"Tout est vrai, successivement"
Peregrinos
Dimanche. Un jardin inhabituellement déserté par le bruit mêlé des
avions qui nous survolent dès l'aube, par la rumeur lointaine du ring de
Bruxelles, par les bruits familiers de la rue, et à la campagne si j'en
crois un ami par l'insolite chant du coq à midi. On dirait un dimanche,
et ce n'est pas un dimanche. Il manque ce minime quelque chose qui fait
la normalité d'une journée, et paradoxalement nous rassure: le confort
d'être sur ses rails. Davantage que la surcharge de travail,
l'incertitude est anxiogène. Depuis une semaine, il ne s'est pas passé
une journée sans qu'on ait dû réviser ce qui avait été dit la veille,
pas une procédure qui ne fut remplacée par une autre, pas un pronostic
aussitôt battu en brèche. La figure rassurante du médecin de famille
demeure, mais d'où lui viennent alors ses rêves inhabituellement agités,
ses doutes quant aux consignes qu'il a transmises et aussitôt
démenties? D'où sourd cette peur, jamais connue, d'être du lot des
patients sains la veille et sous respirateur le lendemain? Les images
de Bergame (Italie) découvertes ce soir au JT des longs convois
mortuaires de camions militaires acheminant les morts anonymes privés de
funérailles m'ont glacé le sang: tout ça pour ça? Tant de bienveillance
médicale, durant tant d'années, pour aboutir en quelques jours sous une
bâche kaki dans un incinérateur éloigné de votre village. Il faut
pourtant continuer à y croire, réinventer le sens de notre activité
quotidienne, avec cette valeur ajoutée que nous sommes - médecins et
patients - sur le même pied, partageant les mêmes angoisses, les mêmes
insomnies, la même peur de finir dans un camion militaire, tout nus car
les croque-morts n'osent nous toucher pour une toilette funéraire, sans
famille pour nous pleurer ou jeter un dernier bouquet dans la tombe.
Rester humble, vivre simplement, avoir du respect en toutes
circonstances, demeurerait-il la manière la plus facile d'affronter les
problèmes au quotidien?
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