31 mars 2020

La tendresse


"Les gens qui s'aiment
trouvent toujours une solution
pour s'aimer davantage."
                    Joël Dicker


Il nous a été tant répété que "c'est la guerre" qu'on finirait par le croire. Mais nous ne sommes pas en guerre, et autour de nous il n'y a pas d'ennemis. Il y a au contraire, plus que je n'en ai jamais vus, des personnes qui s'inquiètent les uns pour les autres, qui vous quittent sur un "prenez bien soin de vous", qui investissent tous les moyens techniques merveilleux de notre époque pour réenchanter le monde. Qui ajustent leurs voix pour recréer les mélodies chantées par leurs parents, telle cette merveilleuse tendresse chantée par Bourvil et qui ce soir nous embrume la vue tant elle est actuelle. On commence dans l'écoute, et à la fin on chante avec. Et les plus sensibles ont quelques perles aux yeux.


"Le travail est nécessaire
mais s'il faut rester
des semaines sans rien faire
eh bien         on s'y fait
mais vivre sans tendresse
le temps vous paraît long
long, long, long, long
le temps vous parait long."
                Hubert Giraud, Noel Roux, Bourvil. 1963

Ecouter La Tendresse



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La Tendresse, écrite par Noël Roux, composée par Hubert Giraud, interprétée par Bourvil en 1963, puis reprise dès l'année suivante par Marie Laforêt

30 mars 2020

Alice in Wonderland


"Passage à l'heure d'été: à deux heures, il sera trois heures."
                        Rappel aux distraits


Comme tout est simple, c'est Alice in Wonderland, une heure de perdue, six mois de clarté. Sans ordre de police, sans amende, sans règles à interprétation multiple, à deux heures il sera trois heures. Je retrouve ce soir dans un livre un signet sur lequel furent notées à la volée toutes les choses à faire la semaine du 16 au 22 mars: passer au garage pour changer les pneus hiver, remplacer la pile de ma montre, acheter du papier pour l'imprimante, passer chez grand-maman à sa maison de repos, ne pas oublier ma formation continue jeudi soir, caler la date pour le souper des anciens, passer chez l'opticien pour les lunettes... Ce 29 mars, on jette le signet, tout cela c'est de l'ancien monde, il y eut un avant, il y a un après, en moins de deux semaines tout cela paraît aussi éloigné que les fêtes de fin d'année. On gérait le plein, il faut s'habituer au vide: agenda vide, resto vide, église vide, coiffeur vide, frigo vide (enfin, pour certains négligents seulement ), montre à l'arrêt, parcours Adeps vide, réunion scoute vide, école vide, papa plein dès le matin, que mettre à la place pendant deux, quatre ou huit semaines de tout ce qu'on appelait la vie? Étrange expérience tout de même que de découvrir la relativité de l'indispensable. Ici aussi, c'est Alice in Wonderland, mais en plus réglementé tout de même. La police fait la police en rue, et les parents font la police dans l'appartement, expliquant aux marmots qu'entre eux et le coronavirus c'est du sérieux.

Demeure une question sans réponse. Notre monde traîne une série de problèmes récurrents depuis des lustres, "auxquels on travaille" trois pas en arrière deux pas en avant. Que nous faudra-t-il pour nous y attaquer avec la même résolution que pour Covid-19? La peur constituerait-t-elle le seul levier capable de rendre obsolètes en une nuit les règles et les injustices qu'on croyait inamovibles?


28 mars 2020

Lettre d'Italie



 "Va     pensée         sur tes ailes dorées
pose-toi sur les pentes         sur les collines,
où embaument     tièdes et tendres
les douces brises du sol natal
ô ma patrie si belle      perdue
et soudain    muette
rallume les souvenirs heureux dans nos cœurs
parle-nous des temps passés
couvre le son de nos lamentations
et donne-nous  le courage de surmonter nos souffrances."
                Va Pansiero. Nabuccho de Verdi


