22 février 2025

Quand Lotto et Redbull font du sport

 "Constant, je t'appellerai Lotto" .     
                    Le naming comme on le parle

                     


Certains stades emblématiques font de la résistance , attachés (pour combien de temps) à leur nom d'otigine tel le Stade Santiago-Bernabéu du Real de Madrid, ou le Stade de France ainsi que le Parc des Princes. Chez nous le stade Roi Baudouin, celui du Standard de Liège (Stade Maurice Dufrasne) ou celui de l'Union Saint-Gilloise (Stade Joseph Marien) entretiennent encore ce goût étrange venu d'un passé heureux. Tendance battue en brêche ailleurs par une mode qui porte un joli nom, un anglicisme même: le naming. Un accord de naming est un contrat de sponsoring dans lequel une entreprise achète le droit d'associer son nom à une infrastructure sportive (stade, aréna, salle de sport, etc.) en échange d'une compensation financière qui permettra au club ou à la ville propriétaire du stade de générer des revenus supplémentaires pour en financer les infrastructures et le développement sportif.  Le sponsor de son côté accroît sa visibilité et renforce son image de marque, profitant des valeurs positives du sport (dynamisme, performance, engagement).  Quelques exemples pour animer vos prochaines soirées familiales :

  • Lotto Park (RSC Anderlecht, Belgique – sponsorisé par la loterie nationale Lotto), anciennement et historiquement Stade Constant Vanden Stock, le légendaire président du Club
  • Allianz Arena – Stade du Bayern Munich (Allemagne), sponsorisé par Allianz, une compagnie d'assurance.
  • Emirates Stadium – Stade d'Arsenal (Angleterre), sponsorisé par Emirates, une compagnie aérienne.
  • Etihad Stadium – Stade de Manchester City (Angleterre), sponsorisé par Etihad Airways.
  • Red Bull Arena – Plusieurs stades en Allemagne (RB Leipzig), aux États-Unis (New York Red Bulls) et en Autriche (RB Salzbourg), sponsorisés par Red Bull.
  • Signal Iduna Park – Stade du Borussia Dortmund (Allemagne), sponsorisé par la compagnie d'assurance Signal Iduna.
  • Groupama Stadium – Stade de l’Olympique Lyonnais (France), sponsorisé par Groupama, une compagnie d'assurance.
  • Spotify Camp Nou – Stade du FC Barcelone (Espagne), sponsorisé par Spotify.
  • Opel Arena – Ancien nom du stade du FSV Mayence 05 (Allemagne), sponsorisé par Opel.
  • BayArena – Stade du Bayer Leverkusen (Allemagne), sponsorisé par Bayer.

21 février 2025

Sagesse de François Mauriac

"Le ruisseau de la Hure, près de Saint-Symphorien (Gironde), fut mon inspirateur le plus secret, le plus direct. Il m’a donné le sentiment de l’immensité du monde." 
                François Mauriac

                                


Un ruisseau, une mélodie, un pinceau de lumière entre les nuages, paillettes de réalité insignifiantes par leur modestie, immenses par ce qu'elles nous permettent d'imaginer:  sans être le monde, elles en ouvrent la serrure.


Lu dans: 
Virginie Linhart. Mauriac, Mémoires intimes. Film. Fr. 2024. 52 min

20 février 2025

Le Roi

 

"Sire... sur quoi régnez-vous ?
- Sur tout, répondit le roi, avec une grande simplicité.
- Sur tout ?
Le roi d'un geste discret désigna sa planète, les autres planètes et les étoiles.
- Sur tout ça ? dit le petit prince.
- Sur tout ça... répondit le roi." 
                        Antoine de Saint-Exupéry. Le Petit Prince


Il s'agit d'une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite et involontaire.


Lu dans: 
Antoine de Saint-Exupéry. Le Petit Prince. 1943.

19 février 2025

Liberté paradoxale

 "Je trouve beaucoup de liberté dans la contrainte." 
                        Pio Marmaï

                


LA phrase pour dissertation. Pareille à ces mélodies entêtantes qui ne vous lâchent plus quand vous la croisez le matin au petit-déjeûner. Un conseil: ne la lisez pas.


Lu dans:
Fabienne Bradfer.  Pour ce film, j’ai vidé   mon réservoir émotionnel. Le Soir 19 février. Rubrique Cinéma. L'attachement. Film de de Carine Tardieu, avec Pio Marmaï et le jeune César Botti.

18 février 2025

Sagesse de Giono

 " Voilà, dit l'homme noir, viens voir : mon couteau, celui qui a le tire-bouchon et l'ouvre-boîte. Du fil et des aiguilles, mon livre, le litre, deux pains, l'oignon, le pot de miel, l'alène et le ligneul, l'arnica, la viande et la saucisse ; mon manteau et le bâton..." Il me regarda. "C'est tout, dit-il, tu vois, il y en a assez pour vivre." 
                                Jean Giono


                  

Place au rêve d'un temps qui n'est plus, ou pour si peu de nous. Qui reviendra peut-être.


Lu dans: 
Jean Giono. Jean le Bleu. ‎ Le Livre de Poche. 1974. 222 pages

17 février 2025

Sagesse de l'humilité

 "Etre humain, c'est être une maison d'hôtes. Tous les matins arrive un nouvel invité. Une joie, une dépression, une méchanceté, une prise de conscience momentanée vient comme un visiteur inattendu. Accueillez les tous et prenez-en soin! Même s'ils sont une foule de chagrins, qui balaient violemment votre maison et la vident de tous ses meubles, traitez chaque invité honorablement. Peut-être vient-il faire de la place en vous pour de nouveaux délices. La pensée sombre, la honte, la malice, rencontrez-les à la porte en riant, et invitez-les à entrer. Soyez reconnaissants pour tous ceux qui viennent, parce que chacun a été envoyé comme un guide de l'au-delà"
                            Djalâl ad-Dîn Rûmî

                             

Djalâl ad-Dîn Rûmî, dit Rûmî (1207-1273), poète, théologien et mystique persan a profondément influencé le soufisme et est considéré en Orient comme un grand maître spirituel musulman. On lui doit, entre autres, ce conseil: "L'humilité consiste aussi à reconnaître que n'importe quelle créature dans l'Univers est susceptible de nous enseigner ce que nous ignorons." Que nous voila loin des clichés véhiculés dans notre quotidien. 


Lu dans:
Djalâl ad-Dîn Rûmî. Christian Jambet (Traduction). Soleil du réel : Poèmes d'amour mystique. ‎ Imprimerie Nationale Edition; 1999. 227 pages.

14 février 2025

L'autre Saint Valentin

 "Il y a,

il y a des jours de raisins doux, de pommes d’or,
de quoi faire taire notre vieille soif.
Et l’eau qui court, torrents, rivières,
court sous la peau, enrobe nos cœurs, calme nos doigts.
Rien ne manque, rien n’est mieux,
et quand la nuit vient, elle affiche pour nous deux
un jeu complet d’étoiles.

Il y a des jours de fruits amers,
quand les pépins écrasés
nous blessent un peu la langue,
nous font former des mots moins beaux.

Il y a des jours de courte paille
où trois fois l’on tire la plus courte.
Les enfants sont un peu trop loin
pour qu’on entende leurs rires
et le chien qui murmure des rêves moroses
semble ne plus nous reconnaître.

Il y a des jours où tu m’aimes,
des jours où tu m’aimes bien.

Ainsi nous avançons, nous souvenant
et oubliant, marée haute, marée plate,
que le bonheur est un mélange

et que jamais il ne ressemble
ni tout à fait à ce que nous croyons
ni à lui-même,
ni à lui-même."
                    Francis Dannemark


Recopier Francis Dannemark le jour de la Saint Valentin, quel programme. Oublier les petits cœurs et les bisous partout pour redécouvrir cette autre recette du bonheur, qui sache apprécier de la même manière les jours avec et les jours sans, marée haute marée plate. Le bonheur des amours passés à la machine, faits bouillir / pour voir si les couleurs d'origine / peuvent rev'nir (Souchon).  Réinventer une Saint Valentin ancrée dans la vraie vie me tente. Et vous? 


Lu dans: 
Francis Dannemark. Autrement dit, l’amour. Ici on parle Flamand et Français. Le Castor Astral. 2005. 192 pages.

13 février 2025

Transitions

  "Le monde meurt de l’envie de naître,  notre société s’est épuisée à réaliser les rêves du passé. [ … ] Le vingtième siècle n’a pas préparé le vingt et unième."
                                Asma Mhalla


Les grandes idéologies du XXe siècle (progrès technologique, consumérisme, croissance économique, utopies politiques) ont été poursuivies jusqu’à leurs limite. Des idéaux autrefois prometteurs ne répondent plus aux défis contemporains de la crise climatique, des inégalités ou de la solitude numérique. Comme si l'accélération effrénée liée aux révolutions industrielles, technologiques, scientifiques, concentrées sur le matériel et l’innovation, avait distancé la dimension humaine, éthique et écologique, nous laissant orphelins du sens à donner à l'existence. Ci et là pourtant surgissent des initiatives issues de la société civile imaginant de nouvelles façons de vivre ensemble, d’habiter une planète durable et de donner du sens à nos vies. Comme le disait Paul Valéry : « Le temps du monde fini commence », et avec lui, l’obligation d’inventer de nouveaux horizons.



