"Je veux parler de deux chênes robustes
qui côte à côte
résistent à la tempête de l'hiver
et malgré vents et marées
croissent et font de la prairie la fierté
car tous deux sont forts.
Au-dessus ils se touchent à peine mais
en remontant jusqu'à la source
émerveillés vous découvrirez
que leurs racines sont entremêlées
inséparablement."
Henry David Thoreau
Cela porte un beau nom, la "timidité des cimes" (« crown shyness
»), mystérieux phénomène qui pousse les arbres à maintenir une
certaine distance entre leurs feuillages. Ils s'approchent mais ne
se touchent pas, formant des labyrinthes de lumière entre leurs
branches. Ils seraient une centaine d'espèces à maintenir entre
eux une distance, appelée « fente de timidité », typiquement entre
10 et 50 cm bien qu'il n'y ait aucune règle. Il existe aussi une
timidité souterraine : dans ce cas ce sont les racines qui ne se
touchent pas. Il y a des arbres très timides d’en haut mais pas
d’en bas et vice versa. Pour les racines comme pour les cimes,
nous n’avons pas d’explication. Lorsqu’ils n’ont pas de voisin,
ils ont tendance à s’agrandir indéfiniment, quel avantage
auraient-ils donc à ne pas se toucher? Ce comportement
d'évitement pourrait être interprété comme une perte d'espace au
bénéfice de l'arbre voisin, le développement individuel
s'estompant au bénéfice du développement de l'espèce. Ou aussi
comme un moyen de laisser la lumière mieux pénétrer la forêt.
Peut-être y trouvent-ils un avantage sélectif et évolutif face aux
maladies contagieuses en cas de présence de parasites non volants,
les arbres timides étant alors moins susceptibles d'être
contaminés malgré une répartition assez dense dans l'espace. La
timidité vécue comme une force tranquille... Et si les arbres nous
apprenaient un nouvel art de vivre ensemble, où la distanciation
sociale rimerait avec attention à cultiver la bonne distance,
celle qui étreint sans étouffer? Un jour viendra où on
substituera pour traduire la «crown shyness» , le terme de
"fente de timidité" par celui de "fente de solidarité".
Lu dans :
Henry David Thoreau, cité par Cécile Bolly dans L'arbre qui est en moi. Ed Weyrich. 176 pages.
Francis Hallé. Plaidoyer pour l'arbre. Actes Sud. 2005
Christine VAN ACKER. L’en vert de nos corps. Préface de Vinciane Despret. Arbre de Diane. Coll. « La tortue de Zénon ». 2020. 228 pages.
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