Une lettre d'Italie, notes d'espoir dans la désolation. L’International Opera Choir - Coro Internazionale Lirico Sinfonico -, qui a suspendu ses activités sans date de reprise, a recréé une salle de répétition virtuelle avec les moyens que la technique offre. Et le résultat est magique, une interprétation du "Chœur d'esclaves juifs", communément appelé "Va’ pensiero", chant d'un peuple enchaîné qui regrette la patrie perdue et la liberté de pouvoir vivre son quotidien habituel. Considéré comme le second hymne national italien, "Va’ pensiero" fait partie de notre histoire à tous, chacun d’entre nous se surprenant d'être capable d'entonner ses premières lignes de mémoire.  La prouesse technique émeut autant que l’œuvre elle-même, la proximité des cœurs compensant la distance: le confinement n'est pas un emprisonnement. Dans chœur on redécouvre qu'il y a cœur, et les images en superposition des rues italiennes vides possèdent une force d'émotion rare. En communion avec les musiciens de l'Opera Choir, nos pensées rejoignent durant ces quelques minutes d’émotion pure ces innombrables personnes qui vivent comme nous la peur de la maladie et l'envie de renaître à une vie meilleure. Il est des moments qui incitent à la bienveillance et des crises qui invitent à laisser les vieilles querelles. Saisissons l'occasion.


Découvrez  Va Pansiero. Nabuccho de Verdi.

https://youtu.be/JTVXEGIS3LE




La petite dame au miroir


"La petite dame se remet du rouge devant la glace
enfile son manteau
prend son sac à main
et lance à la cantonade :
« Je vais boire un verre dans la cuisine, je reviens dans vingt minutes ! »
                  


Les confinés parlent aux confinés. De La Finca, 3 salons, 6 chambres, court et piscine, salle de sport et de cinéma, à Monaco, les messages d'encouragements des sportifs d'exception aux confinés des bas quartiers de ma commune nous arrachent des larmes de bonheur. Comme eux, soyons patients, tenons le cap et la forme, secouons les barreaux de nos prisons en tuant l'ennui par tous les moyens. Roland Garros reviendra, et la Coupe, et Le Mans, Cannes et l'Eurovision. Libérés de nos chaînes, nous serons à nouveau tous tous tous devant la télévision. Heu reux . 



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Julie Huon. La vie en pause. Jour 9. Les repères. Le Soir. 24 mars 2020

26 mars 2020

Masques qui rapprochent


“Ton visage est un endroit qui a marqué ma vie.”
                    Anna Gavalda


Scène de rue, désertée en raison du confinement. Deux humains se croisent, elle est voilée et porte un masque chirurgical qui lui couvre les 2/3 du visage, lui est en jeans blouson et porte un masque en tout point semblable. Que n'a-t-on écrit sur l'interdiction de se cacher le visage, dissimulation ressentie a priori malveillante ou sous la contrainte. Ce matin, croiser ce visage voilé ET masqué m'a paradoxalement rassuré: ce masque nous rassemble au lieu de nous séparer. Par-delà les différences, nous partageons les mêmes craintes dont ce masque anticoronavirus est le parfait symbole. Se montrer à voile découvert n'est pas anodin et suppose qu'on se sente en sécurité, offrant une parole muette à une écoute muette. Le visage de l'autre est mon grand paysage, à qui il arrive de se mettre à l'abri si la tempête ou l'orage menacent. Cette démarche de sauvegarde élémentaire n'est guère clivante comme pourrait l'être le port d'un voile intégral, burqa ou niqab, qui isole. Ce matin, se cacher la face était le partage d'une vulnérabilité.






Lu dans:
Anna Gavalda. Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part. J'ai lu. 2001. 156 pages

Une anosmie passagère


"Ce parfum avait de la fraîcheur ; mais pas de la fraîcheur des limettes ou des oranges, pas la fraîcheur de la myrrhe ou de la feuille de cannelle ou de la menthe crépue ou des bouleaux ou du camphre ou des aiguilles de pin, ni celle de la pluie de mai, d’un vent de gel ou d’une eau de source.... Et il avait en même temps de la chaleur ; mais pas comme la bergamote, le cyprès ou le musc, pas comme le jasmin ou le narcisse, pas comme le bois de rose et pas comme l’iris... Ce parfum était un mélange des deux, de ce qui passe et de ce qui pèse."
                                    Patrick Süskind


Jusqu'ici on s'inquiétait de leur toux, de leur fièvre, d'une courtesse d'haleine inusitée et depuis peu on les interroge sur la fragrance ronde, liquoreuse, chocolatée du café fraichement torréfié, ou celle de leur tabac de Virginie aux arômes de fruits secs et de vanille légère. Perçoivent-ils encore la fraîcheur fruitée de leur eau de toilette, le goût de la fraise sur la glace à la vanille, l'arôme du chocolat chaud et crémeux ? On tente d'imaginer la fin du confinement, Pâques, Pentecôte, le 15 août?, mais comment imaginer ce premier retour à la côte  sans que soit perçue cette senteur unique de voile gonflée où se prennent l'eau, le sel, le poisson et le varech mêlés de soleil froid, cet effluve infini de la mer qui se fait souffle, inspiration, expiration, sac, ressac,  rassemblant tous les souvenirs de vacances en un seul. Comment se consoler de la perte du parfum douceâtre et entêtant du tilleul en juin, ou du sent-bon entre talc et lait poupina du bébé sorti du bain. Le retour de l'odorat signera mieux que tout autre signe la fin de l'épidémie: à nouveau s’enivrer du parfum des choses, savourer le goût de la vie n'est guère anodin. 