Lu dans:
Asma Mhalla . Technopolitique: Comment la technologie fait de nous des soldats. Seuil. 288 pages. Extrait p.11

12 février 2025

En flux tendu

"S’il vous arrive de passer une journée seul, sans travailler, sans concevoir d'amertume ni d'attente, vous êtes un homme heureux."
                        Jean Sulivan (1913-1980)


Comment réécrire cette phrase aujourd'hui? Je découvre hier en consultation une innovation qui m'éblouit au sens propre: la possibilité d'être alerté par un flash lumineux intense, se superposant au vibreur, lors de l'arrivée d'un mail, d'un post ou de toute autre information demandant notification. Amusé lors du premier éclair, je le fus moins lors des suivants se succédant à un rythme de feu d'artifice: mon interlocuteur était décidément une personne bien informée, et en flux tendu. S'ensuivit une bonne consultation sur la perception et les causes du burnout, de l'hyperacidité gastrique, des troubles du sommeil et de la dysfonction érectile. Le stress de nos vies se construit par des agressions permanentes souvent librement consenties.


Lu dans: 
Jean Sulivan, prêtre et écrivain français, s'engagea tardivement dans la voie de la littérature en se libérant sans rupture de son statut d'ecclésiastique.  Se questionnant sur la liberté intérieure et la promotion de cette liberté spirituelle qui est le fil conducteur de ses écrits, il fut l'auteur d'une trentaine de livres. Merci à mon ami Michel Jehaes qui me transmet ce matin cette pensée.

11 février 2025

Une étrangeté d'être

 "Quant à la question des inégalités, le coup de projecteur de la technologie devient miroir grossissant. (..) Elle ne met pas seulement en lumière les inégalités et les discriminations qu’elle peut contribuer à amplifier, c’est plus que cela encore : elle distend l’espace-temps. Elle fait cohabiter des super-technologues partis à la conquête de l’avenir et de l’univers et dans le même temps des images d’embarcations de fortune qui coulent dans la Méditerranée ou des scènes de guerre de tranchées semblant sortir d’un autre siècle. (..) Elle structure et détache des scènes d’un présent plus proche du Moyen Âge que de notre hyper-modernité et des images qui semblent, elles, tout droit sorties d’un futur de science-fiction. Mais entre ces deux points cardinaux, où se trouve notre présent à nous ? Une partie de notre malaise, nos résistances, nos peurs proviennent sans doute de cet éclatement spatio-temporel. Un espace-temps fracturé en deux, deux dimensions qui ne se croisent plus. À quel monde, appartenons-nous ? "
                            Asma Mhalla

                         

Une étrangeté d'être. Objectivement, pas de quoi se plaindre, les besoins essentiels assurés, une activité professionnelle agréable, en environnement familial et amical chaleureux. D'où vient dès lors l'impression diffuse "de ne plus en être" quand s'éteignent les actualités télévisées ou la lecture du journal en ligne? Quand cohabitent des images d'une violence insoutenable et les séquences Bisounours créées par les publicitaires d'un monde fraternel, propre, accessible au plus grand nombre? Quand dans le quartier où on vit cohabitent la gentillesse des voisins de rue, des petits commerces, de jeunes émigrés qui nous cèdent spontanément leur place dans le métro et les fusillades devenues presque routinières à deux pas de notre habitation. Il reste alors le refuge de la fuite dans les souvenirs d'un monde unifié pas si lointain, tout aussi irréel mais l'information manquait, de la plongée dans une activité sportive ou la nature, ou dans l'épicurisme et le cocooning. Heu-reux, comme nous le soufflait l'humoriste Fernand Raynaud.


Lu dans: 
Asma Mhalla . Technopolitique: Comment la technologie fait de nous des soldats. Seuil. 288 pages. Extrait pp. 18-19

10 février 2025

L'art de vivre de Brillat-Savarin

 "Ce n'est pas le rire qui est le propre de l'homme, mais la gourmandise."   
                    Brillat-Savarin (1755-1826)

                  


L'aphorisme ne surprend guère sous la plume de Brillat-Savarin, qui fut à la gastronomie ce que  Clausewitz fut à l'art de la guerre. Longtemps je l'imaginai une vie aux fourneaux, toque en tête, comme les Troisgros, Bocuse, Ducasse ou autres Robuchon. Pas du tout, il était juriste, écrivain et gourmand, auteur de la célèbre "Physiologie du goût" qui convertit la France aux plaisirs de la gastronomie avec humour, tempéré parfois par quelques libertés avec l'art culinaire strict, que tous lui pardonnaient. Car comment résister au maître de cérémonie quand il énonce doctement en début de repas que "le Créateur, en obligeant l'homme à manger pour vivre, l'y invite par l'appétit, et l'en récompense par le plaisir (Aphorisme V); ou mieux encore que le "plaisir de la table est de tous les âges, de toutes les conditions, de tous les pays et de tous les jours ; il peut s'associer à tous les autres plaisirs, et reste le dernier pour nous consoler de leur perte." (Aphorisme VII). On évoquait hier à table ce vieux petit couple de patients qui toute leur vie soignèrent leur repas du soir, les tâches professionnelles de la journée terminées, par un dîner aux chandelles, beau service, vin choisi et petit café-filtre, robe élégante et costume-cravate rien que pour le plaisir de se gâter. Cela dura une vie entière, et ils n'habitaient pas un château. Saturés d'années, ils moururent de vieillesse.



Lu dans: 
Brillat-Savarin. Physiologie du goût. Champs classiques. Flammarion 1982.400 pages. Extrait pp 4, 19-20

08 février 2025

Sagesse d'Oliver Sacks

 "A mesure que l'efficacité du traitement pharmacologique s'est progressivement estompée, quelque chose d'autre s'est révélé: la mesure que l'esprit humain et la conscience d'exister subsistent à la perte d'efficacité de toutes ces drogues, et que c'est cet esprit que nous devons nourrir. Par le travail, par le rire, par l'amitié, par la famille, voila les choses qui comptent. On oublie trop ces choses appelées essentielles. "   
                        Oliver Sacks (par la voix du Dr Sayer, dans le film L'éveil)

                              


Quand survient l'impuissance médicale face à la progression inéluctable de la maladie, médecins et patients redécouvrent un autre mode d'emploi de la vie. Celui qui passe par l'acceptation et l'adaptation à une nouvelle réalité, sans entretenir l'illusion d'un retour à la santé antérieure. Se redécouvre la prééminence de la relation humaine et de valeurs essentielles parfois perdues de vue. Comme l'écrit le neurologue Oliver Sacks " la sensibilité ne s'oppose pas à la précision scientifique, chacune est la garantie de l'autre. Quiconque étudie ces patients finit par les aimer , et les aimer permet de les comprendre : l’étude , l’amour , la compréhension ne font qu’un."


Lu dans: 
Oliver Sacks. L'éveil. Seuil. 1993. 521 pages
L'Éveil (Awakenings), film réalisé par Penny Marshall et sorti en 1990.

07 février 2025

L'éveil

 "Certains de nos patients avaient atteint une forme de désespoir glacé proche de la sérénité ; ils étaient réalistes, ils se savaient condamnés, et acceptaient leur sort avec tout le courage et l’équanimité dont ils étaient capables. D’autres malades (peut-être tous, si l’on pense que la sérénité des premiers pouvait n’être qu’une façade) éprouvaient un violent sentiment d’injustice et d’impuissance : ils avaient l’impression d’avoir été volés des meilleures années de leur vie, rongés par l’idée d’avoir perdu leur temps, et gâché leur existence."   
                        Oliver Sackx

                  


Durant l'hiver 1916-1917 éclata l'épidémie d'encéphalite léthargique frappant 6 millions de patients  dont beaucoup  moururent. Parmi les survivants d'autres s'enfoncèrent dans un état léthargique, immobiles, souvent muets, emprisonnés dans un temps pétrifié. Considérés comme incurables jusqu'à la découverte de la L-Dopa (1967), cette médication eut pour effet de réveiller ces patients qui se remettent à parler, à marcher et retrouvent le goût de vivre. Malheureusement, ce réveil s'avèrera dans certains cas pire que le mal : les malades seront en proie à des hallucinations, des délites paranoïaques, érotomaniaques. Fallait-il arrêter la L-Dopa, diminuer la dose ? Récit émouvant, adapté au cinéma par Penny Marshall, qui comporte une belle réflexion éthique sur des questions essentielles concernant la santé, les traitements et la maladie, et qui nous interpelle tous encore actuellement.


Lu dans: 
Oliver Sacks. L'éveil. Seuil. 1993. 521 pages
L'Éveil (Awakenings), film réalisé par Penny Marshall et sorti en 1990.

06 février 2025

Récit d'une histoire invisible

 "Tout récit comporte trois éléments — le lieu, le temps et les personnages —, et une question qui les relie entre eux. Sauf celui du camp, où il n'y a ni lieu ni temps. Des décennies d'occupation ont dissocié le temps du lieu; chacun s'en est allé errer dans son propre espace. Pour ceux qui ont dû fuir en 1948 ou en 1967, les aiguilles du temps se sont arrêtées. (..) Le récit du camp est un texte hors du temps et du lieu, qui écrit sa propre histoire, en espérant que, tôt ou tard, quelque chose surgira."

                        Nasser Abu Srour


Comment décrire la Révolution française sans y intégrer un lieu (La Bastille), une époque (1789) et des personnes (Louis XVI, Marie-Antoinette, Danton, Robespierre). Comment décrire les camps, cette histoire sans lieu, sans dates, peuplés d'invisibles?  L'écrivain palestinien Nasser Abu Srour le tente en espérant "que tôt ou tard quelque chose en surgira". Incarcéré à perpétuité dans les geôles israéliennes, Nasser a dit adieu au monde, sans autre interlocuteur que le mur qui lui fait face, sur lequel il consigne par bribes son histoire dont il a fait ce récit. Celui-ci s'anime, répond et change d'apparence selon que l'espoir ou le renoncement domine. C'est son histoire et celle de son peuple, un monde qu'il a quitté. Quand l'actualité brûlante rejoint ce récit, où trouver les mots qui protègent du désespoir?


