17 mars 2020

Tenir jusqu'à Pâques


"Il y eut un soir et il y eut un matin : premier jour."
                     Genèse 1.19.3


On connaissait le pont de l'Ascension, celui du 1er Mai, celui du 15 Août. Depuis quelques jours c'est un peu comme le pont jusqu'aux vacances de Pâques. Les premières heures, l'annonce d'une suspension de l'obligation de travailler possède toujours un côté fun, comme quand votre prof de math tombe malade et que la classe pousse un grand YEEESS à la seule idée des heures de cours séchées. Au fond, rien de vraiment fâcheux, on ferme les écoles, les restos, les bistrots, les églises ... jusqu'au début des vacances de Pâques. Peut-être même serons-nous confinés, réduits à faire nos courses à la supérette du coin, peut-être manquerons-nous de Dafalgan, de macaronis et de papierQ, ce sera comme une sorte de carême laïc ou de tournée minérale en mars. Mais sûr de vrai, à Pâques tout reverdira, on ira à la mer "comme quand on était jeunes, comme quand c'était le temps que j'avais de l'argent" et tout repartira, sauf que.. 

Un jour lointain, la Meuse en crue sortit de son lit inondant en une seule nuit un village de pêcheurs du Maasland au nord de Maaseik entre Ophoven et Geistingen. Le paysage prit une grandeur majestueuse, insolite et silencieuse. On se dit entre voisins qu'un jour proche ce serait la décrue et que tout reprendrait comme avant, sauf que là où coulait la Meuse le lit n'était plus que roche. Le cours du fleuve s'était détourné à quelques kilomètres, pour toujours. Il y eut un soir, il y aura un matin mais pour quelle réalité sonneront les cloches de Pâques? Dans quelle famille y aura-t-il eu un papy mort aux soins intensifs, un frère dont l'emploi aura disparu suite à la fermeture prolongée de son petit commerce, ou de sa compagnie aérienne, ou de sa banque. Le bruit que fait la première carte quand on la retire est imperceptible à l'oreille, et le temps se suspend une seconde avant que tombe la deuxième, puis l'ensemble. Les journées de vendredi et de ce lundi furent surréalistes, peu de nouveaux malades vraiment inquiétants mais une course hors d'haleine à la régularisation des certificats d'incapacité pour éviction prophylactique, protection de patients à risques, mise à l'écart des femmes enceintes, justification de maintien à domicile de parents d'enfants sans école, de phobiques décompensés, en un mot de nous tous sautant d'un camion qui sort de la route, l'abandonnant à son sort. Le silence dans mon cabinet était aussi terrible que la prémonition de me trouver dans cet intervalle précis entre le retrait de la première carte et la chute des autres. On est sans aucun doute pessimiste les soirs de fatigue, mais qu'on aimerait se tromper et imaginer qu'à Pâques tout sera redevenu comme avant. 



Lu dans:
Bible de Jérusalem. Genèse 1.19.3

1 commentaire:

Tania a dit…

Merci pour vos billets et bon courage à vous.