Lu dans: Lu dans:
Patrick Süskind. Le Parfum. Bernard Lortholary (Traduction). Le LIvre de Poche. 2006.  279 pages

24 mars 2020

Seul dans ma file


« Je suis étendue là, toute seule, enroulée dans les plis sombres de la nuit, de l’ennui, de la captivité, et cependant mon cœur bat d’une incompréhensible joie intérieure, d’une joie nouvelle pour moi, comme si je marchais sur une prairie fleurie par un soleil radieux. Et je souris à la vie dans l’ombre de mon cachot, comme si je possédais un secret magique, par lequel tout ce qu’il y a de méchant et de triste se transformerait en clarté et en bonheur. Je cherche en vain une raison à pareille joie, mais je ne trouve rien et ne peux rester que dans l’étonnement. Je crois que le secret n’est rien d’autre que la vie même ; l’obscurité de la nuit est profonde et douce comme du velours, si on sait bien la regarder ».
                                Rosa Luxemburg. Lettres de la prison.
 

Tous, tous, tous en confinement. Un seul mot pour cent réalités bien différentes, les plus plaintifs n'étant pas nécessairement ceux qui sont le plus à plaindre. Entre l'aventure, l'ennui et le travail la perception de l'héroïsme est fort individuelle. Le même matin je compatis avec une patiente octogénaire cloîtrée comme une béguine dans sa maison de repos où on lui sert désormais les repas en chambre et avec le bravache qui fulmine car il n'y a plus de riz dans les rayons. S'il pouvait, "comme c'est la guerre" il mettrait bien un treillis de camouflage et un casque contre les chiures de corona pour faire la file avec son caddy à l'extérieur de la supérette. Tous attendent l'armistice, croix de fer croix de bois,  annoncée pour le 5 avril: jusque là il faudra tenir les positions. Et si ça durait?  Les pages sublimes écrites par Rosa Luxembourg du fond de son cachot, à l'isolement complet avant d'être abattue "parce qu'elle aurait tenté de fuir", pourraient nous inspirer les jours prochains quand il s'agira d'affronter le temps long avec ce "petit courage" qu'est l'apprentissage de la patience.
 

 
Lu dans:
Rosa Luxemburg. Lettres de la prison. Traduction par Alix Guillain. 1921. Rosa Luxemburg , militante et théoricienne marxiste, est morte assassinée le 15 janvier 1919 à Berlin en Allemagne.

23 mars 2020

Les médecins aussi entendent le tocsin


"Tout est vrai, successivement"
                        Peregrinos
 
Dimanche. Un jardin inhabituellement déserté par le bruit mêlé des avions qui nous survolent dès l'aube, par la rumeur lointaine du ring de Bruxelles, par les bruits familiers de la rue, et à la campagne si j'en crois un ami par l'insolite chant du coq à midi. On dirait un dimanche, et ce n'est pas un dimanche. Il manque ce minime quelque chose qui fait la normalité d'une journée, et paradoxalement nous rassure: le confort d'être sur ses rails. Davantage que la surcharge de travail, l'incertitude est anxiogène. Depuis une semaine, il ne s'est pas passé une journée sans qu'on ait dû réviser ce qui avait été dit la veille, pas une procédure qui ne fut remplacée par une autre, pas un pronostic aussitôt battu en brèche. La figure rassurante du médecin de famille demeure, mais d'où lui viennent alors ses rêves inhabituellement agités, ses doutes quant aux consignes qu'il a transmises et aussitôt démenties? D'où sourd cette peur, jamais connue, d'être du lot des patients sains la veille et sous respirateur le lendemain?  Les images de Bergame (Italie) découvertes ce soir au JT des longs convois mortuaires de camions militaires acheminant les morts anonymes privés de funérailles m'ont glacé le sang: tout ça pour ça? Tant de bienveillance médicale, durant tant d'années, pour aboutir en quelques jours sous une bâche kaki dans un incinérateur éloigné de votre village. Il faut pourtant continuer à y croire, réinventer le sens de notre activité quotidienne, avec cette valeur ajoutée que nous sommes - médecins et patients - sur le même pied, partageant les mêmes angoisses, les mêmes insomnies, la même peur de finir dans un camion militaire, tout nus car les croque-morts n'osent nous toucher pour une toilette funéraire, sans famille pour nous pleurer ou jeter un dernier bouquet dans la tombe. Rester humble, vivre simplement, avoir du respect en toutes circonstances, demeurerait-il la manière la plus facile d'affronter les problèmes au quotidien?
 