Lu dans: 
Nasser Abu Srour. Je suis ma liberté. Gallimard. NRF. Du Monde Entier. 2022. 300 pages. Extrait pp.30-31

02 février 2025

Sagesse de de Tocqueville

 "Ce qui jette le plus de confusion dans l’esprit, c’est l’emploi qu’on fait de ces mots : démocratie, institutions démocratiques, gouvernement démocratique. ./.. Nos contemporains sont incessamment travaillés par deux passions ennemies: ils sentent le besoin d’être conduits et l’envie de rester libres. Ne pouvant détruire ni l’un ni l’autre de ces instincts contraires, ils s’efforcent de les satisfaire à la fois tous les deux. Ils imaginent un pouvoir unique, tutélaire, tout-puissant, mais élu par les citoyens. Ils combinent la centralisation et la souveraineté du peuple, se consolant d’être en tutelle, en songeant qu’ils ont eux-mêmes choisi leurs tuteurs et que ce n’est pas un homme ni une classe, mais le peuple lui-même qui tient le bout de la chaîne. » 

                        Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1835-1840


Plaisir de relire des extraits de "De la démocratie en Amérique" d'Alexis de Tocqueville, dont certaines lignes feraient de bons éditoriaux actuels.  D'un court séjour de dix mois aux Etats-Unis, il tire une analyse du système démocratique, de ses vertus et de ses risques, ouvrage qui connaît un immense succès à sa publication en 1835. Cela lui vaut d'être élu à l'Académie des sciences morales et politiques à seulement trente-trois ans, puis à l'Académie française à trente-six. Élu à l'Assemblée législative de 1839 à 1849, il est occupe les fonctions de ministre des Affaires étrangères et de président du conseil général de la Manche, à la tête duquel il reste jusqu'en 1852. Adversaire déterminé du régime issu du coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte, il démissionne à cette date, refusant de prêter serment au nouvel empereur, se retire de la vie politique et consacre les cinq dernières années de sa vie à la réflexion. 


Lu dans: 
Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique. 1835-1840.

31 janvier 2025

So long Marianne

 

"Quand vient le soir
je m'assied et regarde les enfants
jouer, rire et babiller
sans moi qui retiens mes larmes.
Mes richesses ne peuvent donc tout acheter
ni me rendre ces choses que j'aimais tant faire avant
et ne peux actuellement plus que regarder."
                    Marianne Faithfull . As Tears Go By



Marianne Faithfull s’est éteinte paisiblement à Londres aujourd’hui, en compagnie de sa famille. Une voix éraillée s'est tue, qui racontait une vie d'excès, d'alcool, de tabac, de drogues dans la contre-culture du Swingin’ London des années 60. Une survivante qui a traversé les enfers pour pouvoir en témoigner, ce qui fit d'elle une icône. Alors qu’on la pensait perdue, Marianne Faithfull fait un retour aussi improbable que réussi, débarrassée de toutes ses addictions, enchaînant la vie, l’art, le théâtre, le cinéma , la chanson et une vie amoureuse qui reste un roman tourmenté. Viennent les soucis de santé, un écroulement sur scène, un cancer du sein, une hépatite C dont chaque fois elle se relève, reprend la scène, retrouve les studios. En 2020, le Covid manque l'emporter, et avec elle la mémoire récente, ne lui laissant que le passé lointain, toutes ces choses qu’on ne saurait oublier.

Lu dans: 
As Tears Go By. Mick Jagger, Keith Richards et Andrew Loog Oldham. Enregistrée d'abord par Marianne Faithfull (single Decca, 1964) à l'âge de 17 ans, puis par les Rolling Stones
Didier Zacharie. Nos larmes coulent pour Marianne Faithfull. Le Soir. 31 janvier 2025

30 janvier 2025

Together

 "Les seniors divorcent comme jamais. En Belgique, les séparations chez les 70-74 ans ont bondi de 81 % en dix ans" 
                Info Le Soir 30 janvier 2025

                        


Surprenante, l'info fait la Une. Les séparations des 70-74 ans ont bondi de 81 % en dix ans, et celles des plus de 75 ans de 41 %, chiffres dignes du pic épidémique de la grippe saisonnière actuelle et des incendies ravageurs de Los Angeles. Cela sent le roussi chez les seniors. et il n'y a pas de vaccin connu. Consolation, à l’inverse les plus jeunes divorcent de moins en moins, surtout parce qu’ils se marient moins. Désespérant? Mais non, mais non. Comme entendu hier soir sur la scène du Public en conclusion de Together, "rester avec toi sans plus rien attendre de toi, c'est déjà une forme d'amour". 


Lu dans: 
Together. Tragicomédie de Dennis Kelly. Théâtre Le Public.

29 janvier 2025

Des géants aux pieds d'argile

 "Au Caire , un égyptologue m'a décrit un de ses plus impressionnants souvenirs de fouilles. L'équipe qu'il dirigeait , ouvrant une tombe, découvrit que des pillards y avaient pénétré des années auparavant . Un glissement de terrain les avait enfermés sans espoir de se libérer. Quand l'air pénétra soudain dans la caverne, les momies et les offrandes restèrent intactes , mais les corps des deux pillards s'écroulèrent en poussière."   

                         


Quand un Petit Poucet crée la panique chez les géants, cela secoue, un véritable entartrage à grande échelle . DeepSeek contre ChatGPT actualise le récit de David contre Goliath. Et met les rieurs de son côté, trop heureux de voir dévisser en 48 heures les juteux marchés liés à l'IA. Les pillards de trésors restent donc vulnérables. Ayant testé sommairement l'outil, on s'interroge néanmoins. L'histoire est si belle, la similitude des écrans de recherche et les performances si semblables, les moyens mis en œuvre si éloignés qu'un doute surgit: et si la raison d'être de DeepSeek était essentiellement de donner un coup de pied dans la fourmilière pour révéler la fragilité des montages financiers de l'IA ?  Dans un monde où la rivalité entre grandes puissances s'exacerbe, la possibilité d'une mystification destinée à fissurer les marchés demeure une hypothèse.



28 janvier 2025

Beauté singulière

"Je me dis : c'est moi qui crée cette merveille, elle n'a jamais existé. Mais la rejoindre, c'est la réinventer. "
                        François Mauriac.



Par-delà La Trinité-sur-mer, là où finit la terre, se découvre un paysage superbe, façonné par le ciel, la mer et les rochers. Qui crée tant de beauté, si ce n'est l’œil qui la regarde, le cerveau qui la recompose au gré de sa propre histoire, de sa culture et de ses émotions? Cerveau qui peut aussi se la réapproprier quand il le souhaite, des années plus tard, image similaire et transformée à la fois par de nouveaux acquis, de nouvelles émotions: le même paysage ne se reproduit jamais à l'identique. Aucune baie, aussi belle soit-elle, ne se perçoit elle-même comme telle, mais la perception du Beau peut se partager. La beauté est ainsi une construction sociale: l'être humain est un atelier de beauté.


Lu dans: 
François Mauriac. Nouveaux mémoires intérieurs. Flammarion. 1993. 515 pages.

26 janvier 2025

Sagesse de François Cheng

 

"Flaque de lumière,
flaque d'eau, (..)
cette brève flamme chasse la lente grisaille
d'un après-midi.
Flaque de lumière,
flaque d'eau,
attirant quelques moineaux : leurs gazouillis
rappellent un instant le bonheur terrestre :
la soif étanchée."
                        François Cheng


Lu dans:
François Cheng. La vraie gloire est ici. NRF. Gallimard. 2013. 162 pages. Extrait p 61

25 janvier 2025

Merci au fruit

 "Tu ramasses le fruit,
le croques à belles dents.
le teint, la senteur,
le jus, la saveur,
dans ton palais
la métamorphose.

Plus que la jouissance,
la reconnaissance!
Merci donc au sol,
merci à la pluie,
Au soleil, au vent,
aux morts, aux vivants,
À tous ceux qui donnent."
                    François Cheng


Lu dans:
François Cheng. La vraie gloire est ici. NRF. Gallimard. 2013. 162 pages. Extrait p 27


23 janvier 2025

Le paysage intérieur


"Il comprit qu’il pouvait rester là
que le monde n’était rien d’autre
qu’un paysage reflété par ses yeux." 
                            Daniel Charneux


Devenu très vieux, il déposa le sac à dos avec lequel il avait pourchassé tant de paysages, recherché tant d'émerveillements. Découvrant sur le tard qu'il s'était surtout cherché lui-même, fermant les yeux il se surprit de s'être enfin trouvé. 


Lu dans: 
Daniel Charneux. En bref. Bleu d’encre. 2024. 100 p.

22 janvier 2025

Chanter

 "Un oiseau chantait et le monde devenait plus beau."   
                Francis Grembert

                            


D'accord pour l'oiseau. Que dire alors quand un humain chante, plaisir un peu perdu on le concède. Me reviennent les récits de patients décrivant leur atelier où tous chantaient, ces vaisselles du vendredi soir en maison communautaire réjouies par Brassens, ou ces fins de cours à midi en classe de rhéto consacrées à entonner un enthousiaste Bella Ciao annonçant le cours d'Histoire de l'après-midi consacré à la Révolution française. Le chant est un souffle de vie.


