"Vous savez, on peut traverser toute son existence comme une mouche!"
Rabbin Haïm Harboun, à sa communauté un jour de shabbat
Mais que sais-tu donc, ami rabbin, de ce que vit une mouche, l'abeille,
l'hirondelle dans le ciel? Des milliers d'années de pensée
aristotélicienne, chrétienne et cartésienne nous cadenassent dans le
déni de toute conscience animale ou d'intentionnalité, dans la certitude
qu'une marche infranchissable nous sépare de la bête, incapable de
concevoir sa propre finitude. Adaptée à son environnement, elle ne
saurait s'ouvrir à la totalité de la réalité. Mais que savons-nous de
l'intelligence de l'essaim, du vol des migrateurs dans le ciel? Comme
Sylvain Tesson, je suis troublé par la danse des moucherons dans le
rayon du soir. Tant de grâce n'a-t-elle aucune signification? "Que
savons-nous des pensées de l'ours? Et si le crustacé bénissait la
fraîcheur de l'eau sans aucun moyen pour lui de nous le faire savoir et
sans aucun espoir pour nous de le déceler? Et comment mesurer les émois
des passereaux lorsqu'ils saluent l'aurore sur les plus hautes branches?
Et pourquoi ces papillons dans la clarté du midi ne connaîtraient-ils
pas l'intensité dramatique esthétique de leur chorégraphie?"
Hasard, destin? Nous aimons imaginer que l'homme seul ait un destin. La
flèche doit avoir une cible: c'est ainsi que notre esprit est construit
et qu'il nous guide. Comme le note avec humour Eugenio Scalfari, cela
nous soulage, cela donne un sens à notre existence. "Les mouches, les
fourmis ont-elles un destin? La petite fourmi qu'il nous arrive
d'écraser sous la chaussure, était-ce là son destin? Bien sûr les hommes
sont différents des fourmis, eux ils ont un destin, ils sont plus
importants que les fourmis. Et si ce qu'on appelle le destin n'était
qu'une tentative de se consoler du désespoir de devoir mourir, de ne pas
avoir existé en vain?"
Lu dans :
Rabbin Haïm Harboun, cité par Didier Long. Petit guide des égarés. Salvator. 2012. 185 pages. Exergue.
Sylvain Tesson. Dans les forêts de Sibérie. Gallimard. 2011. 288 pages. Extrait p. 195.
Eugenio Scalfari. Par la haute mer ouverte. Gallimard. 2012. 322 pages. Extrait p. 75
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