21 mars 2020

V'la le printemps

"Printemps     voici donc les longs jours
le jour naît couronné d’une aube fraîche et tendre
le soir est plein d’amour      la nuit on croit entendre
à travers l’ombre immense et sous le ciel béni
quelque chose d’heureux chanter dans l’infini."
                    Victor Hugo. Toute la lyre. Printemps

 
 
On l'oublierait presque, et ce serait moche. Ce weekend, on oublie ce "connard virus" (lapsus d'enfant qui m'a fait sourire) et on se dit que "confinés peut-être, mais pas cons finis". Un oubli technique a privé hier une série d'entre vous de la petite plaquette de mon ami Francis Dannemark promise en PDF attaché, c'est réparé. Comme il me l'écrit ce matin "ainsi, tout ne se perd pas. C'est rassurant. Sur ce, je vais m'occuper de mes poissons. Je ne leur ai rien dit de la situation. Leur lent et harmonieux ballet se poursuit comme si de rien n'était." Le comportement de ses poissons me rassure, comme le vol des oiseaux dans le jardin ce matin. Les voir si libres augure bien de l'avenir, le printemps est davantage un état d'esprit qu'un saison. 

20 mars 2020

La traversée des grandes eaux


"Un homme noble, humble dans son humilité,
peut traverser les grandes eaux."
                       Yi King

Un jour. Commencé au petit-déjeuner par l'interrogation éthique des critères de tri à l'entrée des unités de soins intensifs (USI) des malades en détresse respiratoire. Y succèdent les images de la construction d'un hôpital de campagne dans la région Grand Est pour soutenir la lutte contre le Covid-19, et celles de l’envoi d’un navire-hôpital (le USNS Comfort) de 1 000 chambres avec salles d’opération,  dans le port de New York. Dans l'urgence, des patients sous respirateur sont transférés par avion sanitaire de Mulhouse  à Marseille. Un reportage bouleversant dans les hôpitaux de Bergame (Italie) révèle le désarroi d'un corps médical impuissant à sauver ses patients âgés qui décèdent les uns après les autres. Un jour terminé par la lecture inspirante d'un petit bijou d'écriture de mon ami Francis Dannemark. Un conte moral qui nous révèle le secret pour traverser les grandes eaux, "la vieille regarde les enfants. Et très vite, juste avant d'éclater de rire, elle dit : voilà, c'est très simple, je ne savais pas très bien nager à cette époque-là, lui non plus d'ailleurs, et on avait un peu peur ; alors on a traversé en se tenant par la main. Et on n'a rien emporté d'autre." 

Entre ces deux moments de lecture, j'ai été à la rencontre de quelques patients en fin de vie, âgés et porteurs de pathologies intriquées les rendant infiniment vulnérables, les interrogeant sur ce qu'ils souhaitaient au cas où, atteint par le virus,  leur état se dégradait rapidement. Informés du risque vital, attendent-ils de nous une démarche maximaliste les faisant bénéficier d'un placement en soins intensifs avec éventualité d'une respiration assistée, ou préfèrent-ils demeurer dans leur environnement habituel (le plus souvent une maison de repos et de soins) entouré des soins de première ligne performants auxquels ils font confiance. Leur souhait est ensuite communiqué aux soignants et notifié dans leur dossier médical de manière simple et immédiatement compréhensible: Corona USI SI/USI NO. Rencontres merveilleuses de personnes exceptionnelles par leur vision du sens de l'existence. L'une d'elle ajoute à son souhait de mourir dignement dans son lit, entourée des souvenirs chers de toute une existence, une vision altruiste à laquelle je ne m'attendais guère.  Évoquant le père Maximilien Kolbe mort à Auschwitz, où il avait proposé de mourir à la place d'un père de famille, elle précise: "je suis en fin de vie et il me plairait vraiment de la terminer par un don, laissant une place en soins intensifs à un plus jeune qui en bénéficiera plus utilement que moi."  Attitude d'une dignité extrême, qui replace le patient le plus démuni au centre des choix éthiques d'un tri hospitalier difficile, et donne au médecin de famille la possibilité de personnaliser cette décision de tout ce qui a pu la construire. 