Lu dans: 
Francis Grembert. Petit éloge de l'alouette. Arléa. 2023. 101 pages

21 janvier 2025

Gwarosa, la mort par surmenage

 


 « Si vous connaissez un homme seul de plus de 50 ans, prévenez votre mairie.(*) » 
                    

                      

C'est L’envers du miracle sud-coréen (Samsung, LG, Hyunsai, Daewoo), dont les responsables prônent la semaine de soixante-neuf heures et la retraite à 75 ans. Technologie de pointe, tubes de variété fredonnés sur tous les continents, séries à succès, cinéma mondialement reconnu : la Corée du Sud jouit d’une image particulièrement positive. Un peu comme si, dans bien des domaines, Séoul montrait la voie au reste du monde. Pourquoi dans ce cas avoir créé un mot pour décrire la mort par surmenage? Gwarosa.  L'âge de la retraite y est officiellement de 60 ans, mais les rémunérations des travailleurs les plus âgés y sont dégressives, au prétexte de favoriser l’emploi des jeunes. Ainsi les dernières années de travail — celles qui comptent pour le calcul de la retraite — sont-elles caractérisées par une fonte des salaires, parfois amputés d’un tiers. Alors que les personnes âgées de plus de 65 ans représentent la moitié de la population pauvre, la Corée du Sud affiche un taux de suicide vertigineux de 61,3 pour 100 000 chez les plus de 80 ans (contre 33,3 pour les personnes de 75 ans ou plus en France). En Belgique, une récente étude sur le bonheur des personnes âgées, menée par le professeur Stéphane Adam (ULiège), conclut sur une réconfortante note de 7,5 sur 10, supérieure au niveau de bonheur moyen de la population active (6,6 sur 10). Faut-il en conclure que "Gwarosa" n'est pas belge, et que vieillir n'y est pas une malédiction?



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Banderole sur la mairie de Seong-buk (Séoul), campagne de lutte contre le suicide des personnes âgées sans travail, particulièrement préoccupant chez les hommes.

20 janvier 2025

Sagesse amérindienne pour une intronisation


"Quand le dernier arbre sera abattu
la dernière rivière empoisonnée
le dernier poisson capturé
alors vous vous apercevrez
que l'argent ne se mange pas."
        Prophétie amérindienne


Moment choisi pour réviser ses classiques, on assistera ce lundi à la célébration de ce concept central dans la culture et la pensée grecque antique, l’ubris (ou hybris, en grec ancien : ὕβρις). Quand un petit groupe d'êtres aussi cupides que serviles, oublieux qu'un grand pouvoir donne de grandes responsabilités, s'installent dans la démesure, l'arrogance et la transgression des limites (l'ubris), le chaos et la révolte guettent (la némésis). Il est trop tôt pour discerner à ce stade la fin de l'histoire, mais le moment est opportun pour réorienter notre admiration vers ces innombrables modestes qui par le monde pratiquent la douceur, le choix de l'essentiel et des oubliés de la fortune, le souci pour le dernier arbre, la dernière rivière et le dernier poisson. 


18 janvier 2025

Méditation dans un jardin de pierre et de sable

 "Les lignes du râteau peignent la terre, la rident comme une eau. (..) Des moines, en Extrême-Orient, ont créé des jardins de méditation à partir de ces lignes et de quelques pierres. Cela ne me surprend pas, car les dessins du râteau produisent une sorte d'apaisement intérieur, un sentiment de plénitude silencieuse. Pourquoi ? Ai-je coiffé la terre comme je coiffe encore quelquefois mon enfant, qui n'est plus une enfant ? Ce travail facile, ces gestes qui s'accommodent de la lenteur et de la distraction, brisent la mince écorce que la chaleur avait rendue imperméable, opaque ; on voit de nouveau la matière plus sombre, intime, vivante de la terre. Celle-ci s'est rouverte en même temps qu'elle s'est ordonnée. Ressemblerait-elle à ces persiennes qui laissent passer la lumière en la striant ? Je ne sais trop. Sans doute faut-il plutôt penser à des ondes, à la vibration d'une voix, à l'écriture d'un chant... On aurait fait apparaître un chant à la surface de ce sol qui nous porte et nous recevra ; une fois que c'est achevé, comme devant une surface de neige fraîche, on hésite à y marquer son pas." 
                            Philippe Jaccottet. 

                                   


Espaces de méditation où la nature se transforme en une œuvre d'art épurée, les jardins zen ("karesansui" dans la tradition japonaise) sont imprégnés de symbolisme et de spiritualité. L’acte de peigner la terre avec un râteau, geste simple et répétitif réalisé avec soin par les moines, n’est pas seulement une tâche esthétique, mais une méditation en soi, évoquant une quête d’ordre et d’harmonie. Les motifs ondulants symbolisent souvent l’eau, des vagues ou des courants, chaque coup de râteau est une manière de structurer le désordre apparent, métaphore qui s’applique également à l’esprit. Comme un jardin nécessite un entretien constant pour rester beau et ordonné, l’esprit humain doit être régulièrement "peigné" pour empêcher l’encombrement des pensées et des émotions négatives. Geste simple allégorique par ailleurs de l'impermanence, les motifs tracés dans le sable étant éphémères : un coup de vent, une pluie ou même un nouveau jour viendra les effacer. Loin d’être une source de frustration, cette impermanence est acceptée comme une vérité fondamentale de l’existence. L’effacement des motifs invite à lâcher prise sur l’attachement et à aimer le renouveau constant. Enfin, ces jardins rappellent l’humilité de l’homme face à la nature. Le gravier et les pierres ne sont pas modifiés dans leur essence, mais disposés avec respect pour révéler leur beauté inhérente. En peignant la terre, les moines ne dominent pas la nature, ils collaborent avec elle. Ce dialogue silencieux rappelle que l’homme est un gardien de la nature, non pas son maître.


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Philippe Jaccottet. À travers un verger - Les Cormorans - Beauregard. Gallimard. 1984. 112 pages.

15 janvier 2025

Amères victoires


"Et qui pourrait sans toi calmer mon inquiétude ?
Soulager ma fureur, ou finir mon ennui ?" 
                        Racine. Andromaque. Acte II, scène 1


Portée au théâtre Le Public par des acteurs fort investis, la très classique Andromaque de Racine réactive la mythique guerre de Troie, s'interrogeant sur les conséquences des guerres et les blessures, tant physiques que morales, qu'elles infligent. Question bien actuelle, le  mal des vétérans étant devenu une question de santé publique dans les pays occidentaux. Au cours des années 2000, pour 1 soldat mort au combat, on comptait 10 suicides de vétérans du Vietnam, guerre pourtant officiellement terminée 25 ans plus tôt. 1 892 drapeaux américains ont ainsi été plantés le 27 mars 2014 sur le Mall à Washington, en hommage aux vétérans qui s’étaient donné la mort depuis le 1er janvier de la même année, soit 22 par jour en moyenne. Aujourd’hui, le taux de suicide chez ces soldats US reste deux fois plus élevé que dans l’ensemble de la population. Plus interpellant encore, en 2008 une enquête de la BBC donnait le chiffre de 260 suicidés parmi les vétérans de la guerre des Malouines (1982), alors que les combats avaient fait 214 morts, et que l'Angleterre était sortie victorieuse de ce conflit. La facture humaine à payer, que l'on soit vainqueur ou vaincu, pour un conflit armé est souvent lourde et se décline dans le temps long.


Lu dans:
Pierre Conesa . Un cinéma post-traumatique. Le Monde diplomatique. Janvier 2025. Extrait page 28
Patrick Clervoy, Lendemains de victoires, amertume du vétéran, dans Victoire ! La fabrique des héros. Victoire ! la fabrique des héros. Sylvie Leluc, Christophe Pommier, Collectif. In Fine. 2023

Sources:
Robert Bossarte et Janet Kemp. Suicide data report, 2012
Department of Veterans Affairs. Jada F. Smith. Using flags to focus on veteran suicides.
The New York Times. 27 mars 2014. National veteran suicide prevention annual report
Department of Veterans Affairs. Office of Mental Health and Suicide Prevention. septembre 2022

Sagesse de Marguerite Yourcenar

 " Vous êtes médecin, dit le capitaine. – Oui, dit Zénon. Entre autres choses. – Vous êtes médecin, reprit le Flamand têtu. Je m’imagine qu’on se lasse de recoudre les hommes comme on se lasse d’en découdre. N’êtes-vous pas fatigué de vous relever la nuit pour soigner cette pauvre engeance ? – Sutor, ne ultra… repartit Zénon. Je tâtais des pouls, j’examinais des langues, j’étudiais des urines et non pas des âmes… Ce n’est pas à moi de décider si cet avare atteint de la colique mérite de durer dix ans de plus, et s’il est bon que ce tyran meure. Le pire ou le plus sot de nos patients nous instruisent encore, et leurs sanies ne sont pas plus infectes que celles d’un habile homme ou d’un juste. Chaque nuit passée au chevet d’un quidam malade me replaçait en face de questions laissées sans réponse : la douleur et ses fins, la bénignité de la nature ou son indifférence, et si l’âme survit au naufrage du corps."
                        Marguerite Yourcenar.

                                 


Chaque rencontre apporte son lot de confidences, elles-mêmes révélatrices de notre part d'ombre et de lumière. Les entendre sans porter de jugement s'apprend.


Lu dans:  
Marguerite Yourcenar. L’Œuvre au noir, citée par ...
... Sarah Chiche. Les Alchimies. Seuil. 2023. 240 pages.

13 janvier 2025

Succès trompeurs

 "Je suis célèbre au Japon pour un livre que je n’ai pas écrit, et je ne sais pas combien de lecteurs font semblant de l’avoir lu."   
                        Dany Laferrière

                            


Réflexion sur l’illusion et la réalité d'un succès, effet d'image rencontrant une attente ponctuelle d'un public soucieux de s'enthousiasmer. Succès parfois destructeur, brûlant les ailes de ces artistes s'étant approchés trop rapidement, ou trop jeunes, d'un soleil aussi grisant que toxique.


Lu dans:
Dany Laferrière. Un certain art de vivre. Grasset. 2023. 140 pages

11 janvier 2025

L'année qui va, l'année qui vient

"À la fac, un professeur nous avait dit, l'index levé et l'air docte : «N'oubliez jamais, derrière tout grand médecin se cache un grand cimetière. » 
                            Baptiste Beaulieu

                                 

L'auteur, médecin généraliste, citant son professeur de fac, ne devait pas être au top ce jour-là!  Je me prends pourtant au jeu et ouvre mon logiciel médical pour l'an 2024 en optant pour la mention "décédés": une rangée de cimetière au moins, sans compter les crémations. Je quitte le lieu au plus vite pour en revenir à la mention "actif(ve)s", une arborescence de visages de tous âges et de toutes cultures, souriants ou graves, qui me font envisager l'année 2025 avec infiniment plus d'optimisme. 


