23 avril 2020

Chronique du confinement


« Allez, il est bientôt 22 heures. On enlève son pyjama de jour, après cette grosse journée, et on met son pyjama du soir. »
                                        Alya Aglan


"On n’avait aucune raison de prendre la voiture (la vraie voiture, la voiture sérieuse pour le travail, les courses, les vacances), alors tous les quatre, on est allés dans le garage se mettre au volant de la 2CV. Elle nous a immédiatement reconnus. « On va promener ? On va promener ? », qu’on a fait, comme avec le chien. D’habitude, en avril, elle a déjà pétaradé dans toutes les petites routes du coin, zigzaguant follement, toute capote escamotée. Alors on l’a découverte quelques minutes pour qu’elle puisse un peu respirer et se défoncer aux pollens de printemps. C’était chouette. On a mis de la musique en faisant semblant de changer les vitesses et en se penchant comme dans un virage. En voulant attraper [le sac] , on a frôlé un petit objet lisse et froid comme du métal. Un cylindre argenté qu’on a ouvert du bout du pouce, qu’on a doucement dévissé, avant de se tourner vers le miroir du pare-soleil. Vestige souriant de la vie d’avant. Quand sur la bouche, pour sortir, on ne mettait pas un masque, mais du rouge à lèvres." (Julie Huon)


Je me suis réveillé en sursaut, tant la lumière était forte: déjà 8 heures? Non, 14 heures, la nuit était une sieste. Lundi? Non, mercredi, 23 avril, saint Sosthène. Bardane (Sicile), comme prévu ? Non, Anderlecht, et l'absence de bruits d'autos dans la rue n'est pas un dimanche sans voitures, d'ailleurs pas de bruits de vélo non plus. Des détonations alors, comme on l'a lu dans le journal? Non, une moto ancienne qui n'a plus roulé depuis des mois. Et où sont les avions? Les avions se reposent, leur nuit est longue. Et où sont les gens? Personne ne le sait, y en a partout cachés dans leurs tanières, certains se disputent car ils ont les nerfs. Certains se risquent dehors, masqués car le fond de l'air effraie. Il se lit que c'est un peu comme une retraite, comme quand on était au collège et qu'il nous fallait rentrer en nous pour renaître. Il se lit aussi que dans deux semaines on va remettre tout cela sur les rails, et que ce sera comme un "born again" dont on sortira meilleurs. Reprenons-nous: on est mercredi, 14 heures, y a du travail mais pas du vrai, on peut sortir mais pas loin, on est en famille mais pas comme en vacances, on est en bonne santé mais pas sûrs, et dans la tête c'est comme quand on a fumé un pétard mais qu'on ne l'a pas fait. Une chose est sûre, demain ça ira bien.



Lu dans:
Alya Aglan. Rire de nous-même. Gallimard. Tracts de crise. 17 Avril 2020. N° 51 Extrait page 6
Julie Huon. La vie en pause, jour 32 : les objets . Le Soir 21  avril 2020.

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