Un jour, dont on sort grandi: l'être humain possède des ressources extraordinaires quand on l'interroge. Habité aussi par une certitude: nous surmonterons cette épreuve. Notre petit pays se révèle grâce à cette épidémie, bénéficiant d'une conjoncture croisée: des responsables politiques, médicaux et syndicaux qui ont su trouver la parole juste; un réseau de première ligne organisé et efficace coopérant remarquablement avec une ligne hospitalière d'une qualité exceptionnelle; le bénéfice d'avoir pu prendre des mesures difficiles, instruits par l'expérience de nos voisins, deux semaines plus tôt qu'eux; une population qui apprécie qu'on fasse appel à son civisme plutôt qu'à la contrainte. Heureux pays où on peut se poser la question du sens: préfère-t-on finir une existence qui fut heureuse dans la cabine d'un navire hôpital ou dans sa maison de repos entouré des soins les meilleurs, c'est-à-dire les plus chaleureux?  Poser la question c'est y répondre, encore faut-il songer à le faire. 



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Coronavirus: les soins intensifs n’excluent pas de bientôt devoir choisir entre les patients plus jeunes et les personnes âgées. Le Soir. 18 mars 2020.
Coronavirus. Les États-Unis vont envoyer un navire-hôpital à New York. Ouest France. 18 mars 2020.
Coronavirus : un hôpital de campagne des armées déployé en Alsace. Les Échos. 18 mars 2020
Coronavirus : l’armée vient soulager l’hôpital de Mulhouse. France Info. 18 mars 2020.
C'est l'horreur absolue, l'effondrement total d'un système. Reportage vidéo RTBF. 18 mars 2020

Francis Dannemark. La traversée des grandes eaux. Extraite du recueil Zoologie. Le Castor Astral. 2006. 25 pages. Exergue, p.24

19 mars 2020

On ferme


"La notion de maladie en tant que pays étranger, avec ses habitants étrangement vêtus et ses langues locales interdites, a été un élément central de la littérature moderne."
            Jamie Samson



On ferme. La liste des pays européens fermant leurs frontières pour contenir l'expansion du virus s'allonge de jour en jour, la Pologne, la Lituanie, le Danemark, la Slovaquie, Chypre et la République tchèque, l'Espagne.  L'Allemagne, l'Autriche, la Hongrie, la Slovénie, le Portugal renforcent fortement les contrôles aux frontières et depuis hier c'est l'ensemble de l'Union européenne qui se ferme au reste du monde. Stop au virus, et à tout qui vient de l'extérieur, l'identification est totale jusque dans la consigne "Io resto a casa (restez chez vous)" dont la double signification n'échappe à personne. A vieilles peurs, vieilles recettes, rétrécir l'horizon rassure: connaissait-on toutes ces épidémies quand il y avait des frontières sûres, on protège mieux ceux qu'on connaît. Comme nous tous, je crains pour ma famille, mes amis, mes patients en ces temps d'épidémie et participe à l'effort collectif pour l'éradiquer. Un court instant je m'imagine médecin au camp d'Essalame, à la frontière turque où s'entassent des milliers de réfugiés du conflit syrien. Lui aussi redoute pour sa famille, ses amis, ses patients l'arrivée de Covid-19 prévisible dans les semaines qui viennent. Lui aussi fait le compte de ses lits d'hôpitaux et de soins intensifs, et hausse sans doute les épaules. Le terme citoyen du monde reste à définir.



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Jamie Samson. L'autre royaume. Hektoen International. Un journal des sciences humaines médicales. 18 mars 2020. 

18 mars 2020

Le mélange d'un tempérament et d'un mal


" On n'a rien compris à la maladie tant qu'on a pas compris son étrange ressemblance avec l'amour et la mort, ses compromis, ses feintes, cet étrange et unique amalgame fait du mélange d'un tempérament et d'un mal."
                                M.Yourcenar