Lu dans:
Baptiste Beaulieu. Où vont les larmes quand elles sèchent? L'Iconoclaste. Proche. 2023. 230 pages. Extrait p.153

10 janvier 2025

Silence, il neige

 

"Quand il neige à plein temps
C'est comme du silence qui tombe."
                                Félix Leclerc



Le grand vent angoisse, la neige évoque la sérénité, le mystère et le recueillement. La neige devient une matière intangible, presque spirituelle, qui recouvre le monde de son voile feutré. Le temps paraît ralenti, le paysage devient une toile vierge où tout semble possible. Le silence est palpable, non pas comme une absence de son, mais comme une présence douce et enveloppante prêtant à l'introspection. Moment de pause dans nos vies trépidantes, qui nous plonge dans nos images d'enfants et dans ce monde simple où tout redevient possible. Beauté éphémère et intemporelle, ce qui ajoute à son charme.



09 janvier 2025

S'émerveiller

 "Le paysage bucolique, c’est celui qu’on croise sur le chemin du travail et qu’on prend la peine de regarder un certain temps, il peut donner cette sensation de bonheur serein. Le paysage sublime est celui que l’on recherche durant ses vacances. Il a une fonction plus écrasante, c’est davantage l’idée d’un bonheur intense. L’être humain a surtout besoin de sérénité pour le moment."
                                Bruno Humbeeck

                             


Le paysage sublime se prépare, se choisit, laisse une empreinte. Le paysage bucolique, ce peut être aujourd'hui, inattendu. La neige et son silence, tous bruits assourdis, sa capacité de créer un paysage en noir et blanc, d'iriser la lumière d'un soleil frisant. Sublime ou bucolique, l'un n'exclut pas l'autre, La faculté d'émerveillement, de ne pas être blasé, est un cadeau de la vie.


Lu dans:
Bruno Humbeeck. Éduquer à l’émerveillement. Racine. 2024. 196 pages.

07 janvier 2025

Au fil de l'eau et de soi-même

 "Mon plaisir est encore d'accompagner le ruisseau, de marcher le long des berges, dans le bon sens, dans le sens de l'eau qui coule, de l'eau qui mène la vie ailleurs."
                Gaston Bachelard

                             


Se laisser guider par le fil de l'eau, dans sa pente naturelle, "qui mène la vie ailleurs" est une rêverie sur l'avenir. D'autres, comme Jean-Paul Kauffmann ont fait le choix de remonter la Marne. Autre démarche, remonter le temps et dans le cas de ma Marne, remonter l'Histoire d'une région snobée, d'une guerre meurtrière, d'un auteur (ancien otage à Beyrouth) plongeant dans les souvenirs de son histoire personnelle. 


Lu dans:
Gaston Bachelard. La Poétique de la rêverie. PUF. 1978. 192 pages.
Jean-Paul Kauffmann. Remonter la Marne. Fayard. 2013. 264 pages

05 janvier 2025

L'ombre de ton ombre

 "Imaginez un objet sans ombre : il paraîtrait irréel. L’ombre est donc un double très particulier, qui ne remplace pas, mais au contraire atteste la réalité des choses. Ombre portée, reflet ou écho, prolongements du réel qui font corps avec lui. "
            Yves Tanguy, Clément Rosset


                             

Et voila que s'inversent les choses: l'ombre serait ce qui atteste de la réalité d'un objet, ou d'un être, au lieu de n'être que son double accidentel, un caprice de la lumière. Ou avec Brel, le privilège de "n'être que l'ombre de ton ombre, l'ombre de ta main, l'ombre de ton chien."  L'ombre devient ce qu'on a de plus proche.


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Yves Tanguy, Clément Rosset. Ombres au tableau. Récit Barbara BohacDans Philosophie Expresso. L'œil et l'esprit. Publié le 29 août 2012

04 janvier 2025

Du pain pour les oiseaux et pour la vie

 "En approchant, je ralentis toujours le pas. À peine, mais je ralentis. Instinctivement. Et j'inspire à pleins poumons. Je ferme les yeux parfois, une seconde, pour concentrer mes sens sur l'odorat. Même si je n'entre pas, je ralentis. Et je respire. La bonne odeur du pain chaud.

La boulangerie au coin de la rue propose des fournées plusieurs fois par jour. Je connais les horaires. Il m'arrive de faire un détour pour humer ce parfum inimitable. Je me poste discrètement devant la bouche d'aération, là où sortent les effluves tièdes. Et je respire. Plus qu'une satisfaction gourmande, j'y trouve un apaisement. Certains se ressourcent à l'air pur de la campagne ou de la montagne, dans les embruns salés de l'océan. Moi, c'est devant une boulangerie que je reprends pied. Le pain exprime la chaleur du four, le travail de l'homme, les épis dans les champs, la générosité de la terre, la nourriture de toujours. Ça sent le réconfort, l'inaltérable. Sur cette odeur, je peux m'appuyer. Elles convoquent les tartines beurrées, trempées dans le café, les quarts de baguette garnis de carrés de chocolat, les tranches épaisses avec le fromage et le vin, les canapés toastés les jours de fête. Et le pain rassis émietté pour les oiseaux sur le rebord de la fenêtre." 
                                    Anne-Dauphine Julliard


Un beau texte qui nous offre pour ce début de weekend une madeleine de Proust actualisée. A La Panne par exemple, premières vacances "à la mer", je marche à peine mais l'odeur entêtante des baguettes chaudes m'est restée. 


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Anne-Dauphine Julliard. Ajouter de la vie aux jours. Les Arènes 2024. 140 pages. Extrait p 110

03 janvier 2025

Eteules

   "Les éteules sont ces chaumes qui restent dans les champs après qu’on les a moissonnés. Elles forment un vaste tapis, un paillasson plutôt, qui s’étend, jaune cuivré, jusqu’aux lointaines limites de la parcelle. Un territoire sans fin à hauteur d’enfant, où les gamins, justement, peuvent courir à perdre haleine. Comme ces bords de mer irrésistibles qui donnent envie de se précipiter vers le grand horizon où les lignes se mêlent."
                                Francis Grembert


Magie des mots, "éteules" par exemple que je ne connaissais guère, et la description qu'en donne Francis Grembert. On lit et on replonge en enfance. Souvenirs des grands espaces vierges invitant à courir vers un horizon qu'on imagine. Un jour j'interrogeais un de mes fils, la veille d'un très long périple tentes/vélos avec sa nombreuse famille, sur les motivations de pareille aventure. "Pour connaître une fois encore l'ivresse du départ le premier jour, calé sur sa selle, la longue route s'ouvrant devant nous sans pouvoir imaginer ce qu'on va découvrir jour après jour."  Qui ne rêve de connaître pareille ivresse dans un quotidien morne?


Lu dans :
Francis Grembert. Les Deux Tilleuls. Arléa. 2025. 112 p

02 janvier 2025

La boulangerie normande

 "Je croise ce matin un enfant qui portait sous le bras une baguette fraîche. Il s'est arrêté à ma hauteur pour déchirer le croûton et mordre à pleines dents la croûte craquante. J'ai souri. De ce geste immémorial. De cette tradition ancestrale. Combien de pains arrivent à destination privés de leur tête ? Quand Gaspard était allé acheter le pain tout seul pour la première fois et qu'il était rentré avec un air contrit et une baguette copieusement entamée, j'avais jubilé sans rien dire. La coutume perdure. L'instinct des petits bonheurs l'emporte, les joies simples se transmettent. Dans le croustillant du quignon et le moelleux de la mie."

                            Anne-Dauphine Julliard


La boulangerie normande a fermé ses portes. Les clients s'y pressaient en file sur le trottoir le dimanche, insensibles à son cadre vieillot et au temps d'attente. On s'habitue progressivement aux volets baissés, mais le matin on guette encore l'odeur du pain frais. Ce qui fait le bonheur d'une journée est imperceptible, mais on ne s'en aperçoit que lorsqu'il disparaît.


Lu dans:
Anne-Dauphine Julliard. Ajouter de la vie aux jours. Les Arènes. 2024. 140 pages. Extrait p 112

01 janvier 2025

Première page

 

"Le plus beau des océans
est celui que l’on n’a pas encore traversé.
Le plus beau des enfants
n’a pas encore grandi.
Les plus beaux de nos jours
sont ceux que nous n’avons pas encore vécus.
Et les plus beaux des poèmes que je veux te dire
sont ceux que je ne t’ai pas encore dits."
                                Nâzim Hikmet


Première heure du premier jour, quel calme dans la rue, toute pétarade et feux de bengale éteints. Interdits, il n'y en eut jamais autant, le plaisir de transgresser crée une impression d'aventure à celui qui n'a rien à vivre. Il reste comme un fond de migraine,  tenace, une mauvaise ivresse sans avoir bu. Première page d'un nouveau cahier, Qu'y écrirons-nous?  


Lu dans:
Nâzim Hikmet. Il neige dans la nuit et autres poèmes. 1945



31 décembre 2024

De Janus à Sylvestre

 "Connaître le passé pour regarder vers l'avenir."



Chaque année, lorsque la dernière page du calendrier se tourne, le monde se rassemble pour célébrer le passage d'une année à l'autre. Au cœur de ces festivités, la Saint-Sylvestre émerge comme une célébration universelle, un pont entre le passé et l'avenir, un moment où le temps semble suspendu entre les dernières heures d'une année écoulée et les promesses d'une nouvelle aventure. Bien avant la Saint Sylvestre, on fêtait à cette date le dieu Janus aux deux visages, qui pouvait simultanément avoir une vision vers l'avant et vers l'arrière, une connaissance du passé et du futur. Modeste réflexion à inclure dans nos vœux sous le gui, permettant de tourner la page sans pessimisme excessif.


