"Il y a 50 ans, la grippe de Hong Kong frappait en Belgique dans l’indifférence générale."
Christophe Lamfalussy
Les années 68-69, intenses, faites de fureur et de promesses: les
émeutes à Paris, les images d'enfants affamés au Biafra, la guerre au
Vietnam, le Walen buiten à Louvain, l'homme marche sur la Lune et Merckx
gagne le Tour de France. Dans l'indifférence, une grippe surgit de Hong
Kong en deux temps: une première vague fait 50.000 morts aux Etats-Unis
en trois mois, s'éteint et revient comme un boomerang l'hiver suivant:
10.000 morts en Belgique dans une indifférence générale. Ni les
politiques, ni les journalistes, ni les médecins ne semblent avoir pris
conscience du phénomène. Le mot grippe n’est jamais prononcé au Conseil
des ministres entre 1968 et 1970, et l’affaire est traitée en quelques
brèves dans les pages des faits divers ou de l’actualité internationale,
jamais en Une. "Ce n’est pas ce qu’on appelle une grosse épidémie",
écrit Le Soir le 30 décembre 1969. Il faut attendre 2005 pour qu'un
médecin niçois de l’époque, interrogé par Libération se souvienne d'une
situation désastreuse. "Les gens arrivaient en brancard, dans un état
catastrophique. Ils mouraient d’hémorragie pulmonaire, les lèvres
cyanosées, tout gris. On n’avait pas le temps de sortir les morts […].
Il y en avait de tous les âges : 20, 30, 40 ans et plus. Ça a duré dix à
quinze jours et puis ça s’est calmé et, étrangement, on a oublié." Les
scientifiques se penchent peu sur cet épisode, on ne dispose guère de
données, l‘Institut de santé publique et les médecins vigies ne sont
créées que dix ans plus tard. On n'imagine guère ce que pourrait être
l'Internet, Facebook ou un smartphone.
A quoi aurait ressemblé Covid-19 en 1968? Dans le silence de mon
bureau, je me retourne sur les deux mois écoulés, m'imaginant les avoir
vécus coupé des nouvelles du monde, sans Internet, sans Facebook, sans
smartphone. Sans ce décompte quotidien du nombre de victimes.
Étrangement, ç'aurait pu être deux fort beaux mois, ensoleillés comme
jamais, plutôt moins de malades que d'autres années, fort peu de décès
(2 en deux mois, contre 12 en décembre, allez comprendre ), une
gentillesse extrême des patients, quelques personnes grippées mais dans
l'ensemble peu atteintes, quasi pas d'enfants malades, et deux couples
d'amis signalant un proche en réanimation entre vie et mort. C'est tout.
A l'échelle lilliputienne d'un modeste médecin de famille, non-informé
des bruits du monde, ce printemps 2020 aurait pu être un non-événement,
plutôt heureux. En cinquante ans, la planète a découvert l'effet
papillon, qui d'un battement d'aile crée une tornade, et la puissance de
l'information. Que retient-on de la violence d'un orage si ce n'est la
destruction qu'apporte la foudre mais surtout du bruit que fait le
tonnerre? Ce qui aura fait la différence entre la grippe de Hong Kong et
la Covid-19, ce n'est pas le nombre de morts, c'est le bruit du
tonnerre.
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Christophe Lamfalussy. Il y a 50 ans, la grippe de Hong Kong.
Christophe Lamfalussy. Il y a 50 ans, la grippe de Hong Kong.
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