Moments précieux où chacun prend conscience de sa fragilité et de l'incertitude des choses. Pourquoi certains seront-ils atteints et pas d'autres? Lesquels d'entre eux participeront à cette loterie bizarre qui en amènera une partie à l'hôpital, l'autre non? Cette incertitude est déjà une souffrance et motive nombre de consultations diverses depuis trois jours, m'éloignant résolument de la tentation de me faire juge de qui est contagieux ou qui ne l'est pas et suspicieux quant à la validité d'un certificat. Qui sommes-nous pour jauger la peur qui envahit celui qui nous fait face? Observant cette mise en léthargie progressive de notre société, que nous pensions si sécurisée, on reste pensif devant le pouvoir désorganisateur d'un minuscule virus de 0,1 micron. Surgit l'image du géant Gulliver réduit à l'impuissance par les Lilliputiens. La conjonction de mesures fortes et la responsabilisation de chacun viendront sans aucun doute à bout de cette épidémie, mais comme l'écrivait Michel Serres, sera-t-elle la dernière? Renouvellerons-nous nos médicaments, nos vaccins et nos politiques de prévention aussi rapidement que nos ennemis nains renouvellent leurs cuirasses? "Ils croissent, mais notre bouclier s'affaiblit et la lutte continue, nous n'en avons peut-être connu qu'un épisode. Nous n'éradiquerons pas facilement des bactéries ou des virus vieux de trois milliards d'années: ils en ont vu d'autres, sur cette vieille planète." 


Lu dans:
Marguerite Yourcenar. Mémoires d'Hadrien. Gallimard. 1951. Coll Folio 1977. 364 pages
Michel Serres. Hominescence. Ed. Le Pommier. Coll Essais. 2001. 339 pages. Extrait p.33

17 mars 2020

Tenir jusqu'à Pâques


"Il y eut un soir et il y eut un matin : premier jour."
                     Genèse 1.19.3


On connaissait le pont de l'Ascension, celui du 1er Mai, celui du 15 Août. Depuis quelques jours c'est un peu comme le pont jusqu'aux vacances de Pâques. Les premières heures, l'annonce d'une suspension de l'obligation de travailler possède toujours un côté fun, comme quand votre prof de math tombe malade et que la classe pousse un grand YEEESS à la seule idée des heures de cours séchées. Au fond, rien de vraiment fâcheux, on ferme les écoles, les restos, les bistrots, les églises ... jusqu'au début des vacances de Pâques. Peut-être même serons-nous confinés, réduits à faire nos courses à la supérette du coin, peut-être manquerons-nous de Dafalgan, de macaronis et de papierQ, ce sera comme une sorte de carême laïc ou de tournée minérale en mars. Mais sûr de vrai, à Pâques tout reverdira, on ira à la mer "comme quand on était jeunes, comme quand c'était le temps que j'avais de l'argent" et tout repartira, sauf que.. 

Un jour lointain, la Meuse en crue sortit de son lit inondant en une seule nuit un village de pêcheurs du Maasland au nord de Maaseik entre Ophoven et Geistingen. Le paysage prit une grandeur majestueuse, insolite et silencieuse. On se dit entre voisins qu'un jour proche ce serait la décrue et que tout reprendrait comme avant, sauf que là où coulait la Meuse le lit n'était plus que roche. Le cours du fleuve s'était détourné à quelques kilomètres, pour toujours. Il y eut un soir, il y aura un matin mais pour quelle réalité sonneront les cloches de Pâques? Dans quelle famille y aura-t-il eu un papy mort aux soins intensifs, un frère dont l'emploi aura disparu suite à la fermeture prolongée de son petit commerce, ou de sa compagnie aérienne, ou de sa banque. Le bruit que fait la première carte quand on la retire est imperceptible à l'oreille, et le temps se suspend une seconde avant que tombe la deuxième, puis l'ensemble. Les journées de vendredi et de ce lundi furent surréalistes, peu de nouveaux malades vraiment inquiétants mais une course hors d'haleine à la régularisation des certificats d'incapacité pour éviction prophylactique, protection de patients à risques, mise à l'écart des femmes enceintes, justification de maintien à domicile de parents d'enfants sans école, de phobiques décompensés, en un mot de nous tous sautant d'un camion qui sort de la route, l'abandonnant à son sort. Le silence dans mon cabinet était aussi terrible que la prémonition de me trouver dans cet intervalle précis entre le retrait de la première carte et la chute des autres. On est sans aucun doute pessimiste les soirs de fatigue, mais qu'on aimerait se tromper et imaginer qu'à Pâques tout sera redevenu comme avant. 



Lu dans:
Bible de Jérusalem. Genèse 1.19.3

15 mars 2020

Sœur Anne, que vois-tu venir?