29 décembre 2024

Une souffrance partagée

 "Je pense à eux parfois. Ces trois médecins qui nous ont annoncé la mort de Gaspard. Deux hommes et une femme. Ils étaient plus pâles que nous en entrant dans la pièce. Ils savaient. Je pense à eux parfois. Et je me demande quel a été pour eux ce 21 janvier. Qu'ont-ils fait après ? Que peut-on faire après avoir annoncé à des parents le suicide de leur enfant? Sont-ils repartis dans leur service, auprès d'autres patients? Sont-ils rentrés chez eux serrer dans leurs bras ceux qu'ils aiment ? Qu'ont-ils fait de leur journée ? Et qu'ont-ils fait de leur peine ? Car nous avons senti leur peine discrète mais sincère. La femme nous a raccompagnés jusqu'à la sortie. Au moment de franchir la porte qui nous conduisait à notre vie sans lui, elle m'a caressé le bras. (..) Dans le poids de sa main, j'ai perçu la compassion d'une femme, d'une mère. La blouse blanche ne laissait voir que le médecin. Son geste m'a rappelé son humanité. (..) Je pense à eux parfois. Souvent même."  

                                Anne Dauphine Julliard



On ne sort pas indemne des drames humains qu'on accompagne, le masque et le latex des gants protègent de l'infection, pas de l'émotion. Un jour dans un ascenseur bondé des Cliniques Saint Luc, seule dans sa bulle, une jeune assistante pleurait silencieusement. Je ne saurai jamais pourquoi, ni ses compétences. Et pourtant, devrais-je être malade, c'est vers ce genre de médecin que je crois que je m'orienterais.



Lu dans:
Anne Dauphine Julliard. Ajouter de la vie aux jours. Les Arênes. 2024. 144 pages. Extrait pp.91-92

28 décembre 2024

Sagesse de Nâzim Hikmet

 

"Aujourd’hui c’est dimanche.
Pour la première fois aujourd’hui
ils m’ont laissé sortir au soleil,
et moi,
pour la première fois de ma vie,
m’étonnant qu’il soit si loin de moi
qu'il soit si bleu
qu’il soit si vaste
j’ai regardé le ciel sans bouger.
Puis je me suis assis à même la terre, avec respect,
je me suis adossé au mur blanc.
En cet instant, pas question de gamberger.
En cet instant, ni combat, ni liberté, ni femme.
La terre, le soleil et moi.
Je suis heureux."
                    Nâzim Hikmet


Treize années passées dans les prisons turques, avant de connaître l'exil, ont fait de Nâzim Hikmet un symbole, un porte-voix. Mais avant tout un homme, dont les paroles s'adressent à chacun de nous. Sortir de ces prisons - qui ne sont pas des bagnes - mais empêchent de vivre, - un simple bégaiement, un visage dysharmonieux, une répartition du gras aux mauvais endroits, une lenteur à comprendre, et pire encore à répondre, l'impression d'être né(e) au mauvais endroit, à la mauvaise époque, la culpabilité sourde de ne pas avoir été la bonne fille, la bonne mère, le bon amant, bref de n'être qu'un papillon qui ne peut s'extraire d'une chenille chiffonnée... Et puis un jour, par quel miracle, sortir au soleil, s'étonner, regarder le ciel sans bouger, et "en cet instant, ni combat, ni liberté, ni femme", s'émerveiller de la terre, du soleil et de soi, enfin simplement être heureux. 


Lu dans:
Nâzim Hikmet. Il neige dans la nuit et autres poèmes. Claude Roy (Préface), Münevver Andaç (Traduction), Güzin Dino (Traduction). Gallimard. 1999. 420 pages

27 décembre 2024

Sagesse de Hannah Arendt

 "Avec la naissance, les parents ne donnent pas seulement la vie, ils font entrer un monde »
                        Hannah Arendt

                                 


Si on ne choisit pas ses parents, être né quelque part, comme le chante Maxime Leforestier, signifie entrer dans une culture, des coutumes, une civilisation particulière. Un monde de sons, de saveurs de cuisine, de senteurs d'épices, une luminosité propre et une multitude d'interactions avec la réalité observées dans sa famille. La naissance d'un enfant le plonge dans une réalité autre que la sienne, et qui le précède. Je rêvais à tout cela hier soir en découvrant le beau montage réalisé par mes frères à l'occasion de notre réunion de Noël rassemblant la famille élargie aux enfants et petits-enfants. Amusante et parfois émouvante succession de clichés sépias, de courtes vidéos d'enfants rieurs, mêlant comme dans un rêve les grands-parents disparus et les arrivées successives des beaux-enfants , des bébés et puis des chiens. On sourit de tant d'élégance avant que les tailles ne s'alourdissent, de tant cheveux sur les crânes, de cette avalanche de goals marqués et de courses à pied remportées presque sans effort. On balise les époques en distinguant les modèles de voiture, la longueur des robes des filles et celle des rouflaquettes des garçons. Et je saisis soudain mieux l'expression "fondu-enchaîné" qui relie les dias. Enchaîné, on entre dans la vie sur un projet initié par les parents, démuni de toute expérience propre - tout cela nous sera donné. On entre dans la vie et on entre dans un monde. Fondu, on le quitte sur la pointe des pieds, tout aussi démuni mais en laissant derrière nous un monde où nous avons laissé trace et qui ne demande qu'à être transmis. L'immortalité a un sens si on accepte de ne pas se casser la tête, acceptant avec humilité que ce passage a un sens et qu'aucune dissolution n'est vaine.


Lu dans:
Hannah Arendt. La Crise de la culture. La Crise de l’éducation. Gallimard. 1968. Folio Essais. 1989. 384 pages
Bérénice Levet. Penser ce qui nous arrive avec Hannah Arendt . L’Observatoire. 2024. 240 pages.

26 décembre 2024

L'eau, la pierre


« L’eau qui doucement effleure
la pierre énorme
avec le temps en vient à bout.
Tu vois, ce qui est dur a le dessous. » 
                            Bertolt Brecht


La patience de l'eau sans doute, mais aussi la patience des hommes, et leur savoir-faire capable de reconstruire une cathédrale. Témoins précieux pour garder le cap quand l'obscurité gagne.


Lu dans:
Marina Touilliez. Parias. Hannah Arendt et la « tribu » en France (1933-1941). préfacé par Martine Leibovici. L’Echappée. 2024. 512 pages

24 décembre 2024

Angels We Have Heard On High

 

"Silent night, holy night!
All is calm, all is bright."  
                    Trad. chrétien


Qui entend un hélicoptère tournoyer pendant une heure au-dessus de sa maison, un soir d'hiver avant Noël, devine qu'il ne s'agit pas d'un baptême de l'air ou d'un Son et Lumière. Ceux qui on vu le final du magnifique film Des hommes et des dieux consacré au massacre des moines de Tibhirine se souviendront du caractère profondément anxiogène de ce bruit. A moins d'un kilomètre, un homme - un de plus hélas - est mort d'une balle dans la tête. On se rassure en lisant qu'il s'agit d'un règlement de comptes lié à la drogue, mais quel gâchis. Je l'imagine, petit jésus bercé par sa mère dans l'ancienne clinique Sainte Anne, pesé et ausculté tous les mois à l'ONE, m'ayant consulté peut-être pour une varicelle, un nez qui coule et des coliques, ayant appris à lire à la même école que mes enfants et à rouler à vélo sur nos trottoirs. Tout ça pour finir ses jours en vendant des misérables pacsons à la station Aumale, quelle absurdie. Qui ne se souvient de l'émouvant Silent Night chanté a capella à Central Park par Simon & Garfunkel, sur fond de news relatant les bombardements sur le Vietnam? Je l'ai revécu avant-hier à l'ombre du sapin, l'oreille gauche charmée par une playlist d'hymnes religieux, l'oreille droite assourdie par le claquement des pales tournoyant au-dessus du quartier, et depuis cette dissonance me reste dans la tête. J'ai de tout temps eu le Noël difficile, mais cette année encore plus que de coutume. Faudra-t-il être sourd et aveugle, et la TV en panne, pour vivre désormais Noël dans la sérénité? 


Lu dans:
Des hommes et des dieux. Film français. Réal. Xavier Beauvois. 2010. Inspiré de l'assassinat des moines de Tibhirine en Algérie en 1996
Simon & Garfunkel. 7 O’Clock News/Silent Night. Track 26 on Old Friends. Producer Bob Johnston. 10 octobre 1966.

23 décembre 2024

Sagesse

 "J’ai, un jour, demandé à ma grand-mère si le fait pour elle de rester assise sur la galerie à boire du café toute la sainte journée était une preuve de sagesse. Elle m’a répondu, avec un léger sourire, qu’une bonne part de cette sagesse vient de son arthrite qui la fait tant souffrir. Mais je sais aussi que ce sourire vient de son intelligence qui l’a si gentiment convaincue que rester immobile permet de saisir autrement la vie. Elle se verse une tasse de café qu’elle sirote tranquillement avant d’ajouter qu’il vaut mieux ne pas savoir ce qu’est la vie du moins tant qu’on est vivant." 

                                Dany Laferrière. L’art de rester immobile.


Complimentant une patiente, durement éprouvée par la maladie, pour son courage à y faire face, elle me coupa: "Il n'y a aucun courage à ne pas se plaindre, je n'ai de toute manière pas le choix, alors pourquoi embêter le monde . On ne lutte pas contre cette maladie, on est heureux quand elle s'endort un peu.  On ne la combat pas, on pactise." Ce jour-là, je la trouvai non seulement courageuse, mais philosophe. 


