"Ce parfum avait de la fraîcheur ; mais pas de la fraîcheur des limettes ou des oranges, pas la fraîcheur de la myrrhe ou de la feuille de cannelle ou de la menthe crépue ou des bouleaux ou du camphre ou des aiguilles de pin, ni celle de la pluie de mai, d’un vent de gel ou d’une eau de source.... Et il avait en même temps de la chaleur ; mais pas comme la bergamote, le cyprès ou le musc, pas comme le jasmin ou le narcisse, pas comme le bois de rose et pas comme l’iris... Ce parfum était un mélange des deux, de ce qui passe et de ce qui pèse."
Patrick Süskind
Jusqu'ici on s'inquiétait de leur toux, de leur fièvre, d'une courtesse
d'haleine inusitée et depuis peu on les interroge sur la fragrance
ronde, liquoreuse, chocolatée du café fraichement torréfié, ou celle de
leur tabac de Virginie aux arômes de fruits secs et de vanille légère.
Perçoivent-ils encore la fraîcheur fruitée de leur eau de toilette, le
goût de la fraise sur la glace à la vanille, l'arôme du chocolat chaud
et crémeux ? On tente d'imaginer la fin du confinement, Pâques,
Pentecôte, le 15 août?, mais comment imaginer ce premier retour à la
côte sans que soit perçue cette senteur unique de voile gonflée où se
prennent l'eau, le sel, le poisson et le varech mêlés de soleil froid,
cet effluve infini de la mer qui se fait souffle, inspiration,
expiration, sac, ressac, rassemblant tous les souvenirs de vacances en
un seul. Comment se consoler de la perte du parfum douceâtre et entêtant
du tilleul en juin, ou du sent-bon entre talc et lait poupina du bébé
sorti du bain. Le retour de l'odorat signera mieux que tout autre signe
la fin de l'épidémie: à nouveau s’enivrer du parfum des choses, savourer
le goût de la vie n'est guère anodin.
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Patrick Süskind. Le Parfum. Bernard Lortholary (Traduction). Le LIvre de Poche. 2006. 279 pages
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