23 janvier 2013

Ce paysage incertain où se tisse l'avenir


"Si Auschwitz n'a su guérir l'homme du racisme, qu'est-ce qui pourrait y parvenir?"
E. Wiesel

Au moment de subir un multiple pontage coronaire, l'ancien déporté à Auschwitz-Birkenau et à Buchenwald (il y perdra ses parents et sa sœur), prix Nobel de la Paix 86, scrute le parcours de son existence avec désenchantement. "Dans mon combat contre la haine, que je voulais inlassable, ai-je investi suffisamment de temps, d'énergie pour dénoncer le fanatisme sous ses masques divers? Sans doute pas puisque, nous tous qui avons mené ce combat, devons admettre la défaite. Une fois les camps libérés, je m'en souviens, nous étions convaincus qu'après Auschwitz il n'y aurait plus de guerre, plus de racisme, plus de haine, plus d'antisémitisme. Nous nous sommes trompés. D'où un sentiment proche du désespoir. Car si Auschwitz n'a su guérir l'homme du racisme, qu'est-ce qui pourrait y parvenir? À nous de l'admettre: le monde n'a rien appris. Sinon, comment comprendre les atrocités au Rwanda, au Cambodge, en Bosnie ... ? " Peut-être. Se remet-on jamais d'un retour des camps et le regard qui a vu l'abomination peut-il retrouver la vision paisible des paysages lumineux?  

Comment sonder les pensées de cette marée humaine, jeune, créative, avide d'échanges internationaux et de voyages, connectée au village humain par l'Internet, développant une culture commune multiforme au-travers d'impressionnants réseaux sociaux. On ne peut nier qu'une humanité neuve se dessine, dont la nouveauté inquiète parce qu'indiscernable, mais aussi enthousiaste que ne le furent ses aînés. Les atrocités citées par Elie Wiesel ne sauraient être oubliées, mais l'être humain - comme l'humanité - a ses maladies, que l'on soigne et dont on se relève plus fort qu'avant. Il faut se promener dix minutes dans les rues paisibles de mon quartier anderlechtois pour mesurer ce qu'est une société multiculturelle, écouter "Le monde est un village" pour s'émerveiller de tant de musiques devenues familières à nos oreilles, savourer à nos tables le quinoa, le boulghour, le houmous, le couscous, le chili con carne en même temps qu'un lièvre à la gueuze ou une bouillabaisse. Intégrés dans nos vies de manière indélébile, mineurs mais désormais bien enracinés, ces changements multiples de nos quotidiens sont autant de reculs du racisme primaire dont on ne peut que se réjouir et qu'on ne saurait minimiser.  

 
Lu dans:
Elie Wiesel. Coeur ouvert. Flammarion 2011. J'ai Lu Récit 10190. 92 pages. Extrait p. 53

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