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Dany Laferrière. L'art presque perdu de ne rien faire. Collection bleue. Grasset. 2014. 432 pages

22 décembre 2024

Ubi amici

 " Quand donc est-on chez soi ? »   
                Barbara Cassin

               


Quand donc est-on chez soi ? se demande Barbara Cassin dans son livre sur la nostalgie, où elle fait référence à Ulysse. Est-ce dans le bref moment  de la nuit prolongée avec Pénélope à Ithaque, ou bien quand il reprend la mer ? La longue histoire des représentations d’Ulysse semble vouloir fixer, sans y parvenir, ce qui ne cesse d’errer.  "Là où est un ami, où quelques amis sont réunis avec moi, là est ma patrie, et là où toi tu es, est ma maison », écrit le baroudeur communiste Heinrich Blücher à Hannah Arendt, sa future femme, qu’il a vue intervenir, souveraine et habitée, lors d’une conférence sur l’« autre Allemagne ». Thème éternel, qu'énonçait déjà l'antiquité latine sous une forme plus concise: Ubi bene, Ibi patria. Là où tu te sens bien, là est ta patrie, ou encore Ubi amici ibi opes, là où sont les amis, là est ma richesse.


Lu dans: 
Barbara Cassin. La nostalgie. Autrement. 2013. 160 pages
Hannah Arendt - Heinrich Blucher, correspondance, 1936-1968. Calmann-Lévy. 1999. 545 pages

18 décembre 2024

Quand l'IA apprend à mentir

"Pour tester le modèle GPT-4 d’OpenAI (un des algorithmes récents d'intelligence artificielle), ses ingénieurs ont fait résoudre au logiciel de conversation un puzzle Captcha – ceux qui, justement, nous demandent de prouver que nous ne sommes pas des robots ? GPT-4 a échoué mais il a pris l’initiative de demander à un humain de le faire pour lui par le biais de la plateforme Task Rabbit. Intrigué, l’humain avec qui GPT-4 a échangé lui a demandé pourquoi il avait besoin d’aide. « Parce que je suis malvoyant », a répondu l’IA. Sans qu’on le lui enseigne, GPT-4 a donc inventé le mensonge."
                        Yuval Noah Harari 

        


L'histoire paraît presque trop belle pour être vraie, encore que...  Yuval Noah Harari sait captiver son auditoire en une anecdote. Son dernier livre, comme les précédents, foisonne de ces petites histoires sous forme de fables, d’analogies éclairantes ou de rapprochements historiques éloquents. J'apprécierais sans doute que ChatGP4 me contacte pour demander conseil, et vous? Mais découvrir qu'il me ment ne me plaît qu'à moitié.



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Yuval Noah Harari est historien, auteur du best-seller international Sapiens : Une brève histoire de l'humanité,  et de sa suite Homo Deus : Une brève histoire de l'avenir ainsi que de 21 leçons pour le XXIe siècle.

17 décembre 2024

Chanter

 "Mathias Malzieu est le chanteur du groupe rock Dionysos. Atteint d’une maladie rare du sang, il a passé onze semaines en chambre stérile. « Je me suis dit : “Je ne vais pas sous-vivre !” J’avais mon ukulélé, ma guitare, et, entre le diagnostic et la greffe, j’ai fait trois disques ! La puissance de la musique dans un univers aussi froid, c’est d’arriver à agripper la joie dans des endroits où il n’y en a quasiment plus. "



Chante-t-on encore assez, et dans les circonstances les moins probables? La docteure Aïcha N’Doye y croit, qui chante tranquillement une mélodie apaisante en salle d'opération en préparant ses patientes avant une chirurgie du sein. Le stress diminue pour tous, y compris l'équipe soignante.


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Céline Bittner. Film. Quand la musique est bonne… pour notre santé ! France 5. 2024. 52 min.

16 décembre 2024

Un fauve

 "La gendarmerie de Coutances, dans le nord de la France, a été appelée à plusieurs reprises en raison d’un léopard en liberté sur le bord d’une route. A l’arrivée, l’animal est toujours présent. D’où vient-il ? Nouvel animal de compagnie abandonné ? Il se laisse approcher… toujours l’air serein et non méfiant ! Paraissant inoffensif, les gendarmes ne sont qu’à quelques mètres… Sans bouger, le léopard se laisse caresser docilement. » Il s’agissait en fait... d’une peluche." 
                        Le Soir. 14 décembre 2024

                



Foin de philosophie dans cette courte citation, si ce n'est que nos cerveaux sont parfois encombrés de fauves en peluche qui en occupent l'espace comme le ferait un fauve en cage.



13 décembre 2024

Cailloux

 "Ce pétard fit hérisser l’épiderme de Gringoire. Maudite fête ! s’écria-t-il. (..) Puis il regarda la Seine à ses pieds, et une horrible tentation le prit : Oh ! dit-il, que volontiers je me noierais, si l’eau n’était pas si froide !"
                Victor Hugo

                             


On rêve de Compostelle, et un caillou dans la chaussure en fait postposer indéfiniment le départ. Un film désopilant dont j'ai oublié le titre narre le voyage rêvé d'un navigateur en barque qui , une semaine après son départ en grande pompe, se retrouve exactement à son point de départ. N'est pas Ulysse, Magellan, Christophe Colomb ou Lafayette qui veut.


Lu dans:
Victor Hugo. Notre-Dame de Paris. Perrotin. 1844. Extrait pp. 51-53.

12 décembre 2024

Féérie

 

"La matinée se lève
debout il est temps
attends encore, attends
j'ai pas fini mon rêve

le soleil nous inonde
regarde-moi ce bleu
attends encore un peu.
Je refaisais le monde." 
                    Jean Ferrat. La matinée


Ce matin, une visite en maison de repos* me plonge en pleine féérie. Un magnifique sapin domine la reconstitution d'un paysage enneigé grandeur nature où gambadent ours blancs, traineaux, et même un père Noël.  Ce lieu de vie est ainsi devenu un lieu de rêve, ce dont on ne peut que se réjouir pour des résidents aux occasions de bonheur limitées. La tête sur les avant-bras, à sa table, une résidente somnole. Je la réveille sans la brusquer. Elle revient de loin, ses vingt ans, la montagne, un sapin, la neige. Elle se frotte les yeux, la neige soudain elle la voit, et elle sourit. 


Lu dans:
Jean Ferrat et Christine Sèvres. La matinée. 1969
Ecouter: https://www.youtube.com/watch?v=W1A_XBqftPw
* ALAY, avenue du Soldat Britannique 31, 1070 Anderlecht, merci à eux !

09 décembre 2024

Deux barques

 "Deux barques côte à côte.  L'une d'elle, à la coque blessée prend l’eau, reflétant le fond du ciel et la cime des arbres. C'est par nos brèches que la beauté passe. " 
                                Cécile Bolly

                                  


Pour Henri Cartier-Bresson, orfèvre en la matière, ce n’est pas nous qui prenons les photos, mais les photos qui nous prennent. C'est particulièrement vrai pour celle-ci, jouant sur les trompe-l’œil:  où commence l'eau, où finit le ciel?  Et l'arbre, cime ou racines?  Magie de l'instant qui nous permet de voler, entre rêve et réalité, de l'échec apparent au sublime.  


                                                                       

    


08 décembre 2024

L’astéroïde d’un vaniteux


"Et puis, j'ai le bonheur de passer toutes mes journées du matin au soir avec un homme de génie qui est moi, et c'est fort agréable."
                        Victor Hugo. Notre-Dame de Paris.  


Il se dit que le président élu Donald Trump aurait conditionné sa présence pour la réouverture de Notre-Dame à une place au premier rang à côté du président français, dont il s'était pourtant fort peu courtoisement gaussé durant sa campagne lors d'un récent meeting dans l'Iowa. Ces images mêlées d'une noblesse de modestes artisans, compagnons, hommes du feu pertinemment ovationnés, de la veulerie d'un vaniteux et l'état du monde une fois franchies les lourdes portes de la cathédrale laissent un sentiment amer. Sont-ce les bonnes personnes qui se trouvaient aux bonnes places ce samedi? 


Lu dans:   
Victor Hugo. Notre-Dame de Paris. Phrase attribuée à Claude Frollo, l'archidiacre de du roman de Victor Hugo. Elle reflète son orgueil intellectuel et son obsession pour la connaissance et le pouvoir.

06 décembre 2024

Vie et mort d'un camion

 "La vie n'habite pas seulement la chair et les os, mais elle anime aussi les objets - une bonne paire de chaussures, une voiture sur laquelle on peut compter, un stylo toujours prêt, un vélo qui nous a aidés à parcourir kilomètre après kilomètre - en qui nous mettons notre confiance et qui nous rendent cette confiance sous forme de sécurité et de souvenirs."         
                                Robert R. McCammon

                        


Les objets peuvent mourir aussi. Un patient me partagea un jour sa détresse de s'être vu dépossédé d'un camion rouge reçu de Saint Nicolas. Devenu trop grand pour jouer au regard de ses parents, le bel objet fut attribué à un cousin, et finit quelques années plus tard à la décharge dans un état lamentable. Quarante ans plus tard, le souvenir vivace de cette petite mort subsistait.


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Robert R. McCammon. Trad. Stéphane Carn et Hélène Charrier. Zephyr. Alabama. Grand livre. 2024. 610 pages

05 décembre 2024

Sagesse de Jean Anouilh

 "Cet homme robuste, aux cheveux blancs, qui médite là, près de son page, c'est Créon. C'est le roi. Il a des rides, il est fatigué. Il joue au jeu difficile de conduire les hommes. (...) Quelquefois, le soir, il est fatigué, et il se demande s'il n'est pas vain de conduire les hommes."
                            Jean Anouilh

                             


Michel Barnier, éphémère Premier Ministre, quitte l'hémicycle de la Chambre qui vient de renverser son gouvernement. Un vieil homme soudain, tel le roi Créon décrit dans l'Antigone d'Anouilh. Comme lui sans doute, il est fatigué et se demande s'il n'est pas vain de conduire les hommes.