"Au fond une simple bataille lui eût suffi, une seule bataille, mais sérieuse ; charger en grande tenue et pouvoir sourire en se précipitant vers les visages fermés des ennemis. Une bataille, et ensuite peut-être il eût été content toute sa vie."         
                                                                                      Dino Buzzati



Une dernière fois avant la nuit, monter au donjon et scruter la plaine qui s'ouvre devant nous à la recherche d'un ennemi invisible. J'envisage sans plaisir la semaine qui s'ouvre, incertaine, habité par "l'inexprimable sentiment des choses à venir". Que les choses se sont précipitées en quelques jours, la campagne de Chine, d'Italie, puis celle de France, d'Espagne en attendant la nôtre, avec le décompte devenu quotidien des infectés, des guéris et des morts. Un ennemi sournois s'est glissé dans nos villes, dissimulé sous les habits de ces innocents qui toussent, grelottent, faisant d'un enrhumé un potentiel patient suspect à isoler au plus vite. La médecine aime les tableaux aux couleurs vives, les ennemis qui vous affrontent sabre au clair: un infarctus brutal à ponter au plus vite, un abcès de la taille d'une pêche à inciser, une fracture déformante à réduire, bref une médecine de duels avec ses héros et ses légendes. Quel médecin n'a rêvé de pareilles batailles, à raconter aux amis et à la famille les soirs de veille? En place de quoi soudain se déroule devant nous la perspective de longues semaines sans relief, à la traque de symptômes mineurs d'évolution aléatoire, et dont la répétition parviendra à user les plus braves. Pas de test de dépistage, pas de traitement disponible, pas de masque, pas de gants, pas de gel, on est redevenus soudain ces médecins aux mains nues dont - enfant - je me faisais des héros. Ce dimanche l'église était vide et fermée, la maison de repos est devenue maison close, l'hôpital où se remet péniblement un patient cher est barricadé à tout visiteur, fût-il son médecin. Piètre héros sans arme et sans victoire, il ne nous reste finalement qu'une seule fonction à remplir: simplement être là.
 

 
Lu dans:
Dino Buzzati. Le désert des Tartares. Michel Arnaud (Traduction). Le Livre de Poche. 1995. 288 pages. 

14 mars 2020


"Les anciennes règles avaient été temporairement suspendues et c’était excitant de réfléchir à tout ce qu’on aurait appris et corrigé quand les choses repartiraient."
                Jean Hegland. La forêt

Dans un bel éditorial ce samedi, Béatrice Delvaux élargit la réflexion face à l'épidémie de Covid-19 et ses conséquences sociétales. "Qui serons-nous au terme de cette quarantaine ? Reprendrons-nous les choses comme nous les avons laissées ? Aurons-nous la force de tirer les conclusions de ce moment inouï ? Ou réanimerons-nous, tête baissée, le monde d’avant pour mieux oublier que nous avons failli y passer ? "  Si on ne peut modifier les consignes, libre à nous de les vivre d'une manière positive et de saisir les opportunités que cette crise ouvre. Le confinement "alla casa" peut être le contraire d'un emprisonnement mais une occasion offerte d'un voyage intérieur qu'ouvre cette période de retour à l'essentiel. A Sienne, on peut entendre plusieurs personnes chantent en chœur par leurs fenêtres, emplissant la rue du quartier d'une onde d'espoir et de solidarité: un touchant acte d'humanité, alors que le monde autour d'eux est dans un chaotique branle-bas de combat face au virus. Bel exemple de créativité dont chacun peut s'inspirer. 



Lu dans:
Jean Hegland. Dans la forêt. 2017. Trad. Josette Chicheportiche. Ed. Gallmeister. Coll. Nature Writing. 304 pages.
Béatrice Delvaux. Un moment de vie sans vie pour sauver des vies. Le Soir. 14 mars 2020. Editorial.


10 mars 2020

Sagesse de l'incertitude


""Maintenant, je vois cela différemment. J'ai compris qu'en offrant au monde la patience, l'attention, la mise aux aguets, la mise en haleine de soi-même comme dit Montaigne dans "Les Essais", on a un autre usage du monde. Tout à coup, on décide que c'est le monde, les bêtes, les impressions de la lumière sur les reliefs qui vont apporter la variété. Et pas uniquement votre fébrilité et votre agitation."
                        Sylvain Tesson
 

