenti, le paysage devient une toile vierge où tout semble possible. Le silence est palpable, non pas comme une absence de son, mais comme une présence douce et enveloppante prêtant à l'introspection. Moment de pause dans nos vies trépidantes, qui nous plonge dans nos images d'enfants et dans ce monde simple où tout redevient possible. Beauté éphémère et intemporelle, ce qui ajoute à son charme.



09 janvier 2025

S'émerveiller

 "Le paysage bucolique, c’est celui qu’on croise sur le chemin du travail et qu’on prend la peine de regarder un certain temps, il peut donner cette sensation de bonheur serein. Le paysage sublime est celui que l’on recherche durant ses vacances. Il a une fonction plus écrasante, c’est davantage l’idée d’un bonheur intense. L’être humain a surtout besoin de sérénité pour le moment."
                                Bruno Humbeeck

                             


Le paysage sublime se prépare, se choisit, laisse une empreinte. Le paysage bucolique, ce peut être aujourd'hui, inattendu. La neige et son silence, tous bruits assourdis, sa capacité de créer un paysage en noir et blanc, d'iriser la lumière d'un soleil frisant. Sublime ou bucolique, l'un n'exclut pas l'autre, La faculté d'émerveillement, de ne pas être blasé, est un cadeau de la vie.


Lu dans:
Bruno Humbeeck. Éduquer à l’émerveillement. Racine. 2024. 196 pages.

07 janvier 2025

Au fil de l'eau et de soi-même

 "Mon plaisir est encore d'accompagner le ruisseau, de marcher le long des berges, dans le bon sens, dans le sens de l'eau qui coule, de l'eau qui mène la vie ailleurs."
                Gaston Bachelard

                             


Se laisser guider par le fil de l'eau, dans sa pente naturelle, "qui mène la vie ailleurs" est une rêverie sur l'avenir. D'autres, comme Jean-Paul Kauffmann ont fait le choix de remonter la Marne. Autre démarche, remonter le temps et dans le cas de ma Marne, remonter l'Histoire d'une région snobée, d'une guerre meurtrière, d'un auteur (ancien otage à Beyrouth) plongeant dans les souvenirs de son histoire personnelle. 


Lu dans:
Gaston Bachelard. La Poétique de la rêverie. PUF. 1978. 192 pages.
Jean-Paul Kauffmann. Remonter la Marne. Fayard. 2013. 264 pages

05 janvier 2025

L'ombre de ton ombre

 "Imaginez un objet sans ombre : il paraîtrait irréel. L’ombre est donc un double très particulier, qui ne remplace pas, mais au contraire atteste la réalité des choses. Ombre portée, reflet ou écho, prolongements du réel qui font corps avec lui. "
            Yves Tanguy, Clément Rosset


                             

Et voila que s'inversent les choses: l'ombre serait ce qui atteste de la réalité d'un objet, ou d'un être, au lieu de n'être que son double accidentel, un caprice de la lumière. Ou avec Brel, le privilège de "n'être que l'ombre de ton ombre, l'ombre de ta main, l'ombre de ton chien."  L'ombre devient ce qu'on a de plus proche.


Lu dans:
Yves Tanguy, Clément Rosset. Ombres au tableau. Récit Barbara BohacDans Philosophie Expresso. L'œil et l'esprit. Publié le 29 août 2012

04 janvier 2025

Du pain pour les oiseaux et pour la vie

 "En approchant, je ralentis toujours le pas. À peine, mais je ralentis. Instinctivement. Et j'inspire à pleins poumons. Je ferme les yeux parfois, une seconde, pour concentrer mes sens sur l'odorat. Même si je n'entre pas, je ralentis. Et je respire. La bonne odeur du pain chaud.

La boulangerie au coin de la rue propose des fournées plusieurs fois par jour. Je connais les horaires. Il m'arrive de faire un détour pour humer ce parfum inimitable. Je me poste discrètement devant la bouche d'aération, là où sortent les effluves tièdes. Et je respire. Plus qu'une satisfaction gourmande, j'y trouve un apaisement. Certains se ressourcent à l'air pur de la campagne ou de la montagne, dans les embruns salés de l'océan. Moi, c'est devant une boulangerie que je reprends pied. Le pain exprime la chaleur du four, le travail de l'homme, les épis dans les champs, la générosité de la terre, la nourriture de toujours. Ça sent le réconfort, l'inaltérable. Sur cette odeur, je peux m'appuyer. Elles convoquent les tartines beurrées, trempées dans le café, les quarts de baguette garnis de carrés de chocolat, les tranches épaisses avec le fromage et le vin, les canapés toastés les jours de fête. Et le pain rassis émietté pour les oiseaux sur le rebord de la fenêtre." 
                                    Anne-Dauphine Julliard


Un beau texte qui nous offre pour ce début de weekend une madeleine de Proust actualisée. A La Panne par exemple, premières vacances "à la mer", je marche à peine mais l'odeur entêtante des baguettes chaudes m'est restée. 


Lu dans:
Anne-Dauphine Julliard. Ajouter de la vie aux jours. Les Arènes 2024. 140 pages. Extrait p 110