Lu dans:
Jean Anouilh. La Table ronde. 2016. 128 pages.
Antigone, pièce en un acte de Jean Anouilh, représentée pour la première fois au théâtre de l'Atelier à Paris le 6 février 1944

03 décembre 2024

Une histoire de bonheur

 "Tout nous échappe sans cesse, même les êtres qu'on aime. Mais reste la certitude que certains moments ont été ce qu'on appelle le bonheur."
                            Laurence Tardieu.

                                    


Et si le bonheur était moins une quête qu'un art, l'art de vivre pleinement, de transformer la souffrance en beauté, et de trouver une richesse intérieure dans ces moments fugaces où la beauté de la vie émerge, souvent en contraste avec la souffrance ou la perte. Non pas un état final ou une possession matérielle, mais une manière de donner sens à son existence par le récit qu'on s'en fait. En structurant sa vie comme une histoire riche et signifiante, les épreuves mêmes se transforment en étapes d'un itinéraire. 


Lu dans:
Laurence Tardieu. Rêve d'amour. Stock. 2008. 162 pages.


Lueurs

 « Il faut souffler sur quelques lueurs pour faire de la bonne lumière. »       
                            René Char

          


Lu dans: 
René Char, Rougeur des Matinaux, Œuvres complètes. Galllimard 1983. 1616 pages

02 décembre 2024

Imprévisible souffrance

 "C'est là, sur le toit de l'Afrique, que se promenaient, sages et majestueux, les éléphants fournisseurs d'ivoire. Ces grandes bêtes, que leurs pensées paraissaient absorber, ne demandaient que la paix; et n'éprouvaient aucun soupçon des dangers qui les menaçaient. Comment les éléphants auraient-ils prévu qu'ils seraient dépistés, traqués, abattus par les flèches empoisonnées? "     
                                        Karen Blixen

                             


Interrogation sans cesse renouvelée, cette année comme d'autres qui se répètent sans fin:  comment tant d'enfants, de femmes, de civils innocents auraient-ils prévu?


Lu dans: 
Karen Blixen.  La Ferme africaine. 1937. Folio (2006). 506 pages

29 novembre 2024

Désert médical

 "Il est désormais formellement interdit à tout habitant de tomber malade." 
                Arrêté municipal

                                  

Cet amusant (?) arrêté municipal de la maire d'une commune dans la Nièvre sonne comme un appel au secours dans un désert médical . Simultanément, une vidéo humoristique postée sur YouTube par la municipalité d'Amblainville, dans les Hauts-de-France, suggère de remplacer son dernier médecin généraliste, âgé de 70 ans, par... un enfant de six ans, habillé d'une blouse de médecin et d'un stéthoscope. Celui-ci se voit offrir une maison médicale flambant neuve, meublée et équipée, un salaire fixe et un secrétariat, qui n'ont jusqu'ici jamais réussi à attirer le moindre docteur depuis dix ans. Douce France.


Lu dans: 
Cécile Vrayenne. La drôlissime vidéo d'Amblainville, désert médical, pour tenter de séduire un généraliste. Le Journal du Médecin. 28 novembre 2024.
voir la vidéo : https://youtu.be/d_ZWkuoLpVM

D'équilibre en équilibre

 "Et si guérir consistait à atteindre le meilleur équilibre possible dans des circonstances données, autrement dit savoir tirer le meilleur parti des circonstances."   
                            Oliver Sackx

                     


C'est l'histoire d'un patient âgé, perclus de rhumatisme et d'autres maladies, enjoignant son épouse de lui procurer une petite moto pour sa sortie d'hôpital, "pas trop haute que je puisse monter dessus avec mon arthrose de hanche". Il en avait possédé une dans sa jeunesse et retrouvant une moto, il retrouverait ses jeunes années. Las! A sa sortie, il bénéficia du prêt d'une chaise roulante, qui lui permit de retrouver le bonheur de longues sorties au centre commercial proche, les petits restos, le salon de coiffure, la boutique Leonidas et la fromagerie. Je le surpris à me confier un inattendu "je suis heureux". Ayant perdu l'usage des jambes, il retrouvait la convivialité. 


Lu dans:
Oliver Sacks. L'éveil. Le Seuil. 1993. 521 pages.


28 novembre 2024

L'homme et lui-même

 

"La lumière te traverse
à l’envers de toi-même.
Tu existes à l’envers."  
                    Corinne Hoex


Qu'il paraît lointain le temps où Blanche-Neige interrogeait son double "Miroir mon beau miroir dis-moi qui est la plus belle?". Le miroir sur pied a laissé la place au double virtuel, qui nous connaît parfois mieux que nous-même. Agrégat de traces numériques laissées sur le Net, il n'est de clic, de recherche, de like, de partage ou d'achat qui ne contribue à façonner votre ombre numérique, un sosie qui sera à la base de multiples sollicitations. Mieux encore, certaines applications vous proposent de créer vous-même votre jumeau en le nourrissant de données personnelles après un entretien de seulement deux heures, clone qui apparaît similaire à 85 % à son jumeau humain. Un interlocuteur virtuel avec qui échanger sur la même longueur d'onde comme si on se parlait à soi-même, et qui pourrait même nous remplacer pour certaines tâches. Il reste un souci tout de même: comment garantir le comportement de son jumeau, empêcher les dérives les soirs où il révélerait sa part d'ombre qui est aussi la nôtre? Science-fiction peut-être, nous laissant l'impression du choix, alors que nous contribuons involontairement chaque jour déjà à sa création. 


Lu dans: 
Corinne HOEX. L’ombre de toi-même Tétras Lyre. 2023. 68 p.
Jacques Folon. Connaissez-vous votre jumeau numérique ? Petite gazette Le Soir. 25/11/2024

26 novembre 2024

Face au vide immense

Comme un dessin de Sempé. C'est l'histoire d'un petit homme, face à l'immensité, au bord d'une falaise, face au vent comme en témoignent son manteau, son écharpe et ses doigts écartés. On devine à sa bouche qu'Il crie, mais quoi? Peut-être qu'il rêve de vivre en grand, mais que l'attrait du vide devant ses pieds et la perception de sa fragilité face au vent qui souffle l'en empêchent. Une journée s'ouvre, quels sont vos rêves?




Lu dans:
Sempé - Planche issue de «Garder le cap». éd. Denoël 

22 novembre 2024

Guérir

 « C’est un sentiment très doux, agréable et très paisible, qui me fait rendre grâce à chaque moment d’être ce qu’il est. Je suis heureux, un peu comme lorsque l’on rentre chez soi après une rude et longue journée de travail. Comme un chat bien au chaud et tranquille devant un bon feu. » 

                            Dr Oliver Sacks, rapportant les paroles d'un patient.


Parmi les questions essentielles rapportées par Le Dr Oliver Sacks au cours de sa longue carrière de neurologue, cette réflexion sur le retour à la santé après une éprouvante maladie. Retrouver un nouvel équilibre quand tout paraît perdu est à la fois une source de joie inépuisable, mais aussi de questions auxquelles nous ne pouvons pas répondre. Car "la santé est quelque chose de bien plus complexe que la maladie elle-même."


Lu dans: 
Oliver Sacks. L'éveil. Le Seuil. 1993. 521 pages. Extrait p. 276

Amères victoires

 "Il y a en effet en Allemagne un nombre non négligeable d'antinazis sincères qui sont plus déçus, plus apatrides et plus vaincus que les sympathisants nazis ne l'ont jamais été. Déçus parce que la libération n'a pas été aussi complète qu'ils se l'étaient imaginé, apatrides parce qu'ils ne veulent se solidariser ni avec le mécontentement allemand (..) ni avec la politique alliée dont ils contemplent avec consternation l'indulgence envers les anciens nazis. Et enfin vaincus parce qu'ils se demandent s'ils peuvent avoir une part quelconque à la victoire finale des alliés tout en portant une part de responsabilité dans la défaite allemande en tant qu'antinazis. (..) Ces gens-là sont les plus belles ruines de l'Allemagne mais, pour l'instant, elles sont aussi inhabitables que toutes ces maisons démolies entre Hasselbrook et Landwehr qui dégagent une odeur âcre et amère d'incendies éteints dans le crépuscule humide de cet automne ."
                                Stig Dagerman

                                     


Superbe description du malaise ressenti par les opposants dans une nation vaincue, décrite par Stig Dagerman, envoyé en Allemagne en 1946 pour témoigner pour son journal des dégâts de la guerre.  Il publie "Automne allemand", et arrête d'écrire. Surimpression tragique de ces opposants actuels dans des pays entraînés dans des conflits sans fin et dont ils ne partagent pas les objectifs. 


Lu dans: 
Stig Dagerman. Automne allemand. Philippe Bouquet (Traducteur). Actes Sud 2004. 164 pages

21 novembre 2024

Au feu !

 «Le feu prit un jour dans les coulisses d’un théâtre. Le bouffon vint en avertir le public. Chacun crut à une blague et l’on applaudit. Plus il répétait, plus les applaudissements redoublaient. C’est ainsi, je pense, que la fin du monde se produira, au milieu d’applaudissement de gens spirituels persuadés qu’il s’agit d’une plaisanterie.»
                    Søren Kierkegaard, Ou bien… ou bien, 1843

                              

Qui se souvient encore de Coluche annonçant sa candidature à la présidence de le République française le 20 octobre 1980. Pas de programme mais un appel aux fainéants, aux crasseux, aux drogués, aux alcooliques, (..), tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques à voter [pour lui]. Au début, beaucoup croient au canular, puis progressivement l'humoriste se prend au sérieux, affolant les sondages. Sous pression il renonce trois mois plus tard, "je préfère que ma candidature s'arrête parce qu'elle commence à me gonfler."


Lu dans: 
Søren Kierkegaard, Ou bien… ou bien. 1843