« La vie est trop courte pour être petite ».
Marianne Pierson-Piérard
Il est des phrases virales qui lorsqu'elles vous pénètrent dans
la tête le matin ne vous quittent plus. Si on sait ce qu'est une
vie courte, qu'est-ce qu'une vie petite? On peut être grand dans
les petites choses, et certaines existences consacrées à la
répétition sans fin de tâches subalternes, mais essentielles,
possèdent une grandeur que n'ont guère bien des destinées
historiques. La récente pandémie par contre nous interroge sur ce
qui reste d'une vie lorsqu'elle se voit coupée de tous les liens
qui la nourrissent, vidée de toutes les significations qui la font
grandir. Depuis deux mois, je suis interdit de visite de mes
patients hospitalisés à l’hôpital, ce que je n'ai jamais vécu
depuis 45 ans, et je vis cette interdiction dans la plus totale
incompréhension. Nos vieux en maison de repos ont été d'abord
coupés de leurs proches, ensuite confinés dans leur minuscule
chambre jour et nuit, pour les protéger. Quand vient l'horreur des
statistiques de décès, et les conditions dans lesquelles cela se
passe, surgit l'inévitable doute: "tout ça pour ça..." Et cela
s'emballe, interdiction au conjoint d’assister à l’accouchement
dans certaines maternités, interdiction de se rassembler à plus de
quinze personnes pour les enterrements, dépouilles prestement
enfouies dans des sacs plastiques sans autre traitement. Nul ne
contestera qu'il faille en temps de crise protéger la «vie nue»
dont parle Giorgio Agamben, et qu'il s'est trouvé d’admirables
héros du quotidien pour le faire, en sauvant un certain nombre.
Peut-on pour autant, sous peine de renier notre humanité, choisir
la préservation de cette vie nue biologique au détriment de ce qui
en fait une existence humaine qui ait son sens, son prix, sa
grandeur: partager ses moments décisifs, naissance, maladie,
vieillissement, mort. Nous avons voulu sauver la vie à tout prix
mais nous l’avons parfois, à l’inverse, coupée de tout ce qui lui
donne un sens. Cesser d’exister pour rester en vie ? Cette
contradiction est accablante.
Lu dans:
Marianne Pierson-Piérard. Dora , névrosée. Coll. Femmes de lettres oubliées. 2019. 232 pages.
Abdennour Bidar. Cesser d’exister pour rester en vie ? Libération. 4 mai 2020.
Giorgio Agamben. Homo Sacer: le pouvoir souverain et la vie nue. Le Seuil. Paris. 1998. 216 pages.
Marianne Pierson-Piérard. Dora , névrosée. Coll. Femmes de lettres oubliées. 2019. 232 pages.
Abdennour Bidar. Cesser d’exister pour rester en vie ? Libération. 4 mai 2020.
Giorgio Agamben. Homo Sacer: le pouvoir souverain et la vie nue. Le Seuil. Paris. 1998. 216 pages.
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