Les images de Venise ou de Milan impressionnent. Revient à la mémoire la scène d' "Un soir, un train" d'André Delvaux et de ce train ralentissant dans la campagne déserte et gelée jusqu'à s'arrêter complètement, laissant ses passagers dans la solitude et l'anxiété. Dans la réflexion aussi sur les liens qui les unissent, la solidarité qui doit se mettre en place et l'interrogation sur le sens de leur voyage. Ce ralentissement imposé dans leur existence s'avère in fine plus salutaire que nocif. Pas plus qu'il n'y a de bonne petite guerre, on ne peut se réjouir d'une épidémie. Il n'empêche que notre réflexion est nourrie par sa survenue, et par les mesures qui l'accompagnent. On veut sans cesse tout prévoir, tout maîtriser, à l'échelle individuelle comme sociétale, et on redécouvre que c'est un leurre. Qu'un grain de sable peut à tout moment venir gripper la machine, et que toutes les mesures prises doivent se voir en permanence reconsidérées. Le rapport de forces bascule, la défensive s'est substituée à l' initiative. Les rayons des grandes surfaces peinent à se voir réapprovisionnées tant est grande la peur de l'inconnu, maîtrisée tant bien que mal par l'achat de pâtes, de farine, de sucre et de tout ce qui se conserve. Acheter des denrées qui résisteront au virus et à la péremption, les entasser dans  nos armoires, nous rassure contre notre propre fragilité.
 


Lu dans:
Sylvain Tesson. La Panthère des neiges. Gallimard. Coll. Blanche. 2019. 176 pages.

09 mars 2020

Prendrez-vous du thé?


"En Angleterre, quand vos hôtes vous proposent le thé, toutes les nuances comptent. Si l'on vous dit : «Désirez-vous une tasse de thé ? » , il s'agit probablement d'une offre véritable. Mais si des personnes à l'ancienne mode, un peu old-fashioned, vous demandent : «Désirez-vous une tasse de thé ou préférez-vous ne pas en prendre ? », cette manière de tourner la question suggère qu'il est temps de partir : « Please leave soon... » — et peut-être n'attendiez-vous que ce signal..."
                                    Laurent Pernot


La dimension implicite fait partie intégrante de la communication, contribuant au bon fonctionnement des relations humaines par la suggestion sur un mode non-agressif ce qui, exprimé autrement (« Please leave soon... ») le serait.
 

Lu dans:
Laurent Pernot. L'Art du sous-entendu. Fayard. 2018. 334 pages. Extrait p.16

05 mars 2020

La Joconde pleure


"Un navire n'arrive pas (..)
Vieux monde
Qui a connu de fières heures
Qui a vu peindre la Joconde
Aujourd’hui la Joconde pleure
Il n’y a pas deux humanités. "
                        Thibault Wautier


On vit une époque étrange, qui voit se succéder sans transition au journal télévisé un reportage sur les migrants de Lesbos et un autre sur les  greffes capillaires ratées.  Chacun a ses soucis, comme disait une patiente, mais ça tourne la tête d'observer pareils contrastes. Un jeune collègue me partage un beau texte, rédigé sans aucun doute en découvrant les mêmes images, et me l'envoie comme on jette une bouteille à la mer. Jeune médecin, vieux médecin, qu'habitent les mêmes insomnies.

04 mars 2020

Sagesse des oies sauvages


Quand des ours voyaient les oies sauvages, ils les montraient à leurs petits et disaient: "Regardez celles-là qui ont si peur du froid qu'elles n'osent pas passer l'hiver chez elles !" Et les vieilles oies sauvages, pas gênées le moins du monde, criaient à leurs oisons : "Regardez-les, ceux-là, qui préfèrent dormir la moitié de l'année que de se donner la peine de descendre vers le sud !"
                                                Selma Lagerlöf
Entre avoir peur du froid ou peur du voyage, c'est tout le destin des pasteurs nomades qui un jour se muèrent en cultivateurs, modifiant fondamentalement le rapport de l'homme à la terre. Sa nature profonde aussi, de chasseur à cueilleur, le tigre devint chat, le loup devint chien. Des ours qui parfois se mettent à rêver qu'ils furent des oies sauvages.



Lu dans:
Selma Lagerlöf. Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède. Gallimard. 2019. 635 pages.

03 mars 2020

Un virus ça craint

"Ne fréquentez pas le Salon de l'auto de Genève. Prenez le métro."
                        Sagesse du Covid-19

 
 

01 mars 2020

On s'ébroue


"En avant Mars! "


Il aura suffi d'un tapis de jonquilles allumé par un timide rayon de soleil, une heure de luminosité gagnée sur la nuit, la cloche ouvrant l'école après le congé de carnaval, la sortie des Gilles, Paysans, Pierrots, Marins et Arlequins : le printemps s'ébroue et on se sent déjà mieux.